Lors du MusikMesse 2013, Softube attisait la curiosité du petit monde de l’audio pro en présentant un produit bien étrange : la Console 1.
Mêlant surface de contrôle et plug-in dédié, la Console 1 suscitait l’enthousiasme chez certains, trop heureux à l’idée de retrouver le confort d’utilisation propre au hardware dans le domaine numérique, alors que d’autres s’interrogeaient sur la pertinence d’un tel objet face à une surface de contrôle générique. Près d’un an plus tard, l’engin débarque enfin dans le commerce. Il est donc grand temps pour nous de dresser un portrait-robot de la bête…
Please allow me to introduce myself
Pour ceux qui n’auraient pas suivi, la Console 1 est une surface de contrôle hardware pilotant un plug-in dédié qui simule des tranches de console de renom. Actuellement, seule une modélisation d’une tranche SSL 4000 E est disponible, mais d’autres devraient voir le jour dans un avenir proche. Notez que ces nouvelles modélisations seront payantes et que l’interface hardware n’est qu’une surface de contrôle, elle n’embarque pas de DSP. C’est donc votre ordinateur qui sera chargé de faire tourner le plug-in.
La Console 1 est livrée dans un joli packaging contenant le strict minimum : le contrôleur hardware bien sûr, un câble USB bien trop court, et enfin une simple feuille A4 avec les instructions d’installation. Rendez-vous donc sur le site de Softube pour s’enregistrer, récupérer l’installeur ainsi que le manuel (en anglais). Il faudra ensuite autoriser le plug-in sur votre compte iLok. N’ayez crainte, nul besoin du fameux dongle USB en sus, l’autorisation sera liée directement à votre ordinateur. Bref, si vous possédez une bonne connexion internet, l’installation se passera sans anicroche. Quelques bémols cependant, le logiciel d’installation pèse 1 Go une fois décompressé. Pourquoi un tel poids ? Tout simplement parce qu’il contient l’ensemble des plug-ins de l’éditeur. Moralité, si vous ne possédez aucun autre produit de la marque, vous aurez tout de même 1 Go d’espace disque dévoré pour rien… Autre souci, à ce jour seules les bécanes estampillées d’une pomme pourront profiter de la bête. Une version compatible Windows devrait voir le jour sous peu, mais pour l’instant c’est Apple ou rien.
Avant de passer à la suite, un petit mot concernant l’aspect du contrôleur physique. Son design est tout simplement magnifique. Tout de métal vêtu, il transpire la solidité et inspire indéniablement confiance. Les potentiomètres et autres boutons sont très agréables au toucher. Seul reproche, la résistance des potards est légèrement inégale de l’un à l’autre, nous verrons par la suite que cela n’est nullement gênant.
Bref, branchons donc la Console 1 à notre station de travail pour voir ce qu’elle a dans le ventre. La bête étant alimentée via USB, elle s’illumine directement et lance le logiciel « Console 1 On-Screen Display » dont nous reparlerons plus tard…
A man of wealth and taste
Une fois n’est pas coutume, nous allons passer directement aux exemples sonores avant de parler de l’aspect contrôleur. Spoiler alert : ça sonne du feu de Dieu ! En même temps, ce n’est pas très surprenant tant l’éditeur suédois nous a habitués depuis ses débuts à des plug-ins largement au-dessus de la moyenne.
En ce qui concerne le plug-in qui nous intéresse aujourd’hui, il s’agit de la modélisation d’une tranche de console SSL 4000 E avec quelques petits « plus » signés Softube. La 4000 E est réputée pour avoir un son transparent et une dynamique exceptionnelle qui fait la gloire de la signature sonore SSL. Softube a modélisé la section d’entrée avec gestion du gain d’entrée, possibilité d’inverser la phase, filtres passe-haut et passe-bas, l’égaliseur 4 bandes, le compresseur, et la section de sortie avec gestion du niveau, du panoramique, les mute et solo, ainsi que des réglages Drive et Character permettant de doser la « coloration analogique » du signal. À cela s’ajoute une section Shape absente de la console originale. Cette dernière offre un Gate bien pratique malgré des réglages succincts, ainsi qu’un Transient Designer du plus bel effet avec réglage du Sustain et du Punch. Tout ce beau monde est diablement efficace, comme en attestent les exemples suivants.
