Comptant parmi les leaders de l’émulation de claviers, Arturia nous revient avec une V Collection forte de 4 nouveaux instruments et d’une refonte de son piano. Et quels instruments !
Si l’éditeur français s’est longtemps contenté d’émuler des synthés analogiques de légende, revisitant les Moog, Oberheim, ARP, Prophet et autres Jupiters, il a opéré un virage intéressant pour la cinquième version de son bundle d’instruments, s’ouvrant tant aux claviers acoustiques et électroacoustiques (orgues, pianos électriques et acoustiques) qu’aux synthés numériques par le biais d’un enthousiasmant Synclavier virtuel. Dans le sillage de cette ouverture, cette version 6 enfonce le clou en proposant 4 nouveaux clavier de légende en plus d’une refonte du piano qui propose lui-même 3 nouveaux instruments. Bref, un paquet de choses que vous pouvez découvrir en vidéo ou dans le test qui suit :
Au programme, on a ainsi droit au Yamaha DX-7, au Fairlight CMI, au Clavinet, au Buchla mais aussi à un piano tack, un honky-tonk et un piano droit Yamaha ajoutés parmi les modélisations du V-Piano. De quoi faire, entre autres, ce genre de choses :
(où l’on entend le Prophet V et le DX7 V pour les basses, le CMI V pour le synthé Lead doublé par un Piano V, et en intro le B3 V)
Tout cela s’installe depuis l’utilitaire maison d’Arturia qui simplifie grandement la procédure d’activation et gère la désinstallation, contrairement à certains gestionnaires (suivez mon regard). À tout seigneur tout honneur, c’est d’abord vers le synthé le plus vendu de l’histoire que nous nous tournerons : le DX7.
FM, je vous aime
Tout en comprenant l’ajout d’un DX-7 à la collection parce qu’il y eut un avant et un après ce synthé révolutionnaire dans la musique, j’avoue que je n’attendais pas grand chose de cette nouvelle émulation, persuadé que le déjà ancien FM8 de Native Instruments avait déjà fait le tour de la légende en en produisant une parfaite émulation, améliorée sur de nombreux points. Mais outre le fait de proposer une interface plus fidèle à l’original et surtout plus agréable à utiliser que l’usine à gaz pattes de mouches de Native, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que les deux instruments ne sonnaient pas tout à fait pareil. Si l’on est habitué à ce genre de différences avec les émulations de synthés analogiques car d’un exemplaire à l’autre du même modèle, on peut observer de grosses variantes en fonction de la façon dont les composants ont vieilli, il n’y a priori pas de raison pour que deux reproductions d’un synthé numérique présentent de telles différences vu qu’un 1 est un 1 et un 0 un 0.
La première explication à cela tient au fait qu’Arturia, contrairement à Native, a modélisé le convertisseur Numérique>Analogique du DX-7, de sorte que ce dernier présente un bruit de fond même lorsque aucune touche n’est enfoncée (on s’en méfiera d’ailleurs car ce dernier aura vite fait de remonter pour peu que l’on compresse la piste). Toutefois, si ce bruit de fond disparait lorsqu’on débraye la fonction Vintage sur le DX7 V, la différence avec le FM8 subsiste, dans le médium comme dans l’aigu.
Dur de dire lequel des deux est le plus fidèle en l’absence d’une comparaison avec un DX7 original. Ce qui est indéniable toutefois, c’est que le chargement des SysEx originaux de la machine passe nickel sous le DX7 V alors que le FM8 rencontre plus de problèmes : sur le chargement de la ROM3A, on ne retrouve sur le FM8 que 30 sons dans le désordre et avec des noms tronqués alors qu’ils arrivent dans le bon ordre et au complet dans le synthé d’Arturia.
Sur ce seul détail, on serait déjà plus enclin à utiliser le DX7 V, mais c’est sans doute plus encore sur le plan de l’ergonomie qu’Arturia l’emporte. Comme sur le synthé de Native, les français ne se sont pas contenté d’une émulation stricte du DX7 original mais ont ajouté quantité de fonctions qui décuplent les possibilités sonores du synthé. Outre une belle section d’effets (Chorus/flanger/phaser, reverb, delay, EQ, distortion, filter, etc.) avec la possibilité d’en utiliser jusqu’à 4 simultanéments en série ou en parallèle, on a aussi droit à un séquenceur et un arpégiateur embarqués mais aussi et surtout à des licro-contrôles librement assignables et une vraie matrice de modulation s’inspirant de ce qui se fait dans le monde des synthé analogiques. Bien que l’instrument deviennent de la sorte beaucoup plus puissant et complexe, la grande réussite d’Arturia tient dans le fait d’avoir conservé une ergonomie relativement claire : comprenez par ce relativement que la synthèse FM reste l’une des moins intuitives à appréhender et qu’on ne fait pas le tour d’un DX comme d’un Minimoog, mais que les myriades de possibilités offertes par les possibilité de moduler tout avec tout sont assez clairement accessibles. Bref, une réussite qui s’entend dans les presets, l’instruments étant capable de choses nettement plus sophistiquées qu’un DX7 de base :
- DX7beat 00:04
- DX7chip 00:04
- DX7evolve 00:09
- DX7BassEvolve 00:11
Et évidemment, les grands classiques sont là :
Bref, un très bon ajout au bundle, même s’il n’est pas la seule légende présente.
