Presque trois ans après l’Analog Factory Experience, débarque The Laboratory, en deux versions, 49 et 61 touches. Du changement au niveau matériel, et au niveau logiciel. Tour d’horizon.
Tout en continuant à développer sa production logicielle via notamment la série de reproductions de synthétiseurs de légende, série basée sur sa technologie maison (la TAE, pour True Analog Emulation) et qui s’étend du Moog Modular V au Jupiter-8 V, jusqu’à l’addition récente de l’Oberheim Sem V, Arturia a aussi un pied dans le hardware, avec le développement de son synthé Origin ou de sa drum machine Spark, et sa série Hybrid Synths, regroupant un des logiciels Analog Experience et un clavier Midi.
Initiée avec l’Analog Factory Experience (renommée Analog Experience The Factory, voir test de la version 2.0 ici), cette ligne de produits se voit enrichie via deux ensembles autour du récent Analog Laboratory (aussi disponible séparément) et d’un clavier Midi en version 49 ou 61 notes. L’idée de départ était de proposer une combinaison performante de sons (actuellement plus de 3500 présets) en provenance du moteur des synthés maison au sein d’un logiciel simple d’accès, et offrant une navigation rapide grâce à un système de tags et de possibilités d’édition et de jeu via un clavier Midi offrant à la fois contrôleurs directement assignés aux présets, et pouvant aussi piloter d’autres logiciels et matériels. Une idée dans l’air en 2006–2007, puisqu’à la source de produits différents mais proposés dans une optique semblable, comme Kore de Native Instruments se voulant universel et proposant une surface de contrôle là où Arturia avec Analog Factory Experience préfèrera une solution embarquant un clavier, avec un logiciel tourné uniquement vers ses produits. On sait ce qu’il est advenu de la solution de Native (malgré un récent update vers le 64 bits, elle n’est plus au catalogue, et partiellement compatible avec Komplete 8 par exemple). Celle d’Arturia semble en pleine forme avec la version The Laboratory 61 ici testée.
Introducing Arturia Analog Experience The Laboratory
Livré dans un carton tout en longueur (clavier 61 notes oblige), l’ensemble Arturia s’installe très aisément, offrant pour le logiciel une application autonome (standalone) et des plugs VST, AU et RTAS, pour Mac (à partir de OS 10.5, 32 bits seulement) et PC (Windows XP, Vista et 7). On retrouve le gros manuel papier trilingue caractéristique de l’éditeur, qui permet de démarrer rapidement. Le clavier est reconnu automatiquement sans pilote, son alimentation assurée par le bus USB. On peut se poser la question de l’alimentation par le port USB en termes de demande sur l’ordinateur hôte : si l’on utilise un laptop, la batterie descendra d’autant plus vite. Et sur une tour, le fait d’utiliser de nombreux périphériques USB alimentés par le bus peut parfois poser quelques problèmes de gestion de l’alimentation. Comme une sorte de quadrature de cercle, donc. Notons tout de même qu’Arturia ne fournit pas d’adaptateur secteur alors que le clavier dispose d’un port. C’était déjà le cas pour l’Analog Factory Experience. C’était déjà un des reproches effectués à l’époque.
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La protection utilise le protocole ex-Syncrosoft depuis racheté par Steinberg, permettant de placer l’autorisation soit sur le disque du système dans un e-Licenser virtuel soit sur une des clés USB compatibles. Il est donc possible d’installer le logiciel sur plusieurs ordis, mais on ne peut l’utiliser que sur un seul à la fois, à condition d’utiliser la clé ce qui résulte en la mobilisation d’un port USB supplémentaire.
Le logiciel Analog Laboratory offre tous les moteurs des synthés virtuels d’Arturia, Moog minimoog V, Modular V, Yamaha CS-80V, ARP 2600 V, SCI Prophet V, Prophet VS et Roland Jupiter-8V et 3500 présets classés par famille, genre, modèle, etc. plus 200 Scenes (on y reviendra).
Le clavier offre donc 61 touches, et en façade un écran 2 × 16 caractères sur deux lignes, 13 rotatifs, 9 sliders, 23 boutons, une molette de modulation, une de pitch bend, un encoder avec fonction push pour validation d’entrée et quatre pads. À l’arrière on dispose d’un bouton On-Off, d’un duo Midi, de trois entrées contrôleurs (Expression, Sustain, Aux), d’une entrée Breath Controller (bravo !) et d’un port USB.
Il faut paramètrer carte son et entrée(s) Midi par le menu Setup, attendre le message de synchronisation si besoin (allumage du clavier après ouverture du standalone, par exemple), et on se lance.