Commençons par la couleur sonore gérée via les potards Drive et Character sur une ligne de synthé manquant cruellement de caractère. Le paramètre Drive augmente la distorsion harmonique, Character, quant à lui, cible la zone du spectre où la distorsion apparaît : plus on tourne à droite, plus le haut médium est affecté, plus on tourne à gauche, plus le bas s’épaissit. À noter qu’un Drive à 5 et un Character à 0 (position centrale) correspond exactement au comportement de la console d’origine. D’autre part, sachez que pour bien illustrer le propos, nous y sommes allés un poil fort sur certains extraits, gare aux oreilles donc !
- 01 Synth dry 00:17
- 02 Synth Drive 5 Ch 0 00:17
- 03 Synth Drive 5 Ch 10 00:17
- 04 Synth Drive 5 Ch 10 00:17
- 05 Synth Drive 10 Ch 0 00:17
- 06 Synth Drive 10 Ch 10 00:17
- 07 Synth Drive 10 Ch 10 00:17
- 08 Synth ideal 00:17
Avouez qu’il y a de quoi faire ! Passons maintenant à une ligne de synthé basse. Vous constaterez qu’avec l’EQ et la distorsion harmonique, il est possible de complètement transfigurer le signal source, un régal !
- 09 Bass dry 00:07
- 10 Bass wet 1 00:07
- 11 Bass wet 2 00:07
- 12 Bass wet 3 00:07
Voyons voir ce que nous pouvons faire sur une batterie avec tout d’abord la grosse caisse.
- 13 Kick dry 00:11
- 14 Kick wet 00:11
Ici, tout est mis à contribution pour « moderniser » le kick. Un peu moins de sustain et un poil de punch en plus pour le rendre plus solide, une touche d’égalisation pour qu’il ne se batte pas avec la basse, un peu de compression pour plus de consistance, et pour finir une légère dose de distorsion harmonique sauce SSL qui liera le son avec le reste du kit batterie.
Pour la caisse claire, même punition.
- 15 Snare dry 00:11
- 16 Snare wet 00:11
La touche finale est donnée sur le bus de batterie. Le premier extrait est la batterie avec aucune instance du plug-in, le second avec la grosse caisse et la caisse claire traitées comme précédemment, enfin, le troisième illustre l’emploi d’une légère égalisation sur le bus ainsi qu’une bonne dose de compression parallèle, gérée directement via le plug s’il vous plaît !
- 17 Drums dry 00:11
- 18 Drums wet 00:11
- 19 Drums wet 2 00:11
Pour finir, voici un titre uniquement mixé avec cette SSL 4000 E virtuelle et une petite réverbération. Une instance du plug-in a été utilisée sur chacune des tranches, bus batterie, auxiliaire et master compris.
- 20 Call it even dry 00:33
- 21 Call it even wet 00:34
Le résultat est plus que satisfaisant et nous n’aurions aucun mal à mixer tous nos titres avec seulement cette tranche de console sur chaque piste tant cela sonne ! D’autant que la latence propre au plug-in est remarquablement faible (4 samples à 44.1 et 48 kHz, 0 sample à 88.1 et 96 kHz) et que la consommation CPU est suffisamment basse pour permettre à un ordinateur relativement récent (Intel Core i5 ou i7) d’en utiliser une bonne centaine avant décrochage.
