Rapture peut se traduire par 'ravissement' ou 'extase'. Un nom audacieux pour un synthétiseur virtuel qui affiche ainsi son ambition. Reste à savoir ce qu'en pensent les premières concernées : nos oreilles.
Disons-le tout de suite, ce synthétiseur à table d’ondes pour Windows et Mac joue dans la cour des grands et risque de faire frémir plus d’un musicien et sound designer
Côté présentation, on est dans les mêmes bonnes habitudes que la plupart des produits Cakewalk avec un emballage élégant (y compris la boîte format DVD pour le CD) et un véritable manuel papier. Celui-ci comporte une bonne soixantaine de pages pour chacune des quatre langues qu’il comporte. Il est très clairement rédigé, avec une première partie de prise en mains de quelques pages, puis un descriptif complet des fonctions avec explications claires sur le fonctionnement ou la signification, par exemple de la modulation en anneau. On peut juste regretter qu’il y manque un exemple de réalisation complète et pas à pas d’un patch. Enfin, déjà bien là où beaucoup d’éditeurs se contentent d’un manuel non traduit, quand bien même il ne faut pas se débrouiller avec un fichier PDF.
Bien que le logiciel soit en anglais, le manuel est dans un français clair et bien traduit. Si l’on y retrouve quelques fautes, on est loin d’une hypothétique traduction automatique ou de désastreuses traductions par des non musiciens amenant des formules malheureuses ou des contresens. Là, tout est clair et compréhensible. On retrouve d’ailleurs ce qui semble être l’intégralité du manuel dans l’aide en ligne avec l’avantage des hyper liens et de la recherche. Pratique, après la phase d’apprentissage, pour rechercher rapidement une information sans se bouger jusqu’à l’étagère où est stocké le manuel papier.
Rien à redire côté installation, et si le plug n’est pas standalone, il reste compatible Mac et PC grâce au support des formats AU, RTAS, VSTi, DXi & DXi x64 (Notez la compatibilité x64 sur PC : Cakewalk semble assez en avance sur l’exploitation des systèmes 64 bits puisqu’il a sorti il y a déjà pas mal de temps une version 64 bits de Sonar). Ces détails accessoires mentionnés, intéressons-nous à présent à Rapture, l’instrument…
Il y a trois critères essentiels qui déterminent la qualité d’un synthétiseur, qu’il soit virtuel ou pas : le son, l’ergonomie (et l’intégration) et enfin la programmation. Nous allons donc balayer ces trois points, non sans passer par une description préalable de Rapture et de son fonctionnement.
C’est quoi d’abord, Rapture?
Rapture est un synthétiseur à table d’onde. Cette technologie est en quelque sorte une extension de la synthèse soustractive. Rappelons que la synthèse soustractive consiste à générer à partir de formes d’onde continues (sinusoïdale, carrée, triangulaire…) un signal riche en harmoniques qu’on va ensuite filtrer pour n’en conserver qu’une partie à laquelle on appliquera de multiples traitements et effets.
En synthèse par table d’ondes, on remplace l’onde unique à l’origine du signal par une table contenant plusieurs formes d’ondes. Celles-ci peuvent être balayées soit de façon cyclique (en boucle), soit de façon dynamique (par exemple en contrôlant la lecture par un LFO, une enveloppe, voire d’autres paramètres).
Voilà pour le principe. Voyons maintenant le cas de Rapture. On dispose ici d’un oscillateur dans lequel on peut charger soit une table d’onde, soit un échantillon. Notons d’ailleurs qu’en sus des 200 et quelques tables d’ondes fournies, on peut ajouter des tables utilisateur.
Rapture accepte les échantillons uniques (WAV ou AIFF) mono ou stéréo, ou les multi échantillons SFZ (aux formats wav, AIFF ou Ogg Vorbis). Toutes les quantifications sont supportés, de 8 à 32 bits.
Le moteur audio va créer jusqu’à 9 oscillateurs répartis dans le champ stéréo en fonction de la table d’ondes et des réglages. Ces derniers sont légèrement désaccordés les uns par rapport aux autres pour créer de l’épaisseur (réglable par un champ « detune »). On dispose également d’une modulation en anneau (ring modulation) et de nombreux réglages comme une transposition par tons, un réglage fin de l’accord ou encore le mapping du clavier.
Le tout est ensuite traité par un DSP comportant :
- Deux filtres (on a le choix entre 15 modèles de filtres dont bruit rose et filtre en peigne) avec réglage de CutOff et résonance.
- Un module LowFi avec réglage de réduction binaire et décimation.
- Une distorsion avec choix entre 4 distorsions et réglage de drive.
On peut choisir différents routages à l’intérieur du DSP. Par exemple, filtre 1 > LowFi > disto > filtre 2 ou encore Filtre 1 > filtre 2 > LowFi > distorsion, etc. Chaque élément du DSP peut évidemment être coupé, de même que l’intégralité du DSP.
