Non content d'avoir redéfini, depuis sa résurrection, l'entrée de gamme des cartes son et des claviers de contrôle MIDI, E-MU s'attaque aujourd'hui au marché des moniteurs de studio avec la PM-5 : une enceinte bi-amplifiée proposée à un tarif des plus démocratiques.
E-MU ne s’était encore jamais essayé au marché florissant des moniteurs de studio. Mais ceci ne semble pourtant pas trop troubler le service communication et marketing de la dynamique filiale de Creative qui communique sur ses premières enceintes, les PM5, comme si le monitoring était un de leur domaine d’expertise depuis fort longtemps.
En effet, pour ses moniteurs bi-amplifiés 40W, il est spécifié que nous avons affaire à des amplis *audiophiles* fait maison. Le site web nous présente l’ingénieur qui a conçu les amplis, un certain Jun Makino : c ’est tout de suite plus sympa quand on est présenté ! Le monsieur a plus de 20 ans d’expérience dans ce domaine et il nous livre la « philosophie » qui est derrière la fabrication des PM5 : « Un bon circuit est un circuit simple qui dégrade le signal aussi peu que possible. »
Nous voilà rassurés par tant de bon sens. En outre, l’argument a le deuxième avantage de nous suggérer que c’est cette simplicité qui a permis d’atteindre le prix plancher des PM5 (250 euros pièces).
A cela s’ajoutent des « features » professionnelles comme une protection anti-overload, un caisson conçu pour diminuer les résonances indésirables, MAIS STOP !
Avant de se laisser griser par cette débauche de sérieux, avant de sombrer dans l’euphorie du « hype » élégamment tissé par les arguments de la brochure commerciale qui n’hésite pas à comparer les PM5 aux 1029A de Genelec, votre serviteur va arrêter de faire semblant de comprendre ce que tout ça veut dire et va s’occuper de déballer, de brancher et d’écouter les PM5 pour dire si oui ou non, classe A audiophile ou pas, ça sonne.
Déballage & installation
Le premier contact est plutôt bon. Les PM5, une fois libérées, se révèlent très sobres dans leur design, sans pour autant manquer d’élégance. Leur apparence est dans la continuité de la simplicité fonctionnelle évoquée par le marketing d’E-MU : tout est fait pour qu’on considère ce produit avec le plus grand sérieux. Les matériaux semblent effectivement de bonne qualité, et le poids contribue à donner une impression de solidité.
Avant de les substituer à mes 8030A, je constate que Genelec avait pensé aux fainéants en plaçant le contrôle de volume d’entrée et l’interrupteur sur la face avant des moniteurs. De son côté, E-MU n’aime pas les fainéants et les contraint à tendre le bras davantage pour atteindre n’importe lequel des contrôles, tous dissimulés à l’arrière du caisson. Toutefois, j’admets que ce détail n’est pas primordial pour des moniteurs de proximité.
J’allume les PM5, mets en route un CD et… bon sang, mais c’est bien sûr ! Il me faut les brancher!
Branchement et réglages
À l’occasion de cette manipulation heureusement peu fréquente qu’est le branchement du moniteur, le détail des options de connectique et de réglages m’est apparu.
Je tenais à utiliser une connexion symétrique. En effet, j’avais lu sur les forums d’AudioFanzine que les pros utilisaient cela. E-MU a, semble t’il, pensé à moi et à tous les lecteurs des forums d’AF en incluant donc un combo Neutrik XLR/Jack : je peux donc à loisir brancher un câble XLR ou un jack symétrique. Un connecteur RCA (asymétriques, comme ceux des chaînes Hi-Fi) est également présent pour les plus dépourvus d’entre vous et ceux qui ne passent pas assez de temps sur les forums d’AudioFanzine.
