Parmi les sorties en continu de Native Instruments apparaît un produit au nom qui intrigue, Molekular. De quoi peut-il bien s’agir ?
On n’ose plus compter le nombre de produits sortis des cerveaux de chez Native. Chaque année nous offre un ensemble de synthés, bibliothèques de sons, effets, sets, mises à jour, destinés aux produits phares de l’éditeur (en gros, Maschine, Traktor, Reaktor et Kontakt) ou disponibles pour des logiciels moins emblématiques, voire en tant qu’application ou bibliothèque n’impliquant pas forcément l’utilisation de logiciels maison.
Depuis quelques années, pour garantir le maelström créatif et commercial, Native Instruments a pris l’habitude de faire appel à des éditeurs externes, à des artistes ou diverses personnalités emblématiques du monde de l’audio et de la musique. On trouvera toutes les références de ces collaborations sur le site de l’éditeur, ou dans les tests ici consacrés aux produits signés NI.
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Cette fois, pour le récent Molekular, c’est à Denis Goekdag (ou Gökdag suivant les différentes graphies) que l’éditeur s’est associé, une collaboration qui n’est pas une première. On connaît en effet Goekdag pour son travail actuel en temps que CEO de Zynaptiq (voir les tests de leurs produits ici), mais il a eu (évidemment) diverses casquettes précédemment, et a entre autres produit et réalisé du contenu pour Native Instruments, notamment Pulswerk et Transistor Punch, deux extensions pour ce qui est le fer de lance de l’éditeur actuellement, c’est-à-dire Maschine, et Deep Freq, Deep Reconstructions and Deep Transformations pour ce qui se voulait le fer de lance de l’éditeur naguère, la défunte (hélas…) plateforme Kore. Et à en juger par les noms de certains modules intégrés à Molekular, les possesseurs des trois dernières bibliothèques ne seront pas tout à fait en terre inconnue. Que propose donc Molekular ? Revue de détail.
Introducing Native Instruments Molekular
Molekular est un ensemble pour Reaktor, nécessitant donc ce dernier logiciel (à partir de la version 5.9). Fort heureusement pour les personnes ne possédant pas Reaktor, l’ensemble est aussi compatible avec le Reaktor Player qui est gratuit, à télécharger ici. Les spécifications en termes de compatibilité d’OS, de logiciel hôte, d’exigences en ressources et autres informations, seront donc celles de Reaktor, que l’on trouvera sur le site de l’éditeur.
Aucun problème d’installation ou d’autorisation, la procédure de Native Instruments via le Service Center est maintenant rodée et relativement transparente pour l’utilisateur. Une fois le numéro de série renseigné et validé, on retrouve l’ensemble Molekular dans l’onglet de Reaktor (version complète pour ce test).
Du mouvement
Molekular est un ensemble constitué d’effets, de modulateurs et d’une interface de routing des uns et des autres. Le tout est fourni avec une palanquée de présets, dont la dernière famille offrant chaque effet de façon séparée, sur un routing simple, un bon moyen de découvrir ces effets, dont la plupart sont plutôt originaux.
L’interface présente dans sa partie supérieure les modulateurs, qui sont de quatre types. Quatre LFO pour commencer, très puissants, puisqu’offrant plusieurs types de formes d’ondes (triangle, sinus, carrée, pseudo-aléatoire), dont on peut modifier la forme (passer de carré à rectangle, par exemple), la phase, la vitesse évidemment, la possibilité d’osciller librement ou en synchro (avec le tempo de Reaktor ou celui de l’hôte), de moduler la destination de façon uni ou bipolaire, de régler la profondeur de modulation et d’assigner de façon très intelligente et ergonomique la modulation à une (ou plusieurs) destination(s) en une fois. Il suffit de cliquer sur Assign, et tous les réglages susceptibles d’être modulés afficheront un petit curseur vertical dont on règlera l’ampleur de façon bipolaire. On affinera ensuite l’action de la modulation via le curseur horizontal dans le LFO ainsi que via le bouton Mod. En rappel, un petit point se déplace autour du paramètre afin de rappeler un, qu’il y a modulation, deux, de quelle ampleur elle est. Les trois derniers LFO affichent de plus un bouton permettant de se synchroniser automatiquement au LFO1. Très bien vu, et une interface qui est cohérente avec celle des récents instruments spécifiquement conçus pour Reaktor.
