Alors que son Panorama P4 s’est rapidement imposé comme une solution dédiée à Reason incontournable, tout en offrant des possibilités de contrôles génériques, Nektar offre maintenant une intégration complète à Logic Pro. Complète ? Voyons cela.
Aux premiers temps de la lutherie électronique, les choses étaient assez simples en ce qui concerne les commandes. Rappelons d’abord qu’il a fallu le travail du bon Dr Moog pour qu’un clavier CV/Gate (1V par octave) apparaisse comme interface homme-machine, une interface que l’on pourrait définir comme naturelle, puisqu’héritée d’une longue tradition d’instruments à clavier, y compris incluant les premières tentatives, Multimonica, Ondioline ou Novachord pour n’en citer que quelques-unes. Cette interface, une fois largement adoptée, n’a pas fait oublier que d’autres solutions étaient tout aussi valables, même si peut-être moins pratique pour un résultat strictement tempéré.
Machine de test MacBook Pro i7 |
En plus de ce clavier, comme évoqué, les choses étaient simples, puisque la plupart du temps le principe était « un bouton, une fonction ». On avait ainsi un accès immédiat, et intuitif, au travail du son, sans passer par quantité de menus, de combinaisons de touches, etc. Évidemment, cela était possible grâce au côté évident de la synthèse majoritairement en vogue, la synthèse soustractive analogique. Mais les choses se sont compliquées avec l’arrivée du numérique, les possibilités de modification et la multiplication des sources sonores et de leurs modulations ont vite résulté en des instruments offrant quelques boutons, des écrans, et des pages et des pages de menus et sous-menus pour arriver à programmer un son. La complexité de l’interface, et la perte de son côté intuitif étaient le prix à payer pour la richesse ainsi offerte. Mais on s’y est fait…
L’arrivée de l’informatique musicale (celle embarquée dans un ordinateur au départ multitâche, car les stations de travail type Korg, Yamaha, Kurzweil et autres ne sont jamais que des ordinateurs dédiés) a encore plus emmené vers des absolus sans contrôles hors la souris et le clavier de l’ordi, avant que les constructeurs ne réagissent et proposent qui des claviers de commande truffés de contrôleurs, qui des surfaces de contrôle offrant faders et rotatifs. Et dans la continuité de ces développements, des solutions proposant le meilleur des deux.
On ne parlera pas ici, même si c’est un sujet fondamental, car capable de modifier notre approche de la musique, de sa pratique, des gestes fondamentaux utilisés pour créer un son, des nouvelles surfaces tactiles, des nouveaux contrôleurs de type Karlax, Seaboard (bientôt en test sur votre site favori…) ou de ceux développés par McMillen, Smith et autres fous furieux de la recherche sur le rapport interface homme-machine.
Nouveau venu sur la scène des claviers de commande, Nektar a d’abord fait parler de lui en offrant, en 2012, une solution mêlant clavier et surface de contrôle spécifiquement dédiée à Reason, même si utilisable par ailleurs de façon générique. En voici une nouvelle déclinaison consacrée à l’usine à gaz d’Apple, Logic Pro, et accessoirement à l’application dédiée au live du même éditeur, Mainstage.
Introducing Nektar Panorama P4
Sorti du carton, le clavier en impose, avec ses sept kilos (malgré une construction tout plastique), ses 49 touches, son écran TFT couleur (plutôt tri, voire bichrome pour être plus précis), ses molettes rétroéclairées (un rouge qui tranche sur la partie blanche de la façade) et ses nombreux encodeurs et faders. Si la partie noire de la face avant est plutôt réussie, on peut être en revanche moins convaincu par le choix du blanc brillant pour le reste, qui peut se salir très vite. Mais il est clair que le P4 impressionne, d’autant que ses dimensions ne sont pas négligeables (80 cm pour la plus grande, et 33 cm pour la profondeur) et que son clavier surélevé rajoutant à l’impact visuel du contrôleur.
La liste des outils de contrôle est tout aussi impressionnante : deux molettes, un fader ALPS 100 mm motorisé (flanqué de trois boutons, Fader, Mute et Solo et deux indicateurs lumineux pour l’automation), 17 rotatifs sans fin, neuf faders, 12 pads répondant à la vélocité et à l’aftertouch, 11 boutons, plus les 15 répartis au-dessus et en dessous de l’écran, et 12 boutons pouvant passer de commandes de transport et divers paramètres à des touches de fonctions (de F1 à F11, l’une étant réservée au basculement de mode Transport/Function).
À l’arrière, on dispose du bouton d’alimentation, d’une sortie Midi sur Din cinq broches, d’une prise USB type B pour la connexion à l’ordinateur, d’une autre mini-USB dédiée à l’alimentation du fader motorisé, et de deux entrées sur jack pour pédale d’expression et pédale de sustain. Oui, vous avez bien lu, il faut une alimentation pour le fader motorisé et ses boutons, ce qui oblige à mobiliser un port USB sur l’ordinateur hôte. Attention à bien prendre en compte cette donnée, sous peine de perdre un des avantages du clavier, et afin de gérer au mieux ses ports dans le cas d’utilisation d’interface audio, de clés iLok, Syncrosoft ou autres, de disques durs, etc. sachant que la solution à base de hub n’est pas toujours la plus stable dès que l’on travaille en audio.
