Ne s’endormant pas sur ses lauriers, la compagnie californienne prend un nouveau pari avec cette étrange 4 cordes baptisée BIG AL. En plus d’un changement de formes, qui s’éloignent définitivement des classiques Sterling et Stingray, Music Man mise aujourd’hui sur un changement radical de fond. En quoi cela résulte précisément ? C’est ce que nous allons voir…
Et bien pour faire simple, la BIG AL propose une petite révolution en soi : une électronique active /passive ! Et pas des plus basiques, car équipée d’une véritable tonalité passive. La chose restant encore trop rare sur le marché, on est intrigué de voir un tel système s’embarquer sur un instrument de cette marque. Il est vrai que la Bongo, à son époque (2003), avait fait sensation par son design et plus discrètement par son égalisation 4 bandes. Mais rien ne laissait présager la sortie d’une basse équipée essentiellement en simples bobinages et s’offrant aux traditionnelles joies du passif. Détaillons quelque peu le phénomène.
Un nouveau design pas vraiment récent
Voici les réponses livrées pour vous dans le désordre. L’origine du nom de cette quatre cordes vient de la guitare électrique dont elle s’inspire : la signature Albert Lee (NDLR : et non pas Jean-Malie Big Al). Qui comme vous le savez n’est pas bassiste mais bien un guitariste de country et de Blues. Est-ce parce que ce musicien était tombé amoureux des formes anguleuses d’un prototype dessiné en 1987 puis commercialisé sous son nom dès 1993, que la marque accouche aujourd’hui d’une version basse, baptisée affectueusement d’un diminutif du prénom de l’artiste ? C’est difficile à dire, mais on est au moins sûrs d’une chose : l’aspect général de l’instrument reprend les traits de son aînée à six cordes. Et c’est un choix périlleux que fait la marque. Car si ces formes ne passent pas inaperçues, ça n’est pas pour fédérer l’avis de tous.
Je résumerais assez facilement les subjectives qualités esthétiques de la BIG AL en généralisant les avis que j’ai glanés ici et là : D’une tendance assez bipolaire, on adore ou on déteste cette basse dès qu’on l’aperçoit. Je laisse le soin aux lecteurs de se faire un avis sur la question, trouvant ce mélange d’arrondis et d’angles acérés un peu excessif à mon goût, avec son côté glam milieu des années 80.
Mais laissons de côté ce jugement intime, pour aborder les spécificités techniques et bien objectives de cette insolite 4 cordes.
Du tout au tout, avec un petit air de famille…
Comme son dos reste à la fois épais et rond sous le pouce, on se retrouve avec une finesse permettant une expression facile des doigts, sans perdre de la matière. Ce qui conforte un jeu puissant. En complément, le radius de la touche est plat (11 pouces). Il est commun à celui de la bongo et de la Sterling. Pour ceux qui ne sont pas familiers de la marque, je préciserai qu’il est sensiblement plus plat que sur une Précision Bass (10 pouces). Pas forcément habitué à ce type de manche, j’ai vite appris à l’apprécier. Toute forme de jeu y étant accessible et la réponse de l’érable proposant à la fois précision et percussion.
Si ce manche n’a rien de vraiment original au sein du catalogue de la marque, il n’en va pas de même du bois qui fonde le corps de la bête : un acajou d’Afrique. Une essence d’ordinaire rare chez Music Man qui lui préfère de manière générale les bois plus denses ou dynamiques comme le frêne européen, l’Aulne ou le tilleul. D’une signature sonore moins tranchée dans les aigus, l’acajou ouvre la voie vers des fréquences graves étoffées et une jolie traduction des bas médiums. De quoi adoucir certains angles là où la marque affirmait jusqu’alors son caractère (avec sa nette tendance pour les sons creusés dans leur courbe, entre les aigus et les graves). La jonction entre le corps et le manche se fait via cinq vis ; le talon du manche voit l’accès du bas de sa touche facilité par un contour travaillé de son point d’attache.
