Après la guitare et la basse, l’heure est venue de nous intéresser aux moyens d’obtenir un gros son de batterie. Un sujet tellement vaste qu’il nous faudra trois articles, au bas mot, pour en aborder les bases.
Au niveau de la production et du mixage comme à celui de l’enregistrement, il y a deux manières d’aborder la batterie qui sont parfaitement complémentaires. D’un côté, vous pouvez la considérer dans sa globalité, comme un instrument, de l’autre vous pouvez la considérer comme un ensemble d’instruments (caisse claire, grosse caisse, toms, cymbales, etc.). De fait, la façon dont on enregistre le plus souvent la batterie de nos jours reflète cette double approche : on combine à la fois des micros dont le rôle est d’enregistrer un élément unique de la batterie (la caisse claire, le kick, un tom, etc.) et d’autres micros qui s’attachent à capturer un aperçu plus global de cette dernière. Il s’agira le plus souvent de micros stéréo ou appairés placés à plus grande distance de la batterie.
Évidemment, même si cela rend l’enregistrement plus complexe (il faut notamment gérer bien des problèmes de phase), plus vous disposerez de micros et donc de pistes pour enregistrer votre batterie, et plus vous aurez de latitude et de possibilités pour sculpter votre gros son. La bonne nouvelle pour les débutants ou ceux qui n’ont pas la possibilité de réaliser un tel enregistrement, c’est qu’il existe des batteries virtuelles prêtes à l’emploi qui les mettront à la tête d’une bonne douzaine de tranches prêtes à être traitées, maltraitées et mixées sur l’autel du dieu Grosson. Même si la chose ne remplacera jamais une prise faite avec amour, il n’y a pas à dire : c’est beau le progrès !
Tout ça pour dire que les méthodes que nous allons détailler dans cette série d’articles fonctionnent quelle que soit la provenance de vos pistes : batterie virtuelle ou enregistrement réel de l’instrument. Une série d’articles ? Oui, 3 au bas mot, car il y a plus d’un moyen de faire gonfler le son d’une batterie et surtout, l’idée d’un gros son de batterie ne renvoie pas forcément à la même chose suivant que l’on parle de rock, d’électro ou de Hip Hop/RnB.
Honneur aux plus anciens pour ce premier volet, je vous propose de commencer par le rock, qui est aussi valable pour quantité de genres de Métal.
Le gros son de batterie Rock/Metal
Même s’il y eut des précurseurs en la matière (le gros son de batterie à l’entame du couplet de Paperback Writer des Beatles par exemple, le solo d’In a gadda da vida d’Iron Butterfly ou encore les Who), le gros son de batterie rock est réellement né avec John Bonham et Led Zeppelin. Si dès le premier album du groupe, la batterie se montre déjà massive, c’est sur le titre When the levee breaks issu de Led Zeppelin IV qu’elle demeure la plus impressionnante.
D’où vient ce son ? De la frappe lourde de Bonham évidemment, car, ne l’oublions pas, la musicien est le premier garant de la personnalité d’un son, mais pas seulement. D’après Andy Johns, l’ingé son qui a supervisé l’enregistrement, le secret de ce son énorme réside d’abord dans une paire de micros Beyerdynamic M160 situés en haut de la cage d’escalier d’Headley Grange où eurent lieu les sessions, tandis que Bonham jouait au bas de cette dernière, trop impatient d’essayer sa nouvelle batterie qui venait d’être livrée. Qu’en déduisons-nous ? Qu’il faut se faire livrer une batterie au bas d’une cage d’escalier ? C’est une idée. Mais on retiendra surtout de cette anecdote que le gros son de la batterie rock est lié à l’acoustique et aux réverbérations de la pièce où l’enregistrement a eu lieu, des choses que l’on enregistre généralement avec une paire de micros statiques situés à quelques mètres de la batterie.
Des micros destinés à capter l’ambiance de la pièce donc, et qu’on appelle communément 'Room’ en anglais. Vous voulez grossir le son d’une batterie ? Commencez donc par monter les micros Room et voyez ce qu’il se passe.
Intéressant, non ? Mais on peut mieux faire, en s’inspirant à nouveau de When the levee breaks.
