Parfois, déboulent de véritables OSNI, obligeant à repenser soit un concept, soit une façon de travailler ou mettant dans nos mains des outils radicalement différents. Sonic Charge, avec Permut8, a-t-il produit un tel objet ?
On ne compte plus les plug-ins de compression, d’égalisation, de réverbération, de modulation, qu’ils émulent un produit mythique ou non, mais dont le fonctionnement reprend les grands principes des premières pédales, bécanes ou consoles. De la même façon, on ne compte plus les émulations ou banques d’échantillons consacrées à des instruments réels, du classique piano électromécanique aux plus fournis des orchestres symphoniques, instrument par instrument, ou section par section. En revanche, les outils réellement originaux, ne reproduisant aucune machine, aucun effet ou instrument particuliers sont beaucoup plus rares ; et a fortiori s’ils ne font appel à aucun principe de fonctionnement connu ou à tout le moins commun, quitte à rendre un peu plus absconse leur utilisation. C’est pourquoi l’on est toujours attiré par un plug-in ne répondant pas, ou ne semblant pas, répondre à une lignée ou à un fonctionnement habituel.
Ainsi de Permut8, signé Sonic Charge, déjà responsable d’un synthé fonctionnant de manière pour le moins originale, Synplant. Regardons et écoutons ce qui se cache sous le « capot » de cette interface à première vue surprenante.
Introducing Sonic Charge Permut8
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On téléchargera le plug-in depuis le site de l’éditeur, pour la somme d’à peu près 62 euros (selon le cours dollar-euro au moment de l’achat). Permut8 est compatible Mac et PC, VST et AU, et fonctionne en 32 et en 64 bits. Son principe est celui d’un délai, permettant donc toutes sortes d’effets construits autour du principe de ligne de retard, les délais et échos bien sûr, mais aussi flanger, chorus et ici beat repeater, effets de stéréo, réverbes, bit-crushers et bien plus encore, grâce à l’architecture très particulière du plug-in. En effet, l’éditeur a choisi d’implanter un délai (numérique…) 12 bits, disposant de sa propre réserve de mémoire (12 bits, 128 kilowords), mémoire destinée à stocker puis relire l’audio entrant afin de lui faire subir toutes sortes d’outrages, grâce à une série d’instructions programmées via deux séries de 16 interrupteurs et une sélection d’opérateurs logiques.
On complètera l’action grâce à une section « analogique » offrant filtre, limiteur, saturation, etc. (voir la capture d’écran pour le parcours du signal audio). Le tout avec une synchronisation de la lecture (ou non) à celle de l’hôte suivant diverses divisions, et la possibilité de modifier l’horloge interne du plug. Le plug est fourni avec une copieuse suite de banques de (30) présets (plus de 300 d’usine), ce qui permettra (ou non…) de mieux comprendre son fonctionnement. Notons que les personnes à l’aise avec le système hexadécimal pourront mieux comprendre l’affichage des écrans de Permut8. On pourra télécharger le manuel ici.
À l’œuvre
Il ne faut pas se laisser impressionner par l’architecture, les dénominations et les réglages de Permut8. Il est vrai qu’ils demandent un temps d’adaptation, mais ils rendent aussi le plug plus imprévisible que nombre de ses concurrents, en permettant de manipuler les switches au jugé, sans garantie du résultat. Et c’est parfois plus créatif…
Mais voyons un peu comment tout cela procède. On comprend rapidement les fonctionnements de la partie dite « analogique », avec ses possibilités de saturation à différents points de la chaîne, son feedback et son filtre.
Voyons donc comment le reste agit : dans les deux Instructions possibles, les deux séries de 16 switches (des opérandes selon l’éditeur) agissent comme des bits : ouvert ou fermé, 0 ou 1. La sélection effectuée sera prise en compte, modifiée, répétée, inversée, multipliée, etc. via les deux rotatifs (Operators), qui proposent différents opérateurs logiques. Et via la vitesse de lecture qui s’adapte au tempo de l’hôte, selon plusieurs divisions, libres avec modifications de la fréquence d’horloge, ce qui est intéressant, puisque cette dernière agira à la fois sur la définition du son et sur la synchro avec l’hôte. Prenons un simple écho, par exemple, sur lequel on automatisera le réglage, de son minimum à son maximum (de 0 Hz à 352 kHz).
