Longtemps considéré comme le meilleur Mellotron virtuel du marché, le M-Tron de GForce s’est vu disputer son titre au cours des dernières années. Il fallait répondre à tout cela et c’est tout l’enjeu de cette quatrième mouture…
D’une grande rareté (le M400, modèle le plus populaire, n’a été produit qu’à 2000 exemplaires dans le monde dont il ne reste que quelques centaines en état de marche) et d’une grande fragilité (chaque patch implique l’usage de 35 bandes magnétiques lues par 35 magnétophones et il faut entretenir tout cela), le Mellotron est à n’en pas douter l’un des instruments de musique les plus fascinants qui soient. Et ce n’est pas seulement parce qu’on le considère à juste titre comme l’ancêtre du sampler, mais parce qu’il jouit, comme peu d’instruments, d’une polyvalence et d’une identité sonore absolument folles. Reconnaissables entre mille, les nombreux instruments qu’on trouve sur les claviers Mellotron continuent d’être utilisés pour cette patine qu’ils donnent depuis plus de 50 ans à quantité de titres, sachant que si les nombreuses solutions de simulation de bandes permettent de s’approcher de cette pâte sonore, l’émotion qui émane des bandes originales demeure sans équivalents.
De cela on comprend que l’enjeu de recréer un Mellotron ne tient pas seulement dans telle ou telle fonctionnalité, mais plutôt dans le fait de disposer du plus de bandes originales possible, et qu’elles soient parfaitement entretenues, ce qui est la grande spécialité de GForce… Reste que la suprématie de l’éditeur a été remise en question récemment, par Arturia notamment, parce qu’à défaut de pouvoir se battre sur le terrain du contenu, l’éditeur grenoblois a bossé celui des fonctionnalités, offrant notamment la possibilité d’importer ses propres samples pour les Mellotroniser… Bref, GForce se devait de répondre à cela, comme aux nombreux Mellotron sortis ici et là chez UVI, IK Multimedia, Toontracks ou encore aux Mellotroïdes (Wavesfactory New Mello) et aux recréations hardware qu’on a vu fleurir ici ou là : outre des patches pour les principaux claviers de scènes et arrangeurs, on notera que la marque Mellotron, rachetée, a accouché d’un M4000D applaudi par la critique, même s’il est entièrement numérique et atrocement cher…
Les attentes pour ce M-Tron IV sont par conséquent assez grandes. Voyons ce qu’il en est, en sachant que nous testons ici le bundle M-Tron Pro Complete qui, pour 400 £ TTC, propose toutes les banques additionnelles de l’instrument, sachant que ce dernier est lui disponible pour deux fois moins cher…
Et pour rappeler à tout le monde ce dont nous parlons, voici d’emblée un petit medley de quelques fameux morceaux qui ont emprunté ses sons au Mellotron :
Grosse refonte
Le moins que l’on puisse dire en ouvrant cette quatrième version, c’est qu’il y a eu du changement du côté de l’interface ! Précisons en premier lieu qu’elle est désormais librement redimensionnable par cliqué/glissé et qu’elle s’avère à la fois cohérente et lisible même si elle n’a plus grand chose à voir avec ce qu’on peut trouver sur un Mellotron. Si la partie basse de la fenêtre où nous attendent le traditionnel sélecteur de patches et ses trois potards (Volume, Tone et Pitch) évoque encore l’original, toute la partie haute a été repensée pour accueillir au mieux les nombreuses nouvelles fonctions de cette V4.
Au sommet de la fenêtre, on accède au nouveau navigateur de presets, autrement plus complet que l’ancien, puisqu’il est multicritère : on peut ainsi sélectionner une banque, une catégorie d’instruments, un type de patches ou un timbre, en sachant que ceux deux derniers arguments peuvent être combinés de manière exclusive ou inclusive. Voilà qui n’était pas du luxe, pas plus que le moteur de recherche ou la préécoute dont on dispose pour naviguer dans les milliers de sons qui peuvent s’accumuler lorsqu’on dispose de toutes les banques additionnelles de l’instrument…
ImhoTape
Juste en dessous sont affichés les deux « layers » A et B où l’on pourra d’un clic charger un son via un autre navigateur de sources, assez semblable à celui des presets. Il est à noter que tout ce qui suit en dessous permet d’éditer les paramètres du layer qu’on aura sélectionné, ou bien des deux en cliquant sur le bouton Link. Ces paramètres existaient pour la plupart dans les précédentes versions de M-Tron
On ne s’attardera donc pas trop sur les enveloppes de volume ou du filtre multimode qui ne sont pas une nouveauté, ni même sur les intéressantes fonctions « Half-speed » ou « Break » (via la molette de modulation, vous pouvez freiner jusqu’à l’arrêt le « moteur » qui fait varier le son jusqu’au tape stop) pour relever ce qui change.
