Si Ampeg a brillé commercialement grâce à la série mythique des SVT, les moins jeunes d'entre nous (pour ne pas dire les plus vieux !) se rappelleront avec nostalgie de l'âge d'or du Portaflex.
La compagnie, presque essentiellement orientée vers nos plaisirs bassistiques, a inondé le marché de ses stacks puissants pour accompagner l’émergence de la scène rock de la fin des sixties. Mais elle avait, dès le début des années 60, percé avec brio le marché du combo grâce à une solution révolutionnaire : un système d’amplification complet, dont l’ampli s’encastre dans le caisson des haut-parleurs pour en faciliter le transport (le Flip-top). Le succès est immédiat et se poursuit pendant une décennie, faisant du Portaflex B15 une légende du combo pour basse. 50 ans plus tard, on en parle encore et la marque réédite même l’ancêtre, à un prix assez exorbitant. Que ceux qui comme moi n’ont pas le sou se rassurent, car Ampeg propose aujourd’hui le concept économique matérialisé par une série éponyme. Vendu cette fois en éléments séparés et non en Combo, la tête PF350 et son enceinte en 2X10 pouces PF-210HE seront l’objet de ce test. L’occasion de vérifier si le moindre coût équivaut réellement à un moindre mal.
La star des débuts
L’histoire du Portaflex s’est bâtie autour de deux hommes et remonte à l’après-guerre. En 1946, Everett Hull est un musicien qui comme d’autres à cette époque, rêve de musique électrique. Il est contrebassiste et l’homme songe à fabriquer un système permettant d’amplifier cet instrument, dont le signal grave peine à percer au travers de l’orchestre. Deux décennies avant, un certain Lloyd Loar s’était lancé dans l’aventure pour la compagnie Gibson et la firme Rickenbaker fut aussi de la partie en 1936, toutes deux abandonnant commercialement leurs projets d’amplifier la contrebasse au profit de l’amplification guitaristique. Il y a donc de la place pour l’ambition d’Everett qui s’associe avec un certain Stanley Michael et ne tarde pas à concevoir un prototype de pied amplifié qui accueille la perche de la contrebasse, le tout étant relié à un ampli de 25 watts. À l’époque où les cordes pour grand-mère ne se proposaient qu’en boyau, la solution que propose Hull a du génie puisqu’elle se passe d’électromagnétisme. L’invention sera baptisée « amplified peg » pour être vite surnommé « l’Ampeg » et les deux associés en feront le commerce avec un certain succès.
En 1949, Everett passe seul aux commandes de l’entreprise qui a pris le nom de son produit phare et installe son atelier dans la 42e rue de New York. C’est dans ce petit local qu’Olivier Jesperson (plus connu sous le sobriquet Jesse Oliver) fait son apparition. C’est un électricien qui cachetonne les fins de semaine en jouant de la contrebasse et il désire se procurer l’Ampeg pour son instrument. Everett l’accueille, lui propose d’installer le système sur sa contrebasse, mais le musicien rétorque qu’il peut le faire lui-même. Impressionné par l’initiative et l’assurance de son client, Everett Hull lui propose du travail sur le champ dans son atelier. Une proposition que Jesse accepte vite : son travail de maintenance en éclairage public se faisant pénible et son groupe de musique finissant par splitter.
En entrant chez Ampeg, Jesse se voit offrir par son nouvel employeur des cours du soir au RCA Institute, le familiarisant avec l’électronique et le design, pour pouvoir se mettre à la conception d’amplis. La compagnie déménage de New York à Long Island où il va créer son premier ampli à la demande de Johnny Smith. Et c’est une idée bien à lui qui va créer la légende. Car même si l’homme a avoué s’être inspiré d’un ampli fabriqué par la Premier Amp Company et de son enceinte fermée séparée de la tête, il est le premier à imaginer une suspension entre la tête d’amplification et le caisson, pour réduire la transmission des vibrations. Et l’idée de la tête qui se retourne dans l’enceinte pour permettre un transport plus facile est à mettre à son crédit.
