Plutôt connu pour des produits hors normes, 8DIO s'attaque avec Adagio Violins Vol. 1 aux cordes de l'orchestre. Voyons quelle approche a été retenue, pour ce premier volume d'une série de quatre.
Ah, l’orchestre… Que l’on remonte simplement de 10 à 15 ans en arrière, pour se souvenir des outils dont on disposait alors pour simuler un orchestre : l’excellente (toutes proportions gardées) Rom orchestrale du Kurzweil K2500, l’expandeur Virtuoso d’E-mu, les Peter Siedlaczek’s Advanced Orchestra Vol. 1–5 pour Akai/Roland ou Miroslav Vitous Symphonic Orchestra multiformat et quelques autres, qui demandaient des trésors de patience et d’astuce pour faire sonner la plupart des parties, pour cause d’absence d’articulations, de problèmes de phase, d’empilement d’instrumentistes (les divisi à 48 violons, ça fait mal…). Et puis l’arrivée progressive des divers éditeurs employant les possibilités en perpétuelle évolution de l’informatique (stockage, Ram, puissance de la CPU), aidés par le développement de plateformes adaptées (Kontakt, HALion, Independence, exs24 mkII, etc.) ou se lançant dans la production d’outils maison (VSL, EastWest…), et tout un monde qui s’ouvre, grâce à des progrès fondamentaux sur la restitution (jusqu’à 127 layers de vélocité en théorie, les échantillons Round Robin, les legato, portamento réels, etc.), sans compter le développement en parallèle de techniques comme la modélisation, avec Synful Orchestra ou le Wivi Player et les hybrides tels ceux de Sample Modeling.
L’offre est maintenant pléthorique et est un vrai casse-tête pour nous sur AF en termes de suivi, de mises à jour, de nouvelles versions totalement différentes, et pour tout utilisateur potentiel ou déjà embarqué dans l’aventure, puisqu’il peut devenir très difficile de faire un choix entre l’un ou l’autre des produits commercialisés. Le tour d’horizon commencé depuis quelques années devrait, on l’espère, éclaircir un peu la situation. Lors de la scission de Tonehammer en deux entités, 8DIO et SoundIron, on avait d’abord été déçu et inquiet (j’étais un client assidu de leurs productions souvent hors du commun, offrant d’excellents outils pour le travail à l’image), puis rassuré devant les nouveaux produits proposés par l’un et l’autre. Et quand Troels Folmann, big boss de 8DIO, a fait savoir il y a quelques mois qu’il travaillait sur une nouvelle approche des cordes orchestrales, autant dire que le radar avait sonné avec force. Et voici donc qu’arrive le premier volume de la série, Adagio Violins Vol. 1, réalisé en collaboration avec Colin O’Malley, compositeur et orchestrateur, avec une grosse mise en avant de son approche du legato.
Introducing Adagio Violins Vol. 1
Conçue pour Kontakt (version complète seulement, à partir de la version 4.2), la bibliothèque n’est disponible qu’au téléchargement sur le site de l’éditeur. Elle est constituée de plus de 33 000 échantillons en 24 bits/44,1 kHz, compressée avec l’algorithme non destructif de Native (pour un poids final de 24 Go au lieu des 50 d’origine) et est décomposée en 27 fichiers .rar d’à peu près 896 Mo. 8DIO a laissé tomber l’application Java de Continuata pour son propre gestionnaire, le 8DIODownloader. On rentre son numéro de série, on valide, et ça se met à télécharger. Enfin, ça devrait. Autant le dire sans détour, l’application est une catastrophe (des pics de conso CPU ahurissants, voir capture d’écran), ainsi qu’apparemment certains serveurs sur lesquels sont stockés les fichiers auxquels un accès direct est proposé en cas de problèmes ; l’éditeur prévient que les serveurs en question n’aiment pas certains fournisseurs, ce qui a résulté dans mon cas à certaines vitesses de téléchargement inférieures à 30 ko/s (pour une connexion ADSL vérifiée à 7,59 Mb/s…).
Sans rentrer dans le détail, il m’a fallu l’équivalent de deux jours complets pour tout charger (48 heures, oui), d’autant plus que l’on ne sait jamais si le fichier est complet, puisqu’il affiche son poids final dès le début. Ce n’est qu’en voyant le message d’erreur dans l’application d’extraction (UnRar dans mon cas) que l’on est mis au courant. Et l’on est donc bon pour recommencer le téléchargement.
