Comment épicer sa musique de saveurs exotiques lorsqu'on n'a pas l'occasion de jouer avec les plus grands percussionnistes d'Afrique ou d'Amérique du Sud ? La réponse à cette question tient en 436 Mo de sons et un logiciel : Afrolatin Slam.
Comment épicer sa musique de saveurs exotiques lorsqu’on n’a pas l’occasion de jouer avec les plus grands percussionnistes d’Afrique ou d’Amérique du Sud ? La réponse à cette question tient en 436 Mo de sons et un logiciel : Afrolatin Slam.
2003 et 2004 resteront probablement, dans la petite histoire de la MAO, comme les années qui ont vu se développer avec le plus de force le concept d’expandeur virtuel. Initiée par IK Multimedia avec le premier Sampletank et par USB avec la série Plugsound, l’idée de proposer un lecteur d’échantillon dans le contexte d’une énorme banque de sons ne cesse ainsi d’être déclinée au point qu’on compte déjà une bonne centaine de références dans cette catégorie de produits.
Expandeur vs Sampler Si tous deux sont dédiés à la lecture d’échantillons audio et offrent des fonctions avancées d’édition ou de traitement, expandeur et sampler sont deux choses bien différentes. A la différence de l’échantillonneur qui permet de créer ses propres banques à partir de fichier audio basiques (WAV ou AIFF), ou encore d’importer n’importe quelle collection de samples compatible, l’expandeur est un logiciel fermé qui se borne à l’exploitation des échantillons qui l’accompagnent. |
Les raisons d’un tel engouement tiennent dans ce que l’expandeur logiciel répond à plusieurs besoins. Les éditeurs de samples (EastWest, Best Service, Zero G, Spectrasonics, Yellow Tools, Wizoo, PowerFX, Uebershall, etc.) y voient en effet un bon moyen de recycler leurs énormes catalogues à l’heure où le marché des échantillonneurs hardware est en chute libre.
Les développeurs, pour leur part, trouvent là une occasion de rentabiliser les coûts de développement de leur technologies respectives, en licenciant toute ou partie de leurs moteurs audio aux éditeurs de samples.
Quant à l’utilisateur, il dispose d’énormes collections de sons éditables dans un environnement autrement plus simple que ne le sont les samplers…
Bref, cette formule arrange tout le monde, à commencer par Native Instruments qui, via des partenariats avec East West, Zero G et Best Service, a ces derniers temps littéralement inondé le marché de ses expandeurs virtuels basés sur les moteurs audio de Kompakt & Intakt.
C’est justement de l’un de ces expandeurs dont il est ici question et plus spécialement d’Afrolatin Slam qui propose quelques 463 Mo de boucles rythmiques africaines et latino-américaines dans le contexte d’une mouture d’Intakt. Bridée dans la mesure où elle ne peut importer ou lire d’autres échantillons que ceux avec lesquels elle est fournie, cette dernière reprend toutes les caractéristiques du sampler à boucles de Native Instruments. Elle s’utilise ainsi en application autonome (Avec gestion des technologies ASIO, Core Audio ou Direct Sound) ou comme plug-in au format VSTi, DXi, RTAS & AU sous Windows, MacOS 9 ou OS X. Petite précision et non des moindres : la banque de son étant au format NKS, elle pourra être lue par la version complète d’Intakt ou par Kontakt, le sampler phare de Native Instruments. Avis aux amateurs donc.
L’installation ne pose pas de problème : on indique successivement dans quels répertoires doivent être installés le programme en standalone, la banque et le plug-in, on s’enregistre en ligne on ne peut plus facilement et c’en est fini.
Une fois lancé, le logiciel présente donc la même apparence qu’Intakt à ceci près que c’est le logo Afrolatin Slam qui trône au sommet de l’interface.
Avec ses tons kakis tristes comme une cravate de l’inspecteur Derrick et ses courbes dignes d’un tank Sherman, cette dernière n’a rien de très engageant au premier coup d’œil même si elle se révèle en définitive aussi claire que fonctionnelle.
