Un rack 19’’ / 1U aux couleurs chamarrées censé redonner de la clarté à vos enregistrements et autres mixages ? Fabriqué par Kush Audio dîtes-vous ? Les mêmes qui avaient livré une version «custom» du Fatso d’Empirical Labs ?! Pas très clair tout ça; on transmet tout de suite le dossier à La Brigade du Test !
Clair obscur
Présenté à l’AES de San Francisco en novembre dernier, le Clariphonic est le second produit lancé par Kush Audio. Si cet égaliseur stéréo est censé redonner de la clarté à vos enregistrements, l’existence et la philosophie de cette jeune marque américaine restent pour le moins obscures. En effet, bien qu’un certain Gregory Scott soit à l’origine du concept, aidé par Kevin Hogan à la réalisation et au développement de la partie électronique, on ne sait que peu de choses les concernant… Fait assez rare pour être souligné, je tiens tout de même à rappeler que c’est ce même fabricant qui avait obtenu l’approbation d’un certain Dave Derr (fondateur d’Empirical Labs) pour proposer l’UBK Fatso, une version un peu spéciale du non moins célèbre Fatso Jr… Connaissant le caractère pointu du géniteur du Distressor, on a nécessairement affaire à une marque sérieuse, désireuse de marier qualité sonore et originalité.
Et c’est déjà le cas avec le concept de cette machine qui, dans sa catégorie, semble bien seule. En effet, contrairement à ses confrères plus « traditionnels », le Clariphonic est un égaliseur stéréo « parallèle ». La philosophie est assez simple ; on parle de « traitement » (et bien souvent, de compression) parallèle lorsqu’on mélange une source « Dry » (non traitée) avec cette même source « Wet »… traitée. Dans le cadre de la compression parallèle par exemple, l’avantage de cette technique réside dans la possibilité d’obtenir une compression plutôt signifiante, sans pour autant perdre les attributs du signal d’origine.
Le Clariphonic suit donc le même concept, à ceci près qu’il totalise dans sa matrice interne 3 circuits stéréo de traitement fréquentiel mixés ensemble et organisés comme ceci :
Un premier circuit intitulé Full Frequency représente le circuit « Dry » du traitement. Cette conception est très avantageuse puisqu’elle assure théoriquement une phase parfaite entre le signal d’origine et le signal traité… En façade, deux petits interrupteurs FF situés de part et d’autre du switch de marche/arrêt permettent de bypasser ou non ce signal non traité.
Il est donc possible d’utiliser le Clariphonic de manière « traditionnelle », à savoir en insertion directe sur une piste stéréo, ou bien de l’utiliser en égalisation parallèle – en s’affranchissant du signal d’origine – et de faire revenir le périphérique sur une autre voie.
Auto-Focus
Les deux circuits suivants correspondent aux deux étages d’égalisation. Pour continuer dans l’originalité, point d’égalisation paramétrique ou semi-paramétrique « classique » sur le Clariphonic : chaque étage correspond à une bande et une utilisation bien spécifique.
Le premier étage, intitulé Focus, se concentre (ou devrais-je dire « se focalise » ?) sur les fréquences bas-médium à haut-medium. Un premier interrupteur Lift/Open agit en quelque sorte comme un sélecteur de fréquence ou plage de fréquences. À ce sujet, les données techniques restent plutôt vagues concernant les fréquences réelles : Lift correspondrait aux fréquences situées à partir d’environ 800 Hz et plus ; Open agit un peu plus tard, à partir de 3kHz et au-delà.
Un second sélecteur 3 positions détermine la nature de la courbe du filtre engagé, un peu à la manière d’un réglage de facteur de qualité à deux positions (« wide » et « narrow »). Tight voit le filtre comme une sorte de cloche dont la pente retomberait autour de 14 kHz et Diffuse s’apparente plus à un shelf, offrant une réponse qui retombe bien plus tard. Mais là encore, peu de relevés réels et point de courbes dans la notice technique…
La position intermédiaire Out permet, comme son nom l’indique, de désactiver l’étage d’égalisation Focus. Enfin, on trouve le potentiomètre sobrement intitulé… Focus… qui agit simplement comme un gain (positif) sur la plage de fréquences sélectionnée. Pas de graduation numérique en revanche, simplement des petits repères qui peuvent tout de même faciliter les recalls.