Un guide Quick Start, deux câbles USB et un chiffon de nettoyage sont fournis, pilotes, docs supplémentaires et mises à jour de firmware sont quant à eux disponibles sur le site de l’éditeur, sur lequel il faudra créer un compte et enregistrer son produit.
Un comparo de poids…
Retour du protocole de mesure de l’envoi de la vélocité : courbe de réponse à la vélocité linéaire (quand c’est possible), neuf lâchers d’un poids de 100 grammes sur la même touche blanche (le bord du poids est à la verticale de celui de la touche, le poids est posé sur la touche sans le laisser peser, suivi d’un lâcher brusque), puis moyenne des neuf, avec indication des valeurs les plus faibles et plus forte.
Voici les résultats.
Nektar Panorama P4 : fourchette 39–51 (moyenne 43).
Et ceux précédemment mesurés :
- Kurzweil Forte : 25–38 (32,2).
- Arturia KeyLab 49 : 36–66 (56).
- Arturia The Laboratory 61 : 56–73 (64,4).
- Korg taktile 49 : 67–73 (69,5).
- Kurzweil K2500X : 37–39 (37,8).
- Novation Launchkey 61 : 43–52 (48,6).
- Studiologic Numa Concert : 35–43 (36,8)
- Yamaha SY99 : 19–24 (21,7).
- Yamaha reface : 38–51 (45,5).
Le toucher, lesté plutôt que lourd, est assez résistant, plus que celui de mon SY99, par exemple. En revanche, il y a une légère différence d’action entre touches blanches et touches noires, pas suffisamment marquée pour être gênante mais suffisamment présente pour être remarquée.
Master & Commander
L’objet du test étant son intégration dans Logic (9 ou X, à partir d’OS 10.6), voyons comment cela se passe (même si la plupart des routines pour les autres STAN sont plus ou moins semblables).
On commencera par installer les pilotes et éléments nécessaires pour chacun des logiciels devant être pilotés par le P4, ici d’abord via l’installeur Panorama_P4_OSX_1.2.3.5.dmg. Il faut aussi effectuer la mise à jour du firmware si nécessaire. L’étape suivante est la mise en place des outils nécessaires via l’installeur Panorama_Apple_Support_1.0.5.dmg. Il suffit ensuite d’ouvrir Logic, de quitter la fenêtre Control Surface Setup qui peut s’ouvrir, d’aller dans le menu Logic Pro X>Control Surfaces et de choisir Rebuild Defaults. La procédure reste donc extrêmement simple.
Précisons tout de suite un point important : aimant le risque, on a testé le Panorama P4, en gardant et en utilisant conjointement un Nocturn de Novation et la Logic Remote disponible sur iPad. Et c’est avec étonnement que l’on a pu constater que tout fonctionnait correctement, sans problème d’interférences ou d’instabilité. Il va de soi qu’en cas de doute, tout a été désactivé pour ne garder que le Nektar. Et, évidemment, il ne faut pas chercher à donner des informations contraires au même réglage…
Autre point d’importance, le constructeur fournit un dossier comprenant les assignations de paramètres de plug-ins, à l’attention des utilisateurs ne souhaitant pas prendre de temps à le faire. Pour les autres, une application permettant le remapping des paramètres d’un plug-in, qu’il soit un effet ou un instrument, est aussi fournie, sous le nom de nkPanoramaLogic_Tool (l’installeur s’appelle lui Panorama Plugin Editor.app.zip). Cette application, l’équivalent d’un éditeur de « properties list » (listes de propriétés, de préférences) du type PlistEditor Pro, permet d’intervenir dans le fichier CSParameterOrder.plist afin de modifier l’assignation et l’ordre des paramètres. Là aussi, surpris de constater que l’interaction avec Automap n’est pas perturbée, et que l’on peut assigner librement ce que l’on veut où l’on veut pour l’un et l’autre des contrôleurs.
Bon à savoir : pour être reconnu et donc géré par l’éditeur fourni avec le Nektar, il faut que l’instrument/effet ait un fichier de préférences. Ce n’est pas forcément le cas de tous les logiciels de tierce partie (ceux d’Apple/Logic en incluent un d’office). Il suffit alors d’ouvrir dans Logic le plug-in qui n’apparaît pas dans la liste scannée par nkPanoramaLogic_Tool, et de sauvegarder le preset en cours à l’ouverture comme réglage par défaut (Save As Default dans le menu de la barre supérieure de l’interface Logic abritant le plug, pas dans le menu du plug lui-même), ce qui aura pour effet de créer le fichier .plist dans le même dossier. On refait ensuite un nouveau scan, et le plug apparaît dans la liste de l’éditeur… Le tout peut s’effectuer sans avoir à quitter quoi que ce soit, Logic, l’éditeur, l’Automap, la Remote, etc. Très efficace et très bien réalisé, bravo, avec cependant une réserve : il faudra sauvegarder tous les presets d’usine des plugs tierce partie sous le format .aupreset (celui géré par le menu de Logic), si l’on veut pouvoir naviguer via les touches dédiées du P4 (Bank et Patch).