Modulations
Ensuite, on s’attaque à la section des modulations. Celles-ci sont au nombre de 6 :
- Pitch
- Cutoff filtre 1
- Résonance filtre 1
- Cutoff filtre 2
- Résonance filtre 2
- Panoramique
- Amplification (ou amplitude)
Pour chaque section, on dispose d’un générateur d’enveloppe et on peut en dessiner des très complexes avec points de bouclage, de sustain, etc. On peut zoomer sur la zone pour tracer précisément ses enveloppes et l’édition de celles-ci est très facile : elle s’apparente à ce qu’on peut faire en dessin vectoriel ! Mais ce n’est pas tout : elles peuvent être contrôlées par un LFO complet qui peut lui-même recevoir des formes d’ondes définies par l’utilisateur. À quoi s’ajoute encore un « key tracking » permettant de faire réagir différemment l’enveloppe selon la hauteur des notes jouées ! Rappelons que tout ceci est valable pour chacune des 6 sections de modulation.
Rapture propose également, là encore pour chaque section de modulation, un générateur de pas (un peu comme un step sequencer). Il fonctionne un peu comme un LFO qui au lieu de travailler selon une forme d’onde régulière (triangulaire, sinusoïdale…) travaille selon une « onde » tracée par l’utilisateur. Le nombre de pas est ajustable de 2 à 128. On peut régler la fréquence de répétition (ou de défilement) du pattern de 0 à 40 fois par seconde, la synchro au tempo, la profondeur d’action ou encore un paramètre « smooth » déterminant le caractère brutal ou doux de variation en passant d’un pas à l’autre. Énorme ! Ici aussi, tout comme pour l’édition des enveloppes, on dispose d’outils favorisant la création, pour ne pas dire la créativité. Cela va du simple copier coller au fait de lancer une modification aléatoire des pas ou encore de les inverser, etc.
Notons aussi qu’on peut copier coller un modulateur, par exemple pour faire travailler de la même façon le pitch et un des Cutoff, ou copier coller un paramètre unique.
…Égalisation et effets
On attaque ensuite la section d’égalisation avec un EQ 3 bandes totalement paramétriques. Pour chacune, on peut choisir le type (low shelf, band pass ou high shelf) avec un réglage de gain, de fréquence et de Q. Reste encore la section d’insertion d’effets où l’on peut mettre délai, filtre, modulation, phaser reverb ou distorsion. Le délai offre 15 possibilités comprenant des effets de type chorus ou phaser grâce à des réinjections de signal.
On peut juste regretter que les potentiomètres de réglage ne changent pas de dénomination en fonction de l’effet choisi. Pas forcément évident de se souvenir que la commande « center » (correspondant au feedback central du délai) correspond à la taille de réverbération quand on est en mode reverb. Souhaitons cette amélioration pour une prochaine version.
Tout ceci permet déjà un sacré travail de synthèse mais ne concerne qu’un élément. Or, Rapture propose six éléments simultanés ! On peut les dissocier pour utiliser Rapture comme synthétiseur multi timbral. Dans ce cas, l’élément 1 sera contrôlé par le canal MIDI 1, l’élément 2 par le canal 2, etc.
Qu’on soit en mode mono ou multi timbral, on dispose d’un mixer simple pour ajuster le volume et le panoramique de chaque élément.
Bienvenue dans la matrice
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On a vu le fonctionnement des éléments, mais un programme comporte jusqu’à 6 éléments (sauvegardables individuellement pour créer de nouveaux sons à partir de banques d’éléments), mais également une page globale agissant en sortie des 6 éléments.
On trouve ici :
- Deux emplacements pour effets (avec les mêmes effets disponibles et les mêmes possibilités de réglages qu’au niveau des éléments)
- Un générateur d’échelons global (en fait, deux : un pour le canal droit et un pour le gauche)
- Un triple égaliseur comme au niveau de chaque élément
- Un master FX (eh oui, encore un slot pour effet)
- Un réglage de volume (avec vumètre) et pan master avec limiteur (comme pour chaque élément)
- On retrouve aussi le mixer des 6 éléments.
Voilà pour la synthèse elle-même. Mais ce n’est pas tout ! Rapture propose également deux outils de contrôle passablement intéressants :
- Un contrôleur XY auquel on peut affecter les paramètres de son choix. On module alors les paramètres en déplaçant le curseur dans la zone de contrôle.
- Une matrice de modulation MIDI.
