Suite de notre dossier sur le volume, ses conséquences sur la musique, le son et nos oreilles.
On commence, depuis le début de ces articles consacrés à la guerre du volume, à ses causes et conséquences, à y voir un peu plus clair, notamment sur ses origines (toutes les conséquences seront abordées bientôt, rassurez-vous).
Mais, avant de continuer, je reviens rapidement sur ce qui fait aussi la richesse d’Audiofanzine, ses forums. De nombreuses discussions ont émergé, dont une lecture exhaustive montre le chemin restant à parcourir, tant incompréhensions, positions polémistes, ou explications surréalistes se sont fait jour : des tentatives inutiles de comparer tel ou tel style de musique, en disant qu’un type de musique est mieux qu’un autre (ce qui n’a n’a jamais été le propos de ces articles) aux conceptions du mix consistant à le modifier jusqu’à ce qu’il permette de faire le mastering que l’on souhaite…
Il faut redire que rien, absolument rien, ne justifie qu’on abîme, détruise le son (surcompression, saturation) quand on produit. Un titre techno/électro (pour ne pas rentrer dans la sur-sous-classification qui ne relève que d’une chose : du marketing), correctement mixé, avec un respect de la dynamique, des transitoires, de l’équilibre fréquentiel et de toute autre considération technique sonnera bien mieux à fort volume que ce même titre bousillé par la mode actuelle du soi-disant mastering. Rares sont les esthétiques musicales créées autour d’une absence totale de dynamique. Et pourtant nombreux sont les albums de tous styles effroyablement « produits », avec une dynamique ne dépassant que rarement les 5 ou 6 dB.
Et ça touche tout le monde, même les musiciens/producteurs les plus attentifs. Trevor Horn, immense producteur de ces trente dernières années, dont nous parlions dans nos précédents articles, a sorti un album, Made In Basing Street, sous le nom de groupe Producers (sic.), dans une esthétique pop mi-rétro mi-actuelle. Inécoutable, hélas : plage dynamique globale ? 6 dB, clipping intersamples, etc.
Clipping intersamples ? C’est un des risques de la conversion numérique/analogique, quand le filtre de reconstruction peut produire des niveaux dépassant le 0 dBFS. Voir cette vidéo de FabFilter, expliquant, dans sa première partie, le phénomène (en anglais seulement, hélas).
De ces discussions est aussi remontée l’idée que l’on pouvait accepter la compression de dynamique au vu des nouvelles conditions d’écoute (je ne parle pas de la compression de dynamique que l’on utilise au mixage, ou de façon créative, sidechain et compagnie, mais bien de celle appliquée par des processus de mastering qui n’en ont que le nom) : eh bien, là encore, rien ne justifie que l’on diminue la plage dynamique d’une musique simplement pour qu’on puisse l’écouter dans sa voiture ou de façon nomade (sous-entendu au casque). Que fait-on quand on rentre chez soi ? Les artistes doivent-ils proposer un mix pour l’écoute nomade et un autre pour l’écoute domestique ? Même si Nine Inch Nails a proposé cette solution sur un de ses derniers albums (sans les faire correspondre aux deux distinctions précédemment mentionnées), s’il fallait généraliser un double mix/mastering (et pourquoi pas triple, quadruple, un pour la voiture, un pour le métro, etc.), on commencerait un peu à marcher sur la tête…
Évolution de l’écoute
Une des grandes problématiques, liée à ce qui était évoqué dans les précédents articles, est ce changement total d’habitus, d’hexis. Entendons-nous bien : pas de passéisme, pas de remise en cause par principe de l’évolution de la société, ni des bienfaits aisément identifiables du progrès. Mais, sans en appeler à Orwell, Bourdieu, Ellul, Michéa ou Kurzweil (voire K. Dick), on sait que les possibilités offertes par une technique n’aboutissent pas forcément en son exploitation pertinente.
L’écoute de musique est devenue nomade, d’abord grâce aux radios portables (souvent d’une qualité sonore à pleurer), puis des ancêtres tels que les Walkmans de Sony (autour de 1980) : les oreillettes orange, une cassette (la Compact Cassette, format introduit en 1963), et pleurage, scintillement, diaphonie, bruit de fond associés. L’arrivée des Walkmans CD (ou Discman, tel le D-50 datant de 1984) a bien sûr amélioré grandement les problématiques dues au support, mais absolument pas celles intrinsèques à la musique, si tant est que l’on puisse parler de « problématiques » quand on parle de nuances, de dynamique : dans la rue ou dans tout milieu autre que domestique ou dédié, même avec le meilleur lecteur et le meilleur casque, on ne peut lutter contre le bruit ambiant, et une partie de la musique disparaît sous celui-ci.
Quadrature du cercle
Avec le numérique arrive une réponse à une question posée dès l’arrivée du compresseur et de son proche cousin, le limiteur. Dans le monde du hardware, aucun compresseur/limiteur ne peut agir en temps réel. Rappelons le principe : un compresseur est un fader de volume automatisé, dont l’automation découle de l’analyse d’un signal (qu’il soit celui à traiter, ou en provenance d’une autre source, via le sidechain par exemple).
Or, aucune analyse temps réel ne peut être prédictive : donc, même le plus rapide des compresseurs (le 1176 LN, par exemple, 2 µs…) laissera passer une partie des transitoires, empêchant un réel aplatissement des crêtes (il existe néanmoins quelques solutions, quand le sidechain est disponible, au prix de quelques contorsions et avec certains risques…).
En audionumérique, il suffit, non pas de rendre l’analyse prédictive, ce qui n’est toujours pas possible, mais de prendre en compte le temps d’analyse et de traitement, de décaler tout autre audio simultané d’autant de temps, et de donner ainsi l’impression du temps réel. Faites l’essai : prenez un projet bourré de pistes, ajoutez des compresseurs (capables de soi-disant « temps réel ») au fur et à mesure, et vérifiez ce que cela donne en termes de latence avec un clavier MIDI…
Et voilà la porte ouverte à toutes les fenêtres (de Hann…) : on peut écraser, à fond. Sans crainte de dépasser le fatidique 0 dB FS (mais sans tenir forcément compte du dB FSTP, voir plus haut et aussi ici). Si tous les producteurs ne se sont pas rués sur l’opportunité à l’arrivée du CD, la tendance étant même de préserver le plus fidèlement possible les originaux, l’habitude de tout massacrer/compresser va vite être prise.
Ah, les pommes de terre vapeur à la cocotte-minute, 10 à 15 min, pas plus. Je vous laisse.