Artist of noise
La deuxième grosse bouchée numérique de cette V-Collection 6, c’est le CMI de Fairlight, l’un des tous premiers échantillonneurs au monde avec le Synclavier, célèbre pour ses sons mais aussi pour avoir proposé le premier séquenceur informatique de l’histoire : Page R.
(notez que le synthé d’intro de Beat it provient en fait du Synclavier même s’il figure étonamment parmi les presets de ce CMI)
C’est tout cela qu’Arturia nous permet de retrouver au sein d’une interface nettement plus ergonomique que l’originale et agrémentée de nombreuses fonctions supplémentaires.
Capable de charger des samples de 30 secondes en 44/16 tout en émulant les convertos d’origine et en proposant une section d’effets complètes utilisable sur ses 16 voix (mais seulement un insert par piste), le CMI V reproduit l’original et sa philosophie tout en les emmenant plus loin. On peut donc s’en servir comme d’un sampleur/séquenceur, mais on peut surtout revisiter la vaste collection d’échantillons qui ont fait les grandes heures des années 80 : préparez vous à bouffer de la Madeleine de Proust, avant qu’un jet de citron ne viennent troubler le nuage de lait dans votre thé.
Un agrume du nom d’Easel. Buchla Easel.
Le petit teigneux
Conçu par Dan Buchla, le père du VCO, en 1972, l’Easel est un synthé pensé à la base pour la recherche sonore, son créateur préférant l’appeler ‘Electric Music Box’ plutôt que synthétiseur dans la mesure où il n’avait pas vocation à imiter des instruments, ni même à produire de la musique traditionnelle. L’Easel se distingue autant par ses modules originaux (Complex Oscillator, Dual Lo Pass Gate à base de vactrols, carte programmateur) que par son ergonomie : entre son clavier tactile, le fait que les patches n’encombrent pas, comme sur les Moog Modulars, la zone des paramètres, et les codes couleurs simplifiant la compréhension de ce semi-modulaire, l’Easel fut révolutionnaire sur plus d’un point.
Vraie grosse surprise de cette mise à jour et sans conteste le synthé ayant le plus gros caractère de toute cette V-Collection. Bruitiste, hargneux, abrasif, ce n’est pas le genre de bête qu’on utilisera pour faire de l’Ambient. Mais si vous cherchez des sensations fortes, vous avez frappé à la bonne porte.
Bien conscient du parti pris extrême de son concepteur, Arturia a toutefois pris la peine, sinon d’acoucir le monstre, du moins de le compléter avec des outils qui permettront de l’apprivoiser. C’est ainsi qu’on dispose d’un système permettant de quantifier les oscillateurs à la gamme chromatique (merci pour ça !), d’une polyphonie de 4 voix, d’une gestion Main droite / Main gauche affectées à un séquenceur polyphonique 32 pas, d’un générateur de bruit, d’un mode autodéclenchement pour le générateur d’enveloppe, d’effets assignables et surtout d’un système Gravity Universe qui permet de générer des voltages à partir de règles physiques.
Si l’Easel original était déjà une usine à sons, la version d’Arturia décuple littéralement ses possibilités et le fait sortir des instruments pour geek de la synthèse pour le livrer aux musiciens de tous genres, pour peu qu’ils cherchent un synthé à gros caractère qui ferait passé n’importe quel Minimoog pour un papy de la synthèse. Voici un aperçu des possibilités du synthé :
- Buchla 00:11
- Buchla2 00:11
- Buchla3 00:11
- BuchlaBass 00:11
- BuchlaLead 00:11
- BuchlaWeird 00:11
Sur la corde
Finissons ce passage en revue des nouveautés avec les claviers acoustiques et électro-acoustique, et notamment le Clavinet V, émulant un Hohner D6 et parfaitement complémentaire des Rhodes et Wurlitzer qui étaient apparus dans la V-Collection 5. Il n’y a pas grand chose à dire de ce dernier qui souffre la comparaison avec le Scarbee et qui, outre un ampli et quelques pédales d’effets, se voit doté de quelques possibilité de jouer avec le modèle physique de l’instrument pour obtenir des choses un peu plus barrées. On regrettera juste que l’éditeur n’en ait pas profité pour intégrer plusieurs modèles de Clavinet ou se soit aventuré vers le Pianet.