Le dernier étage d’égalisation intitulé Clarity fonctionne de manière légèrement différente. Pas de sélecteur de courbe ou de ce qui pourrait s’apparenter à un facteur de qualité; ici nous n’avons affaire qu’à des sélecteurs de fréquence qui sont au nombre de 4, réparties sur 2 sélecteurs. Un premier sélecteur permet de choisir entre Presence (à partir d’environ 5 kHz) et Sheen (8 kHz). Le second sélecteur, quant à lui, gère des fréquences bien plus élevées via la position Shimmer (19 kHz) et Silk (39 kHz !). Au milieu de ces 2 sélecteurs se trouve un autre sélecteur 3 positions permettant de choisir entre le binôme Presence/Sheen et Shimmer/Silk, ou de complètement bypasser cet étage d’égalisation, via la position Out. En revanche, comme c’est le cas pour Focus, on n’agit que sur une seule « plage de fréquence » à la fois. Un dernier potentiomètre Clarity vient par conséquent augmenter le gain sur la plage de fréquences sélectionnée.
En termes de connectique, rien d’ésotérique pour le coup. Cependant, en plus des deux entrées/sorties au format XLR et la connectique d’alimentation, on a tout de même droit à des sorties au format jack, avec en sus un interrupteur Balanced/Unbalanced. Le Clariphonic nous permet donc de travailler avec des liaisons asymétriques et peut par conséquent s’insérer dans n’importe quelle chaîne de traitement audio…
Come Clarity
Une fois câblé et allumé, le Clariphonic nous dévoile ses deux jolies LED jaune/orange – témoins de son activation – qui se fondent à merveille dans son original look marron/noir orienté « soul/funk années 70 »… La simplicité et la sobriété de la face avant nous donne envie de nous amuser et d’éclaircir très vite nos ternes enregistrements !…
Bien que les termes employés pour la sérigraphie restent très imagés, il devient vite frustrant d’aborder la machine de façon empirique sans réellement connaître les conséquences de nos réglages sur le son final… même si ça s’entend ! La lecture du manuel devient indispensable, qui plus est elle est presque… récréative ! Au fil des lignes, malgré le manque d’informations techniques « pures », on comprend un peu mieux la philosophie de la machine, de sa conception et surtout, sa véritable raison d’être et la façon de l’aborder…
Voici donc une série d’extraits sonores dévoilant les différentes actions des sélecteurs, pour des réglages de gain (Focus et Clarity) fixés à 1h (et oui, pas de graduation, alors, on explique comme on peut…!). Le Clariphonic est placé en Hardware Insert sur une piste stéréo de Protools.
- Acc Clariphonic bypass00:16
- Acc Lift Diffuse00:16
- Acc Lift Tight00:16
- Acc Open Diffuse00:16
- Acc Open Tight00:16
- Acc Presence00:16
- Acc Sheen00:16
- Acc Shimmer00:16
- Acc Silk00:16
À ce niveau et sur un seul instrument, les différences peuvent paraître très subtiles; il ne faut cependant pas oublier qu’il s’agit là d’une égalisation parallèle. Et encore une fois, d’après la documentation, certains réglages agissent sur des plages de fréquence à la limite de l’audible… On a très vite tendance à effectuer des premiers réglages très « extrêmes », avec les potentiomètres positionnés bien au-delà de la moitié de leur course, afin d’entendre l’action de l’égaliseur de manière significative. Néanmoins, comme le dit si bien le manuel : « le lendemain, à la ré-écoute, on a l’impression d’être allé trop loin ». Et au final, on redescend la course des potentiomètres de moitié !