En 1960, le B15 portaflex était né pour trôner sur le marché jusqu’aux seventies, malgré la rude concurrence du Bassman et une puissance limitée de 25 watts. Jesse Oliver fut aussi le premier à intégrer un module de Reverb dans un ampli et le concepteur méconnu du Powerflex, une évolution motorisée du Portaflex qu’il a développée après avoir quitté l’entreprise. Ah les années soixante-dix… Quelle époque ! Jesse Oliver a rejoint Léo Fender et Les Paul en 2011.
L’adieu aux tubes
Si l’amplification tout lampe du B15 original participe grandement à ses charmes d’antan, cette spécificité n’est pas d’actualité sur cette nouvelle série qui abandonne aussi la forme de combo originale pour adopter le deux corps. Ampeg propose donc deux têtes de Classe D d’une puissance de 350 et 500 watts et quatre configurations d’enceinte (deux 15 pouces, un 2X10 et un 4X10). Nous porterons notre intérêt du jour sur la PF350 (la plus petite tête) et l’enceinte en 2X10 pouces.
La têtête…
350 watts RMS (sous 4 ohms) dans un boîtier miniaturisé (27 × 27 × 7cm) qui affiche trois kilos et cinq cents grammes à la pesée. On est loin du format d’une SVT3-PRO ! Oui, l’ère de l’ampli de poche est bel et bien lancée, on nage en plein dedans et une bonne partie des constructeurs surfe sur la vague de la Classe D. Cela me rappelle qu’à la douce époque où je fus vendeur à Pigalle, encore jeune et fringant, je me souviens avoir vendu une version antérieure de cette tête, ça s’appelait Portabass et ça poussait déjà ses 250 watts pour sept kilos (autre époque, autre transfo). En 10 ans, la série a perdu la moitié de son poids pour gagner 100 watts de puissance. Le fabriquant à aussi rendu une version allégée des réglages en façade, pour ne garder que l’essentiel : un switch actif/passif, un gain, trois bandes, un volume et un limiteur (push/push). Les connexions de front comprennent une entrée instrument, une entrée auxiliaire et une sortie casque.
Un beau ventilateur trône à l’arrière, avec deux sorties pour les enceintes, une boucle d’effet et la sortie XLR. Moi qui suis amateur de réglages simples, me voilà servi. Et je souhaite saluer la personne qui a eu la bonne idée de poser une lumière pour éclairer la façade de cette tête, une initiative du plus bel effet (une douce lumière bleue) et tellement pratique quand on est sur scène. Le tout est fabriqué en Chine, permettant un prix modeste de 340€ (prix moyen, arrondi par mes soins) sans en pâtir visuellement puisque les finitions sont correctes. Sous les doigts, les potards ne semblent pas de mauvaise facture. C’est là un constat assez suggestif, on verra bien ce que nous diront les quelques enregistrements qui vont suivre, sur la qualité des corrections qu’ils apportent et le rendu général de l’ensemble.
Une enceinte qui a du coffre
Un 2×10 pouces assez compact et vraiment bien fichu. En fait, la magie de la série Portaflex tient surtout à ses enceintes, qui accueillent en toute simplicité la tête d’ampli en leur sein. Une fois qu’on a joué, on débranche la tête, on libère quatre crochets pour pouvoir basculer le tout. On remet en place les sécurités et le tour et joué. L’intérieur de l’enceinte prévoit aussi une petite pochette pour pouvoir ranger les câbles. Voilà une astuce qui n’a pas pris une ride. Deux Eminence de dix pouces à aimants en céramique servent de moteurs, appuyés par une corne d’aigus débrayable à l’aide d’un sélecteur trois positions. La PF-210 HE repose sur quatre roulettes amovibles et sa face arrière est prolongée par deux renforts assez commodes pour ranger le tout dans un coffre ou un espace réduit en hauteur. La réalisation générale et les finitions sont tout à fait satisfaisantes pour une enceinte de 450 euros, encaissant 400 watts. La construction est encore une fois chinoise (comme une majeure partie du catalogue de la marque). Sans la tête, cette enceinte pèse 22 kilos.