À la première prise en main, on apprécie de suite les vertus d’un manche ergonomique. La forme prononcée du corps permet tout de même un jeu équilibré, sans risquer de voir le bout du manche piquer du nez, une fois que l’on est sanglé à la basse. Jouer assis est tout aussi confortable.
Cependant, il reste un détail qui me chiffonne : malgré une finition générale irréprochable, je sens les frettes dépasser légèrement le bord de la touche et mordre quelque peu le bout de mes doigts sous la corde de Sol, à partir de la douzième case. Cela implique deux choses : soit le bois de la touche a bougé plus que prévu en se resserrant, soit les frettes ont été mal limées.
Dans les deux cas et pour le prix d’un tel instrument (plus de 2500 €), je trouve cela un poil contrariant pour l’acheteur potentiel. Même si la sensation est légère et que ce défaut n’a rien d’irrémédiable (un aller-retour de lime à frettes suffira à le faire oublier).
Finissons le descriptif physique et acoustique de l’instrument par un point positif : la taille du sillet (qui n’a rien d’un détail). Les cordes sont solidement ancrées à leur port d’attache, peu de chance de les faire sortir de leur loge. J’apprécie aussi la taille de cette pièce dont l’ajustement semble parfait. Reste à voir si ce jugement reste positif après maintes utilisations de l’instrument et ses multiples accordages corollaires.
Au-dessus de l’usine à gaz
Comme je l’ai annoncé un peu plus haut, on dispose même d’une authentique tonalité passive et donc d’un réglage traditionnel exhaustif, sans préampli. Là où la plupart des marques se contentent d’une simple issue de secours à la mort d’une pile, par l’alternative d’un mode passif proposant uniquement volume et balance ; Music Man s’adresse maintenant aux véritables amateurs de sons standards et des corrections qui vont avec.
Trois micros simples sont donc disposés sur la table d’harmonie, en position aiguë, médiane et grave. Trois des quatre switchs permettent de commuter ses micros (pas de balance rotative), tandis que le dernier permet d’activer le préampli et l’égaliseur quatre bandes (4 Potards concentriques contrôlant respectivement les graves, bas médiums, hauts médiums et les aigus).
Pas évident de décrire le fonctionnement d’une telle usine à gaz : rien qu’en utilisant exclusivement les quatre switchs mis à disposition, il est possible d’obtenir jusqu’à seize combinaisons différentes ! Un bon schéma valant parfois une armée de mots, je vous laisse un lien bienveillant pour votre entendement.
Il est important de noter que l’alimentation se fait en 18 volts et que l’accès aux piles est des plus simples (pas de tournevis). Un logement ergonomique des batteries qui se fait parfois au détriment de sa durée de vie : ce genre de boîtier est bien pratique, jusqu’au jour maudit où on le bousille en changeant les accus (les amateurs de chatterton savent de quoi je veux parler). Les contrôles sont d’une qualité tangible, il suffit de tourner un potard ou d’appuyer sur un des push-push pour ressentir physiquement ses qualités intrinsèques.
Avant de brancher cet instrument, je reviens vite fait sur les micros embarqués : bien que d’un format simple, il s’agit bien de bobinages humbucker montés autour d’aimants en céramique. Le détail est important puisqu’il permettra de s’épargner les divers parasites et autres nuisances, propres aux micros simples standards.
Cette parenthèse étant close, passons aux choses sérieuses en faisant trembler moult murs.
Singulière mais dans le son, pas si différente…
Autant dire que sur ce coup-là, mon avis a bien pris le temps de mûrir avant d’être couché sur le papier. Je vais donc me concentrer sur toutes les configurations qui s’offrent à moi, afin de souligner les plus pertinentes d’entre elles.