En revanche, quand on commence à utiliser le Clariphonic « in situ », sur des groupes d’instruments, en le comparant au signal d’origine, on entend tout de suite mieux l’action réelle de l’égaliseur en fonction des valeurs « esthétiques » (« Eclat », « Soyeux », « Scintillant » …) annoncées par la face avant.
- Drums Dry00:20
- Drums Clariphonic LiftTightSheen00:20
- Drums Clariphonic00:20
Idem sur cette mise à plat où, effectivement, la clarté est sans équivoque entre l’extrait audio d’origine et celui traité. Réglages :
- Rough Mix Dry00:27
- Rough Mix Clariphonic00:27
D’un seul coup, le traitement apporté par le Clariphonic devient significatif et, suivant les sources sonores, ne fait pas de doute quant à ses bienfaits sur le signal traité. A la ré-écoute, on comprend mieux les réelles plages d’action des deux étages d’égalisation, qui finalement portent bien leur nom. Focus semble redonner de la précision au signal, du détail, de la présence, en l’affranchissant d’un éventuel côté « fouilli » (oui, je me mets à parler comme le manuel !) que l’on peut avoir sur certains enregistrements. D’ailleurs, quand la position Tight de la partie Focus est enclenchée, c’est tout l’ensemble du signal qui devient plus précis, pas seulement dans le médium/haut-médium, et je serais bien curieux de savoir si ce réglage a une quelconque incidence directe sur le bas/bas-médium… Clarity en revanche se comporte comme un « vernis », ajoutant une touche de brillance au son, dans des registres aigus (qui vont de la « Présence » à la « Soie »…).
Alors, s’il est vrai que le manuel ne nous fait pas d’exposé mathématique quant aux performances du Clariphonic, il nous en apprend suffisamment sur son utilisation et sa prise en main. Et si pour une fois nous avions affaire à une machine qui nous demande d’utiliser nos oreilles pour de vrai ? Du look à sa conception, en passant par son utilisation, le Clariphonic possède un certain « Mojo »… qui agit pour de bon sur le signal sonore. Grâce à lui, on peut redonner de la précision dans le médium sans pour autant obtenir un résultat agressif. On peut également redonner de la « brillance » ou « de l’air » au signal, sans pour autant qu’il devienne strident ou « vaporeux ». Bref, vous l’aurez compris, le Clariphonic porte bien son nom : la clarté, c’est sa grande passion !
J’ai tout de même regretté l’absence d’un switch de Bypass général agissant sur l’ensemble de l’égaliseur, afin de pouvoir bêtement comparer les signaux avant et après traitement. Pour se faire, on est obligé de bypasser chaque étage séparément et cela demande déjà pas mal de dextérité opératoire (puisque je rappelle que le bypass se situe entre les sélecteurs de plages de fréquences)… Alors, quand on utilise le Clariphonic sur un signal stéréo, l’opération devient vite laborieuse.
C’est bien un des seuls reproches que je puisse faire à cette machine qui, après m’avoir dérouté et déstabilisé dans son concept, son approche et sa prise en main, s’est révélée redoutable (dans le bon sens du terme) voire indispensable, et m’a plutôt séduit. L’approche créative de la machine et son ergonomie assez intuitive me font penser à certains aspects de feu les EQ Pultec qui, bien que très différents, possédaient une approche tout aussi récréative dans leur utilisation… En somme, un outil vraiment intéressant !
Conclusion
Kush Audio confirme son statut d’outsider dans le monde de l’audio professionnel avec ce nouvel égaliseur parallèle stéréo plutôt unique en son genre. Si l’absence d’explications et de repères techniques peut dérouter les techniciens purs, il faut reconnaître que l’utilisation du Clariphonic est très accessible, créative et hyper musicale. La qualité sonore est au rendez-vous de cette machine vraiment originale, aussi bien dans son look que son concept général et il est fort probable que pour un prix de 1500 € TTC, certains soient aussi au rendez-vous ! C’est clair ? Parfaitement !