L’éditeur phare de Steinberg revient dans une version 12 qui montre à n’en pas douter que tous comme les petits ruisseaux font les grandes rivières, les petits changements font les belles versions….
Si nombres de home studistes ou d’ingénieurs du son se contentent au quotidien des fonctions d’édition plus ou moins avancées qui leur sont proposées dans leur STAN, il n’en reste pas moins que l’usage d’un véritable éditeur audionumérique s’impose dans bien des tâches qui réclament une grande précision ou des fonctionnalités particulières comme le mastering, la restauration ou encore l’édition de samples. Et sur ce marché, force est de constater que Wavelab est une solide référence sinon LA référence vers laquelle se tournent les professionnels de l’audio, parce qu’au fil des versions, Steinberg a eu à cœur de faire évoluer son logiciel tandis que ses concurrents directs s’orientent plus vers le son à l’image (Adobe Audition) ou peinent à se réinventer (Magix Soundforge).
Bref, il va sans dire que ce nouveau Wavelab était attendu, sachant qu’après une excellente version 10 comblant des lacunes et apportant quantité de fonctionnalités importantes, une version 11 montrant des avancées significatives du côté
du multicanal, des automations ou de la restauration, on se demande bien ce que nous réserve Philippe Goutier pour cette V12…
L’installation faite, on clique donc sur l’icône verte pour se retrouver en territoire connu…
Retour dans le Lab
Les changements sont visibles dès le lancement du logiciel puisqu’on dispose d’un nouvel assistant de démarrage plus complet et intégrant désormais un hub de ressources en provenance du web (tutos, news, etc.) en regard des liens nécessaires vers le manuel, les offres, les forums, le support : voici qui simplifie la vie de l’utilisateur… Passé ce dernier, on retrouve l’interface du logiciel telle qu’on la connait depuis sa refonte en version 9. On reste en effet dans les mêmes tons anthracite, bleus et blancs que sur les versions précédentes, avec des textes et des icônes bien contrastés et une organisation de la barre des commandes en neuf panneaux façon Microsoft Office : Fichier, Vue, Éditer, Insérer, Traiter, Correction, Spectre, Analyser, Rendre.
Au bas de la fenêtre principale, on repère d’emblée toutefois un nouveau mode de visualisation « arc-en-ciel ». Dans ce dernier, la forme d’onde devient multicolore, les couleurs variant en fonction du contenu spectral du signal. L’idée n’est pas neuve car elle existe depuis longtemps déjà dans Samplitude ou encore Traktor, mais elle n’en est pas moins excellente et n’a rien d’un gadget à l’usage. Du premier coup d’œil, on repère ainsi le registre d’un instrument par exemple, mais on peut aussi, en fonction du paramétrage de cette coloration, s’en servir pour mettre en exergue des éléments ou des problèmes particuliers comme un kick ou des fréquences à déesser ou à couper dans le bas par exemple. De fait, on voit immédiatement là où il faut agir et le gain de temps qui en découle est appréciable.
Mais ce n’est pas là la seule aide qui nous est proposée en termes de navigation car on dispose aussi désormais de marqueurs de transitoires automatiques : Wavelab détecte les transitoires et vous pouvez non seulement repérer ces dernières visuellement, vous en servir pour magnétiser vos sélections mais aussi passer de l’une à l’autre via la touche Tab. Et faisant cela, vous pourrez également tirer parti d’une fonction de zoom automatique sur les crêtes, ou encore disposer d’un défilement et d’un zoom synchronisé sur plusieurs fichiers en même temps pour en simplifier la comparaison. Enfin, on peut également passer plus simplement d’un point à l’autre d’une enveloppe d’automation. Bref, on sent que des efforts ont été faits pour que l’on passe moins de temps à naviguer, chercher, sélectionner pour qu’à la fin, on gagne en efficacité. Ne manque à tout cela qu’un module de reconnaissance vocale qui simplifierait le déplacement dans de longs enregistrements vocaux (interviews, audiobooks, bande son de film, etc.), comme on en trouve dans RX par exemple…
Ah ça ARA, ça ARA, ça ARA
La grosse nouveauté, du moins celle que de nombreux utilisateurs attendaient, c’est le support d’ARA, le format logiciel mis au point par Celemony et qui permet une intégration poussée des logiciels entre eux.
