Devenu en quelques années l'un des acteurs majeurs du clavier de contrôle, Arturia revient avec une nouvelle version de son Keylab bien décidée à s'installer sur nos scènes comme dans nos studios.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en termes de look comme de construction, le nouveau clavier grenoblois ne manque pas d’atouts pour nous plaire. Construit dans un métal laqué blanc du plus bel effet et rehaussé de joues en bois tout aussi sympathiques, il semble solide comme un tank et son poids, sensiblement plus élevé que celui de ses concurrents, devrait être garant de sa stabilité.
Même les molettes de pitchbend et de modulation sont en métal chromé cependant que les plastiques retenus pour les boutons semblent d’excellente qualité. L’organisation du bandeau de commandes est simple : à gauche on dispose d’une matrice de 4×4 pads (sensibles à la vélocité et gérant l’aftertouch polyphonique), cernée de 8 boutons de configuration et des 6 commandes destinées au pilotage de votre STAN, ce qui inclut évidemment un bloc de lecture. À droite, outre trois boutons de navigation, on dispose de neuf sliders en regard de neuf boutons et neuf encodeurs, tous librement assignables, sachant qu’on dispose de 3 banques de 27 assignations pour ces derniers.
Au centre enfin nous attend une molette sous un écran à LED de 48 caractères, elle-même flanquée de 7 boutons de commande et navigation. Il y a du monde donc mais comme Arturia a opté pour des contrôles de taille modeste, tout cela demeure bien espacé. Vous vous en doutez : à l’exception des potentiomètres, sliders et molettes, tous les boutons sont rétroéclairés, que ce soit par des LED blanches ou des LED RVB concernant les boutons assignables et les pads.
Disons un mot sur le clavier qui est bien évidemment sensible à la vélocité et gère l’aftertouch… mais pas en polyphonique. En face arrière, pas mal de monde nous attend puisqu’outre le connecteur USB, une prise pour l’alimentation optionnelle et un bouton de mise en/hors fonction, on trouve une entrée/sortie MIDI au format DIN 5 broches, 5 connecteurs Jack pour pédales de Sustain, Expression et 3 auxiliaires (!), et enfin 5 connecteurs minijack pour gérer le CV Gate : CV In, Pitch Out, Gate Out, Mod 1 et Mod 2.
Comme vous le voyez, Arturia a bien pensé son clavier en termes de contrôles et de connecteurs pour piloter des logiciels ou des instruments électroniques, ce qui le place, sur le papier, comme une sorte de chaînon manquant entre les claviers dédiés à la MAO comme l’Advance d’Akai ou le Komplete Kontrol de Native Instruments, et le Remote SL MkIII de Novation, plus pensé quant à lui pour le pilotage d’instruments électroniques matériels. En vis-à-vis de ce positionnement, on reste tout de même un peu surpris du nombre d’entrées Jack pour les pédales auxiliaires, au point de se demander si le constructeur n’anticipe pas sur la sortie de futurs produits dans sa gamme de contrôleurs. L’avenir nous le dira ; voyons pour l’heure ce que nous dit le présent sur le confort de jeu.
Mise en jeu
Ni trop mou, ni trop ferme et ne présentant pas un retour trop prononcé qui pourrait le rendre fatiguant, le toucher du clavier est convainquant, tout comme la précision qu’il offre en matière de vélocité et d’aftertouch. Je serai plus réservé en revanche concernant les molettes qui sont trop fines à mon goût et dont le métal strillé (sauf sur le renflement central) n’empêche pas toujours les doigts de déraper. Ce n’est pas un problème sur la molette de modulation qui offre peu de résistance, mais sur celle de pitch bend, c’est plus gênant. Il n’y a rien de rédhibitoire là-dedans, je vous rassure, mais l’ergonomie de tout cela est perfectible. Tous les autres contrôles présentent une qualité homogène : les boutons de fonction rendent un petit clic aisément sensible lorsqu’on les presse, tandis que les sliders comme les encodeurs offrent une résistance souple et homogène. Quant aux pads, s’ils ne sont pas au niveau de ceux d’une Maschine ou d’une MPC, ils se sont avérés agréables à l’usage et suffisamment larges et espacés pour s’adonner aux joies du finger drumming. Finissons avec la molette centrale qui est autrement plus convaincante que sur les Komplete Kontrol parce qu’elle est à la fois plus large, que les crans sont plus doux et qu’elle est surtout assurément moins bruyante que sur ces derniers ; à cause de tout cela et de son revêtement en caoutchouc, elle fait aussi moins ‘plastoc’.
