La fonction crée-t-elle l’outil, l’outil crée-t-il la fonction ? Comment gérer l’audio multipiste quand on n’est a priori pas formé à cet effet ? Conçu à destination des journalistes, Hindenburg Journalist Pro répond à ces questions, et pourrait bien s’inviter dans notre monde de musiciens.
Les temps changent, nous sommes en cours de glissement à la fois sociétal et technique, et de nombreuses catégories socio-professionnelles sont confrontées à des bouleversements qui ont pour diverses origines la crise, l’appât du toujours plus de gain ou des changements techniques profonds, origines qui peuvent être prises indépendamment ou agir de façon combinée. Peut-être cela vous semblera-t-il bizarre qu’un papier sur Audiofanzine commence ainsi, mais tous les progrès que nous vivons en matière d’audionumérique, de mise en place généralisée d’Internet (du moins dans les pays dits développés…), de nouveaux canaux de diffusion ont un sérieux impact sur tous les métiers de la chaîne de production de musique et d’audiovisuel, que ces deux derniers soient ludiques, culturels ou informatifs.
Avec en particulier un aspect très important, celui de « l’homme à tout faire ». Là où il fallait une équipe entière pour produire une musique de film, on a tendance à tout placer sur les épaules du compositeur, qui doit parfois maîtriser tous les aspects, de l’écriture (normal), à l’enregistrement, en passant par le maquettage, la copie, etc. Et un domaine subit en particulier cette tendance, celui du journalisme, notamment depuis l’arrivée des médias en ligne, du reportage multimédia aux web-documentaires (un secteur, comme on dit, en plein développement).
|
Et s’il peut sembler logique qu’un musicien/compositeur d’aujourd’hui s’intéresse aux techniques de l’audionumérique, voire les maîtrise, ce n’est pas aussi évident pour un journaliste, dont le cœur de métier est avant tout l’écriture, mais à qui on va de plus en plus demander de savoir tourner, enregistrer, monter et mixer. Si certaines applications de montage se sont rendues plus accessibles, l’image étant aussi plus facile à appréhender, le son reste encore pour beaucoup un mystère. Hindenburg, éditeur nouvellement arrivé, propose avec Hindenburg Journalist Pro une approche totalement différente pour les néophytes que sont la quasi-totalité des journalistes (et qui pourrait aussi rendre service aux musiciens que nous sommes).
Introducing Hindenburg Journalist Pro
Le logiciel n’est disponible que via téléchargement, sur le site de l’éditeur. Il est décliné en deux versions, Journalist (85 euros) et Journalist Pro (350 euros), ainsi qu’en une application pour iPhone, iPod Touch et iPad (à partir d’iOS 4.3), Field Recorder (26,99 euros), qui permet l’échange entre les sessions enregistrées sur l’iDevice et un ordinateur. On trouvera une page de comparaison de fonctions à cette adresse.
Le logiciel est compatible Mac PowerPC et Intel, un Go de Ram minimum et à partir d’OS 10.4 et PC, même quantité de Ram, à partir de Pentium III, sous Windows XP, Vista ou 7. On apprécie le fait de pouvoir utiliser des bécanes âgées, ainsi que le faible besoin en CPU et RAM, ce qui permet de réserver facilement un portable que l’on penserait obsolète vu les exigences actuelles des logiciels pour en faire une station dédiée (ou d’en acheter un d’occasion).
Téléchargement et installation rapides (le fichier ne pèse qu’un peu plus de 5 Mo), autorisation via adresse mail et le code fourni lors de l’achat (on peut ainsi autoriser plusieurs bécanes, deux dans mon cas), via AppleStore pour l’application iPhone/iPad. Il existe même une version Lite de Field Recorder, pleinement fonctionnelle, on ne peut simplement pas enregistrer plus d’une minute d’affilée.
Le concept
Le but est de simplifier au maximum le travail de la personne utilisant Hindenburg Journalist Pro (HJP dorénavant), sans pour autant que cela limite le potentiel du logiciel, comme on le verra. Tout tient d’abord dans une unique fenêtre, au sein de laquelle on fera apparaître à volonté différentes sections. Commençons par ouvrir un projet. Automatiquement, celui-ci affiche quatre pistes, Speak, Interview, Ambience et Music (le logiciel est localisé en français, je l’utilise ici en anglais pour des raisons pratiques). La présentation est très simple et logique, barre d’outils en haut, timeline, à gauche les en-têtes de pistes avec champ pour le nom (modifiable), curseurs de volume et panoramique, boutons d’enregistrement, mute, solo, d’accès à la fenêtre d’effets (quatre simultanés par piste) et un dernier d’accès à un menu d’actions. À droite, le Clipboard, divisé en quatre groupes (on peut en créer jusqu’à dix via les Properties du logiciel) que l’on peut renommer, et dans lesquels on répartira les fichiers en fonction de leur appartenance à une piste, par exemple. Tout en bas, la barre de transport, les crêtes-mètres et l’afficheur temporel (h:mn:s:ms).