Le logiciel s’organise ainsi en trois volets surmontant une représentation du clavier : Source Edit, Modulation et Effects.
3 moteurs sous le capot
C’est dans le volet Source Edit que l’on accède aux fonctions principales du logiciel, à commencer par le chargement des presets, classés en 6 catégories (African, Afrolatin Fusion, Caribbean, Instruments & Hits, Latin American, Miscellaneous Loops) comportant elles-mêmes des sous-catégories suivant le style ou l’instrument concerné. Rien à redire sur l’organisation : on trouve relativement vite ce qu’on est venu chercher.
C’est quoi un slice ? Le Slicing audio a été inventé il y a quelques années par Propellerhead avec ReCycle : En détectant les pics de volume au sein de la boucle, le logiciel tronçonne cette dernière en portion appelées Slices et sauvegarde un cartographie MIDI de la loops qui dit quelle portion doit être jouée à quelle moment. Ce système hybride audio/MIDI permet d’opérer de grandes modifs sur le tempo de la boucle sans provoquer les dégradations d’un classique Time Strectching (Les portions audio elles-mêmes ne sont pas déformées mais sont rapprochées ou éloignées au niveau du fichier MIDI, ce qui marche extrêmement bien avec les boucles rythmiques) mais il donne aussi la possibilité de bouleverser la structure initiale de la boucle : le slice 1 peut prendre la place du slice 4, qui lui-même prendra la place du slice 2, etc. Bref, une invention lumineuse qui inspira plus d’un développeur et qui trouve son aboutissement dans des logiciels tels que Devine Machine. |
A deux pas de là, deux potars permettent de régler le tempo global ou celui de la boucle cependant qu’un bouton permet de régler plus ou moins finement la synchronisation et d’activer un mode rettrig garant du bon rythmique calage des sons. C’est aussi à cet endroit qu’on peut accéder aux trois modes de lecture d’échantillons dont dispose le logiciel :
- Sampler qui lit bêtement le son en agissant sur sa vitesse de lecture pour le transposer dans différentes tonalités. A oublier si vous désirer rester dans le même tempo quelle que soit la hauteur de la transposition.
- TimeMachine qui exploite pour sa part un algorithme de Time Stretching / Pitch Shifting pour transposer les boucles sans pour autant modifier leur longueur, au risque de dégrader grandement le son lorsque la transposition ou la variation de tempo dépasse les +/- 20 %.
- BeatMachine qui préfère quant à lui gérer les boucles via un système de slices et permet de la sorte de grandement modifier le tempo de la loops sans qu’aucune dégradation audio ne soit audible. (voir encadré)
Une large fenêtre permet de visualiser la boucle en cours de lecture : lorsque BeatMachine est activé, on y distingue très nettement les slices ainsi que les notes (en notation anglaise) auxquelles ils sont assignés. Un aspect pratique à utiliser en conjonction avec le clavier situé au bas de l’interface, qui affiche pour sa part une vue d’ensemble du mapping avec des touches bleutées, rosées ou orangés suivant le moteur de sampling utilisé.
Au moyen de ce clavier ou de la souris, la lecture d’une boucle ou d’un slice particulier se fait très rapidement. Cela s’avère pratique pour jouer live mais cela a aussi son intérêt lors de l’editing, pour sélectionner les portions sur lesquelles on veut intervenir. Et croyez bien qu’il y a matière à intervenir, que ce soit sur l’ensemble d’une boucle, sur un groupe de slices ou sur un slice seul…
Intakt attaque !
Cela commence par les paramètres situés à droite de la fenêtre d’édition et qui permettent de définir le volume, le panoramique, l’accordage ou encore la sensibilité à la vélocité de chaque zone sélectionnée.
Ces réglages auront d’autant plus d’intérêt qu’ils pourront tous être pilotés par l’enveloppe AHDSR, le suiveur d’enveloppe ou le LFO 1 (3 formes d’ondes : scie, carré, triangle) qu’on trouve aux côtés d’une enveloppe de pitch et d’un deuxième oscillateur dans le volet Modulation.
