Comme tous les milieux, le monde des plug-ins audio est sujet à des phénomènes de mode. Il y a eu les processeurs à convolution, le recours à l’oversampling systématique, ou bien encore la fameuse vague de modélisation analogique qui d’ailleurs ne désenfle pas. En ce moment, c’est plutôt la tendance rack virtuel qui commence à prendre une certaine ampleur.
J’en veux pour preuve le Virtual Mix Rack de Slate Digital, ou la récente sortie de la version 5 du bundle SoundToys avec son Effect Rack. Aussi bien soient-ils, ces produits ont pour inconvénient commun de ne fonctionner qu’avec les plug-ins de leurs éditeurs respectifs. Afin de se constituer un rack personnalisé avec des plug-ins provenant de n’importe quel horizon, il existe cependant quelques solutions comme par exemple Patchwork du français Blue Cat Audio. Et puis il y a Agent, le premier né de la toute jeune société Nyrv Systems. Sorti en mai dernier, celui-ci adopte une approche du rack virtuel assez novatrice comme nous allons le voir…
Hep, monsieur l’Agent
Disponible aux formats VST, VST 3, AU et AAX pour Mac et PC (32 et 64-bit), Agent permet de combiner jusqu’à 16 de vos plug-ins VST ou AU au sein d’un rack virtuel. Au passage, notez qu’il peut donc servir de wrapper VST/AU pour Pro Tools. Sachez également qu’il est possible de l’utiliser avec un instrument virtuel… Mais un seul, car la philosophie du plug-in ne tend pas réellement vers ça, dommage. L’installation est relativement simple, tout comme l’autorisation qui nécessite toutefois que votre ordinateur soit connecté à internet pour créer un compte utilisateur et passer par le Nyrv License Manager, le logiciel de gestion de licence maison. Lors de son premier lancement, Agent doit logiquement scanner votre ordinateur afin de répertorier l’ensemble de vos plug-ins. Il est bien entendu possible de lui indiquer plusieurs dossiers à analyser ainsi que le type de plug-ins à rechercher (VST, VST 3 ou AU). Et c’est là que les choses se gâtent. Lors de mon test, les premiers scans ne sont jamais arrivés à terme… Il m’a fallu pas moins de quatre essais pour enfin voir l’ensemble de mes plugs acceptés. Bref, passons à la suite…
L’interface d’Agent comporte trois pages : « Config », « Route » et « Live ». Pour commencer à créer un rack, il faut bien entendu passer par la première d’entre elles. Là, une grille 8×6 vous attend… Mais de quoi s’agit-il ? Ah oui, j’ai oublié de vous dire : Agent permet de constituer des racks virtuels de vos plug-ins, mais avec une petite particularité en plus, c’est vous qui créez l’interface graphique selon les paramètres de chaque plug-in du rack auquel vous souhaitez avoir accès ! Rendez-vous compte, sur le papier il est tout simplement possible d’élaborer de A à Z le Channel Strip ultime avec l’interface graphique – et donc l’ergonomie – de vos rêves… Joli programme !
Dans les faits, voyons comment cela se passe. Le rack virtuel se décompose en deux parties, Channel Strip et Effects Rack, avec 8 slots chacun pour insérer des plug-ins VST ou AU. L’insertion s’effectue soit par un clic droit sur l’un des slots situé à gauche de la page « Config », soit via un glisser/déposer vers un slot depuis l’explorateur de plug-ins escamotable situé sur la droite de l’interface. Afin de mieux vous retrouver dans la jungle de vos plug-ins, il est possible de classer ces derniers par genre, par éditeur, par ordre alphabétique, ou selon l’arborescence de votre dossier de plug-ins. De plus, l’explorateur intègre une fonction de recherche qui facilite encore le processus.
