Je l’avais annoncé dans le forum, le test du jour concerne le haut du pavé (excusez le jeu de mots), une légende vivante, que dis-je, un totem de la basse électrique.
Chers amis, nous sommes réunis autour de ces quelques lignes pour effectuer un formidable voyage dans le temps. Un come-back vers une année qui a vu naître The Clash, mourir Jean Gabin et se fonder la société Apple comme le parti RPR. Une époque faramineuse selon mon père, où « les femmes ne s’épilaient pas toutes sous les bras » et où toujours selon ses dires : « On couchait sans capote et c’était autre chose ». Mais j’en vois déjà s’impatienter, se demandant quel peut bien être le rapport avec la choucroute. Un instant j’y viens, vous commencez à connaître mon affection pour la chronologie et ma tendance à diluer de longues introductions dans mes bancs d’essai.
Le fait principal, qui doit marquer les bassistes que nous sommes, reste qu’en l’an 1976 est apparue la première STINGRAY BASS. Une légende de trente-quatre ans était née pour briller jusqu’à nos jours. Et voilà qu’en 2010, Ernie Ball rend un vibrant hommage au premier jet de Léo Fender et Forrest White, deux associés partis il y a quelque temps, fabriquer des guitares pour les anges.
Merci CBS…
Mon premier test chez Audiofanzine concernait un autre instrument de la marque : la Big Al. Je me rends compte qu’à l’époque, je n’avais pas écrit de bio sur cette compagnie. Nous allons commencer par cela, sortez donc vos cahiers, ça va gratter sévère…
A 56 ans, Léo Fender voit sa société homonyme prospérer après 19 ans de succès. Les produits de la marque s’arrachent dans le monde de la guitare et prennent les rênes de la révolution électrique, maintenant tout à fait affirmée. Nous sommes alors en 1965 et malheureusement Léo apprend qu’il a un cancer, assez grave pour l’encourager à revendre sa société. Étant actionnaire majoritaire, la cession ne traîne pas. Et après avoir encaissé un chèque de 13 millions de dollars, Léo laisse les clés de son entreprise au géant CBS (Columbia Broadcasting System) qui prend les choses en main. Le fondateur reste pourtant dans la place comme consultant et voit au fil des années la qualité des instruments, qui portent pourtant son nom, se paupériser à cause des coupes budgétaires imposées par les nouveaux propriétaires. Il s’oppose farouchement à une telle baisse de niveau du cahier des charges, faisant selon lui le succès de ses produits. Mais les huiles qui gouvernent le trust qu’est CBS ne l’entendent pas de la sorte et s’enfoncent dans un système de production de masse dès 1970. C’est le début d’un long déclin qui durera jusqu’en 1984. C’est aussi ce qui force Léo à monter une nouvelle structure, assez discrètement puisqu’il est lié par contrat à une clause de non-concurrence avec son acheteur.
Dès 1971, son ancien chef d’usine Forrest White (embauché dès 1957 chez Fender, alors que ça n’était encore qu’un grand magasin) et un second vétéran de cher Fender : Tom Walker, décident de s’associer à lui pour monter Tri-sonic inc, qui deviendra plus tard Musitek, pour être baptisée définitivement Music Man en 1974. Dès 1975 s’abroge la clause de non-concurrence et Léo devient le président officiel de Music Man. Il ne peut plus se servir commercialement de son nom, ni reprendre les appellations telles que Stratocaster et Telecaster dans ses productions. Mais ses idées innovantes ne rencontrent quant à elles aucune barrière. En parallèle Léo change de médecin et voit la gravité de son cancer minimisée, il est soigne et se refait rapidement une santé. Tous les ingrédients sont là pour un nouveau départ et il est l’heure de passer à la conception.