On peut rajouter divers éléments, notamment une horloge, une fenêtre pour les marqueurs, une autre pour les chapitres, un équivalent au presse-papier nommé Favorites et un Call Recorder, qui permet d’enregistrer les appels passés via Skype (on peut aussi faire entendre à l’interlocuteur des extraits sonores), de composer les numéros directement depuis l’interface, avec crête-mètres séparés pour la voix de l’utilisateur et celle de son interlocuteur, un module parfaitement conçu pour les interviews à distance, bravo. Chacun de ces éléments peut être affiché en fenêtre flottante (tout comme le Clipboard, via une petite icône) et on peut les placer à différents endroits de la fenêtre, une zone bleu-violet apparaissant pour indiquer les emplacements possibles.
L’import d’audio se fera soit en enregistrement directement sur la piste concernée, soit via l’application iPhone, soit depuis iTunes, le bureau ou n’importe quel dossier, soit depuis un CD. HDJ regroupe dans un dossier les différentes sources lors de la première sauvegarde. Notons aussi que le logiciel effectue un Autosave toutes les minutes, ce que l’on apprécierait sur toutes les applications pro (un gros appel du pied à Apple pour Logic, qui a perdu au fil des mises à jour cette fonction…). La sélection de l’audio se fait par un simple cliqué-tiré, deux marqueurs de sélection rouge et vert se matérialisant alors. Grâce aux raccourcis clavier, la lecture se fera complète, sur la sélection, excluant la sélection, en mode Scrub, etc. On dispose même d’un vari-speed en temps réel (de 0,3 à 3 fois la vitesse d’origine). Tout ceci, ainsi que les fonctions d’édition, s’utilise de façon très ergonomique, sans menu sans fin et combinaison de raccourcis complexes, et l’on se prend à rêver d’une telle simplicité sur certains logiciels pro, dont les mises à jour successives semblent oublier la nécessaire simplicité/ergonomie sous prétexte de nouveautés (par ailleurs pas toujours indispensables).
Simplicité avant tout
Le petit film montre la rapidité et la facilité avec lesquelles on importe un fichier et on le modifie, ici en créant rapidement des changements de volume avec pentes de volume, simplement grâce à la sélection effectuée. On aura aussi noté ce qui fait la particularité du logiciel, l’ajustement automatique du volume du fichier dès son import. En effet, HJP analyse et ajuste automatiquement les fichiers selon qu’il s’agisse de voix ou de musique (la fonction est désactivable et peut être effectuée après import, en fonction des nouvelles normes EBU R-128, afin de garantir une réponse parfaite aux nouveaux standards de diffusion basés sur la Loudness Normalisation (voir aussi le test du Flux PAS). D’abord, on sélectionnera le type de média de destination (Station Profile, EU, UK ou US), puisque les standards sont différents (on va bien arriver à une unité mondiale, un jour…), ce qui aura aussi une incidence sur l’affichage/calibrage du crête-mètre situé en bas de la fenêtre.
En mode EU qui nous concerne donc, les crêtes vocales ne dépasseront pas –21 LUFS et la musique sera descendue à –23 LUFS, afin de répondre aux normes établies et à venir (mesurées sur le Digital QPPM du logiciel à – 9 en mode EU).
On imagine sans aucun problème la simplification du processus de mixage pour les journalistes néophytes en son (une fois compris qu’il faut baisser le volume des pistes sous la voix…), et le gain de temps apporté à un pro du son : on monte tous les éléments nécessaires à la bande-son d’un documentaire, d’un podcast, d’une émission de radio, pourvu qu’ils soient mono ou stéréo (le surround et toute espèce de multicanal demandant bien entendu des approches et donc des outils plus complexes), c’est-à-dire incluant les voix, les ambiances, les effets et la musique, tous les niveaux sont ajustés automatiquement de façon à être individuellement adaptés à la norme (ce n’est en effet pas l’ensemble du mixage qui est normalisé, distinction importante), et il ne reste plus qu’à mixer (en creux). Mixer une musique sous une voix se fait donc en un rien de temps, sans avoir à utiliser une (horrible) compression via sidechain, ce qui est en passe de malheureusement devenir la norme chez de nombreux diffuseurs ou mixeurs image. Une petite vidéo vous en apprendra plus.