Au cœur de la STAN
L’intégration est particulièrement bien pensée, la gestion de Logic s’effectuant selon plusieurs modes clairement identifiés et assignés (et l’on peut basculer très facilement de l’un à l’autre). D’abord les fonctions basiques, accessibles via les touches de transport et de navigation, avec basculement possible vers d’autres fonctions grâce à la touche F-Keys, qui permet d’envoyer des macros (combinaison de touches, attention, Qwerty, pas Azerty) et à la touche Shift. On bascule par exemple sur le Zoom à la place du Patch.
Ensuite viennent les modes de sélection/affichage proprement dits : Mixer, Instrument, Transport et Internal. Le dernier permet de passer en mode Midi générique, afin de prendre le contrôle de tout logiciel autre que ceux préassignés par Nektar. Les deux intermédiaires ne sont pas utilisés pour Logic (même si Instrument reflète certains paramètres de l’accès que l’on trouvera dans Mixer, voir plus
Le premier, Mixer, reflètera évidemment tout ce qui va se passer en termes de création de pistes, de Bus, d’Aux, de Master, etc. (on peut même utiliser les filtres de Logic pour l’affichage). Ce qui est d’abord affiché est l’assignation piste/fader/rotatif/bouton. Par défaut, le fader est assigné au volume (qu’il faudra « attraper », c’est-à-dire que le fader du P4 doit atteindre la position en cours de celui de la tranche avant d’entrer en action). Les boutons et potards rotatif dépendent eux du nombre de pressions sur les boutons Toggle. Ainsi le rotatif peut piloter le Pan ou les huit départs d’effet, et le bouton inférieur les Mute, Solo, Record Arm et Select (permettant de sélectionner des canaux sans pistes, par exemple).
Ensuite on trouve des boutons sous l’écran, qui auront une fonction différente suivant le menu. En mode Mixer, ils gèrent EQ, Sends, Inserts et Smart Controls. Une pression sur EQ ouvre le Channel EQ, et tous les paramètres sont mappés sur les huit rotatifs à droite de l’écran, les boutons sous ce dernier se transformant alors en sélecteur des types d’EQ/filtres disponibles dans le plug (HP, LP, Hi et Lo Shelf et les quatre paramétriques), les paramètres s’adaptant à la sélection. Sends permet évidemment de régler les départs d’effets, Inserts offre la possibilité de naviguer, via le rotatif Data, dans les différents plugs disponibles (parfois placés dans un ordre assez incompréhensible, telle marque se retrouvant au milieu des plugs d’une autre marque), grâce aux boutons Slots, Cancel, Load et Page. Pratique, mais parfois un peu long, notamment avec des produits type UAD, qui sont tous passés en revue, soient-ils activés ou non. Il est alors parfois plus rapide de revenir à l’interface de Logic même. Smart affiche évidemment les réglages prévus par Apple pour ses plugs, tout comme ceux que l’on peut paramétrer soi-même (Logic et tierce partie).
Enfin, on trouve un cinquième bouton, Instruments, qui reprend l’idée des Inserts pour les instruments virtuels, qu’ils soient ceux de Logic ou ceux d’autres éditeurs. Là encore, la navigation peut être compliquée suivant le nombre d’instruments, sachant que l’on passe parfois de la catégorie AU Instruments à celle des AU MIDI-controlled Effects. Mais une fois le plug sélectionné et validé, c’est un plaisir de pouvoir travailler quasiment tout de suite avec l’instrument, et retrouver des réflexes issus du monde analo avec les divers rotatifs et boutons. On rappelle que l’on gagnera beaucoup à éditer ses propres assignations via le logiciel fourni, afin de ne pas avoir à naviguer de page en page, qui peuvent parfois être très nombreuses suivant l’instrument/effet sélectionné.
Bilan
Le constructeur a réellement réussi son coup, la solution proposée étant diablement efficace tout en étant d’une très grande simplicité à mettre en œuvre. Et si l’on veut aller plus en profondeur, le logiciel d’assignation/modification des paramètres permet de configurer n’importe quel plug selon ses désirs (typiquement pour éviter de naviguer dans les nombreuses pages pour trouver les paramètres désirés et les plus souvent utilisés).
Quelques petites réserves, notamment concernant l’aftertouch qui ne se comporte pas de façon égale sur les touches blanches et les touches noires et la mobilisation de deux ports USB si l’on veut disposer du fader motorisé (qui est un réel bonus pour toutes les tâches de mixage).
Si l’on ne dispose d’aucune solution de contrôle, et que l’on veut un bon clavier, la réponse offerte par les Panorama est idéale (impeccable avec Logic, Mainstage, Reason, en ce qui concerne ce que l’on a vérifié ici). On se surprend à ne plus regarder son écran d’ordinateur et à naviguer quasi exclusivement dans les menus de l’écran (sauf exception mentionnée). Si l’on a déjà un équipement disparate, on peut aussi penser… à s’en séparer pour acquérir ce tout-en-un décidément bien tentant.