Premier coup d’épée de la marque : le Sixty Five, un ampli pour guitare présentant un préampli à transistors et un ampli à lampes. Puis en juin 1976 sort la première Stingray (baptisée Stingray 1) qui est une guitare électrique (eh oui !), elle est suivie en août par sa cousine à quatre cordes qui portera aussi le nom de Stingray Bass. Les deux instruments sont de conception révolutionnaire : d’abord parce que ce sont les premières guitares de série équipées d’une électronique active, permettant de booster les fréquences au lieu de les réduire (le principe d’une tonalité passive). L’alignement des mécaniques sur la tête de manche de la Basse voit pour la première fois le bobinage de la corde de sol se diriger vers le bas. Ceci afin d’éviter les dead spots (notes sans sustain à certains endroits d’un manche). De plus, la basse propose un micro unique (à l’époque original) placé près du chevalet, ce dernier étant traversant et muni de tampons étouffoirs réglables par l’utilisateur. Le succès de la basse ne se fait pas attendre, mais les ingrédients qui font sa réussite fondent l’échec commercial de la guitare, dont le son actif est jugé trop propre par les guitaristes rock de cette époque.
La production de ses instruments sera sous-traitée par CLF Research (Clarence Léo Fender), une société de consulting précédemment montée par Léo. Un schisme a alors lieu au sein de la compagnie : Music Man qui est dirigée par Tom Walker ne fabrique plus que les amplis et les accessoires de la marque. Toute la partie instruments est alors aux mains de Léo Fender, au sein de l’usine CLF qui se trouve à Fullerton (Californie). Très peu de temps après, une discorde entre les deux parties vient sonner la fin de l’association entre les deux structures. Dès 1979, Léo décide de monter G and L avec Georges Fullerton et produit dès 1980 les premiers modèles de cette nouvelle marque. L’an 1979 marque donc le divorce définitif entre Léo et Music Man. Cinq ans plus tard, après quelques cuisants échecs commerciaux, Music Man se trouve au bord de la faillite. Ernie Ball, un entrepreneur de génie qui fut le premier aux États-Unis à ouvrir un magasin dédié exclusivement à la guitare (en dépit de l’avis de toute la profession) rachète la marque pour la remettre sur les rails. Le succès revient, notamment au rayon des guitares électriques, grâce à de nombreuses collaborations (Steve Morse, Eddie Van Halen, Steve Lukather, John Petrucci).
Depuis la mort d’Ernie en 2004, Sterling Ball (son fils) est devenu le nouveau dirigeant de la marque. Pour l’anecdote, on peut rappeler qu’en 1976 ce dernier était le bêta-testeur des premières Stingrays.
On range les cahiers, c’est l’heure de la récré !
Jouer les conteurs c’est bien joli, mais faudrait pas oublier que vous comme moi, sommes là pour tester le matos ! Il est temps de se faire un peu plaisir (et là je parle surtout pour moi). Commençons par définir ce modèle dit « classic » non comme une reissue, mais comme un cas d’hybridation entre l’ère moderne et les origines de la Stingray.
Qu’y a-t-il de moderne dans cette édition ? Les six vis de fixation du manche (au lieu de trois), l’isolation électrique au graphite et le système du Truss Rod qui se trouve en haut de la table et donc en bas du manche (à l’époque on réglait la chose en haut du manche et derrière la plaque de fixation, comme sur les Jazz Bass de 70). Le manche est aussi hybride, avec son radius à l’ancienne (plutôt bombé), mais des mensurations plus contemporaines (à l’origine la largeur du sillet était de 40 mm). Remarquons aussi la composition de l’essence du manche qui ici est un magnifique Birdseye. Après de longues recherches, je n’ai pas trouvé d’érable moucheté dans les premières productions, je peux cependant me tromper sur ce point.