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L’éditeur, visiblement au courant, promet une version 1.1 très prochainement, toujours pas disponible au moment de la rédaction du test. Mais ça ne résoudra pas les temps en accès direct. C’est bien la première fois que je suis confronté à un tel problème… En dehors de ce cas sérieux, rien d’autre à signaler, la bibliothèque s’installe simplement, et présente trois familles de programmes, Divisi, Ensemble et Solo, chaque dossier contenant plusieurs instruments, avec parfois versions séparées pour Kontakt 4 et Kontakt 5.
Spicc & Specs
Toute la banque dispose de trois prises de son, une de proximité (Close), une plus éloignée (Far) et une Mix (comme son nom l’indique, un mix de tous les micros utilisés dans Adagio). Les notes courtes bénéficient de jusqu’à dix échantillons Round Robin, et les intervalles Legato de jusqu’à quatre. L’interface, très sobre, se décompose en trois parties : d’abord Settings, regroupant selon les cas, les paramètres Dynamics (via CC1) et Expression (via CC11), tous les deux très utiles pour faire varier le volume et passer en continu d’un layer de vélocité à l’autre, ainsi que Rel Volume (le volume des échantillons de relâchement, notamment implémenté sur les programmes courts), Tightness (la précision des sons courts) ou Speed (permettant de paramétrer la vitesse des intervalles de legato). Ensuite l’écran central affiche les différentes articulations chargées ainsi que leur KeySwitch (le changement de KS se fait via un double-clic, ou un simple cliqué-tiré, rapide et efficace, merci). Enfin, on trouve Mic Positions, qui permet de charger (via un switch lumineux) et régler les volumes des différentes prises de son. Pas de fioritures inutiles, du concret, de la simplicité. Chaque famille contient d’abord un programme nommé Dynamic Bowing. Il contient tout un ensemble d’attaques de notes suivant diverses intentions, nuances ou dynamiques. Ainsi, on peut passer via KS d’un crescendo/decrescendo « pfp Medium » à une attaque « ff Vib », puis à un « pfp Short » avec aller-retour, ou des Sordino, des decrescendos (spécial dédicace à E.), etc. Voici quelques exemples du programme Ensemble, avec les trois prises de son activées (les contrôleurs CC1 et CC11 ne sont pas sollicités, afin d’entendre les nuances naturelles).
On entend parfois quelques imperfections, mais c’est ce qui apporte aussi du caractère et du réalisme aux phrases, à condition bien sûr qu’elles ne soient pas trop prononcées… Pas trop de problème de phase, malgré les trois prises ouvertes. On dispose bien entendu de programmes courts et Sustain, sans lesquels une bibliothèque de cordes ne serait pas digne de ce nom. Ainsi, dans les Ensemble Shorts, même principe d’articulations multiples via KS. Du Feather Spicc au Pizzicato (Bartok inclus), du Col Legno au Staccato, il ne manque quasi rien (10 articulations différentes). Voici un exemple de quelques-unes de ces articulations (prises de son CF).
Une des articulations est une vraie aubaine pour les passages rapides répétés, Arp Spicc ; en effet, elle déclenche une note de même valeur au relâchement de la touche, ce qui donne deux notes pour une jouée. Il y a un petit coup à prendre, mais le jeu en vaut la chandelle. Un exemple :
Les Sustains sont tout aussi intéressants, avec 13 articulations différentes. Voici le Sustain 1.
On note le rattrapage de justesse au début ainsi que la réattaque du bouclage sur le La b aigu :
Un deuxième programme Sustain permet presque de disposer de deuxièmes violons. Mais plus intéressants sont les divers trilles, puisqu’ils vont jusqu’à quatre demi-tons, joués normalement, ou avec crescendo (pour cet exemple, les Release Samples ont été désactivés).
Autre bel ajout, on dispose enfin de trémolos s’adaptant aux changements de tempo, Measured Tremolos, avec des Trem Slow, pour les tempos lents et Fast pour les tempos… rapides, oui. L’éditeur fournit aussi une version Sordino, et divers effets de glissandos.
L’éditeur a aussi fourni des phrases complètes et des effets, que l’on pourra ajuster au tempo grâce à l’algorithme Time Machine Pro, et dont on pourra décaler le départ avec la molette de modulation. Autre programme très intéressant, les Louré, offrant plusieurs types de répétition, suivant différentes nuances, crescendos, etc., qui seront, étant joués, plus réalistes que des programmations (ou alors en y passant trop de temps, pour un résultat non garanti). Voici quelques exemples (les contrôleurs CC1 et CC11 ne sont pas sollicités, afin d’entendre les nuances naturelles des phrasés).
