Méconnus du grand public, les pianos préparés ne sont pas légion dans le monde des instruments virtuels. On est d’autant plus content, de ce fait, de voir UVI sortir un Augmented Piano dont le couvercle abrite une quincaillerie digne de ce nom…
Il est dans la nature même des musiciens de détourner les outils qui sont à leur disposition pour les emmener vers d’autres usages et d’autres sons, pour les transfigurer au nom de la création. C’est vrai lorsque Jimi Hendrix joue avec le larsen de son ampli et l’hymne américain à Woodstock comme lorsqu’Eddie Van Halen se met à faire des Dive Bombing avec le vibrato de sa guitare électrique, lorsque Hugh Padgham gate un micro de talk back pour enregistrer la batterie de Phil Collins comme lorsque Daft Punk martyrise le son jusqu’alors bien sage d’une TB-303.
Mais bien avant tout cela, c’était vrai en 1922 lorsque Maurice Delage plaça un bout de carton sous la corde de si de son piano pour mimer le son d’une percu indienne ou lorsqu’Henry Cowell se mit à gratter, frotter et pincer les cordes de son piano plutôt que d’utiliser le clavier et ses marteaux pour en jouer.
Toutefois, c’est vraiment avec John Cage que ces expérimentations avant-gardistes se formalisent en 1938 dans ce qu’on appellera désormais le « piano préparé ». Écrivant la musique d’un spectacle de danse de Syvilla Fort, le musicien compose une œuvre exclusivement jouée par un ensemble de percussions. Le problème, c’est qu’il n’y a pas la place sur scène pour un tel ensemble ; juste un piano. Qu’à cela ne tienne : c’est ce dernier et un unique pianiste qui se substitueront à l’ensemble prévu… après quelques modifications dans l’instrument comme dans la façon d’en jouer.
Bouts de papier, gommes, pièces de monnaie, feuille d’aluminium, vis : à partir de ce jour, tout devient alors bon pour altérer le son original du piano qu’on jouera aux doigts, à l’archet ou avec tout l’arsenal du percussionniste, des baguettes de bois ou de métal aux mailloches en passant par les balais. Une seule règle demeure : que tout soit amovible, de sorte que le piano préparé puisse revenir à son état original après usage.
C’est ce type de préparation qu’UVI nous propose aujourd’hui de retrouver sous forme virtuelle avec Augmented Piano, sachant que l’éditeur français n’est pas débutant en la matière puisqu’on lui devait déjà l’IRCAM Prepared Piano réalisé en partenariat avec le célèbre centre de recherche.
Tout cela est à découvrir en vidéo, ou en texte, selon vos préférences ;
Préparatifs des préparations
Comme d’habitude avec UVI, l’installation se fait en téléchargeant un fichier RAR contenant un unique fichier UFS de 14,1 Go. Une fois ce dernier décompressé dans votre répertoire de samples, il vous faudra l’autoriser via le système iLok logiciel ou physique. La chose faite, vous n’aurez plus qu’à ouvrir la banque UFS depuis le freeware UVIworkstation, ou bien Falcon si vous le possédez.
C’est alors qu’apparaîtra sous vos petits yeux ébahis une sympathique interface mêlant habilement le Flat Design pour les paramètres et une représentation photoréaliste du piano, un Pleyel à queue de 1909, cerné par 4 micros : 2 statiques BK situés de part et d’autre, un ruban stéréo Royer au centre et un micro PZM (à gradient de pression) vraisemblablement collé sur la façade de l’instrument, sachant que vous pouvez activer/désactiver ces trois dispositifs de captation et régler leur niveau à chacun.
Au sommet de de la fenêtre, en vis-à-vis de la courbe de vélocité, trois icônes vous permettent d’accéder aux différents onglets de l’interface. En plus du panneau que nous venons de détailler et qui concerne donc les microphones, on pourra ainsi afficher les paramètres d’édition et la section d’effets du logiciel.
Enveloppes et timbres
L’édition vous permet de jouer plus en détail sur le volume des composantes du son de piano : le son de relâchement, celui de la pédale et celui des résonances sympathiques, tandis qu’on vous propose aussi une enveloppe ADSR globale dont l’attaque peut être associée à la vélocité. Juste un dessous, on dispose d’un filtre résonant multimode flanqué de son enveloppe ADSR lui-aussi et d’un étage permettant de jouer sur la « couleur » tonale de l’instrument (le manuel évoque vaguement l’usage de samples adjacents, sachant que le réglage se comporte comme un Tilt EQ qui permet d’aller drastiquement vers les aigus au détriment des graves ou l’inverse), comme sur son pitch ou de définir l’action de la molette qui pourra piloter au choix un trémolo, un vibrato et le filtre. A défaut de réelle enveloppe de pitch, les deux réglages qui nous sont proposés le concernant sont intéressants dans la mesure où ils permettent d’effectuer des fluctuations plus ou moins marquée de ce dernier, voire d’obtenir un effet glide : ça ne sonne plus du tout comme un piano alors, mais comme on n’est pas là pour que ça sonne comme un piano traditionnel non plus, c’est vraiment bienvenu.