La matrice de modulation MIDI est une sorte de tableau permettant de définir la modulation de paramètres à partir de signaux MIDI. Mais pourtant, Rapture est déjà totalement contrôlable par MIDI. Alors quoi ça sert ? Il est certes intéressant de contrôler le cutoff d’un filtre à partir d’un potentiomètre d’une surface de contrôle MIDI. Mais ça devient encore plus intéressant lorsqu’on peut déterminer que le signal émis par ce même potentiomètre va aussi moduler d’autres paramètres selon une réponse que l’on aura déterminée au niveau de la matrice de modulation. Un exemple : On peut utiliser une commande « alternate » pour faire réagir un paramètre toutes les deux notes jouées au clavier ! Une sorte de MIDOX adapté spécifiquement à Rapture. Et la définition de la matrice de modulation est spécifique à chaque programme !
Avec tout ceci, qui peut douter que les possibilités de création sonore soient énormes ?
Voyons maintenant ce que donne tout ceci à l’usage.
Le son
Côté son, il y a d’abord le grain du synthé, ce qu’on pourrait appeler son caractère. Ensuite, sa diversité sonore : est-il bon dans de vastes domaines ou limité par exemple, aux basses et aux pads ?
Enfin, la banque de patch livrée ou disponible. On sait que nombre d’utilisateurs ne rentrent jamais vraiment dans la programmation de leurs propres patchs, se contentant d’utiliser ceux fournis d’usine ou parfois réalisés par d’autres utilisateurs.
Inutile ici de vous proposer des extraits audio : Cakewalk a bien fait les choses en proposant une écoute de nombreux extraits sonores sur la page produit du logiciel. À vous donc de juger.
Le son est clairement dans une certaine « froideur numérique ». On ne cherche pas ici l’imitation des synthés analogiques vintage. Mais ce terme a un côté négatif qui ne convient pas ici. Le terme de « propreté » serait plus adéquat s’il n’était pas si réductif. En fait, on est dans un synthé qui sonne clairement numérique, mais dispose des qualités sonores d’un bon synthé : des sons vivants, riches, péchus et dynamiques. On peut le remarquer notamment sur les basses dont certaines vous prennent aux tripes et vous invitent à monter le son et pousser les meubles, mais aussi les nappes qui vous incitent à planer au dessus de votre clavier.
Rapture est clairement dédié aux sons de synthèse et électroniques. Si les presets d’usine comportent une banque « simulations », n’y cherchez pas l’imitation d’instruments « réels ». Ces patchs n’en sont que des évocations synthétiques, mais qui sonnent bien. Si vous sélectionnez la « clarinette », vous n’aurez pas une imitation de clarinette, mais un son synthétique rappelant le timbre d’une clarinette.
Notons quand même la présence, dans la banque « keys », de très beaux orgues et de pianos électriques qui sonnent particulièrement bien.
Et puisqu’on parle des presets, évoquons leur variété. Le logiciel est livré avec une banque impressionnante de plusieurs centaines de sons à quoi Cakewalk a récemment ajouté en téléchargement un « expansion pack » 350 nouveaux patchs gratuits pour les utilisateurs enregistrés. Ces sons couvrent une gamme très large d’instruments parmi lesquels j’ai particulièrement apprécié les basses, les nappes et les claviers « keys ». Mais LA banque qui met une claque est indéniablement la banque des séquences. Celles-ci sont des patchs qui constituent en eux-mêmes une séquence, souvent composée de plusieurs sons. Ces programmes sont passablement inspirants et permettent de construire un morceau ou une atmosphère sonore en un rien de temps. Un régal pour les musiciens, mais aussi les sound designers et autres réalisateurs d’habillages sonores.
Je suis habituellement peu sensible aux banques de sons « lead » mais pourtant, là, je me suis laissé aller à jouer sur le clavier, juste pour le plaisir de jouer avec de beaux sons.
La seule chose qui ne m’ait vraiment pas emballé dans les presets d’usine sont les « drums ». Il ne semble pas que ce soit vraiment le domaine de prédilection de Rapture et d’ailleurs, les patchs fournis sont peu nombreux et ils semblent être un peu là pour faire de la figuration.
À noter que chaque banque elle-même est très variée. Les pads sont nombreux, allant des nappes planantes aux sons bien gras ou acides, sans compter les sons type « atmosphère ». En tout cas, la variété des sons est telle que, même s’ils possèdent un grain commun, bien fort est celui qui peut dire sur une écoute en aveugle qu’ils sortent du même synthé. On est dans un domaine différent du merveilleux Absynth (de Native Instruments) dont la couleur sonore est immédiatement reconnaissable.
Ergonomie
L’ergonomie du logiciel est dans l’ensemble réussie, en dépit de quelques petits défauts, comme cette regrettable absence d’un mode standalone, qui aurait été plutôt utile pour une utilisation live.
Lorsqu’il s’agit simplement d’utiliser les programmes fournis d’origine ou créés par d’autres, l’usage est d’une simplicité enfantine. On dispose d’un explorateur pratique où les sons sont classés en banques que l’on déplie ou replie comme autant de sous-dossiers sous Windows (en beaucoup plus joli tout de même !). Un double-clic sur le programme et hop, il se charge.