Encore du mouvement
On continue avec des Step Sequencer, au nombre de quatre. Lecture, avant, arrière, avant-arrière, pseudo-aléatoire, de un à 16 pas, calage au tempo (de 32 mesures au 96e de ronde !), décalage de la séquence créée, et les réglages d’envoi de modulation, plus fonctionnement possible en mode bipolaire. Bien conçus, là aussi. Puis on passe à quatre générateurs d’enveloppe un peu particuliers : d’abord les trois premiers, conçus autour de paramètres temporels habituels de type Attack et Release, mais avec un Gate en lieu et place des Decay et Sustain, qui définira la durée de chacun des pas du séquenceur intégré. Longueur, synchro et Shift (décalage) sont identiques à ceux des Step Sequencer, y compris les réglages de modulation. La quatrième enveloppe est en fait un suiveur d’enveloppe, avec réglage du niveau d’entrée, paramètres Smooth pour adoucir la réaction du suiveur, et Release (on ne va définir ce qu’est un Release, si ?), et un indicateur de niveau d’entrée. Celle-ci peut être choisie entre l’Input, l’Output de Reaktor, ou les sorties des quatre modules pouvant accueillir les effets (emplacements nommés DSP).
Enfin on dispose de quatre modules Logic, permettant de sélectionner en tant qu’entrées deux sources de modulation (X, Y, à choisir entre tous les modulateurs ou le rotatif présent, bizarrement nommé Slider) puis de leur faire subir toutes sortes de modifications via huit modes différents, entre Step Memory (quatre pas avec position et déclenchement), Random, Sample & Hold, Lag, Gate (And, Or, Xor, Negative), Math (Sum, Max, Min ou AVG, moyenne), Scale et X-Fade. Le résultat de ces opérations est ensuite utilisé comme source de modulations, y compris vers les modulateurs ayant servi d’entrée. On le comprend, cette simple section est déjà extrêmement sophistiquée et, si les destinations sont à la hauteur, on peut espérer un travail sur le son assez puissant. Devant toutes ces possibilités, on pourrait parfois se sentir perdu : l’éditeur a donc prévu une vue globale pour chaque paramètre, en double-cliquant sur le nom d’un réglage, ce qui ouvre dans la fenêtre centrale une représentation graphique affichant toutes les sources et leur taux d’application (on peut tout aussi bien y modifier ce taux). Bravo.
Seul reproche global à cette étape, la sélection des paramètres dans les menus se fait par cliquer-tirer, et non par l’apparition de menus déroulants, ce qui est beaucoup moins pratique. Dommage.
Toujours du mouvement
Autre motif de réjouissance, la partie dite Morpher et les Macros. Ces derniers contrôles, au nombre de quatre (décidément…) permettent de piloter n’importe quel paramètre (et n’importe quel nombre de paramètres simultanés) dans n’importe quel module DSP ou modulateur. Bien assignés, avec un simple contrôleur doté d’au moins quatre boutons, et on peut espérer de grandes plages d’action (au sens maîtrise de l’outil) en live, par exemple.
Passons à Morpher, autre petite merveille de modulation. On dispose de cinq « états » (Offset), l’équivalent d’une photo à un instant donné de tous les réglages de Molekular, Base, A, B, C et D. Ensuite, un curseur va permettre de passer de l’un à l’autre selon plusieurs possibilités. D’abord, le réglage Angle, en degrés, qui donne la position du curseur quant à sa révolution autour du centre, et un autre, Radius, en pourcentage, qui définit la distance/proximité du centre ou de la circonférence.