Pour ce test, j’ai donc relié les moniteurs à ma MOTU 828 MKII par deux câbles XLR / Jacks symétriques. J’ai ensuite porté mon attention sur les petits switchs qui activent les contrôles de filtres d’atténuation des aigus et des graves réglés à des valeurs prédéterminées, ce qui permet au home studiste que je suis d’ajuster la sonorité des moniteurs aux qualités acoustiques de la pièce dans laquelle ils sont placés. Dans mon cas, une piscine publique en travaux… ;-)
Rien à redire, l’impression de qualité n’est pas démentie. Ça fait sérieux. Par contre, attention aux traces de doigts sur la surface noire lisse, ces moniteurs semblent particulièrement « impressionnables » et il vaudra mieux éviter de les manipuler après avoir mangé des rillettes…
L’utilisation des filtres d’atténuation ne m’a pas été utile. Toutefois, j’ai testé leur impact et les quelques essais effectués les ont révélé nuancés, mais efficaces. À noter que la documentation est complète, en français et donne des conseils sur le placement des moniteurs.
Ze test
J’ai posé, branché et allumé les moniteurs. Pas de « plop » au démarrage : c’est une bonne chose. Reste à présent à tester quelques disques de référence.
Je démarre avec Musicology de Prince, et passe directement au morceau « Illusion, Coma, Pimp and Circumstance » et son mix ultra sec, aéré et son usage chirurgical de la stéréo. Rien à redire, tout est bien présent, placé là où il faut dans l’image stéréo. Mais, à bien y réfléchir, c’est un morceau indulgent pour des moniteurs : minimaliste, avec rien qui ne se marche dessus.
Je mets le CD de Recoil intitulé Liquid et passe les morceaux « Jezebal », « Strange Hours », « Breath Control », improbable mélange de grooves, de nappe 3D, bruitages en tout genre saupoudrés un peu partout dans l’image stéréo. Une impression se confirme : l’espace stéréo est bien restitué et un bas remarquablement bien maîtrisé et toujours précis. Toutefois, cette maîtrise semble se faire au dépend du bas médium légèrement en retrait, ce qui donne une impression de « moins plein », sans que cela paraisse ici trop flagrant.
En revanche, sur l’album de Maxwell, Now, ce choix d’un bas médium légèrement en retrait se fait sentir davantage : le son a un coté très légèrement creux et clinquant que je n’avais pas ressenti auparavant.
La production léchée de l’opus Dead bees on a cake de David Sylvian ressort plutôt agréablement, les aigus très présents ici parviennent à rester agréables et précis. Une fois encore, il y a un manque dans le bas du spectre. Les graves sont toujours très lisibles, relativement précis, jamais envahissants, mais ils leur manquent le bas médium pour être bien dessinés et pour soutenir le haut du spectre, et de nouveau se ressent une légère impression de « creux » et de froide brillance.
Le Black Orphéus de Keziah Jones propose des orchestrations très acoustiques et beaucoup d’arrangements vocaux traités avec un son naturel et proche. Si l’écoute est agréable et analytique, le bas médium en retrait fait perdre de la chaleur aux voix. Ici je constate que l’on a perdu le grain des chœurs les plus graves et même la voix lead me semble légèrement froide dans son rendu.
Portishead et son Dummy donnent un résultat très contrasté à mes oreilles. Par exemple, la basse infra de « Numb » ne vient plus provoquer des résonances agressives dans le bas médium comme j’en avais l’habitude, mais le reste de l’orchestration est devenu agressif dans sa gestion du haut du spectre et manque cruellement d’épaisseur. D’ailleurs, la basse a tendance à se faire très discrète quand elle atteint son registre le plus grave, ce qui contribue encore à renforcer le côté aigrelet. Par contre, l’intelligibilité des graves comme du reste n’est pas remise en cause.
Avec le So de Peter Gabriel, je constate de nouveau un son agréable, des aigus qui savent rester doucement présents et une stéréo qui ne trahit pas l’ambiance des morceaux. Mais, notamment sur « Mercy Street », je peine à retrouver la chaleur des nappes de synthés et celle de la basse de Tony Levin. Reste cette précision et lisibilité tout à fait flatteuse.