Une fois un plug-in inséré dans l’un des slots, il faut alors choisir quels seront les paramètres qui s’afficheront dans la page « Live ». Pour ce faire, il y a deux possibilités. Soit vous glissez l’un des paramètres du plug-in listés sous les slots vers l’une des cellules de la grille, soit vous faites un clic droit sur la cellule de votre choix et vous utilisez la fonction « Listen for parameter change » qui associera à la cellule le premier réglage que vous manipulerez sur l’interface originale du plug-in. À l’usage, c’est relativement simple, mais il y a tout de même un bémol de taille. En effet, une fois un paramètre assigné à la grille, il faut systématiquement l’éditer via le panneau « Control Settings » afin de définir son type (potard, bouton ou switch), son nom, sa couleur, son comportement, etc. Mine de rien, c’est extrêmement long et l’ergonomie du panneau ne facilite pas réellement les choses. De plus, il n’y a pas de fonction undo/redo. Il n’y a pas non plus de copier/coller pour les boutons ou les slots, pas de sélection groupée pour éditer plusieurs paramètres en même temps… Et je ne vous parle là que de l’édition « fonctionnelle » des paramètres, pour les « graphiques d’ornements » c’est encore une autre histoire que nous verrons plus tard.
Bref, pour un plug-in censé vous donner la main sur l’ergonomie, il faut bien avouer que lui-même en manque sérieusement même si la prise en main est simple. Si vous êtes du genre à changer votre chaîne de traitement tous les quatre matins et/ou si vous avez du mal à faire des choix, autant vous dire qu’Agent n’est pas fait pour vous tant sa configuration est chronophage. À titre d’exemple, sachez qu’il m’a fallu pas moins de 3 heures pour configurer mon Channel Strip (presque) parfait avec une simulation de console, une émulation d’enregistreur à bande, un Gate, une premier égaliseur de nettoyage, un compresseur et un égaliseur de « coloration ». Pourquoi presque parfait ? Et bien parce que certains cas de figure ne semblent pas prévus. Par exemple, il est impossible d’inverser le comportement d’un bouton. L’utilisateur n’a pas la main sur les unités des valeurs s’affichant en pop-up lors de la manipulation d’un paramètre, il faut que le plug-in source envoie lui-même les unités, ce qui n’est pas toujours le cas. Il n’y a pas non plus de possibilité d’afficher la réduction de gain pour un compresseur. Les fonctions de groupement entre plug-ins offertes par des produits du genre émulation de consoles ne sont pas prises en compte. Impossible également d’intégrer les éventuelles fonctions de sidechain externe.
Bon ceci étant, Agent apporte tout de même quelques petits plus non négligeables. Il y a tout d’abord le MIDI Learn disponible pour l’ensemble des paramètres, même si le plug-in source ne propose pas cette fonction à la base. L’éditeur a également intégré un système de présets assez intéressant. Au niveau des plug-ins hébergés, on retrouve les présets d’usine lorsque l’on ouvre la fenêtre « normale » des plugs… Enfin pas toujours, cela dépend du bon vouloir de l’éditeur original des plug-ins en questions, mais dans l’ensemble ça marche plutôt bien. Ensuite, il est possible de sauvegarder des présets pour les plug-ins de chacun des slots. De plus, Agent gère en interne deux niveaux supplémentaires de présets : un pour chacune des parties du rack (Channel Strip et Effects Rack), et un autre global. Ces présets peuvent être « tagués » et accompagnés d’une description. Enfin, Nyrv Systems a intégré une fonction de comparaison A/B pour chacun des slots, encore une fois même si le plug source n’en était pas pourvu.
Ces fonctions sont assez pratiques, mais à l’usage il me semble qu’il y a certains manques. Par exemple, il aurait été intéressant de pouvoir fusionner des présets entre eux, cela aurait pu faire gagner du temps lors de la fastidieuse étape de configuration. D’autre part, s’il y a bien une fonction A/B pour les plug-ins hébergés, curieusement il n’y en a pas au niveau d’Agent en soi…
Passons maintenant à l’édition purement esthétique de ce rack virtuel.
Le temps, c’est de l’Agent
Outre le fait de choisir entre bouton, potard ou switch pour les paramètres, il est donc possible de choisir l’apparence de tout ce beau monde, y compris les images de fond. De base, Agent est livré avec 3 thèmes. Si le premier, baptisé « Vintage », n’est pas désagréable, les deux autres en revanche piquent un peu les yeux et ne sont pas des plus lisibles.