Et la bidouille sonore ne s’arrête pas là puisque le logiciel inclut aussi 4 effets qu’on pourra disposer selon l’ordre voulu et activer/désactiver à l’envie : un filtre multimode (Filter), un module permettant de diminuer la résolution ou l’échantillonnage des samples (Lo-Fi), une petite disto (Distorsion), un Delay basique mais synchronisable et enfin un deuxième Filtre placé quant à lui en effet maître et qui affectera donc le son qui sort du logiciel dans sa globalité.
A noter que la fréquence de coupure ou la résonance du filtre d’Insert sont contrôlables par le LFO 2, le suiveur d’enveloppe ou l’enveloppe AHDSR. A noter aussi que l’enveloppe en question peut aussi contrôler l’évolution des valeurs 'Speed’ et 'Amount’ des 2 LFO. A noter enfin que, si par hasard, vous vous sentiez limité par cette section d’effets, il est tout à fait possible de sortir sur 8 pistes stéréo ou 16 pistes mono pour retravailler les slices ensuite dans votre séquenceur.
Boucle d’or…
Vous l’aurez compris : entre les trois moteurs de sampling et la section d’effets du logiciel, il y a vraiment de quoi personnaliser les sons présents. Reste maintenant à parler de ces sons, justement, et de la pertinence du logiciel par rapport à la banque.
La variété des percus au programme force le respect dans la mesure où une grande quantité de ce que l’homme a pu inventer pour frapper dessus est ici présent, ne serait-ce qu’au travers d’une boucle : Djembes, Congas, Bongos, Tam Tam, Dondo (talking drum) Timba, Surdo, Rebolo, Cuica, Pandeiro, Berimbão, Timbales, Tongue Drum, Sanza, Cavaquinho, Repico, Tambourins, cloches, shakers…
Pour faciliter l’accès à une telle collection, les auteurs ont retenu un classement par styles musicaux. La banque s’organise ainsi en 6 sections :
- Une section africaine, qui propose des sons provenant pour l’essentiel du Congo, de la Côte D’Ivoire, du Ghana et du Nigeria, et aborde les styles Afrobeat, Afrofunk, Juju, entre autres.
- Une section nommée Afrolatin Fusion qui fait la part belle aux musique issue du métissage entre les deux grands continents du groove : Afrosamba, Afrobossa, Speedbash, etc.
- Une section Sud-américaine qui explore pour sa part les musiques suivantes Batucada, Berimbao, Caxixi, Candomblé, Chôro, Forró, Frevo, Makumba, Maracatu, Pandeiro, Salsa, Samba.
- Une section qui nous emmène aux Caraïbes, pays de la Soca.
- Une section proposant des instruments & des 'hits’ individuels composée de percussions africaines et brésiliennes, (balafon, kalimba, molo, percussion 'jouet’).
- Et enfin une section comprenant des boucles et des 'hits’ divers, aux noms évocateurs : Classic Break Beats, Funky Dread Drums, Vintage Breakbeat, Funky Jazz Breaks, Garage beats, Dark Drum’n Bass, Vintage Drum n’ Bass…
Les frappeurs de peaux Signalons que l’essentiel des grooves ont été joués par Francis Fuster (un percussioniste de la Sierra Leone qui a joué, entre autres pour Paul Simon, Hugh Masekela, Manu Dibango & Miriam Makeba) et par le kenyan Sultan Makendé (producteur et multi-instrumentiste ayant bossé avec Left field, Trans Global Underground, Judge Jules, Moreno Veloso et bien des stars africaines dont Pat Thomas, Julian Bahula, Mose 'Fan Fan’ & Abdul Teejay). Le tout a été enregistré dans les studios Sultan Sound de Londres et sur le terrain, en Afrique et en Amérique du Sud. |
Il y a donc vraiment de quoi faire quel que soit le registre abordé. Or, si Afrolatin Slam concilie quantité et variété, ce n’est pas, comme on serait porté à le croire de prime abord, au détriment de la qualité.