- Clavinet1 00:38
- ClavinetWah 00:38
- ClavinetPianetish 00:38
Piano V a lui-aussi droit à une mise à jour de taille vu qu’outre un nouvel EQ, un nouveau compresseur, un nouveau delay et un positionnement des micros amélioré, l’instrument se dote de trois nouvelles modélisations : Japanese Grand (très probablement un Yamaha), Plucked Grand (un piano joué aux doigts qui évolue dans des sonorités plus proches de la harpe et pizzicato) et Tack Upright. un piano bastringue sur les marteaux duquel on a planté des punaises : le son typique des saloons qu’on voit dans les vieux westerns hollywoodien même si, a priori, cette bidouille était utilisée pour rapprocher le son de l’instrument d’un clavecin.
Laissons parler l’audio pour vous faire une idée de ces derniers :
- JapanesePiano 00:43
- PluckedPiano 00:38
- TackPiano 00:38
On en a fini avec les nouveautés ? Pas tout à fait car comme à chaque nouvelle V-Collection, le « petit » Analog Lab prend lui aussi du galon. Dans sa version 3, il propose désormais plus de 6000 presets tirés des différents instruments avec des possibilité d’éditions qui sont certes réduites par rapport aux version complètes mais qui n’en sont pas moins présentes.
Doté d’une interface claire et simple, cette petite boîte à sons reprend en outre le design des claviers maître Arturia, de sorte qu’entre ça et sa capacité à gérer des playlistes et des multis de deux instruments, on l’utilisera autant en studio que sur scène. Pour 90 euros, c’est presqu’un must have qui fait de l’ombre au Syntronik d’IK Multimedia près de 3 fois plus cher car tous les sons classiques sont là, qu’ils émanent de claviers acoustiques, électroacoustiques ou de synthés. Un vrai bon plan qui est désormais doté d’un espace de vente de presets particulièrement pertinent.
Absolument pas envahissant, ce dernier permet d’acheter pour 5 à 8 euros des packs des presets thématiques autour de grands noms (Pink Floyd, Jean-Michel Jarre, Vangelis) ou de genres particuliers. Une très bonne idée.
Et le reste
Si les ajouts de cette version 6 du bundle sont enthousiasmant, il conviendrait de ne pas oublier les 16 autres instruments qui permettent d’avoir un beau panorama sur l’histoire de la synthèse et des claviers. Des Moog aux Prophet en passant les ARP, les Oberheim ou encore les divers pianos et orgues électriques, il y a vraiment de quoi faire, d’autant qu’Arturia s’est souvent appliqué à rajouter, comme nous l’avons vu, des fonctionnalités décuplant le potentiel des instruments originaux.
Si j’avoue avoir toujours eu un penchant pour les Oberheim, on citera notamment l’excellent Prophet V qui combine un Prophet 5 et un Prophet VS au sein du même instrument avec la possibilité d’utiliser l’un, l’autre ou les deux conjointement.
Dans le lot des 21 plug-ins, tout n’est pas bien sûr de qualité égale et certains instruments, notamment les orgues et pianos, ne sont pas forcément au niveau de ce qu’on trouve chez des concurrents spécialisés, mais la qualité de l’ensemble n’en est pas moins relativement homogène, de sorte que nanti du bundle ou du petit Analog Lab 3, on a ce sentiment d’être armé pour fournir l’essentiel des sons qui ont fait la musique ces 40 dernières années, voire plus.
Et si Arturia n’égale pas toujours les émulations de certains concurrents, l’argument massue se trouve dans le prix. À 500 euros les 21 instruments, ça nous met l’instrument à moins de 24 euros. Et si l’on considère les 12 claviers qui se cachent dans le V-Piano et les 2 Prophet, on arrive même à 15 balles l’instrument… Dur de faire mieux en termes de rapport qualité/prix, au point d’ailleurs que le prix des plug-ins acheté séparément semble vraiment très peu concurrentiel.
Chaque plug est en effet vendu entre 150 et 200 euros l’unité et il faudrait être bien zozo pour les acheter à ce prix là. Acheter un B-3 V à 200 euros quand le B-5 II qui le surpasse largement est deux fois mois cher ? Certainement pas. Acheter un Mini V à 150 euros quand les excellents Monark ou The Legend sont à 100 euros ? Comme on dit dans la pub pour les chaussures, il faudrait être fou. Et c’est sans parler des pianos électriques qui se heurtent aux prix comme aux performances de ce qu’on trouve chez Pianoteq ou chez les éditeurs de produits à base de samples : Scarbee, AcousticSamples, UVI, Gospel Musicians pour ne citer qu’eux, voire Waves qui passe son temps à tout vendre à 29 $ (même s’il faut le souligner, la licence d’utilisation est frappée d’une limitation d’un an concernant les mises à jour et que ses instruments ne boxent pas forcément dans la même catégorie que ceux cités précédemment)…
Bref, ce prix unitaire nous pousse vraiment à acheter le bundle sinon rien, et même si ce dernier représente l’une des meilleures affaires du petit monde de la MAO, on regrette presque qu’Arturia ne propose pas d’offre médiane.