Et on commencera par la modélisation du pleurage et du scintillement de la bande dont on dispose désormais, avec un intéressant paramètres Instability qui permet d’ajouter un peu d’aléatoire dans le traitement, à la façon du RC-20 de XLN Audio. Gageons que si les bandes de base du M-Tron n’étaient pas assez Lo-Fi pour vous, vous avez le loisir de les dégrader sensiblement avec cette section où GForce refait son retard sur le Mellotron V…
Le LFO fait aussi un bon petit bond en avant en offrant désormais plusieurs formes d’ondes que vous pourrez adoucir et surtout plusieurs destinations : Pitch, Filter, Pan ou Level… Voilà qui agrandit significativement le terrain de jeu même si on demeure loin, très loin, des sections de modulation dantesques proposées par Arturia…
Voyez ce que tout cela donne sur un ensemble de clarinettes avec d’un côté l’usage de la section Tape et de l’autre l’usage du LFO sur le filtre et le panoramique :
- ClarinetteBasic00:07
- ClarinetteWOWFLUTTER00:07
- ClarinetteMOD00:07
Tout cela est convaincant même si on notera que l’éditeur n’a hélas pas inclus de compensation de gain automatique sur sa section de saturation…
FXtron
Notons aussi que le filtre multimode qu’on trouvait déjà en V3 dispose à présent d’un second mode « variable state » qui offre plus d’instabilité et donc plus de vie tandis qu’en lieu et place du simple Delay et de l’effet Ensemble dont on disposait autrefois, on nous propose désormais une section d’effets bien plus complète.
Globale, mais affectable à toute ou partie des deux layers (comprenez que chaque layer ne dispose pas de sa propre section), cette dernière reprend le Delay et le chorus Ensemble qui dispose d’un nouveau mode, mais y ajoute enfin une réverbe, et une section préampli qui permettra de faire saturer le signal, elle aussi la bienvenue…
Là encore, voici quelques exemples avec les mêmes clarinettes des différents petits nouveaux :
- ClarinetteENSEMBLE200:07
- ClarinetteREVERB00:07
- ClarinetteSATURATE00:07
Signalons pour finir que M-Tron offre désormais la possibilité de rajouter sept demi-tons au clavier, ce qui sera pratique pour faire des claviers splittés entre les deux layers, tandis que l’instrument dispose de nouveaux paramètres du côté des contrôles : on peut régler l’impact de la vélocité sur le filtre et le volume tout comme celui de l’aftertouch polyphonique sur le filtre et le break. Last but not least, une fonction Rewind peut désormais être activée pour émuler le rembobinage des bandes passées les 8 secondes qu’offrait chaque magnétophone sur l’original.