Un clic sur le bouton Morpher permettra de spécifier quels modules DSP et quels modulateurs seront touchés par le morphing. Une fois les sélections et « sauvegardes » de l’état de Molekular dans les cinq Offsets effectuées, on pourra moduler les deux paramètres Angle et Radius, pour paramétrer toutes les possibilités de déplacement du curseur et donc toutes les variations possibles de morphing. On activera à cet effet la fonction Motion (qui peut être assignée à un contrôleur via MIDI Learn ou OSC, comme quasi tous les paramètres du logiciel). Ce qui permet aussi de préparer des effets de morphing, et de ne les activer que quand souhaité.
On trouvera des paramètres supplémentaires dans la page Morph Quantization, accessible dans la partie Routing. On pourra y régler la vitesse de morphing, avec Sync ou non, ainsi qu’une fonction de Sample & Hold à régler grâce à deux menus de quantification, assignés respectivement aux DSP et aux modulateurs. Une réussite de plus à mettre au crédit du développeur.
Toujours dans cette fenêtre Routing, un clic sur l’icône en forme de diapason ouvre la fenêtre de Pitch Quantization, une petite merveille : on y dispose en effet d’un système de Patterns (huit en tout), dans lesquelles on peut déterminer les notes que devront ignorer/considérer tous les effets incluant des effets de hauteur de note, déterminant ainsi gamme ou mode (relatifs à la note ou la plage de notes choisies dans l’effet) que devront adopter ces effets. On peut activer indépendamment l’action des Patterns sur chaque module DSP, ainsi que forcer l’action des Patterns sur une grille rythmique selon les divisions déjà présentes pour d’autres paramètres. De plus, la sélection des Patterns peut être commandée par un des modulateurs. Wooh…
Enfin, le Routing proprement dit : on y règlera le chemin du signal dans de nombreuses configurations en série ou parallèle, avec en plus la possibilité de placer les modules dans n’importe quel ordre, par simple glisser-déposer. On y trouve aussi les volumes d’entrée, de signal non traité et de signal traité, le tout de façon globale, ainsi qu’un limiteur. Puissance encore. Tout cela est bien beau, mais qu’en est-il des destinations, à savoir les effets proprement dits ?
FX Galore
Quatre emplacements DSP, donc, dans lesquels on chargera un des 35 effets disponibles, sachant que cinq sont disponibles pour tous les modules DSP (Dual Delay, Equalizer, Filter, Level et Metaverb, oui, celle de Maschine), et que les 30 autres sont répartis dans les quatre modules de façon exclusive : pas de possibilité d’ouvrir un effet dans un DSP pour lequel il n’est pas prévu. Mais peu importe, puisque l’on a vu que le routing permet de placer les modules dans l’ordre que l’on souhaite.
La plupart des effets communs remplissent parfaitement leur fonction et n’embarquent pas de fonctionnalités ésotériques, à l’exception du Level qui, en dehors de ses paramètres de base de volume et de pan, offre un séquenceur permettant de modifier volume, pan et largeur d’impulsion, cette dernière permettant de créer des effets de gate, stutter, etc.
Il en va tout autrement des autres. D’abord, les paramètres communs : quasi tous disposent d’un Mute, de réglages Mix, Wet et Out, d’un Bypass et d’un Solo. Ensuite, chacun regroupe des fonctionnalités que l’on peut parfois déduire de leur nom, avec toujours une touche inédite les différenciant des modules équivalents chez d’autres éditeurs. D’autres sont totalement originaux.
Prenons les effets ayant un air familier : d’abord, le Dual Comb, qui regroupe deux filtres en peigne, pouvant être configurés en parallèle ou en série, avec crossfade et balance entre partiels harmoniques pairs et impairs. Ensuite tout une série de délais, comme Angel Delay (de trois à 15 taps, avec différentes gestions de la chute des échos), Band Delays (huit taps, chacun passant dans un filtre band-pass avec gestion du pan et de l’amplitude, le tout associé à un système de patterns), Cloud Delay (un délai granulaire, avec freeze, hauteur, longueur, reverse…) et Dub Delay (délai stéréo avec voix indépendantes et de nombreuses fonctions de traitements sur les échos).