Avis aux marketistes arturiens
On sent en effet qu’il manque des bundles intermédiaires dans l’offre d’Arturia qui pourrait attirer ceux qui serait prêts â lâcher 200 ou 300 euros dans des collections thématiques sans pour autant aller jusqu’à 500.
Quantité de choses sont imaginables : un bundle synthé, orgue ou piano uniquement, un bundle consacré aux analos, aux numériques ou aux modulaires, ou encore des bundles par marque et même pourquoi pas des bundle à la carte : 4 ou 5 synthés pour 300 euros par exemple, quitte à proposer ensuite un système de crossgrade. Il est très étonnant de voir un tel potentiel marketing sous-exploité, tout comme on s’étonne que l’excellent Spark reste toujours en dehors de la V-Collection alors qu’on y manque cruellement d’une boîte à rythmes
Tant qu’on est au rang des gentilles critiques, soulignons aussi que le parti pris de proposer des interfaces photoréalistes des instruments se heurte souvent à l’ergonomie de ces derniers, remplissant parfois l’écran d’un jolie représentation 3D où l’on peine à savoir quels sont exactement les contrôles avec lesquels on peut interagir (CMI-V par exemple) et surtout à quoi ils servent vu qu’à 100% sur un MacBook Pro Retina, les sérigraphies des boutons sont illisibles et qu’il faut atteindre les 140% au minimum pour qu’elles le soient (et même 160% sur le SEM). Arturia a beau proposer un système de zoom permettant de s’adapter à la résolution de l’utilisateur, on se dit qu’on aimerait que les instruments ressemblent parfois un peu moins aux vrais pour proposer une interface plus pratique d’emblée. Le DX7 a parfaitement réussi cela mais tous ne peuvent pas en dire autant.
Liste au Père Noël
Terminons enfin sur ces choses qu’on aimerait voir améliorée dans la V-Collection 7 en parlant de ce qui nous manque, ce qui est moins une critique en soit qu’une supplique de complétiste. En effet, même si l’offre de cette V-Collection demeure impressionnante pour son prix, on ne pourra s’empêcher de faire la liste des gloires manquant à l’appel pour compléter ce panthéon de la synthèse. Outre un Roland sous-représenté (pas de Juno, TB, SH ou D-50), Korg et Waldorf sont pour l’heure les deux très grands absents du bundle, mais il y a bien d’autres machines qu’on aimerait voir grossir l’arsenal. Pour l’analogique, on citera notamment l’EMS VCS-3, l’ARP Odyssey, l’OSC OSCar, l’Elka Synthex, l’Oberheim OB-Xa ou le RSF Kobol, mais comme on trouve déjà ça et là quelques excellentes émulations de ces synthés, on espère surtout que les grenoblois auront à coeur de pousser vers l’émulation de machines numériques signées Casio, E-Mu, Kawai ou encore Ensoniq, etc. On adorerait voir aussi avoir droit à une mise à jour du moteur des plus anciens synthés comme cela avait été le cas pour le Mini V (et ça avait changé beaucoup de choses en termes de qualité).
Et puis surtout, l’émulation qu’on attend le plus et ce, depuis des années, c’est celle de l’Origin d’Arturia qui ne semble plus commercialisé mais dont le principe de mélanger les oscillateurs et filtres de tous les synthés modélisés par l’éditeur était si excellent qu’il a fait le succès du Diva de U-he. Alors les amis, c’est pour quand ?
Conclusion
Arturia fait très fort avec cette sixième version de son bundle, complétant son catalogue avec un Clavinet, et trois monstres sacrés de la synthèse numérique joliment revisités pour concilier le grain et les sons d’autrefois avec les possibilités d’aujourd’hui. Que dire si ce n’est qu’à 500 euros pour 21 instruments (et même 33 suivant la façon dont on compte), l’affaire est excellente et qu’elle ravira n’importe quel amateur de clavier ?
Bien sûr, on en voudrait toujours plus. On aimerait ainsi qu’Arturia incorpore l’excellent Spark et envisage de donner suite à l’excellent concept de l’Origin. On aimerait encore qu’entre l’achat à l’unité pas forcément motivant et le gros bundle se déploie des offres attractives, mais ce sont là des souhaits plus que des critiques pour cette V-Collection qui s’avère de plus en plus incontournable dans le monde la MAO et qui bénéficie même d’un rabais conséquent pour son lancement.
Chapeau bas !