Eventide revient avec la nouvelle version de son bundle logiciel qui d’Anthology X passe à Anthology XI. Au programme : l’ajout de la quasi totalité des plug-ins sortis ces dernières années, soit une bonne raison de faire le point sur ce qui se trouve sous le X.
Rappelons-le pour les plus néophytes : il y a dans l’histoire de l’audio et du traitement du signal un avant et un après Eventide, le constructeur ayant bouleversé le petit monde de l’audio et de la musique avec ses fameux Harmonizers aux incroyables algos. Alors que les racks de série H figurent toujours en bonne place parmi le matos de référence de studio, la généralisation du mixage ‘in the box’ (c’est à dire en ne recourant qu’à des logiciels) réclamait qu’Eventide propose ses outils sous forme logicielle, ce qui fut le cas dès le milieu des années 2000 pour Pro Tools puis aux formats natifs AU/VST en 2012.
C’est ainsi qu’est né le bundle Anthology X rassemblant la quasi-totalité des logiciels édités par la marque. Au programme, on disposait ainsi des harmoniseurs et multieffets H910, H910 Dual, H949, H949 Dual, H3000, H3000 Band Delays & Octavox, Quadravox, des effets à modulation Instant Phaser & Instant Flanger, du compresseur Omnipressor, de la réverb UltraReverb, des tranches de console UltraChannel & EChannel, des modélisation d’égaliseurs Urei EQ45 & EQ65 et enfin de l’utilitaire Precision Time Align.
Deux ans plus tard, Eventide complète son offre avec six nouveaux plug-ins : Le multieffet Fission, le delay UltraTap et les réverbes Blackhole, Mangleverb, 2016 Stereo Room et TVerb.
Si nous ne reviendrons pas sur cette dernière qui a fait l’objet d’un test détaillé par Nantho, les cinq autres plug-ins méritent indubitablement un examen plus approfondi. C’est que nous vous proposons en vidéo avec ce nouvel épisode d’On Refait le Patch.
Et pour ceux qui aiment la lecture, voici un petit brief sur les plug-ins les plus notables de ce nouveau bundle.
A room with a view
Il n’y a pas grand chose à dire sur cette réverbe qui modélise un classique d’Eventide toujours vendu 2500 euros. Pourquoi ? Parce que ses dix potards n’ont rien de bien surprenant mais que toute sa qualité réside dans son algo qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, peut s’aventurer au-delà de la room pour aller vers des espaces plus grands. Ca sonne magnifiquement bien et ça se règle facilement : rien à dire, c’est de la belle ouvrage comment on l’entend sur ces extraits :
- DrumsDry 00:10
- ROOM2016drumsNaturalRoom 00:10
- ROOM2016GuitarDry 00:21
- ROOM2016GuitarBigRoom 00:21
- ROOM2016VocalFDry 00:08
- ROOM2016VocalFShortRoom 00:08
- ROOM2016VocalMDry 00:08
- ROOM2016VocalMLargeRoom 00:08
- PianoDry 00:10
- ROOM2016PianoHall 00:13
Blackhole sonne
Émanation logicielle de la pédale d’effet pour guitare Space Reverb sortie en 2011 (reprenant elle-même des algos du H8000FW), le plug-in Blackhole est spécialisé dans les réverbes ‘hénaurmes’, du genre à faire passer les cathédrales pour des cages d’ascenseurs. Outre cette capacité à simuler les grands espaces, on notera trois fonctions originales et offrant bien des possibilités pour peu qu’on joue avec elles via des automations. Gravity permet ainsi d’inverser plus ou moins le déclin de la réverb (et c’est ce plus ou moins qui est original), le bouton Kill permet de ‘muter’ le signal entrant pour n’entendre que la réverbe, et le bouton Freeze suspend l’effet. Voyez ce que tout cela donne sur une batterie et un piano :
- DrumsDry 00:10
- BLACKHOLEDrumsbigspace 00:13
- BLACKHOLEDrumsfilterlike 00:10
- BLACKHOLEDrumspulsar 00:10
- BLACKHOLEDrumstankdrum 00:10
- PianoDry 00:10
- BLACKHOLEpianoloop 00:13
- BLACKHOLEpianoTrace 00:10
- BLACKHOLEpianoViolin 00:10
Rien qu’avec tout cela, cette Blackhole a déjà de quoi plaire. Si ce n’est pas le genre de plug-in qu’on sortira à l’heure du mixage, c’est en effet un superbe outil de Sound Design pour le son à l’image comme pour la musique, qu’on utilisera autant pour figurer l’acoustique d’un énorme vaisseau spatial bourré d’aliens que pour composer des drones ou des pads éthérés grâce à ses réverbérations semblent pouvoir s’étendre à l’infini. Et pour ne rien gâcher, Eventide a très bien bossé l’ergonomie : les réglages, relativement peu nombreux et très efficaces, prennent place au sein d’une interface lisible et bien pensée qui nous réserve encore deux petites surprises.