Diapason du manche | Largeur de touche au sillet | Largeur de touche à la dernière frette | Radius | |
Stingray classic |
34 Pouces (864 mm) |
41,3 mm | 63,5 mm | 7,5’’(190,5mmr) |
Stingray |
34 Pouces (864 mm) |
41,3 mm | 63,5 mm | 11’’(279,4mmR) |
Sterling |
34 Pouces (889 mm) |
38,1 mm | 63,5 mm | 11’’(279,4mmR) |
Voici un tableau comparatif des dimensions de manches Music Man, dont deux standards actuels. La chose qui diffère l’actuelle Stingray et la ‘‘Classic’’ est effectivement le Radius. Ce radius de 7,5 pouces ne se retrouve que sur l’édition ‘‘classic’’ (le modèle Sterling de la même série présente la même courbure de touche). Dans les faits, mes doigts plutôt courts apprécient. Par le passé, j’ai toujours trouvé les manches de Stingray (assez proches de ceux des Fender Précision) pas faciles à jouer. C’est large, très plat-de-touche et demande des pognes aux mensurations qui dépassent un peu les miennes. C’est bien sûr un ressenti personnel, comme tout ce qui concerne la subjectivité d’un banc d’essai. Là, je suis parfaitement à l’aise, les 21 cases sont praticables de haut en bas sans me rappeler, à chaque intervalle important, que je suis équipé de mains de ouistiti. Je ne souffre pas, suis à l’aise et mon complexe phalangien est enfin compensé. Pour cela mes cinq doigts, qui sont aussi polis que moi, disent merci.
Je continue sur le manche, c’est loin d’être fini. La finition de ce dernier est un high gloss intégral, très agréable sous le pouce pousse et dynamique sur la touche. Sur le banc de la Big Al, j’avais souligné ma déception quant à la tenue des frettes et leur dépassement en bord de touche. Ici rien à dire, tout est parfaitement inséré, limé et finement verni. Les mécaniques (Schaller) sont tout à fait identiques à celles d’époque, tout comme le sillet. Ne pas avoir conservé le système de réglage du manche d’antan est tout simplement une bonne résolution, l’actuel étant à mon goût le plus accessible et efficace du marché (rien à dévisser pas besoin de clé spécifique, il faut juste faire levier avec un objet fin pour faire tourner la tige).
Le chevalet est à peu près le même qu’en 76 :
- Il est traversant.
- Il a les petits tampons étouffoirs (qui ont commencé à disparaître dès 1992 de la série, pour prévenir toute blessure des utilisateurs et par là, toute forme d’intention de procès par ces derniers)
- Les pontets sont creux et aucune vis de fixation n’est visible en façade (au lieu d’en avoir trois).
- L’œillet de rétention se trouve à gauche de la vis de pontet et non en dessous.
Mais il présente quelques anachronismes :
- La position plus haute du chevalet cordier sur la table est un parti pris de 1979.
- L’apposition du numéro de série sur le chevalet là où se trouvait la marque du brevet en 1976 est apparue entre 1979 et 1983. (Avant on le trouvait sur la plaque de fixation du manche.)
- Et enfin l’asymétrie du passage de la corde sur le pontet (La corde passe sur sa gauche) n’est apparue qu’en 1992.
- La typo Music Man, en bas du chevalet n’apparaît qu’en 1979.
Cette pièce est donc aussi une synthèse entre plusieurs époques de la marque, toujours aussi massif et efficace. J’adore les étouffoirs, il est dommage de ne pas pouvoir les basculer en deux mouvements, passant de l’étouffé au tout résonant en un tour de main. Mais peu de basses proposent la chose sur le marché, alors que la mode du son étouffé revient dans la tendance actuelle. À l’origine, ces étouffoirs avaient pour mission d’approcher le son de celui d’une contrebasse… Bon c’est l’intention qui compte me direz-vous, on doit pouvoir mieux s’en rendre compte sur les versions fretless (mises sur le marché dès le début de la commercialisation). À noter que cette Stingray n’est proposée qu’en touche frettée, érable ou palissandre.
Voici des exemples de réglages d’étouffoir.