Ensuite Freezer permet de sampler le signal entrant sur deux canaux indépendants, avec fade In et Out variables sur les points de bouclage, Chorus utilise un délai stéréo et un décalage de phase jusqu’à 120°, Dual Filter est un double filtre résonant multimode (utilisation en série ou en parallèle), Filterbank regroupe cinq filtres passe-bande 24 dB, Phlanger est un hybride entre phaser et flanger (jusqu’à 10 filtres all-pass avec délai dans la boucle de feedback), Pitch Shift est un double circuit de transposition avec Reverse, accordages indépendants, et mode Weird (mélange des deux, sans garantie du résultat…), Lo FI offre un algorithme de réduction de fréquence d’échantillonnage, Frequency Shift est un double circuit de décalage de fréquence, avec inversion, feedback et modulation, pouvant travailler en positif ou négatif.
Rien que ça rendrait déjà heureux n’importe quel amateur de bidouilles sonores. Mais ce n’est pas fini.
More FX Galore
Même si les effets suivants sont basés sur des principes connus (ou moins connus), leur implémentation et la façon dont l’utilisateur interviendra sur le son via les réglages sont la plupart du temps assez novateurs ou inédits dans du logiciel se voulant grand public. C’est d’ailleurs une des forces de la plupart des produits pour Reaktor que de cacher des programmations parfois hallucinantes sous des interfaces claires et simples (l’étude des patches et des niveaux de programmation des modules de Molekular fait… très mal à la tête).
On ne peut continuer à dérouler le détail de tous les modules présents, il faudrait, vu leur spécificité l’équivalent de ce qui a déjà écrit du début de ce test à l’endroit où nous sommes… Prenons simplement quelques effets particuliers, et si l’on souhaite en savoir plus sur le reste, Native offre une version de démo incluant un manuel très détaillé.
Prenons Plagiarism, par exemple. Un suiveur d’enveloppe analyse le signal entrant, et la mesure moyenne en résultant déclenche à son tour 16 enveloppes, gérant 16 sons dont la hauteur individuelle est définie en fonction d’une référence et d’une répartition des partiels harmoniques à choisir entre ordre naturel, ordre inverse, pairs et/ou impairs, suite de quintes, exponentiel, mineur, majeur, septième majeure, septième mineure, octaves désaccordés et suite de secondes. On peut forcer un côté pseudo-aléatoire, déterminer le nombre de voix, choisir le mode de génération des voix (filtres band-pass, ondes sinus ou pulse, avec variation de la largeur), trois modes d’analyse et modulateur en anneau.
Voilà quelques exemples audio à partir d’une simple voix, et uniquement le Plagiarism, avec ou sans modulations.
Il faudrait s’arrêter sur le module de distorsion (Modulo Fry), sur le Track OSC, un oscillateur déclenché par l’analyse de la hauteur du signal entrant (ou comment produire le trafic vocal du « Lovely Head » de Goldfrapp), sur Iteratron, permettant d’échantillonner le signal entrant, puis de moduler son amplitude via un générateur de pas ascendant ou descendant, avec répétition, filtrage, inversion, etc. Comme la place va manquer, voici quelques exemples de sons traités par des chaînes plus ou moins complexes d’effets, d’abord à partir d’une batterie.
Puis à partir d’une basse.
Bilan
Le bilan va être très rapide : Molekular est devenu l’un des outils de sound design que j’utilise en priorité, en le complétant avec les plugs ou applications offrant les fonctionnalités absentes et nécessaires, comme la réverbe à convolution, les processeurs de time-stretching, certains délais, saturations, filtres ou compresseurs. Le fait qu’il se comporte aussi bien dans un contexte de studio, par exemple pour fabriquer de la nourriture pour votre sampler préféré, ou sur scène, pour traiter de façon totalement sauvage n’importe quel son, est bien évidemment un plus, MIDI Learn et OSC le mettant en accès total aux contrôleurs les plus variés, des smartphones aux surfaces de contrôle, en passant par tous les claviers de commande, les Leap Motion et autres Wiimote.
Une véritable réussite, méritant parfaitement son Award Valeur Sûre.
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