Précisons-le, ces paramètres s’appliqueront globalement au son du piano et non à chaque micro. C’est également le cas de la section d’effets qui propose sept modules dont le chaînage est fixe : de gauche à droite sur l’interface, on dispose ainsi d’une saturation (sans choix de l’algo), d’un processeur à convolution avec une collection de réponses à impulsion pouvant tout aussi bien simuler des espaces que servir au Sound Design, d’un égaliseur demi-paramétrique 3 bandes, d’un chorus issu de Thorus, d’un flanger, d’un delay Ping Pong et d’une réverbe algorithmique issue de Sparkverb.
Il y a donc de quoi faire côté effets même si on s’étonnera de ne disposer d’aucun traitement de la dynamique ou de l’image stéréo, pas plus que de modulateur en anneau, d’un bit crusher/downsampler ou d’un phaser. Il n’y a rien de rédhibitoire là-dedans, dans la mesure où rien ne vous empêche de faire votre tambouille vous-même dans l’UVIworkstation, Falcon ou votre STAN, mais il faut souligner que l’instrument ne propose qu’une simple sortie stéréo : il sera impossible donc de traiter séparément les différents micros. Ultime regret concernant cette section d’effets : on ne dispose d’aucun gestionnaire de presets, que ce soit au niveau global ou de chaque module.
Piano du troisième type
Il conviendrait de ne pas l’oublier : avant toute préparation, le piano samplé par UVI est un très beau Pleyel du début du siècle dernier que l’on va confronter à quelques programmations barbares pour faire un rapide état des lieux.
- MIDIvelominmax 00:07
- MIDIvelolayers 00:17
- MIDIroundrobin 00:03
- MIDIsustain 00:20
- MIDIsympathiques 00:08
Ces tests techniques permettent de se rendre compte que les différents niveaux de vélocité progressent sans accroc même si les notes les plus faibles sont déjà assez sonores et qu’on ne peut pas enfoncer une note du clavier sans que le marteau la frappe et que la corde résonne. Le Round Robin n’est pas non plus exceptionnel mais la longueur des samples respecte parfaitement le sustain de l’instrument et les bruits de relâchement comme les résonances sympathiques sont bien présentes. En marge de ces appréciations techniques, on s’accordera en tout cas sur le charme de ce piano dont le son feutré rend parfaitement justice à la célèbre Pavane de Ravel. J’en profite pour vous faire entendre les micros séparés, puis le patch Una Corda reprise avec le ruban uniquement. Étonnamment, ce dernier est plus brillant que le patch normal. Qu’importe puisqu’on a les deux…
- PavaneRavelNormalCondenser 01:26
- PavaneRavelNormalRibbon 01:26
- PavaneRavelNormalPZM 01:26
- PavaneRavelUnaCorda 01:26
Tant que nous sommes dans le répertoire des pianos « normaux », on en profitera pour essayer quelques presets et se rendre compte que les sections d’édition et d’effets permettent d’obtenir bien des variantes intéressantes.
- PavaneRavelTVShow 01:26
- PavaneRavelUprightish 01:26
Toutefois, si sympathique que soit le piano de base, c’est surtout les préparations qui nous intéressent. Et là, c’est le bonheur puisqu’UVI nous en propose une vingtaine en plus du piano normal et de l’Una Corda, dont la plupart sont bien plus originales que ce qu’on a l’habitude de voir chez les concurrents (8dio, Soundiron, Soniccouture, entre autres). Je vous annonce le menu des ustensiles et techniques utilisés pour emmener le 88 touches dans un autre monde : archet (Bow), capsules de bouteille (Caps), pièces de monnaie (Coin), glissements ou frappe avec des balais (Brush slide / Brush tap), archet électronique (Ebow), gomme (Rubber Eraser), jeu au doigts avec ou sans étouffement (Finger & Finger muted), harmoniques (Harmonics), feuille d’aluminium (Metal foil), baguette de Métal (Metal stick), sourdine (Muted), médiator avec ou sans étouffement (Pick & Pick muted), vis (Screws), punaises avec ou sans étouffement (Tack & Tacked muted), porte-feuille (Wallet) et baguette en bois (Wood stick).