Globalement, ce nouveau Keylab est donc très satisfaisant sur le plan des sensations. Reste à voir comment il se comporte dans ses différents modes d’utilisation.
Ces petits détails qui changent tout
Même si la plupart des fonctions du Keylab n’appellent aucun commentaire particulier, car elles fonctionnent comme attendu mais demeurent classiques, on se rend compte d’entrée de jeu qu’Arturia a pensé à plein de petits détails qui peuvent faire la différence au quotidien. C’est ainsi que le constructeur fournit un petit hub USB pour éviter les boucles de masse qui peuvent survenir lors de l’usage d’un synthé relié en CV/Gate avec un ordinateur. On apprécie aussi grandement la possibilité de changer très simplement de canal MIDI utilisé, non pas en se rendant dans un menu, mais en pressant un bouton et une des 16 premières touches du clavier : simple, efficace, malin !
Les pads eux-mêmes proposent des modes d’utilisation intéressants : outre leur usage classique (un pad = une note), on peut leur assigner des accords qu’on jouera sur le clavier, et transposer ensuite ces derniers. Avec un arpégiateur intégré, c’eut été parfait mais même en l’absence de ce dernier, avouons que c’est très bien vu et simplifiera grandement la vie des performers qui ne sont pas forcément très à l’aise sur le plan du jeu pianistique.
Une pression sur le bouton DAW permet de basculer dans en mode pilotage de STAN, sachant qu’en plus des génériques MCU et HUI, des mappings prêts à l’emploi sont proposés pour la plupart des séquenceurs du marché (Ableton Live, Cubase, Logic, Reaper, Studio One, Pro Tools, etc.) et qu’Arturia a eu la bonne idée de livrer son clavier avec des caches qui permettent d’adapter la sérigraphie des boutons au logiciel que vous utilisez. Encore une fois, ce sens du détail fait plaisir à voir, tout comme l’intégration avec le logiciel Analog Lab 3 fourni en bundle avec Ableton Live Lite et Piano-V.
Le Lab est dans le camp
L’une des plus grandes forces du Keylab tient évidemment dans le fait qu’il est pensé pour l’excellent Analog Lab 3. Lorsqu’on presse la touche qui lui est dédiée, on dispose en effet d’une parfaite intégration du logiciel au Keylab, le lot de commandes central permettant de naviguer dans les plus de 6500 sons que propose le logiciel, tandis que les sliders et potards sont automatiquement mappés aux paramètres de chaque preset. Il se dégage de cette intégration réussie l’impression d’avoir à faire à une workstation plus qu’à un clavier MIDI pilotant un logiciel, même si quelques petits détails gâchent un peu l’expérience utilisateur.
Outre le problème de latence qu’on a sur un changement de presets (tout comme avec le système Komplete Kontrol ou le VIP de l’Akai Advance) et qui est inhérent au fait que ce sont bien des modélisations de synthés différentes qui sont convoquées en interne, on regrettera que l’affichage se borne à un bon vieux LCD sur deux lignes plutôt qu’à un bel écran LED comme chez la concurrence, ce choix un peu old school rendant la navigation plus laborieuse que sur un Komplete Kontrol à peine plus cher et richement doté en termes d’écrans.
Par ailleurs, il faut souligner que les faders comme les encodeurs du Keylab ne sont pas sensibles au toucher : pour voir à quel paramètre ils sont assignés ainsi que la valeur du paramètre en question, il ne suffit donc pas de les effleurer mais il faut les manipuler et… en changer ainsi la valeur. Certes, la plupart du temps, les contrôleurs sont assignés aux mêmes paramètres qui correspondent à la sérigraphie qu’on trouve sur le Keylab (Cutoff sur l’encodeur 1, Resonance sur l’encodeur 2, etc.) mais ce n’est pas systématique, à plus forte raison lorsqu’on utilise non plus l’Analog Lab mais les instruments de la V-Collection. Soulignons-le enfin, on retrouve dans certains mappings les mêmes écueils que chez la concurrence : paramètre On/Off gérés par un fader (moitié de cours off donc, et moitié de course on), tandis que rien ne permet de gérer les intrerfaces de type XY autrement qu’en mode Télécran. Certes, ce dernier détail n’est pas tant un problème pour les instruments Arturia, mais dès lors qu’on entreprend de piloter des instruments ou des effets d’autres développeurs, c’est plus gênant.