Par contre, Rapture n’accepte pas les messages MIDI Bank Change et Program Change. Cela s’explique par un temps de chargement relativement long des programmes (de l’ordre de quelques dixièmes de secondes), incompatible avec un changement rapide des patchs en cours d’exécution d’une part MIDI. Cette regrettable lenteur s’explique par le mode de fonctionnement de Rapture qui permet, en contrepartie, une faible mobilisation de la mémoire. En effet, dans le cas d’utilisation d’un échantillon, celui-ci est mappé dès le chargement sur l’ensemble du clavier.
Une fois le son chargé, son édition basique est extrêmement aisée. Des potentiomètres rotatifs avec une couronne de LED indiquant le réglage en cours permettent d’intervenir à loisir sur les filtres, le low-fi, la distorsion, les effets en sortie, l’égalisation ou encore le mixage des différents éléments constitutifs du programme. Reste le regret déjà évoqué de ne pas voir les noms des potards d’effets changer en fonction de l’effet chargé.
Evidemment, tous les réglages disposent d’un mode MIDI Learn aussi simple qu’utile pour le travail avec une surface de contrôle. Un clic droit sur le contrôleur suffit à activer le MIDI Learn. On bouge ensuite le contrôleur sur la surface de contrôle et l’affaire est réglée !
On peut juste regretter que le mode et surtout le temps de chargement des programmes rende un peu fastidieuse l’écoute de l’énorme banque de sons. À moins d’y passer pas mal de temps, il vaudra mieux la découvrir au fur et à mesure, en fonction de ses besoins. D’autant que beaucoup de programmes et particulièrement les « séquences » donnent envie de rester jouer avec un bout de temps avant de passer au suivant, voire d’attaquer un morceau.
Au niveau de la lisibilité, on est dans une philosophie de présentation habituelle chez Cakewalk : beaucoup d’informations disponibles d’un coup d’œil, ceci évite de multiplier les pages. En contrepartie, les caractères sont relativement petits. Rien de rédhibitoire cependant sauf pour ceux qui souffrent de mauvaise vue. Heureusement, une bonne partie des réglages se fait par potentiomètres rotatifs très clairs et souples à manipuler à la souris ou par MIDI.
Programmation
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On l’a déjà dit, l’utilisation basique à partir des programmes existants est extrêmement simple. Par contre, comme vous le laisse sans doute penser la description du logiciel, la multiplicité des possibilités de réglages ne rend pas la création de programmes d’une simplicité enfantine. Mais de nombreuses fonctions facilitent grandement l’utilisation, notamment par la facilité d’accès aux réglages et les possibilités de copier/coller.
Seulement, la nature du fonctionnement de Rapture rend celui-ci certainement assez difficile pour un novice. On ne crée pas un son en quelques réglages. En contrepartie, les possibilités de création sonore qu’il met à disposition de l’utilisateur sont énormes. Disons qu’il faut soit de bonnes notions de synthèse, soit pour un novice une certaine dose de patience et de persévérance. Mais rien d’insurmontable. les débutants pourront cependant largement se satisfaire de l’énorme banque de sons fournie, sans compter ceux partagés par d’autres utilisateurs.
À titre de comparaison, la programmation de Rapture semble tout de même bien plus facile à aborder que celle d’Absynth ou de Reaktor. Elle se rapproche de celle de Dimension Pro avec lequel Rapture comporte de nombreux points communs ou encore de Crystal (un beau Freeware signé Green Oak).
Disons que sur une échelle de difficulté de 1 à 10 allant de 1 pour un synthé basique à quelques boutons à 10 pour la réalisation d’un ensemble Reaktor ou MaxMSP, Rapture se situerait autour de 6/7.
Conclusion
Cakewalk réussit là un joli coup avec ce synthétiseur virtuel de toute beauté. Les points positifs sont nombreux et les négatifs assez peu significatifs. Les musiciens de concert comme moi regretteront sans doute l’absence d’une version standalone et d’acceptation des bank & program change. Ce synthé sonne tellement bien qu’on a envie de l’intégrer dans son set (ce qui reste possible avec un hôte).
Le programmateur averti y trouvera largement de quoi passer des nuits blanches, le débutant pourra se régaler et enrichir ses productions de la belle et énorme banque sonore fournie. Le prix public de 259 € est largement justifié en regard des prestations fournies.
Les Plus :
+ Richesse et qualité des sons d’usine
+ Grain et personnalité sonore
+ Ouverture des formats et plateformes
+ Possibilités sonores
+ Ergonomie réussie et interface soignée
Les moins :
– Pas de version standalone
- N’accepte pas les program/bank change
- Programmation difficile pour les novices