C’est ainsi que via le bouton Hotswitch, on peut stocker deux états de réglages à l’intérieur d’un même preset, pour passer brutalement de l’un à l’autre (ce qui produira souvent des ´swichhhh’ très intéressants) et que via un ruban situé au bas de l’interface, on peut encore passer, mais progressivement cette fois, entre deux autres réglages différents. Si vous comptez bien, on dispose donc de quatre sous-presets pour chaque preset : deux entre lesquels on alternera brutalement, et deux autres entre lesquels on alternera progressivement, ce qui s’avère très intéressant pour obtenir des réverbes complexes, que ce soit via des automs ou en live.
Ce système est d’autant plus important qu’on le retrouve dans deux des autres plug-ins ajoutés à ce bundle : Mangleverb et UltraTap. Tant qu’on est dans la réverb, on jettera d’abord une oreille sur le premier des deux.
L’appétit vient en Manglant
Tout le monde le sait bien : il ne faut jamais mettre un processeur de distorsion après une réverbe. Sauf que comme tout le monde le sait, c’est souvent en faisant ce qu’il ne faut pas faire qu’on accouche de grandes idées. Et Mangledverb, issu de la plateforme H9 d’Eventide, est là pour en témoigner.
Amateur de post-rock bruitiste ou de noise, cet effet est pour vous car en combinant un processeur de réverb capable de réverbes courtes comme longues avec une disto bien agressive, Eventide nous propose d’accéder à un vaste éventail de sons : de la simple petite salissure du signal à des textures complètement chaotiques.
On le comprend en détaillant les contrôles, il s’agit bien d’une distorsion dans une réverbe et non l’inverse : la plupart des paramètres concernent en effet la partie réverbe tandis que la distorsion ne se gère qu’avec un seul et unique potard. Si ce dernier est très efficace et permet d’aller du subtile à l’ultra sauvage, on aurait apprécié d’avoir plusieurs types de saturation, d’autant que c’est la première incursion d’Eventide dans le domaine. On appréciera en revanche la présence du réglage Wobble qui permet d’effectuer des dérives tonales dans les réflexions, de sorte qu’au chaos distordu s’ajoute la dissonance. Or, comme pour Blackhole, on dispose des boutons Hotswitch et du ruban pour ajouter du mouvement dans tout cela et prononcer un peu plus le côté organique de l’effet.
- DrumsDry 00:10
- MANGLEDVERBDrumsNuke 00:10
- MANGLEDVERBDrumsGhost 00:10
- MANGLEDVERBDrumsRez 00:10
- MANGLEDVERBDrumsReGroove 00:10
- PianoDry 00:10
- MANGLEDVERBPianoGhost 00:10
- MANGLEDVERBPianoDistoLay 00:10
- MANGLEDVERBPianoTrem 00:10
Certes, ce n’est pas le plug-in que vous utiliserez au quotidien, d’autant que Mangledverb a vite fait de remplir l’espace sonore avec son déluge de saturation, mais ça n’en est pas moins une brillante réussite qui concilie simplicité, efficacité, originalité et nous rappelle qu’Eventide n’a pas son pareil pour imaginer des effets improbables et pourtant très cohérents.
On en dira d’ailleurs autant du nouveau delay UltraTap.