Or, c’est en l’occurence ici une semi-déception car si Wavelab peut désormais être utilisé comme application ARA dans les logiciels compatibles (Cubase, Nuendo, Studio One, Reaper…), il n’est toujours pas en mesure lui-même de gérer des applications ARA en son sein. Ceux qui espéraient une meilleure intégration de Spectralayers, Izotope RX ou Melodyne dans Wavelab devront donc toujours se contenter de l’aptitude à dialoguer avec ces logiciels par des biais un peu plus rudimentaires en les déclarant comme éditeurs externes : Wavelab se débrouille alors tout de même pour exporter ses données vers le logiciel et pour récupérer ce qui y est fait lorsque vous le sauvegardez. Ne boudons pas toutefois le plaisir de pouvoir intégrer Wavelab à nos STAN car disposer d’un tel éditeur parfaitement intégré étend singulièrement leurs capacités dans les domaines du mastering, de la restauration et de l’analyse.
On appréciera d’autant plus cette avancée que Steinberg a aussi planché sur les échanges entre applications par copié/collé ou cliqué-glissé. De la sorte, le simple fait de glisser sur le bureau ou dans un répertoire une sélection faite dans un document génère un fichier : dur de faire plus intuitif pour un export rapide… Et puisqu’on parle de copié-collé, il est à noter que le collage peut désormais automatiser un fondu si besoin, que Wavelab peut remplacer le fichier audio de plusieurs clips en une seule fois, ou encore qu’on peut répliquer simplement les réglages d’un plug-in vers d’autres instances de ce dernier.
Le doigt sur le volume
La gestion du volume avance par ailleurs sur quantité de points, notamment en termes d’analyse : on peut ainsi générer des rapports pour voir en un coup d’œil si un projet est bien dans les clous des normes qu’on s’est fixées. En vis-à-vis de cela, le méta-normaliseur permet de définir le volume du clip actif tout en adaptant celui des autres, par exemple, tandis qu’une compensation de gain entre des pistes de références et la sortie du logiciel simplifie la comparaison avant/après traitement et qu’on dispose de réglages pré-gain et post-gain à chaque étape du montage audio.
Toujours pour bien juger de la pertinence de ce qu’on a fait, une nouvelle piste Null Test permet de confronter deux signaux en opposition de phase, sachant que le résidu pourra vous renseigner sur certains aspects de votre master et des traitements que vous lui avez appliqués. C’est idéal pour juger de l’impact d’un encodage destructif par exemple, d’autant que l’alignement des fichiers a été revu pour être plus simple et plus efficace…
Et tout aussi utile sinon plus en termes d’écoute critique, cinq filtres vous permettent désormais d’écouter votre montage comme votre piste de référence par bandes paramétrables, afin de réaliser des comparaisons A/B sur des registres spectraux spécifiques. C’est le genre de fonctions auxquelles on pouvait accéder via des plug-ins de tierce partie, mais en disposer de base dans le logiciel est plus qu’appréciable, tout comme de pouvoir passer d’un seul clic d’une configuration de monitoring à une autre…
Une foule de petites choses pourraient encore être mentionnées, comme l’import/export au format Opus (un format audio lossless offrant des meilleures performances que le MP3, l’AAC et le HE-AAC), la création de fichiers de chapitrage compatibles avec YouTube et Spotify à partir des marqueurs intégrés aux fichiers audio et aux montages, l’import de marqueurs à partir de documents CSV, des nouvelles possibilités simplifiant la génération de noms de fichier, ou le mode sans échec qui ouvre un projet sans charger les plug-ins qu’il utilise… Et iI y aurait encore des dizaines de choses à mentionner comme cela, qui montre clairement que cette version 12 n’a pas eu pour objet de révolutionner Wavelab, mais de répondre aux désidératas de ses utilisateurs les plus pros en leur proposant 1001 petites améliorations qui changeront tout en termes de productivité.