En plus de ces thèmes, vous avez la possibilité de combiner des éléments graphiques ainsi que des labels afin de délimiter et identifier des zones du rack, ce qui facilitera son utilisation au jour le jour. Seulement voilà, une fois de plus l’ergonomie n’est pas au rendez-vous… Premièrement, les graphiques et autres labels ne sont pas magnétisés à la grille et il n’y a aucune fonction d’alignement. Je vous laisse imaginer la galère pour obtenir quelque chose de propre. D’autant qu’il n’y a pas là non plus de réel undo/redo. Il est permis de retirer le dernier ajout graphique ou toutes les images… Et c’est tout ! Donc si au bout d’un moment vous vous apercevez qu’un élément irait mieux ailleurs et qu’entre temps vous avez fait autre chose, pardonnez-moi l’expression, mais vous l’avez alors dans l’os et la seule solution et de tout recommencer dès le début. Je vous jure que c’est vraiment extrêmement frustrant.
D’autre part, les éléments graphiques ne sont pas vectoriels donc impossible de les redimensionner. Et comme parmi les composants disponibles, tous les cas de figure n’ont pas été envisagés, une fois de plus c’est un véritable casse-tête chinois. Enfin, il n’est pas possible de personnaliser le texte des labels et il faudra forcément faire avec ceux proposés. C’est tout de même un comble pour un plug-in dont le principal argument est la customisation, non ?
Alors je suis mauvaise langue, il y a tout de même une solution pour pallier tout cela. En effet, on peut intégrer ses propres éléments graphiques, labels ou même thèmes. Mais vu le cauchemar que j’ai vécu en triturant ceux fournis de base, je vous avoue que je n’ai pas eu le courage de tester la chose en rajoutant en plus les aller-retour avec un éditeur graphique externe.
Une fois la douloureuse étape de configuration digérée, voyons ce que donne cet Agent à l’usage…
Jeu d’Agent
Avant toute chose, quelques petites considérations techniques. Sur ma machine de test (Mac Pro fin 2013 Hexacœurs Xeon 3,5 GHz), l’usage d’Agent engendre un surplus de consommation CPU oscillant entre 0,07 et 0,10 % par rapport à l’utilisation des mêmes plug-ins en dehors de ce rack virtuel, ce qui est plutôt raisonnable. D’autre part, il n’induit aucune latence supplémentaire. À ce propos, sachez que ce rack virtuel reporte la latence des plug-ins qu’ils hébergent de façon conforme à ce que ces plug-ins déclarent à votre DAW lors d’une utilisation normale, mais que, si d’aventure il y avait un problème à ce niveau-là, il est possible d’ajuster la latence au cas par cas. Bien vu !
Pour les besoins de ce test, j’ai utilisé Agent avec Reaper, Ableton Live et Garage Band. Notez ici au passage l’un des avantages principaux du concept de rack virtuel, on peut passer d’une STAN à l’autre tout en conservant les présets de rack.
Dans toutes les situations, le chargement des présets était assez lent, mais c’est quelque part compréhensible, car cela correspond finalement au chargement de plusieurs plug-ins en même temps. Le véritable point noir, c’est que le passage d’un préset à un autre a entrainé un crash au moins une fois sur trois, et ce, qu’importe le DAW… Et je vous assure que d’ordinaire, ma machine est d’une stabilité exemplaire.
Hormis ça, il y a d’autres petits détails qui m’ont chagriné à l’usage. Tout d’abord l’absence de remise à zéro d’un potentiomètre lors d’un double-clic ou Ctrl+clic. De plus, depuis la page « Live » qui permet l’utilisation du rack en soi, certains effets de lumière sont à mon sens mal fichus. En effet, il est possible de « bypasser » les plug-ins hébergés ou d’ouvrir leurs interfaces graphiques grâce à des boutons situés sur la gauche de cette page, mais bizarrement, mon œil interprète le retour visuel de ces boutons de façon inverse et je crois donc souvent qu’un plug-in n’est pas actif alors que c’est le cas. Mais cela vient peut-être de moi après tout, même si je n’avais jamais subi ce phénomène auparavant.
Autre détail ennuyeux selon moi, il est possible de changer à la volée l’ordre des plug-ins hébergés, mais pas depuis la page « Live ». Il faut pour cela impérativement basculer sur la page « Route », pourtant il me semble que cela aurait pu être facilement implémenté, mais bon.
Finissons tout de même par du positif. La page « Live » offre des crêtemètres pour l’entrée et la sortie du rack, ainsi que pour chacun des plug-ins présents. De plus, la balistique ainsi que la plage dynamique de ces crêtemètres est personnalisable.
