Profitant d’une distribution en France toute fraîche, c’est aujourd’hui une tête assez récente dans le paysage de la basse que nous testons pour vous : la Magellan 800 de Genzler Amplification.
À vrai dire, tout n’est pas nouveau, puisque Genzler Amplification est la toute dernière marque d’un fabricant chevronné : Jeff Genzler. Ce dernier fut longtemps le PDG de feu Genz-Benz avant que la marque ne disparaisse. N’épiloguons pas sur ce destin, la page est tournée et loin de se reposer sur ses lauriers, Genzler poursuit son travail pour mettre à disposition des bassistes des innovations qui sonnent à prix contenu. Genz Benz avait été l’une des premières marques à démocratiser l’amplification en classe D, tout en proposant des têtes souvent très complètes en termes de polyvalence, et c’est dans cette lignée que semble s’inscrire le vaisseau amiral de la nouvelle marque.
Fin comme un oiseau
Enchâssée dans une coque en aluminium selon la marque, la tête ne s’avère pas très métallique au touché, au point que l’on pense irrémédiablement à du plastique. Si cet aspect étonne, l’ampli se rattrappe en proposant, dans la pure tradition des têtes en classe D des 10 dernières années, un nombre impressionnant de fonctionnalités au centimètre carré. Certaines sont devenues des classiques que l’on trouve chez nombre de fabricants, même si Genzler avait été parmi les pionniers avec ses réalisations précédentes, et d’autres sont propres à la tête ici testée.
Sur la face avant de l’amplificateur, les contrôles sont nombreux, mais clairement organisés, et chaque fonction ou presque dispose d’un bouton-poussoir pour l’activer, avec un témoin lumineux associé. De bâbord à tribord on a donc :
- Une entrée jack, associée à un bouton « pad » qui permet d’adapter cette entrée aux basses actives ou à fort niveau de sortie (-8,5 dB), et un « mute » qui coupe la sortie de l’ampli ;
- Deux canaux de préamplification : l’un « clean » pour un son naturel, avec son bouton de volume en sortie de préampli (étrangement, le gain d’entrée du préampli ne semble pas réglable), l’autre « drive » pour un son saturé à la manière des lampes, avec un réglage de gain en plus du volume de sortie du canal, ce qui permet de doser la saturation. Le choix entre les deux canaux s’effectue au moyen d’un poussoir « channel », et un témoin lumineux indique sur quel canal on se trouve. En revanche on ne peut pas mélanger les deux canaux ;
- Un réglage de « contour », c’est-à-dire de tonalité générale du son. Deux types de courbes d’égalisation générale sont proposées (A/B, on les détaillera plus loin) via un bouton-poussoir. Un témoin lumineux donne d’ailleurs des indications en changeant de couleur (du bleu à l’ambré en fonction de la courbe sélectionnée), et un potentiomètre permet de doser l’effet de cette courbe d’égalisation globale, du neutre (« flat ») au « max » ;
- Une égalisation de 3 bandes : graves (+/- 15 dB avec une action centrée à 75 Hz), médiums paramétriques (un bouton pour sélectionner la fréquence entre 150 Hz et 3 kHz, ce qui est un spectre assez large pour laisser une grande marge de manœuvre, et l’autre pour appliquer le boost ou la coupure +/- 15 dB), et aigus (à nouveau +/- 15 dB avec une action centrée à 6 kHz) ;
- Un bouton de volume général intitulé « master » vient clore le tableau.
On prend une grande bouffée d’air marin et on retourne l’engin, à la poupe on trouve donc :
- Une prise pour alimentation au format IEC, avec le bouton on/off. L’alimentation est interne et automatiquement régulée ;
- Deux prises pour baffles au format mixte jack/Speakon, avec un sélecteur d’impédance : en mode 4/8 ohms on pourra, comme c’est courant avec les têtes d’amplification pour basse, utiliser soit un baffle de 8 ohms (la tête délivre alors 400 watts au maximum), soit un baffle de 4 ohms ou deux baffles de 8 ohms (la tête délivre alors 800 watts au maximum). En mode 2.67 ohms, la tête pourra accepter trois baffles de 8 ohms, ou bien un baffle de 4 ohms et un baffle de 8 ohms, pour une même puissance de 800 watts ;
- Une série de prises pour diverses options de connexion : une prise casque, une boucle d’effets (envoi en sortie après le préampli, retour dans l’ampli de puissance, niveau ligne), une sortie vers l’accordeur (qui reste active même quand la sortie de l’ampli est coupée par le switch « mute »), une entrée auxiliaire de niveau ligne (pour ajouter au son de basse n’importe quelle source, par exemple votre baladeur MP3 — la prise est stéréo, mais le signal restitué sera mono, d’après le mode d’emploi), et une prise pour footswitch (lequel n’est pas fourni) pour commander le changement de canal clean/saturé ;
- Et enfin une sortie DI au format XLR avec à nouveau des options sélectionnables : un choix pré ou post-égalisation pour le signal envoyé par la DI, un sélecteur « ground lift » qui permet de couper la masse en cas de problème de buzz sur scène, et un choix du niveau sonore envoyé par la DI (niveau « ligne » ou « micro » selon la préférence de l’ingé son).