Recettes de legato
Jusque-là, la banque offre de belles choses, mais rien de révolutionnaire dans l’approche. C’est parce que l’éditeur a tout misé sur sa gestion du legato (et du portamento) pour faire la différence. Les grands moyens sont de la partie : en effet, on dispose de sept programmes Legato pour les Ensemble, deux pour les Divisi, et un pour les Solo, chacun avec une gestion des intervalles bien particulière, de discrète à prononcée, de longue à courte, etc. Et chaque programme Legato dispose à son tour d’articulations, entre Natural, différentes durées d’archet, des Loure Rep, différents vibratos, etc. Chaque Legato a quasiment été conçu en référence à un compositeur hollywoodien, les cordes, depuis le son Newman (Alfred, qui, en tant que directeur musical et chef d’orchestre aimait leur donner un côté lyrique, avec beaucoup d’intensité et de glissando), étant un des marqueurs du genre. Ainsi, Legato Soft Emo Slur est inspiré du son Mancini, parfait pour ceci (d’abord seul, puis avec une réverbe utilisant une IR du studio de la Fox) :
Perdition est quant à lui une référence à Thomas Newman (le neveu de l’autre, ci-dessus), avec des violons con Sordino. L’idéal pour ce type d’ambiance, entre tempo lent et moyen (seul, puis avec réverbe externe) :
D’autres sont des clins d’œil évidents à John Williams (ET, Schindler) ou Jerry Goldsmith (Instinct), etc. La grande force de tous ces programmes est d’abord, bien entendu, ce qui les distingue du point de vue de la gestion des legato, et ensuite le fait de disposer de toutes les articulations autour de ce legato particulier à chaque préset, fournies au sein d’un même programme. L’approche est là totalement inédite, et particulièrement réussie. Car il suffit de définir une esthétique de jeu (si l’on veut du hollywoodien tout craché, on prend Emo Slur par exemple), et on dispose immédiatement d’un ensemble d’articulations respectant l’intention de la composition, tout en offrant suffisamment de variétés (en les complétant avec les Shorts, Sustains, Trills et compagnie) pour jouer et enregistrer/programmer des parties vivantes et réalistes (voir le manuel, téléchargeable ici. Le seul problème étant qu’on ne dispose pour le moment que des violons…
Téléchargez les fichiers sonores : flac article
Bilan
Sur de très nombreux points, 8DIO frappe fort. La conception autour du legato, point faible de nombreuses bibliothèques, fait ici mouche, tant l’idée de disposer de plusieurs types semble l’évidence même. Le son est impeccable, finalement peu réverbéré. Ce qui pose parfois problème, la chute du son de certaines notes ou programmes montrant moins de résonance que les tenues elles-mêmes (un problème d’édition certainement). Il suffit d’y remédier en utilisant une bonne réverbe… Le parti pris est aussi assumé de par la qualité des échantillons, peu nettoyés, présentant des bruits humains et d’instruments ; quelques bouclages cependant pourraient être améliorés, d’abord au niveau des crossfades (on a parfois des chutes de volume au bouclage), puis concernant les bruits (tolérables quand ils sont le reflet de l’humanité derrière l’instrument, moins quand ils sont mis en boucle et créent un effet de rythme…) ou les échantillons de relâchement pourraient être programmés de manière à ne pas se déclencher sur les programmes dont les notes ne sont pas bouclées et diminuent naturellement jusqu’au silence.
Le principal reproche de la bibliothèque en l’état étant sa parfois trop grande consommation en ressources CPU ; il faut espérer une amélioration sur ce point, sinon, une fois les quatre sections complètes, il deviendra difficile de les faire tourner sur un seul ordinateur. Cela doit-il passer par une optimisation des scripts, du nombre de voix ? Seul l’éditeur peut le dire pour le moment. Ne reste qu’à attendre les altos, violoncelles et contrebasses, qui, s’ils sont de la même qualité, et surtout reprennent exactement les intentions musicales à l’œuvre derrière et pour les Violons, constitueront indéniablement avec ce premier volume un orchestre à cordes hollywoodien de toute première grandeur, voire the Orchestre hollywoodien (virtuel…). Bravo pour ce premier produit, et wait and see…