La page « Route » permet quant à elle de modifier le gain en sortie de chaque slot afin de gérer au mieux la structure de gain inter plug-ins. Chaque slot s’accompagne également d’un réglage du mixage entre signal source et signal traité. Enfin, un clic sur le bouton « Swap » changera directement l’ordre de chaînage entre le Channel Strip et l’Effects Rack.
Le beurre et l’Agent du beurre
Voici quelques exemples sonores pour vous faire une idée. Commençons par une ligne de basse.Concernant les modules en soi, nous avons droit à un EQ graphique 10 bandes (10Q), un autre plus simple avec seulement 3 bandes (3Q), un compresseur (Compression G), une saturation « à lampe » (Drive), un double filtre résonnant (Filter-Q), un exciter harmonique (H-Boost), des filtres passe-haut et passe-bas, un limiteur (The Wall), et un transient designer (TransFormer). Leur utilisation n’entraîne aucune latence supplémentaire et leur consommation CPU est dérisoire. Cependant, la qualité de ces traitements est pour le moins versatile de l’un à l’autre. Les EQs sont sympas et font le job, mais sans plus. Le limiteur itou. Drive et H-Boost sont plutôt réussis. Filter-Q aurait pu être pas mal, mais il manque un LFO pour le rendre vraiment intéressant. Quant au compresseur et au processeur de transitoire, le rendu est un poil trop aléatoire à mon goût. Pour terminer ce banc d’essai, je vous propose de déborder légèrement du support. En plus d’Agent (249 $), Nyrv Systems commercialise un bundle de plug-ins exclusivement utilisables au sein du rack virtuel. Baptisé Nyrv Devices Bundle (99 $), ce dernier comprend sur le papier 12 modules, mais pour l’heure, deux d’entre eux manquent à l’appel : le de-esseur « dSr » et la saturation « Red ». D’autre part, même si dans le manuel (PDF en anglais) ces modules semblent « prêts à l’emploi », ce n’est pas tout à fait le cas. En fait, tous les éléments graphiques sont présents dans Agent et il faut les assembler soi-même dans la page « Config ». Cela m’a paru étrange au premier abord, et puis finalement, ça colle tout de même avec la philosophie DIY d’Agent.
- 01 Bass dry 00:11
- 02 Bass drive 1 00:11
- 03 Bass drive 2 00:11
- 04 Bass drive 3 00:11
- 05 Bass drive 4 00:11
- 06 Bass trans 1 00:11
- 07 Bass trans 2 00:11
Le premier extrait se résume au signal source. Les deux suivants utilisent une bonne dose de Drive, d’abord en mode pentode puis en triode. Pour le 4 et le 5, la saturation est beaucoup plus poussée avec un Bias prononcé, toujours en mode pentode puis triode. Le sixième exemple est légèrement traité avec le processeur de transitoire en mode « Vintage VCA ». Le septième résulte du passage en mode « Modern VCA »… Et ça fait mal…
Passons à une boucle de batterie.
- 08 Drums dry 00:22
- 09 Drums wet 1 00:22
- 10 Drums wet 2 00:22
- 11 Drums wet 3 00:22
Comme toujours, le premier extrait sert de référence. Le deuxième utilise le compresseur pour travailler l’impact. Le troisième ajoute le TransFormer pour calmer un peu le jeu. Enfin, le dernier est affublé en sus d’une petite dose de Drive afin d’obtenir un peu plus de caractère.
L’Agent ne fait pas le bonheur…
Est-il possible de conclure ce banc d’essai de façon positive ? Je ne vois vraiment pas comment… Pourtant, l’idée était bonne, mais la réalisation laisse franchement à désirer. Les problèmes de stabilité et l’édition plus que fastidieuse sont vraiment des facteurs rédhibitoires à mon sens. D’autant que le tarif n’est pas des plus attractifs, même si on fait l’impasse sur le bundle de Devices maison – au demeurant très dispensable. C’est franchement dommage, car le concept est extrêmement séduisant. Je vous en pris Monsieur Nyrv Systems, revoyez votre copie ! Ça en vaut la peine, car il ne manque pas grand-chose à votre Agent pour qu’il devienne le plug-in qu’il mérite d’être.