Sachant que toutes les pistes peuvent utiliser jusqu’à quatre effets, ainsi que la piste Master, on peut aisément imaginer pouvoir effectuer du mix correctement (pour le type de production approprié, bien sûr, je ne vois pas un album réalisé dans HJP…) avec une qualité sonore irréprochable. Le logiciel gérant parfaitement les AudioUnits, une solution portable plus HJP plus Apollo par exemple est tout à fait cohérente et d’une efficacité redoutable. À propos de la gestion des AU, petite anecdote montrant le niveau de réactivité de l’éditeur : mes plugs Audioease faisaient planter le logiciel, certains autres (PSP, Apple, etc.) ne montraient qu’une GUI minimum (celle par défaut avec les sliders horizontaux). Prévenu du problème, l’éditeur me faisait parvenir une bêta le lendemain, qui résolvait le problème sans montrer pour autant une quelconque instabilité. Cela ne veut pas dire que tout sera réglé aussi rapidement, bien sûr, mais cela montre le degré d’attention.
Concernant les plugs, l’éditeur en fournit quelques-uns, toujours avec cette recherche de simplicité : ainsi, le Compressor ne dispose que d’un seul bouton, ce qui ne l’empêche pas d’être efficace (si l’on tient compte du support visé). Pareil pour l’EQ, trois boutons Low, Mid et High, et la possibilité de dessiner (plus ou moins) la courbe désirée dans l’écran. Un BBC Meter est aussi disponible si l’on souhaite travailler en UK Mode. Très intéressant, le Loudness Meter intégré, offrant les deux échelles EBU (+9 et +18), cinq mesures en LUFS (Short Term, Integrated, etc.), le Loudness Range en LU et le Maximum True Peak. Quand on sait le tarif pratiqué par les éditeurs sur ce type d’outil de mesure, qui devient nécessaire à tout professionnel vu les changements de norme, et que l’on en dispose ici gratuitement, on peut réfléchir à la justesse dudit tarif…
Autre outil intéressant, mais qui peut aussi être source de gros problèmes entre des mains inexpérimentées (d’où un avis mitigé sur son intégration ici), le Voice Profile, qui permet d’appliquer à un fichier les caractéristiques soniques d’un autre fichier (via EQ et compression).
Et je ne vous parle pas de la reconnaissance des marqueurs placés dans un autre logiciel et de leur transformation en marqueurs ou chapitres, de la facilité avec laquelle on peut publier un mixage sur Soundcloud, un FTP, en tant que podcast selon différents codecs, les options d’export audio (y compris en BWF), les échanges avec iPhone, etc.
Bilan
Il faut voir ce logiciel sous deux angles : sous celui du journaliste, cherchant à fait face aux différentes contraintes d’un métier en bascule totale, la conception et la réalisation d’HJP sont proches du sans faute, tant la chaîne acquisition(iPhone, direct, Skype, etc.)-mixage avec mise à niveaux standards automatique-publication/export est d’une simplicité répondant parfaitement au peu de connaissances sur le métier de l’audio de la quasi-totalité de la profession.
Et sous celui du professionnel de l’audio, qui ne peut qu’espérer voir de tels concepts être intégrés à des DAW pro. Rêvons d’un HJP gérant la vidéo et le MIDI, dont l’ergonomie n’aura rien à envier à sa puissance, par exemple.
Quelques petits reproches : un décalage, parfois, entre la visualisation de la forme d’onde et sa lecture (rattrapé dès modification du zoom ou rafraîchissement de la fenêtre), pas de possibilité de déplacer la tête de lecture via le compteur en cliquant-tirant sur un chiffre (il faut rentrer la valeur via le clavier), pas de possibilité d’entrer de valeur dans le compteur pour déplacer les marqueurs de sélection. Mais rien de réellement rédhibitoire.
Pour comprendre comment ce logiciel pourrait influencer nos bonnes vieilles DAW, ou prendre en main un outil dédié en priorité aux journalistes et ajouter une corde à votre arc, une démo complète limitée à 30 jours est disponible sur le site de l’éditeur.