Voilà.
Je ne sais pas ce que vous en pensez arrivés à ce niveau, mais moi je suis assez ébahi : spontanément je dirais qu’il ne manque en fait… rien ! On dispose de 3 fonctions successives et cumulables pour travailler le rendu sonore : le choix d’un canal clair ou (plus ou moins) saturé, le choix et le dosage de la courbe « contour » d’égalisation globale, et l’égalisation bande par bande. Le design, il faut à nouveau le souligner, est d’une limpidité remarquable, un bouton = une fonction, des switchs pour activer les différentes options, des témoins lumineux colorés et nombreux pour rappeler où l’on en est d’un simple coup d’œil. Les boutons ont l’air solides et tournent agréablement sous la main, les switchs sont fermes et ont un déclic audible à l’enclenchement. La connectique est incroyablement complète, je n’arrive pas à imaginer de situation potentiellement impossible à couvrir avec cet engin. La cerise sur la pièce montée est le sélecteur d’impédance en mode 2,67 ohms, qui permet de s’assurer de pouvoir utiliser n’importe quels baffles que l’on ait sous la main, puisque la tête est utilisable même dans le cas où l’on se trouve avec une paire mal associée d’un baffle de 4 ohms et d’un de 8 ohms, ou bien pour un stack dantesque, on peut cumuler 3 baffles de 8 ohms…
Le tout dans un châssis d’un peu moins de 3 kg, pour un format non pas de quatre cents tonneaux, mais de longueur/largeur/hauteur à peu près comparable à une ramette de feuilles A4. Au déballage on trouve dans le carton, outre la tête elle-même, un manuel d’utilisation en vrai papier, un câble d’alimentation, et un court, mais pratique câble pour HP muni de deux connecteurs Speakon. On apprécie la petite attention.
Hissez haut
Encore un peu submergé par ce tsunami de fonctionnalités, je m’attaque à la revue de l’aspect sonore du machin. Tout d’abord, afin de sentir le son « brut » de l’ampli lui-même, je le connecte via sa prise DI à ma carte son pour tester les nombreux réglages offerts.
Le canal « clean » est d’un réglage simplissime : on tourne le bouton de gain/volume jusqu’au niveau adéquat, une LED rouge vient clignoter si l’on fait saturer le préampli, on redescend un chouia et c’est bon. Le son lui-même est neutre au sens où l’on reconnait immédiatement le son de la basse elle-même, mais on ne ressent pas de froideur excessive.
Le canal « drive » est beaucoup plus typé, avec sur le premier tiers de la course du gain, un net effet de coupure des extrêmes graves et aigus au profit de bas-médiums mis en avant. Plus on pousse le gain (en compensant avec le potentiomètre de volume associé), plus la saturation augmente, mais même à fond, cela reste un vrai son de basse et non une bouillie saturée pleine d’aigus agressifs. À défaut de qualifier ce canal de « typé lampes », ce qui ne veut rien dire en soi, je n’hésite pas à le qualifier de « typé vintage » avec une bande passante et une restitution moins fidèle au son de la basse elle-même, mais qui fait merveille dès qu’elle est associée avec une batterie.
Dans les extraits sonores ci-dessous, je joue sur le canal Clean, puis sur le canal Drive en augmentant progressivement le gain, de modéré (environ 10 h) à plus soutenu (vers 13 h) puis à fond :
ENCADRE :
- 1 Clean 00:41
- 2 Drive 01:06
Vient ensuite le réglage de Shape, très puissant. Il s’agit d’une courbe globale d’égalisation qu’on peut ajouter de manière progressive. La courbe A (indicateur allumé en bleu) est un boost des aigus et des graves associé à un creux dans les médiums (la célèbre courbe en V). Ici la puissance du réglage est assez limitée et ce n’est pas plus mal, l’effet est subtil sur la première moitié du potentiomètre, plus nette sur la deuxième partie de la course, mais n’est jamais caricatural et l’on peut envisager de le mettre à fond sans risquer de dégrader complètement le son obtenu.
Dans les deux extraits suivants, j’ajoute une dose progressive de Shape en courbe A sur le son clean (extrait 3) et sur le son Drive avec le gain modéré (environ 10 h – extrait 4) :
- 3 Courbe A Clean 01:18
- 4 Courbe A Drive 01:17
La courbe B (indicateur allumé en orange) propose à l’inverse une réduction des extrêmes graves et des aigus avec un boost des bas-médiums. Dans cette configuration l’effet est toujours aussi progressif, mais à fond, le rendu sonore est tout de même assez étouffé, en raison de la coupure des aigus qui est assez sensible. On a l’impression de jouer sur une basse passive dont on aurait coupé la tonalité, ou sur des filets plats bien vieillis.
Dans les deux extraits suivants, j’ajoute une dose progressive de Shape en courbe B sur le son clean (extrait 5) et sur le son Drive avec le gain modéré (environ 10 h – extrait 6).