- 1 sans etouffoir00:17
- 2 etouffoir 100:17
- 3 etouffoir 200:17
Finissons ce tour ergonomique en annonçant un poids de 4,7 kilos, avec un corps en frêne ni trop lourd, ni léger et un équilibre debout comme assis parfait. Six couleurs de corps sont au choix, là je suis tombé encore sur du blanc, mais sur ce coup-là rien de trop éblouissant. C’est un joli ton crème, dans une pure tendance vintage, appelé ‘‘Classic White’’.
Une bonne basse est une basse branchée
Et une fois que c’est fait, on se sent pousser des ailes.
Car jouer sur cet instrument provoque deux tendances chez l’utilisateur :
– L’envie de jouer sévère : d’attaquer les cordes dans tous les sens, bending, poping, strumbing, slap, toutes formes de jeu outrancier permettant d’accentuer un maximum les notes. Je ressens la même chose quand je joue sur les vieilles Jazz Bass, surtout les séries L. Cette Stingray est un peu une basse Punching Ball, on prend du plaisir à la jouer et en même temps c’est fou ce qu’elle défoule, quand on pose ses doigts dessus.
– L’impression à la fois douce et enivrante d’avoir LE son. Vous savez, cette petite touche bien perso de la Stingray, ce mordant caractéristique et ce signal tellement traversant que si on jouait très très fort, il serait possible de percer un coffre de banque avec. Et bien cette signature est entièrement à la disposition de l’utilisateur, dans sa version la plus réussie à mon goût (puisqu’elle est très proche des origines).
Les corrections sont ultra efficaces, deux bandes suffisent amplement à varier les tonalités. Dommage de ne pas avoir placé un petit cran sur les bandes grave et aiguë. Présentées de la sorte, on a un peu de mal à placer le zéro et donc quelques difficultés à savoir si on cut, on boost ou quand on est à zéro. Je n’ai jamais vraiment compris l’intérêt des trois bandes, surtout sur les modèles prévoyant un seul micro standard. Sur ce point, je reste toujours persuadé que la Stingray est un instrument quasi mono tonique. Ce qui paraît normal, quand on considère le micro unique (même s’il est double). Difficile de passer d’un son à son contraire, comme sur un instrument bipolaire. Mais en fin de compte, on s’en moque un peu et quelque part, c’est presque mieux comme ça. Ce rendu même élémentaire est d’une efficacité monstrueuse. C’est puissant, précis, ultra efficient, polyvalent et surtout simple d’utilisation. Ce grain ne peut que combler les attentes de tous les amateurs de la griffe sonore qui a bâti le succès de la marque. Aucun bruit parasite, ronflement ni sifflement ne se fait sentir, l’isolation est juste parfaite et certainement mieux qu’en 76.
- 4 aigus a 000:44
- 5 bandes aux deux tiers00:19
- 6 cut aigus00:32
- 7 mediator00:34
- 8 slap 200:22
- 9 slap 100:17
Le mieux d’avant c’est maintenant !
Voilà pour conclure, je dirai que n’étant pas un fan de la marque (chacun son truc hein !) je suis néanmoins parfaitement convaincu par les qualités de cette série. Me voilà presque converti à la « Stingraymania » et je dois avouer que si quelqu’un me demandait quelle quatre cordes m’offrir sur le marché actuel, je répondrai assez facilement par la présente. Bon, pour un cadeau, elle n’est pas donnée c’est certain (2590 €) ! Mais je n’engagerai que ma personne en affirmant que cela est justifié. Vu les qualités de cet instrument, une personne qui disposera de ce budget pourrait sans problème franchir la ligne. Sans parler de ceux qui chantent les louanges de la Stingray depuis qu’ils la connaissent (et ils sont légion). Ceux-là peuvent aller directement l’essayer et se prendre une bonne vielle claque sur chaque oreille. Effet garanti et homologué par votre serviteur !
Le prochain banc sonnera tout aussi lourd tout en ne pesant rien…