Les auteurs de la banques sont en effet des musiciens capés (Voir encadré) qui maîtrisent parfaitement leur sujet et cela s’entend : les boucles qu’il proposent sont à la fois pertinente et surtout, ne versent pas dans la caricature pour occidentaux en mal d’exotisme, comme c’est trop souvent le cas avec ce genre d’initiative.
Variété, quantité et qualité : voici qui laisserait à penser qu’Afrolatin Slam est un produit parfait. Or, si la banque est de très bonne tenue et si la partie logicielle semble tout à fait convaincante, il convient encore d’apprécier la pertinence de leur association.
…et le grand méchant Loops !
Sur ce point, je serais plus réservé car sans démériter, le logiciel montre certaines limites dans le contexte des boucles acoustiques : si à la faveur des 3 moteurs de sampling, on peut jouer à loisir avec les tempos pour adapter les nombreuses loops à ses compos, il semble assez délicat de créer ses propres grooves en se servant de la multitude de slices proposés.
C’est un fait : un slice et un sample One Shot sont deux choses bien différentes. Là où le sample One Shot est entier (le son part de l’attaque et va jusqu’au terme de son 'relâchement’ (release)), un slice voit le son s’interrompre brusquement, ôtant ainsi tout son naturel à l’instrument. Evidemment, plus la boucles dont est extraite le slice est chargée de réverb et plus la chose est voyante : la queue de réverb disparaît purement et simplement et il est quasi-impossible de la récréer pour obtenir un son crédible.
Du coup, n’espérez pas construire des boucles de percus crédibles en réagençant les samples : le tout sonnera comme un collage plus ou moins hétéroclite que vous aurez du mal à exploiter. Cela sera d’autant plus vrai que la vélocité des slices est gérée linéairement au niveau du volume : pas question ici d’avoir 16 samples pour récrer les différents niveaux de vélocité d’une percu, ou les mains droites et gauches du percussionniste, d’où un côté mitraillette lorsque vous utilisez deux fois de suite le même sample. Bref, n’achetez pas AfroLatin Slam en pensant trouver un ersatz du remarquable Culture de Yellow Tools. L’expandeur de Zero-G n’a rien à voir avec cela…
En revanche, dès qu’on se défait de l’idée de vouloir produire des boucles de percus réalistes, force est de constater que le tandem Intakt/percus est des plus intéressants : à grand coup de filtres, de disto et de delay, on peut ainsi bâtir des canevas electro du plus bel effet, partant des directions parfois très éloignées de la thématique de base du logiciel. La section modulation, et en particulier l’enveloppe de pitch et l’enveloppe AHDSR, permettent même de produire des bruitages et des nappes pour le moins surprenants. Dans cette optique, on n’a presque l’impression de bénéficier avec Afrolatin Slam de deux instruments en un : un expandeur de percus afro-latines avec ses boucles prêtes à l’emploi, et un synthé plus expérimental qui fera merveille dans les compos technoïdes…
Pour finir là-dessus, voici deux boucles qui montre bien les potentialités et limites du logiciel :
Une tentative de création de boucle de percussion à partir de slices : observez bien la coupure de la fin de chaque son qui semble hacher le rythme et nuit au réalisme de l’ensemble | |
boucle 2 | La même séquence bidouillée avec les enveloppes, LFO et générateurs/suiveurs d’enveloppe pilotant quelques effets : c’est déjà nettement plus intéressant… |
Plutôt parlant, non ?
Conclusion
Le bilan est donc largement positif dans la mesure où le logiciel proposé par Zero-G est vendu à un prix très raisonnable. A moins de 150 €, vous bénéficiez ainsi d’une collection de boucles percussives de grande qualité et d’un outil de synthèse vraiment intéressant. Evidemment, on regrettera le manque de pertinence du logiciel dans la recréation de boucles acoustiques, mais il faut l’admettre : là n’est pas la vocation d’Afrolatin Slam et des technologies qu’il utilise.
Un bon logiciel donc, mais certainement pas le logiciel ultime en matière de percussions.