The nature of my game
La question des qualités sonores de la bête étant réglée, passons maintenant à la suite, à savoir l’utilisation du couple hardware/software. Avec un nom pareil, l’ambition de la Console 1 est clairement de nous redonner le goût du mixage à l’ancienne, à une époque où les yeux n’intervenaient que très peu dans le processus. Alors, peut-on se passer de notre clavier, de notre souris et de notre écran grâce à cet engin infernal ? Malgré la possibilité de piloter le plug-in dans son ensemble via le contrôleur, des LEDs à foison et une sérigraphie exhaustive, la réponse est claire et sans appel : non. Et ce, pour plusieurs raisons que nous allons détailler…
Tout d’abord, sachez que la Console 1 n’intègre aucune solution pour piloter la section transport de votre DAW, ce qui oblige à avoir recours à un autre système, que ce soit une autre surface de contrôle ou de bêtes raccourcis clavier.
Ensuite, nulle trace d’un quelconque moyen pour gérer les envois vers des auxiliaires. Là encore, il faudra faire appel à un autre contrôleur ou attraper votre souris.
D’autre part, le contrôleur hardware ne dispose d’aucun écran LCD. Moralité, comme il est conseillé de placer une instance du plug-in sur chacune de vos pistes et même si la rangée supérieure comprend des boutons afin de passer d’une piste à l’autre, pour savoir sur quelle piste vous travaillez, il faut soit une très bonne mémoire, soit passer par le logiciel « Console 1 On-Screen Display ». Ce dernier affiche sur toute la surface de votre écran d’ordinateur l’ensemble des réglages et le nom de la piste actuelle avec de belles figures et des valeurs chiffrées ainsi qu’un bandeau inférieur présentant toutes les pistes ayant le plug-in en insert avec leur niveau, leur numéro de piste et leur nom. À ce propos, ce logiciel est censé récupérer automatiquement le nom de vos pistes au sein de votre DAW grâce au plug-in. Dans les faits, cette fonction ne marche qu’avec Studio One et Cubase à ce jour, pour toutes les autres DAW, il vous faudra renommer une à une les instances du plug-in. Ce défaut n’est cependant pas directement imputable à Softube puisqu’il semble que cette fonction doit être implémentée directement au niveau du DAW, c’est donc à Digidesign, Apple et consort d’agir à ce niveau-là. Il n’empêche que c’est rudement embêtant. D’autant que si vous ajoutez en cours de route au sein de votre DAW une nouvelle piste avec le plug-in entre deux autres pistes, cette dernière ne s’intercalera pas au bon endroit dans le « Console 1 On-Screen Display », elle se retrouvera immanquablement en dernière position, ce qui met une sacrée pagaille ! Ajoutez à cela que la sélection d’une piste via le contrôleur hardware ne sélectionne pas cette même piste dans votre DAW et vous aurez de quoi avoir envie de manger votre chapeau.
Bon, nous noircissons ici le trait car une fois que l’on s’est habitué à ce système de fonctionnement, l’utilisation n’est pas si cauchemardesque que ça. Notez tout de même qu’il est impossible de se passer du « Console 1 On-Screen Display ». Heureusement, il s’affiche et se masque directement via le bouton idoine du contrôleur. Il y a même une fonction automatique qui affiche le logiciel dès que vous modifiez un réglage et le masque par la suite. Cependant, elle est peu fonctionnelle car elle n’affiche l’interface que peu de temps et comme les potentiomètres ne sont pas sensibles au toucher, il faut réellement modifier un réglage, pas juste le toucher… Ce problème intervient d’ailleurs également en cas d’automation, au revoir le mode Touch.
Autre point contrariant, la gestion du panoramique, du volume de sortie, du mute et du solo est interne au plug-in. Autrement dit, ça ne pilote pas les fonctions réciproques de votre DAW, ce qui pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, lors d’une mise en solo d’une piste via la surface de contrôle, les pistes de votre projet ne disposant pas du plug-in en insert ne seront pas coupées. De plus, même vos instruments mono utilisant Console 1 doivent se trouver sur une piste stéréo afin de profiter de la gestion du panoramique via le contrôleur. Enfin, les changements du volume de sortie du plug-in affecteront les plug-ins suivants dans la chaîne d’insert, ce qui n’est pas forcément gênant mais il faut bien en avoir conscience.