On notera les montées et descentes subites en pitch, avec stabilisation sur un effet d’écho dès que l’on crée une automation droite. Un petit conseil, lors d’un Bounce : le plug émet toujours un très léger bruit de fond, donc si vous utilisez des fonctions du type « Include Audio Tail » sans réglages de seuil, le bounce peut être infini (enfin, limité par la taille de votre disque dur). Retour à la vitesse, donc, qui peut aussi être synchrone avec celle de l’hôte (selon division normale, en triolet ou pointée et les valeurs sélectionnables via Clock Freq, croches, noires, etc.). Ensuite, les switches permettront de définir quelle partie de l’audio ou quels éléments sont affectés (selon une logique binaire, bits supérieurs, inférieurs, nombres entiers, rationnels, vitesse, profondeur, etc.), le tout modifié par les opérateurs. Ainsi, en reprenant la boucle et en n’activant qu’un switch sur quatre de l’Instruction 1, voici ce que cela donnera suivant les opérations And, Mul, Osc et Rnd (Mix à 50%, de façon à garder à l’oreille le son de départ).
Même chose maintenant avec l’Instruction 2, avec dans l’ordre Or, Xor, Msk et Sub (si le résultat ne semble pas flagrant, on verra plus loin pourquoi).
Tout va donc maintenant reposer dans le mélange de ces deux instructions et l’ordonnancement des switches, sachant que tout peut-être modifié via automation, CC Midi ou notes Midi sur votre DAW le permet. Et bien sûr les possibilités de filtrage et de saturation. Toujours sur cette boucle, voici un exemple d’automation des switches en mode And (notons que les paramètres sont en hexa).
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And permet donc d’effectuer des sauts d’un switch à l’autre, en « nettoyant » le switch sélectionné, permettant des effets de répétitions, de saturation de buffer, etc. Mul permettra de modifier la hauteur ou la vitesse de l’audio entrant. Osc décale l’audio en avant et/ou en arrière, ce qui permet de créer des effets de modulation, du plus subtil au plus extrême. Rnd fait un peu de tout ça de façon aléatoire… Du côté de l’Instruction 2, Or agit à l’inverse de And. Xor fonctionne à la façon de And et Or, mais en inversant les sélections. Msk masque les switches de l’Instruction en accord avec la division rythmique en cours. Enfin Sub enlève des portions du signal sur les canaux droit et gauche. Enfin, l’explication au fait que Msk et Sub n’aient rien apporté d’audible dans l’exemple audio est que l’Instruction 2 arrive après l’exécution de l’Instruction 1, et que ces paramètres agissent sur le résultat de la précédente…
Pour finir avec la partie délai, on peut mettre en boucle dans la mémoire interne l’audio lu grâce à Write Protect (sauvegardé avec le projet, bravo), on peut inverser tous les réglages grâce à Rev, qui change aussi le comportement de certains opérateurs. Enfin Reset effectue un… reset, sauf si Write Protect est activé. Notons que toutes ces fonctions peuvent être automatisées.
Une fois compris le principe des switches et des opérations (voir aussi le manuel pour tous les détails et le pop-up d’explication sur le plug lui-même), on commence à s’y retrouver. Voici quelques exemples à partir des présets fournis, d’abord sur une suite de Pads (les originaux sont ici), avec changements de programmes automatisés (suivant la procédure un peu particulière de Logic, Permut8 ouvert sur une tranche Instrument comme un AU-Midi Controlled Effects et audio venant d’une piste audio via le sidechain).
Une autre suite d’exemples sur une boucle de guitare. On notera les effets de pitch intéressants.
Téléchargez les fichiers sonores : flac article
Bilan
Indéniablement, Sonic Charge cultive avec ses produits deux approches a priori contradictoires et qui pourtant fonctionnent de concert : celle d’une programmation complexe, riche et demandant un temps d’apprentissage, et celle d’une utilisation à l’instinct, source de nombreuses surprises créatives. C’était déjà le cas avec Synplant : nombreux ceux qui se sont contentés de l’interface à faire pousser les plantes, sans aller jeter un œil à l’hélice façon ADN (à ceux qui ne connaissent pas Synplant : non, je ne suis pas devenu fou, lisez le test de ce synthé dont le lien se trouve plus haut…).
C’est la même chose avec Permut8. Par exemple, les indications pour les valeurs d’automation des switches sont du charabia pour moi, et je n’ai aucune envie d’apprendre l’hexadécimal, ayant déjà fort affaire avec les quelques langages que je prétends pratiquer. En revanche, sachant raisonnablement compter et comprendre des concepts comme On/Off, additionner et compagnie, et aimant bien bouger des boutons « pour voir ce que ça fait », eh bien j’ai passé quelques semaines à triturer le plug dans tous les sens, et c’est un plaisir, à la fois par son côté imprévisible et sa qualité sonore. Pour répondre à la question du début, oui, Sonic Charge propose encore un logiciel doté d’une approche totalement originale, qui sonne (pour une fois que l’on a un délai numérique « vintage » et non pas une énième copie d’ancêtre analogique), et qui répondra présent dans toutes les démarches créatives. Vérifiez-le vous-même avec la démo du plug que l’on peut télécharger ici.