Andy Johns ne s’est en effet pas contenté de poser ses micros Room pour profiter de l’acoustique de la pièce : il a généreusement compressé ensuite les pistes issues de ces micros en utilisant des compresseurs Helios F700 et en passant ensuite dans un Binson Echorec, un delay à bande qui compressait également le son. Ne vous focalisez pas sur le delay qui sophistique certes le pattern rythmique, mais n’a pas l’incidence la plus déterminante sur la grosseur du son ; le mot à retenir ici, c’est 'compression’, car c’est définitivement l’outil le plus employé pour gonfler le son d’une batterie depuis des décennies.
Compressons !
Rappelons-le : le compresseur sert à réduire la dynamique d’un signal, c’est à dire dans notre cas, à ramener au même niveau sonore les coups les plus forts et les plus faibles joués par le batteur. Si la chose présente évidemment un intérêt pour donner plus d’assise à la batterie (au détriment toutefois des nuances de jeu, soulignons-le), elle permet également de ramener vers l’avant le son de la pièce : cette fameuse réverbération garante de gros son.
Suivons l’exemple d’Andy Johns et voyons ce que donne notre batterie lorsqu’on compresse généreusement nos micros Room :
Pas mal, non ? Certes, me direz-vous, mais encore faut-il pour cela disposer de pistes de micros Room, ce qui n’est pas toujours le cas. Comment fait-on du coup pour grossir le son d’une batterie qui a été enregistrée avec un ou deux micros seulement, ou d’une boucle stéréo prête à l’emploi comme on en trouve sur les CD de samples ?
Essayons de voir ce que ça donne en nous servant d’une boucle de batterie stéréo récupérée sur le site de Sony Media Software :
Faisons rentrer cette boucle dans un compresseur avec un réglage qui ne fait déjà pas dans la dentelle (Attaque qui laisse passer les transitoires, relâchement au plus rapide) :
Voyez comme le son s’étoffe : la résonance de la caisse claire remonte singulièrement et globalement, on sent plus la pièce. Mais on peut sans doute faire mieux. Allons-y à présent comme des bourrins en baissant le seuil de compression et en montant le ratio de manière à bien écraser le signal. (Attention ! J’ai bien dit comme un bourrin…)
Du point de vue de notre recherche à gonfler l’ambiance de la pièce, la chose n’est pas inintéressante, mais force est d’admettre qu’il ne reste de notre batterie qu’une bouille informe (écoutez notamment ce qu’il reste du charley…). Or, ce n’est absolument pas le but.
Comment faire du coup pour exalter l’ambiance de la prise tout en gardant l’intégrité de la batterie ? En compressant intelligemment, pardi ! C’est-à-dire en prenant le meilleur des deux mondes et un utilisant la… la…
La compression parallèle !
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La petite histoire veut que la technique de compression parallèle soit née dans la Big Apple, ce qui lui vaut souvent d’être appelée 'compression de New York’. S’inspirant fortement de l’Exciter Compression utilisée auparavant sur les productions Motown (voir encadré), cette dernière consiste à mixer ensemble deux occurrences de la même piste, la seconde étant compressée de manière déraisonnable. Très utilisée sur les batteries, cette technique est d’autant plus facile à réaliser de nos jours que de nombreux compresseurs, matériels ou logiciels, intègrent un contrôle pour doser le traitement. Il suffit donc de mettre un compresseur en insert de la piste à gonfler et de jouer sur le potards Dry/Wet pour obtenir un effet plus ou moins prononcé, même si, du coup, on perd les avantages de disposer d’une tranche dédiée à l’effet pour le tweaker avec d’autres effets ou traitements.
Voyons ce que ça donne sur notre boucle en mêlant le son de la piste Dry et celui de la piste surcompressée :
Ça marche plutôt pas mal, car on dispose ainsi des avantages de la surcompression cependant que les attaques sont préservées grâce à la piste Dry.