Pour creuser dans une autre direction, j’ai continué le test avec un des opus d’Haydn pour quatuor à cordes interprété par le Quatuor Mosaïque, une référence ne serait-ce que pour la prise de son. J’ai également testé la BO de Star Wars – l’Empire Contre-Attaque. Et j’ai terminé avec le Requiem de Mozart dirigé par Karajan.
Là, les limites de l’astuce citée plus haut se sont fait sentir. En effet, dans ce type de musique, le bas médium est souvent ce qu’il y a de plus grave et donne leur consistance aux instruments. Leur relative absence sur les PM5 rend les violons du quatuor mosaïque quelque peu aigrelet ; en particulier, je note l’effacement du violoncelle. Dans les morceaux orchestraux, on entend les graves uniquement lorsque les percussions interviennent, le reste du temps tout semble se passer dans le médium et l’aigu, ce qui n’est pas des plus jolis. Cela fait perdre un peu de la richesse et du corps aux instruments. Quelques cuivres me vrillent un peu les oreilles. Heureusement, les aigus savent garder de la tenue et évite de tomber dans l’agressif la plupart du temps. Quoiqu’il advienne, la lisibilité est toujours au rendez-vous et la stéréo toujours précise.
Bref, elles sont très logiquement calibrées pour de la musique « moderne » qui fait boum boum et tchack de partout. Ça, je sais faire ! Il est rare que je fasse venir le philharmonique de Vienne chez moi ! Du coup la dernière phase du test a été d’écouter des morceaux sur lesquels j’avais travaillés récemment. J’y ai retrouvé mes petits et tout était bien présent, avec l’équilibre et la vision panoramique que je connaissais sauf que les exagérations de grave que j’avais commises étaient ici le plus souvent gommées.
Conclusion
Passé l’enthousiasme initial face à la précision de l’image sonore obtenue et la largeur de la stéréo, je suis redescendu de mon petit nuage à mesure que je commençais à souffrir d’un bas médium un peu trop en retrait à mon goût, et d’un grave un poil trop discret, bien que très précis et toujours lisible. Ce sacrifice des bas médiums a sans doute été effectué sur l’autel de l’illusion de « neutralité » car cette partie du spectre, suivant la façon dont elle réagit, contribue souvent à une sensation de « coloration ».Or, si l’on peut comprendre le choix des ingénieurs d’E-MU, force est de constater qu’il procure certains désavantages aux PM-5. En effet, il est parfois traître d’avoir un bas médium trop en retrait car c ’est souvent l’endroit où certains débordements disgracieux peuvent se produire (effet de proximité de certaines prises, les instruments graves et leurs résonances pas toujours faciles à contenir, etc.). Du coup, les moniteurs d’E-MU ont tendance à faire preuve d’une indulgence dont il conviendra de se méfier, car toutes les écoutes ne seront pas aussi bienveillantes.
Le bon côté de la chose, c’est que les PM-5 ne posent toutefois aucun problème concernant la maîtrise des graves. Ces derniers se détachent toujours bien du reste et n’empiètent pas sur le mix : ça ne bave pas, c’est précis et les lignes de basses sont toujours très intelligibles. Ceci s’ajoute aux autres qualités citées plus haut (toutes aussi cruciales à la réalisation d’un bon mix), même si c’est au prix d’un rendu que je qualifierai d’un peu « froid ».
Les PM-5 sont donc, objectivement, des outils de travail très recommandables. Comme toujours avec des moniteurs, il convient de bien calibrer ses oreilles (c’est-à-dire de s’imprégner de leurs caractéristiques en écoutant des albums et des morceaux de référence). Une fois la chose faite, nul doute qu’ils vous procureront une écoute analytique et peu fatigante, à condition de vous méfier des bas médiums qui ont tendance à filer…
Pour un premier pas dans le monde du monitoring, E-MU propose un produit sans fioriture, mais très abouti et inspirant confiance, tant par son look fonctionnel et évocateur de solidité, que dans l’impression de précision que le rendu dégage. Reste à savoir si la personnalité des PM-5 vous séduira, en plus de leur prix, car en la matière, tous les goûts sont dans la nature… A essayer, donc, sans aucun doute.