- 5 Courbe B Clean 01:23
- 6 Courbe B Drive 01:23
Enfin, on peut ajouter à ces réglages globaux une égalisation de 3 bandes très efficace. Ici pas de fioritures, l’égaliseur fait exactement ce qu’on attend de lui sans rien d’exceptionnel à signaler. Notons tout de même que les aigus peuvent être poussés à fond sans engendrer de souffle notable (et ça, c’est bien), mais que les potentiomètres ne disposent pas d’un léger cran pour marquer la position « neutre », ce qui est dommage, car c’est pratique pour être sûr qu’on a désactivé l’égalisation, surtout lorsqu’on observe par ailleurs que l’égaliseur est justement la seule partie de cette tête d’ampli qui ne dispose pas d’un petit poussoir pour l’activer ou non.
Dans les différentes configurations, les sons obtenus restent assez propres même en jouant sur le canal Drive, mais la polyvalence de l’ampli n’interdit pas d’aller taquiner des sons plus agressifs qu’on n’imagine pas spontanément avec ce type d’ampli. En témoigne ce dernier extrait (n° 7) au médiator, sur le canal Drive avec gain à 15 h et Shape en courbe A à mi-course.
Tiens bon la vague
Mon ampli sous le bras, je suis parti en répet pour confronter ces premières impressions aux flots sonores d’un duo de guitaristes et d’un batteur vigoureux dans une config pop-rock plus ou moins énervée. J’ai amarré l’engin à un 12" Ampeg qui, s’il n’est pas le plus neutre des baffles, est en général assez représentatif des qualités (et défauts éventuels) des têtes que j’y branche. Pour l’occasion j’ai même remonté le niveau du tweeter afin d’avoir le spectre de restitution le plus large possible.
À l’usage, la polyvalence de l’ampli est plus que confirmée. Le canal clean profite agréablement de la légère coloration du baffle Ampeg et en ressort moins neutre tout en restant très représentatif du son de la basse elle-même. Un léger coup de filtre en courbe A ou B selon les morceaux m’a permis de trouver le son complémentaire aux guitares sur les morceaux calmes ou énervés. En canal Drive, c’est vite excessif en situation de groupe sauf si l’on a l’habitude de jouer saturé de toute façon, mais ce canal prend tout son sens si on l’utilise comme l’équivalent d’une pédale de saturation, pour soutenir un passage en particulier. D’ailleurs, à mon goût, à fort volume en situation de groupe le complément idéal de ce canal saturé en termes de filtre « Shape » n’est pas la courbe B typée vintage, mais la courbe A et son creux dans les médiums qui permet de « calmer » le côté agressif de la saturation. À l’inverse, le canal A parfois un peu trop lisse bénéficie agréablement du coté « touche vintage » de la courbe B du filtre.
J´en ramènerai plusieurs lingots
Bah oui, des amplis comme ça, ça vaut de l’or, surtout qu’il n’en a pas le prix (970 € eu France, frais de port inclus). Que ce soit sur le plan de la polyvalence technique (fonctionnalités et connectique) ou des possibilités sonores (du plus neutre au très typé), je ne vois guère de situation où cet ampli ne saurait s’en sortir brillamment.
Alors oui, on pourrait lui reprocher un look qui sacrifie l’originalité au profit de la lisibilité (le blanc sur gris métallisé, un charme désuet qui fleure bon le sous-marin russe plutôt que la marine à voile), même si les nombreuses LED témoins aux couleurs variées rehaussent un peu l’ensemble. On pourrait aussi arguer qu’un ampli qui veut faire tout, au final ne fait rien de spécifique. Mais, même si cet ampli est remarquablement polyvalent, il ne tombe pas pour autant dans l’écueil du « moyen partout, bon nulle part ». Il sait produire de nombreux types de sons et les propose de manière crédible et utilisable, plutôt que de manière caricaturale et stéréotypée.
La pertinence de cette polyvalence est à mettre en rapport avec l’usage attendu. Si vous ne jouez qu’avec un seul type de son, vous pourrez probablement trouver ce son dans cet ampli, mais passerez peut-être à côté de son principal intérêt, qui est la multitude d’autres options qu’il offre. Si en revanche vous évoluez dans plusieurs styles, recherchez une grande variété de sons de basse, ou si vous êtes mobiles et devez fréquemment vous adapter à des configurations aléatoires en répétition ou sur scène (avec ou sans baffles, et sans choisir le ou les baffles), la souplesse de cet ampli est sans conteste un atout. La multitude d’options techniques, connectivités et fonctionnalités peut aussi être un sérieux argument même si on choisit de ne pas exploiter entièrement le spectre sonore. Sans grande hésitation, cette tête se voit décerner un Award « Qualité/Prix » (et une grande rasade de rhum pour fêter ça).
La bonne nouvelle en tout cas est que ces têtes Magellan, mais également les baffles traditionnels et « line array » proposés par M. Genzler, sont désormais disponibles en France. Le débarquement de toute cette flotte est attendu de pied ferme !