En quête de simplicité
De ce fait, on ne peut que féliciter Philippe Goutier pour cette démarche de satisfaire le public extrêmement varié de Wavelab (bien au-delà des applications musicales, on l’utilise en effet dans quantité de domaines de la recherche ou de l’industrie), même si l’on pourra toujours reprocher le côté « usine à gaz » de son interface très Microsoftienne (l’organisation par bandeau fait penser à la suite Office), sachant que le logiciel n’est jamais avare de fenêtres, panneaux et assistants bardés d’options pour faire ceci ou cela, conférant à Wavelab un abord relativement touffu qui s’accommode mal d’une utilisation sur portable et appelle le confort d’un grand écran…
Tout en notant qu’un millier d’infobulles a été ajouté pour simplifier la prise en main, gageons que c’est là le pendant de la richesse fonctionnelle du soft, même si bien des pans sont dotés d’une ergonomie laborieuse comme l’organisation des plug-ins : pour peu que vous disposiez de quelques centaines de plug-ins (ce qui n’a rien d’exceptionnel quand on acheté quelques bundles chez Waves, IK ou Slate, par exemple), prévoyez quelques heures à passer pour organiser vos plug-ins dans une arborescence potable, sachant que le niveau de complication de l’interface est d’une rare complexité tout en étant limité fonctionnellement : le logiciel nous oblige à un moment à un classement par marque qui n’a pas vraiment de sens en termes de productivité, alors qu’on voudrait juste un système simple pour créer des catégories et des sous-catégories sur plusieurs niveaux dans lesquelles on distribuerait simplement les plug-ins par cliquer-glisser…
Même s’il est moins laborieux, on pourrait aussi râler sur le découpage « automatique » d’une boucle en fonction des transitoires. Via un assistant, il faut en effet choisir des paramètres au cours de 6 étapes (6 !), sans possibilité de voir avant la fin du traitement si le seuil de sensibilité qu’on a défini à l’aveugle à l’étape 3 est ou non le bon : quand on se souvient qu’un simple curseur suffit à visualiser le découpage en amont de tout export dans quantité de logiciels du marché, on se dit que Wavelab pourrait aisément mieux faire pour faciliter la vie des créateurs de samples. Et on se le dit à plus forte raison quand Cubase fonctionne précisément comme cela…
Ce sera d’ailleurs l’ultime critique qu’on adressera à Steinberg plus qu’à Wavelab : il serait vraiment bien qu’au-delà des typos et des bleus ou des gris de la palette de couleur, qu’au delà des plug-ins qu’on retrouve d’un produit à l’autre (un certain nombre de nouveaux plugs en provenance de Cubase font leur apparition, dont des Pultec et un compresseur), les différents logiciels de l’éditeur soient un peu plus cohérents dans leur ergonomie, surtout lorsqu’on a à passer de l’un à l’autre ou de l’autre à l’un : bref, il manque un « UX supervisor » qui homogénéise tous les logiciels de l’éditeur. Rien que sur des choses aussi bêtes que la gestion des entrées/sortie audio, on aimerait retrouver par exemple la même interface d’un soft à l’autre plutôt que chaque développeur réinvente la roue dans son coin…
Enfin, à l’heure où l’IA s’invite un peu partout, on ne dirait pas non à un module de Speech to Text, comme on en trouve dans RX par exemple, qui simplifierait grandement la navigation dans des longues interviews, des audiobooks ou des dialogues de film. À bon entendeur…
Conclusion
À des années lumières du sympathique Audacity qui, même s’il progresse, garde une approche grand public, de Soundforge qui n’en finit plus hélas de faire du surplace depuis son rachat par Magix ou d’Audition dont le modèle économique rebute quantité d’utilisateurs et se focalise sur le son à l’image, Wavelab demeure l’éditeur audio le plus abouti et polyvalent du marché et ce n’est pas avec cette version 12 que cela va changer. Attentif à sa communauté d’utilisateurs, son développeur a en effet porté une attention particulière à inclure une foule de modifications qui simplifient grandement le travail au quotidien, dans quelque domaine que ce soit (mastering, broadcast, musique, restauration, etc.), même si tout n’est pas parfait : outre le support d’ARA en tant qu’hôte qu’on espère pour la version 13, on note encore un certain nombre de lourdeurs ergonomiques qui assurent au logiciel une marge de progression. Bref, le boulot a été fait au point de ravir plus d’un·e mais on attend déjà la suite avec impatience !