Voyez ce que ça donne au niveau de l’usage de la vélocité sur l’amplitude et le filtre avec cette ligne de basse :
- BASS-velociteOFF00:09
- BASS-velocite00:09
- BASS-velociteFILTEROFF00:09
- BASS-velociteFILTERON00:09
Quant à l’aftertouch, voyez cette même ligne à la guitare cette fois, sachant que le CC sert à faire varier la vitesse de lecture tandis que la fonction Rewind va fort logiquement empêcher les staccatos d’être joués :
- GUITARdry00:09
- GUITAR-breakaftertouch(2)00:09
- GUITAR-breakaftertouchREWIND00:09
Monte le Tron
Vous le voyez : le moins que l’on puisse dire en considération de la V3, c’est que GForce n’a pas chômé. M-Tron, qui n’était à l’origine qu’un bête lecteur de samples, offre en effet nettement plus de possibilités aujourd’hui, que ce soit en termes de traitements, de modulation ou de jeu. Il garde surtout un avantage absolument déterminant sur tous ses concurrents : il est le seul à proposer une telle collection de bandes originales, sachant que cette matière première, plus que toutes les possibilités de traitement ou d’édition, est de très loin ce qui importe le plus pour un Mellotron virtuel. Voyez d’ailleurs ces quelques exemples audio pour vous convaincre que le son est là :
- Cello00:07
- ChamberlinVoices00:07
- FunkyGuitar00:07
- Guitar00:09
- Megatron00:07
- Piano00:07
- Pond Drops00:07
- Punch Brass00:07
- Sax00:07
- Vibes00:07
Précisons-le d’ailleurs : même si le M-Tron a une personnalité Vintage marquée, cela ne l’empêche pas d’être très pertinent pour faire des choses plus modernes :
Notez que le M-Tron vaut aussi pour les très nombreuses boucles délicieusement vintage qu’il contient :
- ChaChaCha00:09
- Dixie00:09
- Guitar00:09
- Jazzband(2)00:09
L’usage de ces dernières est toutefois un brin laborieux : si l’éditeur a fait le choix de ne pas utiliser de Time Stretch pour les synchroniser au tempo, ce qui est compréhensible d’un point de vue de puriste, il ne documente pas pour autant ni les tempos ni les signatures rythmiques de ses dernières dans l’interface. De fait, il faut charger la banque et s’amuser à trouver soi-même sur quel tempo l’aligner : c’est bien lourd ! Sans quoi, on se retrouve par exemple avec ça :
Et ce n’est sans doute pas le seul reproche que l’on fera à l’instrument puisque, sans disconvenir de la très nette supériorité de GForce sur ses concurrents en matière de contenu, on pourra toutefois lui adresser bien des reproches sur le plan fonctionnel.
Peut mieux faire ?
C’est un fait : on en veut toujours plus et même si ce M-Tron a considérablement progressé sur les plans du traitement et de l’édition, on ne peut s’empêcher de penser à ce que serait le M-Tron parfait.
C’est d’abord un M-Tron qui proposerait non pas seulement une section d’effet globale, mais aussi une section d’effets pour chacun de ses deux layers, histoire de pouvoir appliquer deux valeurs de delays différentes au deux sons par exemple. C’est aussi un M-Tron qui proposerait nettement plus d’effets : processeur à convolution, traitements dynamiques ou spectral, effet à modulation, bitcrusher, etc. Et c’est encore un instrument qui devrait offrir plus de choix dans sa matrice de modulation : il n’y a pas de raison que tous les paramètres ou presque ne puissent pas être assignés à un LFO ou une enveloppe.
Par ailleurs, puisque le respect des specs de l’original n’a de toute façon plus lieu d’être depuis longtemps, on aimerait disposer d’un layer de plus comme chez Arturia, et surtout de la possibilité d’importer ses propres fichiers WAV pour les mellotroniser : c’est d’autant plus pertinent que c’est une chose que les possesseurs d’un vrai Mellotron peuvent faire en enregistrant leurs propres bandes, mais pas ceux du M-Tron. On se doute bien évidemment qu’il s’agit pour GForce de ne pas compromettre les ventes de banques additionnelles, mais à l’heure où la concurrence le propose…
Enfin, même si c’est là une demande qui ne fera pas l’unanimité, j’avoue que j’aimerais personnellement disposer d’un sampling un peu plus détaillé de la machine même : bruit des touches, du moteur et des différentes parties mécaniques qui, de mon point de vue, font aussi parti de l’instrument et qu’on trouve justement chez Arturia…
Conclusion
Très nettement supérieur à la version précédente qu’il améliore sur quantité de points, ce M-Tron 4 est loin d’être le Mellotron moderne dont on rêverait sur le plan des fonctionnalités. Il n’en reste pas moins qu’à la faveur de ses nouvelles possibilités, mais surtout de l’exhaustivité de ses banques qui fait défaut à toute la concurrence, il demeure – et de loin – le meilleur choix actuel si vous cherchez, non pas un instrument façon Mellotron, mais LE vrai Mellotron qui a écrit, et n’a pas fini d’écrire, les grandes pages de la musique. Et de ce point de vue, le prix auquel il est proposé comme le prix de son bundle, sont parfaitement justifiés. On en arrive du coup à ce paradoxe de distinguer M-Tron par un Award « Valeur sûre » parce qu’en définitive, il est le meilleur de sa catégorie pour l’essentiel, sans pour autant pouvoir lui mettre mieux que 8 sur 10 parce qu’il n’est pas le plus abouti sur les à-côtés fonctionnels. Gageons que M-Tron V aura à cœur de faire changer cela, sans manquer de souligner le kiff énorme qu’il y a à jouer avec le nouveau bébé de GForce !