Finissons d’ailleurs en évoquant le mode User qui permet de stocker jusqu’à 10 mappings de quasiment tous les contrôles du clavier (en dehors des touches de fonction), mappings que vous créerez et gérerez depuis le clavier même ou via l’utilitaire MIDI Control Center qui s’avère très bien foutu et permet de paramétrer assez précisément chaque comportement et l’assignation de chaque contrôle. Généralement, il conviendra de renseigner un mode de fonctionnement (variable suivant le controle), un comportement, un contrôleur continu, un canal MIDI et quand cela s’avère pertinent, les bornes d’une plage de valeurs ou encore la couleur RVB de l’éclairage LED.
Rien à dire là-dessus, Arturia a bien fait le job, même si ce nouveau Keylab n’est pas exempt de tous reproches.
Le chaînon manquant… ou presque
Entre un Novation SL Mk3 très orienté vers le pilotage matériel (mais sensiblement plus cher, il est vrai) et les Komplete Kontrol et Akai Advance très orientés vers le pilotage logiciel, le positionnement de ce nouveau Keylab a de quoi retenir l’attention de ceux qui cherchent un habile compromis pour contrôler des logiciels comme du matériel, les claviers équipés de connectique CV/Gate n’étant pas légion sur le marché. On le comprendra aisément : cette polyvalence se fait toutefois au détriment d’équipements ou de fonctions présentes chez la concurrence.
Pour ce qui est du logiciel d’abord, il va sans dire que rien n’a été prévu par Arturia pour faciliter le contrôle d’autres logiciels que ses instruments ou les principales STAN du marché. Dès lors qu’on s’écarte de la V-Collection, on ne dispose ainsi d’aucune plateforme qui permette de naviguer dans les presets d’instruments provenant d’autres éditeurs, ou de disposer de mappings prêts à l’emploi les concernant, comme cela se passe avec le VIP d’Akai ou le tandem Komplete Kontrol/NKS de Native Instruments.
Du côté matériel, si l’on ne reprochera pas nécessairement aux Grenoblois de ne pas avoir fournir plus d’entrées/sorties MIDI ou CV/Gate, on regrettera qu’aucune fonction d’arrangement matérielle ne soit présente dans le clavier en dehors de la gestion des accords : pas d’arpégiateur, pas de séquenceur, pas de contrainte de gamme… C’est d’autant plus dommage que l’on sait qu’Arturia dispose de telles technologies, comme le prouve le Keystep dont le prix serré montre qu’intégrer ces technologies n’auraient pas nécessairement plombé le prix du produit…
Enfin, comme nous l’avons mentionné plus haut, malgré de bonnes idées ergonomiques et une expérience utilisateur relativement convaincante dans l’ensemble, on regrettera le fait que les sliders et encodeurs ne soient pas sensibles au toucher et qu’il faille se contenter d’un écran LCD à deux lignes un peu vieillot en lieu et place d’un bel écran à LED comme en propose la concurrence… sachant que l’idéal serait de proposer un écran tactile multipoint : 11 ans après la sortie de l’iPhone qui nous a habitués à faire défiler les 100 contacts de nos répertoires téléphoniques d’un simple balayage du doigt, faire défiler 6500 presets en tournant une molette semble parfaitement daté. C’est vrai pour ce Keylab comme pour le Komplete Kontrol ou l’Akai Advance…
Certes, toutes ces choses auraient pesé sur la facture, mais disons qu’en faisant l’économie de deux sorties auxiliaires, des joues en bois ou de la finition tout métal qui, bien qu’élégante, n’est pas forcément toujours probante sur le plan de l’utilisation (manque d’adhérence (grip) de la molette de pitch bend) ou du transport, il y aurait sans doute de quoi éponger un minimum les surcouts occasionnés par ces améliorations, d’autant qu’un peu plus complet, le Keylab aurait pu se permettre d’être un peu plus cher aussi.
Bref, ce Keylab MkII est réussi à plus d’un égard, mais Arturia dispose d’une confortable marge de progrès pour la version MkIII…
Conclusion
La copie rendue par Arturia avec ce Keylab MkII est très bonne dans l’ensemble : améliorant la première version sur quasiment tous les points, le clavier s’ouvre au monde du CV/Gate sans pour autant délaisser l’intégration avec Analog Lab qui faisait la force du premier modèle. Certes, à voir ce que propose la concurrence, il y a bien des petites choses à redire ça et là, le Keylab n’étant ni aussi doué que l’Advance ou le Komplete Kontrol pour le soft, et ni aussi abouti que le Novation SL Mk3 pour le hard. On regrettera surtout le manque d’un écran plus moderne qui aurait sensiblement amélioré l’expérience utilisateur, mais il faut en convenir : nous sommes face à un compromis dont la polyvalence, la finition et l’élégance devraient séduire plus d’un utilisateur. Bravo pour cela donc, en attendant le Keylab MkIII