Dans la série des choses énervantes, la Console 1 dispose d’une fonction d’historique d’annulation infinie, ce qui devrait être un bon point. Toutefois, elle est quasi-inutilisable en l’état tant il est difficile de se rendre compte de ce que l’on annule. D’autre part, si le contrôleur dispose de boutons d’activation/bypass pour les sections Shape, EQ et Compresseur, il en manque un pour les filtres en entrée ainsi que pour le bypass global, ce dernier faisant cruellement défaut.
Autre détail incompréhensible, si Console 1 n’a pour l’instant qu’une seule émulation de console, il est tout de même possible d’y intégrer les autres égaliseurs et compresseurs signés Softube, ce qui est une très bonne chose… Sauf qu’il est alors absolument nécessaire d’avoir une clé iLok pour l’autorisation de ces derniers. N’aurait-il pas été possible au contrôleur hardware de faire office de dongle afin d’économiser un port USB ?
Enfin, sachez qu’il vous sera possible d’ouvrir et de modifier vos sessions utilisant Console 1 même si la surface de contrôle n’est pas connectée à votre ordinateur. Pour ce faire, le plug-in propose une interface graphique autorisant la modification des réglages. Cependant, cette interface est tellement minuscule qu’elle est difficilement utilisable.
Il y aurait encore beaucoup à dire du côté obscur de la force, par exemple la bataille pour retrouver la fenêtre de sauvegarde de presets lorsque le « Console 1 On-Screen Display » est ouvert, la gestion de la fonction Solo Safe qui ne se fait que par le plug-in et qui s’enregistre avec les presets de ChannelStrip, ou bien encore le mode MIDI du contrôleur censé permettre l’utilisation de ce dernier avec d’autres plug-ins mais qui n’est absolument pas documenté.
Cependant, avant de conclure cet article, nous vous proposons une petite liste non exhaustive des points positifs. Il y a tout d’abord l’agencement clair de la surface de contrôle avec des fonctions secondaires très utiles comme la duplication de tout ou partie des réglages d’une piste vers une autre piste, la sauvegarde et le rappel de presets indépendants pour chaque module, le bouton All permettant d’agir sur l’ensemble des pistes simultanément, ou bien encore le bouton Group autorisant la création d’un groupe de pistes temporaire afin d’en modifier les réglages. Les crêtemètres à LEDs pour les niveaux d’entrée et de sortie (en stéréo s’il vous plaît !) sont, quant à eux, d’une lisibilité exemplaire. Le changement de routing entre les modules d’EQ, de Shape et de compression d’un simple clic sur un bouton est lui aussi un véritable régal. Enfin, la fonction de sidechain en interne ou en externe est également très bien pensée.
Trap for troubadors
Le pari était ambitieux, mais malgré des qualités sonores indéniables, il nous semble tout de même que la Console 1 ne tient pas toutes ses promesses, surtout à ce tarif. Si son utilisation au quotidien n’est pas franchement désagréable, surtout en regard des mixages obtenus, il n’en reste pas moins que ses nombreux manquements sont frustrants tant l’idée était belle. Nous espérons que le succès de la bête permettra à Softube de sortir dans un avenir proche une version 2.0 qui comblera toutes nos attentes.
Addendum
Suite à un échange de mail avec Henrik de Softube, que je remercie au passage pour sa disponibilité et son ouverture d’esprit, il semble nécessaire d’ajouter un point à cet article. La Console 1 n’a jamais eu la prétention d’être une surface de contrôle pour DAW, contrairement à ce que pourrait laisser croire ma remarque concernant l’absence d’une section de transport. Je soulignais juste cet aspect dans le sens où cette absence nécessite le recours à la souris, au clavier, ou à une autre surface de contrôle malgré l’utilisation de la Console 1. J’espère que ceci clarifiera les choses pour certains.
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