Voici sans plus tarder un petit florilège de ce que tout cela permet d’obtenir :
- Normal 00:17
- UnaCorda 00:17
- TackRibbon 00:17
- DefaultPick 00:17
- WoodHarpstickord 00:17
- DefaultMetalStick 00:17
- DefaultBrushSlide 00:17
- DefaultBrushTapBright 00:17
- DefaultBow 00:17
- DefaulteBow 00:17
- DefaultMuteFinger 00:17
- DefaultMuteNormalHarmonics 00:17
- DefaultMutePick 00:17
- DefaultMuteTack 00:17
- DefaultFinger 00:17
- DefaultCoin 00:17
- DefaultScrewsAll 00:17
- DefaultScrewsHarmonic 00:17
- DefaultScrewsInHarmonic 00:17
- DefaultWallet 00:17
Et j’en profite pour revenir sur le piano bastringue qui fait parfaitement la blague :
UVI a en outre pris la peine de sampler le piano sans cordes, et d’enregistrer quantité de jeux avec la structure même de ce dernier, en mélangeant diverses préparations :
- FXKeysNoises 00:11
- FXCapsXFX 00:11
- FXStructuralXFX 00:11
Enfin, à défaut de nous permettre de le faire nous même dans le logiciel, comme c’est le cas avec l’IRCAM Prepared Piano, l’éditeur a pris soin de combiner plusieurs préparations offrant des résultats vraiment très intéressants :
- MixedTackeBow 00:17
- MixedScrewInharmCaps 00:17
- MixedBrushTapMtlFoil 00:17
- MixedPickMuteBow 00:17
Que dire de tout cela ? Que le spectre de sonorités est large même si l’on garde le fil conducteur du piano, ou du moins de la corde vibrante sur une table d’harmonie. Et qu’en marge de sons vraiment barrés Sound Design qui se montreront utiles pour créer des ambiances, d’autres qui, grâce au glide et à la section d’effets, fleurtent avec les sons synthétiques, quantité de ces préparations sauront se montrer très utiles au quotidien dans des compos plus classiques en lieu et place de clavecins, pianos bastringues, cordes frottées, harpes, guitares, orgues voire synthés, piano électriques, cymbalums et autres zithers, etc. De fait, on n’a pas ce sentiment que ce piano préparé ne s’adresse qu’aux seuls aventuriers du son et aux fans de John Cage, mais qu’il pourrait bien cibler n’importe quel type de musicien cherchant un instrument polymorphe pour produire des sons de cordes frappées, grattées ou frottées, quels qu’ils soient.
Quant à savoir ce que vaut cet Augmented Piano à 150 euros face à l’IRCAM Prepared Piano également disponible chez l’éditeur, disons qu’UVI a été plutôt malin sur le coup en évitant que les deux produits se retrouvent en concurrence frontale. Les pianos de base sont différents d’une part (un Yamaha C7 au lieu d’un Pleyel), le nombre de préparations monte à 45 dans le cas du piano IRCAM, mais on a surtout la possibilité avec ce dernier de combiner librement deux préparations et même de choisir quelle préparation utiliser pour chaque corde, ce qui offre bien plus de lattitude et de souplesse qu’avec Augmented Pianos où tout cela est figé. On aurait tort toutefois de voir ce dernier comme une version light de l’IRCAM Prepared Piano puisqu’on y dispose non seulement d’une triple captation au lieu d’une double mais que la section d’effets embarquée est aussi plus développée et intéressante (le processeur à convolution notamment).
Bref, si avec Augmented Piano, UVI rend vraiment le concept accessible au plus grand nombre, les amateurs de pianos préparés pourront acquérir les deux sans avoir le sentiment que tout cela fait forcément double emploi. C’est bien vu.
Enlarge your piano
Il n’y a pas grand chose à reprocher à cet Augmented Piano au prix où il est vendu car même s’il n’offre pas les options avancées d’un IRCAM Prepared Piano, il parvient à tirer son épingle du jeu avec sa sympathique section d’effets et constitue une formidable entrée en matière au monde passionnant des pianos préparés. Bien évidemment, on aurait aimé avoir plus de souplesse sur le routage des micros et plus de détail au niveau de l’échantillonnage car sur le terrain du piano tout court, ce charmant Pleyel (une marque bien sous-représentée d’ailleurs dans le monde du virtuel) ne fera pas d’ombre aux gros Bills du secteur, qu’il s’agisse de Synthogy, Galaxy, EastWest, Native Instruments ou encore VI Labs…
Il faut cependant reconnaître que ce qu’on nous propose ici fait déjà montre d’une grande polyvalence et d’une indéniable qualité audio. Avec de telles qualités, l’instrument d’UVI trouvera ainsi sa place dans les genres musicaux les plus variés : la musique contemporaine façon John Cage bien sûr, mais aussi la pop, le rock, le jazz, le hip-hop, l’électronique ou encore la musique à l’image. Bref, contrairement à ce qu’aurait pu penser de prime abord, ce n’est certainement pas un piano pour initiés mais bien un piano pour tout le monde dont le nom est en parfaite adéquation avec le contenu : si vous cherchez 88 touches qui vous en donnent plus, vous auriez donc tort de passer à côté de celles-ci.