Du logiciel
Sans surprises, dans la continuité d’Analog Factory Experience (AFE), The Laboratory (AETL) regroupe les sept moteurs de synthèse de l’éditeur, et l’on aura accès aux sons via la page Sound. Une huitième case vide sur l’interface peut laisser supposer qu’il y a de la place pour le tout récent Oberheim Sem V. D’autant qu’il est peut-être déjà inclus dans le code, comme l’étaient les Prophet à l’époque de l’AFE : on retrouve effectivement dans les dossiers idoines l’arborescence de fichiers .plugin correspondant à tous les synthés, sauf les Prophet. Concernant la compatibilité 64 bits, il faudra sans doute attendre que tous les synthés soient eux-mêmes compatibles, ce qui n’est pas encore le cas.
Si l’on compare les interfaces des deux logiciels, on voit que les différences sont quasi uniquement de type cosmétique, puisqu’en dehors de la taille s’adaptant au type de clavier, les navigateurs de présets présentent les mêmes choix de tags : instruments (évidemment…) mais aussi types (12, de Bass à Strings) et caractéristiques (18, de Acid à Soundtrack) et boutons Reset, Favorites et Users. Idem pour les colonnes de sélection directe d’un préset, par nom, instrument, type, consommation CPU (très bonne idée) et marquage comme favoris ou non. L’icône du synthé utilisé est cette fois sur fond sombre.
La barre de menu et fonctions des logiciels ne diffère guère de l’un à l’autre (les fonctions changent d’icône ou de nom, mais restent les mêmes), pas plus que le menu Edit à l’exception, fondamentale, d’un bouton Open qui, après avoir validé les options dans la fenêtre Prefs (nouvelle elle-aussi), ouvre les synthés s’ils sont installés dans leur version complète sur l’ordinateur hôte. Ce qui permet d’éditer totalement tout son disponible, et de le sauvegarder au sein d’AETL. On regrettera en revanche l’impossibilité d’importer un préset du synthé d’origine en cours d’édition, une barre noire flottante ayant pris la place des menus dudit synthé (qui peine à suivre les déplacements de l’interface, d’ailleurs, voir la capture d’écran…). Mais cette possibilité d’édition est très bien venue, permettant d’avoir une solution plus complète sous les doigts.
La deuxième nouveauté importante se dévoile quand on clique sur le nouvel onglet Scene.
Des Scenes
Changement de couleur de fond, changement de possibilités : ici, on peut sélectionner des programmes complexes, appelés Scenes, classés par Genres (11, de Electro à Dub-Reggae, en passant par Pop, Jazz, Soundtrack, etc.). La barre de menu change légèrement, les champs Instrument et Type étant remplacés par le genre de la Scene et un champ reflétant l’état de la multitimbralité du logiciel, autre nouveauté importante. On peut dorénavant en effet utiliser deux sons simultanément, soit en Layer, soit en Split, soit en Multi, plus, évidemment, quatre sons sur les Pads.
La programmation du tout est accessible via le bouton Edit qui ouvre une fenêtre permettant d’abord de renseigner les infos du programme. Notons que l’on peut changer ici le champ Author, là où cela reste inaccessible pour les présets « normaux ». Les parties plus fondamentales, Sounds, Mode, Melody, Pads et Mixer offrent tous les paramètres pour créer ses propres scènes. Écoutons d’abord quelques exemples, piochés dans les 200 programmes, et modifiés en temps réel grâce au clavier, ses rotatifs et contrôleurs.
Retour à la page Scene Edit, sur laquelle on remarque des icônes façon crayon, sur lesquels on s’empresse de cliquer. Résultat, une autre page s’ouvre, nommée Sound Setup, qui donne accès au navigateur de présets précédemment rencontré dans la partie Sound. Dans la partie Sounds de Scene Edit, on sélectionne la ligne Upper ou Lower, ce qui permet de charger via Sound Setup n’importe quel son disponible, ceux d’usine comme les présets maison. Un menu déroulant permettra de transposer immédiatement le son. La partie Mode offre les réglages de gestion de la bitrimbralité, avec un point de séparation, et trois sélections Layer (sons superposés), Split, et Multi (le son Upper répondra au canal Midi 1, le son Lower au canal Midi 2).
On continue avec la partie Melody, véritable bibliothèque de phrases musicales, d’arpèges, de rythmes que l’on pourra assigner au choix ou simultanément aux deux sons. Un moyen idéal de créer une basse ou une rythmique main droite.
En voici quelques exemples, piochés parmi les 180 motifs disponibles, classés selon les 11 catégories déjà rencontrées. De quoi donner pas mal d’idées, voire être la matière d’une compo.