Tournevis party
Eh oui, pour pouvoir jouir de la modularité de l’ensemble, il va falloir se munir avant tout d’un tournevis pour fixer soi-même la tête au couvercle de son enceinte. Je m’épargne la chose, pour ne pas renvoyer les exemplaires mis à ma disposition bignés par mon impotence à bricoler proprement. Mais je pense à tous ceux qui vont devoir mettre leur bleu de travail avant de pouvoir jouer sur leur matos et je les salue de loin. Le Tolex est posé brut sur le couvercle, mais on devine facilement, du bout des doigts, les pas de vis disposés derrière. L’opération n’a donc rien de vraiment compliqué et je devine que certains vont se découvrir l’âme d’un bricolboy alors qu’ils voulaient simplement jouer de la basse. Je pense aussi aux plus manuels d’entre nous, qui auront compris que cette touche personnelle à la charge du client laisse la place à l’association d’une tête de marque différente, tant qu’elle reste dans les dimensions citées plus haut. Omission ou une porte laissée ouverte par le fabricant ? La question est posée et ouvre sur quelques mariages intéressants. Moi je dis ça…
Portaquoi ???
Le volume y est, même limité par les huit ohms de l’enceinte. Il y de quoi couvrir un groupe sur des petites, voire des scènes moyennes, si l’on est repris et que l’on ne joue pas de Death Metal. Pour les plus énervés, il faudra passer probablement à la PF-500 ou ajouter une enceinte plus balaise (celle de 15 pouces ou le 4X10). Pour ce qui est du grain, je le décrirais comme endémique de la marque. Sans avoir la chaleur des systèmes hybrides ou tout lampes du catalogue, le rendu reste chaud dans les graves et légèrement teinté dans les médiums. Blues, Rock, pop, reggae ou musique latine, tous ces styles semblent accessibles sur ce système qui met à disposition de l’utilisateur, un beau panel de sons simples et efficaces. Si vous cherchez un grain plus sophistiqué, mettant à bien les percussions ou à l’opposé, gerbant un signal noisy et saturé, je ne pense pas que ces deux références soient tout indiquées à cet emploi. Restent les enregistrements pour vous permettre de vous en faire une idée, chacun des extraits étant proposé en prise directe ou par repêchage de micro (Beyerdynamic M88 et Sennheiser E 906). Six prises, six styles avec trois réglages différents (plus la première prise avec l’égaliseur à plat) : Un son rond, un creux et un dernier avec une bosse dans les médiums.
- Extrait 1 Direct00:25
- Extrait 1 Micros00:25
- Extrait 2 Direct00:32
- Extrait 2 Micros00:32
- Extrait 3 Direct00:17
- Extrait 3 Micros00:17
- Extrait 4 Direct00:17
- Extrait 4 Micros00:17
- Extrait 5 Direct00:23
- Extrait 5 Micros00:23
- Extrait 6 Direct00:19
- Extrait 6 Micros00:19
Les roadies vont l’adorer…
Je vais être tout à fait franc : jouer sur la nouvelle version des amplis Portaflex, n’a pas grand-chose à voir avec l’expérience du modèle original. Cette comparaison inévitable n’aboutira pas sur une conclusion en faveur du neuf, l’ancien étant pour moi inégalé dans cette compétition générationnelle un peu facile. Car si on se penche sur les prix, que ce soit la réédition Heritage du B15 ou sa cote sur le marché de l’occasion, la nouvelle gamme et son ancêtre de 25 watts ne jouent pas dans la même cour. La PF350 et cette enceinte coûteront la somme moyenne de 780 euros pour 250 watts de puissance efficace. Alors qu’à moins de 1500 €, il est difficile de trouver la bonne occasion, pour un Portaflex d’époque en bon état. Le rendu sonore de l’ensemble intéressera certainement les amoureux de la marque qui chercheraient sa signature à moindre encombrement. Le rapport qualité-prix reste attractif pour un large public. On ajoutera afin de clore ce test que l’astuce de feu Jesse Oliver, à l’origine de la légende, reste toujours aussi flippante cinquante ans plus tard !