Évidemment, rien n’empêche de faire de la compression parallèle sur les rooms seulement, pour avoir toujours plus de latitude… Voyons ce que ça donne en revenant à l’exemple de début :
Ou de ne s’occuper que du cas de la caisse claire. Bref, vous voyez le principe, en sachant que la chose est intéressante au-delà de la compression, et au-delà de la batterie…
Voyez cet exemple qui fait de la distorsion parallèle sur la même batterie. D’abord la boucle distordue et enfin une distorsion parallèle qui permet de salir la boucle sans la détruire complètement :
Bref, comme toujours, mille choses sont à essayer en sachant que la personnalité de l’effet utilisé et ses réglages pèseront grandement sur le résultat (Si vous avez besoin d’un compresseur qui soit à la limite de la disto, n’hésitez d’ailleurs pas à jeter une oreille à l’excellent Devil-Loc Deluxe de Soundtoys).
En dépit de ce qui a été dit avant, précisons pour finir que le bouton Dry/Wet qu’on trouve sur nombre de compresseurs offre certes l’avantage d’une mise en place rapide, mais qu’il est loin de proposer toutes les options d’une compression parallèle utilisant 2 voies de votre console. En effet, en envoyant votre batterie sur une autre voie, vous vous ouvrez beaucoup plus de latitude en termes de routing et de traitement : vous voulez couper le bas de votre voie hyper compressée ? Pas de problème ! N’envoyer que cette dernière dans une réverb ou un delay ? Aucun souci ! Autant de choses qui ne sont en revanche pas possibles avec le bouton Dry/Wet d’un compresseur en insert…
Quoi qu’il en soit, votre son de batterie est désormais plus gros, mais vous le voudriez peut-être plus lourd ? Et pour cela, c’est encore à When the levee break que nous allons revenir, car, en bout de course, une autre petite astuce a été utilisée pour plomber le son de batterie : la bande sur laquelle elle a été enregistrée a été ralentie pour le mixage final.
Hey man, slow down !
Lorsqu’on ralentit la vitesse de lecture d’une bande, il se passe la même chose que lorsqu’on ralentit la vitesse de rotation d’un disque : le tempo de la musique ralentit bien sûr, mais sa hauteur tonale est aussi affectée, le pitch étant transposé vers le bas. Il en résulte un son plus grave, mais qu’on ressent aussi plus lourd, car les attaques, ainsi ralenties, sont plus grasses. Et c’est la touche finale qui donne son son d’outre-tombe à la batterie de Bonham.
Sans même utiliser de bande, on peut reproduire cet effet dans n’importe quel éditeur audio. Il suffit de réduire de 10 BPM le tempo du morceau en veillant à ce que le logiciel ne conserve pas le pitch initial en faisant du Time Stretching. Si l’astuce est simple, elle n’en est pas moins efficace, comme vous pouvez l’entendre sur cet exemple où notre boucle est lue à 0.86 de celle-ci avec l’excellent algo d’Izotope RX :
Si le gain en lourdeur est indéniable sur les fûts, l’astuce a toutefois tendance à créer des problèmes sur les cymbales. Il faudra ne pas avoir la main trop lourde sous peine de voir des artefacts arriver à ce niveau.
L’autre problème, c’est qu’il faut prévoir la chose en amont : c’est-à-dire que vous devez enregistrer votre batterie 10 BPM au-dessus du temps du projet pour qu’elle revienne ensuite au bon tempo. Mais ça n’a rien de très compliqué.
Enfin, notons-le pour l’anecdote : quantité de grands grooves de Trip Hop ont été obtenus en ralentissant dans de grandes proportions des beats de batterie acoustique, tandis que c’est l’inverse pour les boucles Drum’n’Bass qui sont souvent des boucles de batterie jouées 2 ou 3 fois plus vite…
Bien évidemment, rien ne vous empêche de combiner ces techniques comme Andy Johns. Voyez ce que ça donne avec notre rythme du début d’article, avec d’abord la batterie non traîtée puis avec des rooms généreusement compressées tout en étant ralentie :
Avouez qu’au rayon Touh-Touh-Kah de gros calibre, ça se pose là…
Nous en resterons là pour cette fois, en sachant qu’il nous reste encore beaucoup de choses à aborder lors de prochains articles. Merci donc de ne pas débattre du layering, de la réverb gatée ou du transient designer dans les réactions à cet article sous peine de fouettage avec des orties fraîches.