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On dispose d’un menu semblable pour les quatre Pads, offrant plus de 410 boucles au format .rx2, qui s’adapteront aux changements de tempo (dans la plage habituelle de ce format si l’on veut garder une certaine qualité) de l’hôte ou directement par le curseur dédié sur le clavier ou l’interface du logiciel. On dispose de quatre emplacements dans lesquels on déposera par glisser/déposer les fichiers depuis le navigateur. Pas d’import externe, hélas…
Les loops sont de plusieurs types : des Singles, souvent des gimmicks, des effets ou des bruits et les « autres » généralement nommés suivant le Genre, et dotés d’un numéro, et déclinés en plusieurs versions dont des breaks. La bonne nouvelle, c’est que ces boucles sont directement accessibles depuis le dossier créé lors de l’installation du logiciel (sur Mac dans HD>Bibliothèque>Arturia>Analog Laboratory>samples).
Les Pads réagissent selon trois modes : Trigger, qui lit la boucle ou l’effet une seule fois, Gate, qui lit tant que l’appui sur le Pad est maintenu et Loop qui lit la boucle sans fin, jusqu’à une deuxième pression sur le Pad. On peut aussi définir un (ou plusieurs) Pads comme « Exclu », c’est-à-dire qu’il coupera la lecture des autres quand il sera déclenché. On peut leur reprocher un besoin de précision trop grande : parfois on ne dispose que de quelques instants pour déclencher un break entre deux accords ou notes, et le pad ne réagit pas toujours à une frappe très rapide et un peu décentrée.
De bonne qualité, les boucles sont assez variées et inspirantes. On reprochera deux choses : lors de la lecture d’un Loop, le chargement d’un autre sur un Pad provoquera une légère coupure audio sur le premier. Puis un phénomène bizarre, selon lequel les boucles jouées en mode Trigger sont transposées vers le haut, de quasiment un ton, par rapport à celles jouées selon les deux autres modes. Il faudra aussi faire très attention à a manière de jouer, légèrement en avant du temps pour tout ce qui est rythmique. Et il semblerait que la gestion de la compensation de latence ne soit pas idéale au niveau des boucles, ayant eu du mal à synchroniser plusieurs occurrences en jouant en utilisant le mode No Latency sur Logic, et en revenant en fonctionnement normal ensuite.
Autres reproches à formuler pour la section tout entière : on ne dispose plus d’indications quant à la consommation CPU des Scenes, ce qui réserve parfois certaines surprises, qui font parfois poser des questions quant à l’optimisation multicœur du logiciel. La sélection et la recherche dans les navigateurs pendant que l’on joue (sans nécessairement charger quelque chose) peuvent provoquer des pops et autres bruits assez violents, attention aux HP en mode standalone…
Plus léger, l’interface d’AETL affiche envers et contre tout un beau 49 pour 49 touches, malgré les cinq octaves bien visibles…
Bilan
A 429 euros (350€ pour le 49 touches), l’ensemble est d’abord intéressant d’un simple point de vue financier, puisqu’un bon clavier maître équivalent chez la concurrence flirte sans problème autour des 350 euros, certains affichant des prix catalogue de plus de 550 euros. Si l’on y rajoute tous les avantages du logiciel Laboratory, la puissance sonore et de traitement, on voit clairement l’avantage de la solution Arturia.
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Bien entendu, on ne saurait se limiter à cet aspect qualité/quantité/prix. D’abord, une partie de la conclusion du test de l’AFE pourrait être reprise ici, notamment en ce qui concerne un outil complet à destination des débutants qui éviteront ainsi de « se prendre la tête sur des programmations pointues », nombre d’entre eux ayant « eu peur des Modular, CS80 ou ARP ». Le public visé, s’il ne change pas, peut aussi être du coup plus large, puisque les possibilités offertes sont aussi plus puissantes et plus pratiques pour le musicien ou le compositeur plus confirmés.
L’adjonction de la bitimbralité, des Scenes, Melody, Pads et Loops, de l’aftertouch sur le clavier, la profusion de contrôleurs, les trois prises pédales et la prise Breath Controller (encore bravo !) font de cet ensemble une réelle amélioration par rapport aux premières offres. Si l’on considère que l’on dispose là d’un beau clavier, riche de nombreuses fonctionnalités, pouvant servir de clavier-maître très facilement grâce au Laboratory Midi Control Center, ainsi que d’une offre logicielle assez unique regroupant des sons qui rappelleront à tous nombre de productions passées, mais néanmoins ouverte sur le futur (certaines sonorités restant intemporelles), et si l’on n’est pas intéressé par des sonorités réalistes que l’on ne peut obtenir que par l’échantillonnage ou la modélisation, alors l’Analog Experience The Laboratory est assurément une solution à ne pas négliger.