Tout d’abord le son passif, ma curiosité majeure pour cette marque. Comment sonne une Music Man sans son préampli ? Le légendaire Léo n’a pas conçu la première Stingray en 76, soit quatorze ans après la Jazz Bass, pour rien. C’était le préampli de l’époque qui faisait alors différence avec la concurrence. Un succès distingué par un dynamisme sonore qui charma toute une génération Funky de slappeurs invétérés.
Comment va se défendre ce nouveau modèle qui exploite une solution élémentaire, pourtant jamais proposée sur son catalogue depuis maintenant 30 ans ? En soi pas si mal, puisque le tout fonctionne plutôt bien, sans pourtant casser la baraque. Les trois micros proposent des tendances bien distinctes malgré des composantes identiques. J’aime bien le grain du micro médian, car il complète assez bien les deux extrêmes tout en proposant à lui seul, un son assez original. De manière indépendante et un peu décevante, je dirai que le micro aigu seul n’offre pas les bas médiums moelleux d’un classique micro Jazz Bass, il a un caractère un peu plus brillant et fluet avec une définition quelque peu caverneuse.
Même utilisé en parallèle avec le micro médian, il n’atteint pas l’efficacité d’un bon vieux micro précision. La configuration que je préfère en passif reste donc l’association du micro aigu et du micro médian en série (tous les switchs off) : le son devient alors plus étoffé et moins étriqué du fait du montage en ligne et permet un jeu sympa aux doigts, qui passe à peu près partout.
L’effet de la tonalité passive est aussi bien plus évident sous cette configuration. Quand on passe en Actif, le préampli et son égaliseur remplissent et définissent le son à souhait. Les quatre bandes fonctionnent avec brio et les possibilités qui s’offrent au possesseur d’une BIG AL semblent particulièrement larges. Même si elle offre un look assez rétro et Rock, cette basse une fois activée se prêtera à tous les styles de jeu (doigts, médiator ou slap) et fera oublier les petites carences du son en mode passif.
On pourra peut-être lui reprocher une dynamique un petit peu raide et un léger manque de souplesse. Considérant les plots de 9,5 mm qui équipent tous ses micros, bien reconnus pour ne pas faire dans la dentelle. Je serai par ailleurs extrêmement curieux d’entendre la belle équipée de plots standards.
Mais c’est avant tout une MUSIC MAN, on ne donc peut lui reprocher son excès de vitalité! Il est donc nécessaire de relativiser. L’association du micro aigu au micro médian est encore plus appréciable en actif (aussi bien en slap qu’aux doigts) et en cutant et boostant où il faut, on obtient vite un gros son bien lourd.
- actif manche00:32
- actif trois micro en parallel01:01
- actif chevalet et milieu en serie 200:32
- passif serie chevalet et milieu00:34
- passif micro milieu00:30
- passif serie chevalet et milieu slap00:34
- passif micro manche 200:31
- passif chevalet00:31
- passif les trois micros en parallele00:28
- actif chevalet et milieu en serie01:04
- actif chevalet EQ avec pic medium et grave00:39
- passif serie chevalet et milieu aigus00:26
- actif slap cab 2×12 beta 5200:28
- actif grave et aigus a fond chevalet et milieu00:46
Conclusion
Vendue 2779 € (prix public conseillé) dans son bel étui thermoformé, le tarif de la BIG AL ne facilitera pas son succès, puisqu’elle reste 20% plus chère qu’une Stingray. À la vue des innovations qu’elle propose, l’écart de prix paraît justifié. Mais sa forme, comme son concept imposent un certain défi, au regard d’une clientèle fidélisée par les grands classiques de la marque. Trente ans de lignes et de signatures sonores adoptées par plusieurs générations de bassistes ne cèderont pas la place facilement. Vous l’aurez donc compris, la BIG AL s’adresse sans aucun doute à une certaine élite. Gageons cependant que l’électronique active/passive, introduite ici, a un avenir certain chez ce fabricant de légende.