Et tu tap, tap, tap
Issu lui aussi des algos du H9, UltraTap est, comme son nom l’indique un Tap Delay… en mode Ultra ! Pas moins de 64 répétitions du signal peuvent ainsi être générées, laissant à penser qu’on n’est pas loin d’une réverbe. Si l’on peut certes tirer UltraTap vers ce côté sage, ce n’est pas sur ce point qu’il sera le plus intéressant mais plutôt pour aller vers le glitch, comme on l’entend dans la vidéo. Les contrôles ont en outre l’avantage d’être extrêmement simple à prendre en main, avec notamment Spread qui gère l’espacement des taps, et qui en conjonction avec la longueur des répétitions et les sympathiques possibilités de modulations situées à l’étage du dessous permettent d’obtenir une belle pallette d’effets.
Mais le mieux, c’est encore d’écouter ce que cela peut donner sur notre même batterie et notre même piano :
- DrumsDry 00:10
- ULTRATAPDrumsRoll 00:10
- ULTRATAPDrumsReGroove 00:10
- ULTRATAPDrumsPercu 00:10
- ULTRATAPPianoSimiliVerb 00:10
- PianoDry 00:10
- ULTRATAPPianoGrain 00:10
- ULTRATAPPianoFrog 00:10
- ULTRATAPDrumsBass 00:10
Troubles de la physion
Dernier ajout à cette anthologie, Physion (autrefois appelé Fission et renommé récemment ainsi pour des raisons de copyright probablement) est sans conteste l’effet qui semblait le plus prometteur sur le papier. L’idée de base est de séparer les transitoires du contenu harmonique d’un signal pour soumettre chacune de ces deux parties à une section d’effets : delay, tap delay, compresseur, phaser, réverbe et Gate+EQ pour ce qui est des transitoires d’un côté, et delay, compresseur, pitcher, chorus, réverbe, trémolo et EQ pour ce qui est du contenu harmonique de l’autre côté.
Or, si l’idée est excellente et si l’organisation relativement claire du plug-in laissait espérer le meilleur, on s’aperçoit vite que Physion n’est pas aussi pertinent que son concept le laissait supposer. Première chose décevante, les deux sections d’effets respectives ne permettent d’utiliser qu’un seul et unique effet : vous ne pourrez par exemple pas appliquer un tap delay et un phaser aux transitoires, ou un EQ et un compresseur sur le contenu harmonique. Il faudra à chaque fois choisir entre l’un ou l’autre des effets. Voilà qui restreint significativement les champs du possible en termes de sound design, d’autant qu’on aurait souhaité avoir deux sections d’effets plus complètes et cohérentes : on ne dispose d’aucune disto nulle part et le phaser n’est disponible que sur les transitoires par exemple. Les effets eux-même sont aussi rudimentaires : on ne dispose pas de presets les concernant, et certains réglages manquent : nous proposer trois voies de transposition avec pitch est intéressant, sauf qu’on ne peut pas doser le volume de chaque voie et qu’on n’a pas la main sur les formants. Enfin, aucun LFO, Step Sequencer ou suiveur d’enveloppe n’a été prévu pour créer des modulations complexes. Bref, il y avait largement mieux à faire du côté effets.
Mais il ne s’agit pas de juger Physion sur ce seul aspect car au-delà du pur côté créatif de ce qu’on attendait comme un multieffet original, Eventide parle de l’intérêt plus utilitaire du plug-in pour les tâches d’accordage de batterie, de deessing, de restauration audio, et de traitement des transitoires.
Pourquoi pas. Le seul problème tient dans le fait que l’ergonomie comme l’algo de la partie sensée séparer les transitoires du reste ne sont pas pleinement convaincants. À l’usage, on se rend compte que lorsqu’on arrive à isoler les transitoires d’un côté, ce n’est pas pour autant que ces dernières disparaissent de l’autre côté et que le slider qu’on avait bêtement prix pour une sorte de crossfader a un fonctionnement bien plus ésotérique que ce à quoi l’on s’attendait. Le manuel du plug parle de déplacer l’énergie vers les transitoires ou l’harmonique, de sorte que son usage est assez déroutant : plus vous allez vers la partie transitoires, et plus en fait, vous isolez les harmoniques… sans pour autant isoler les transitoires ! Et le pire, c’est que lorsque vous allez au bout du fader transitoires, le contenu harmonique qui est progressivement isolé finit par disparaître. Bref, c’est assez mal pensé en termes d’interface et ce n’est pas le seul problème.
Si le plug peut effectivement s’avérer intéressant malgré son ergonomie déroutante, pour travailler par exemple la résonance d’un fût, on est vite confronté aux limites de son algo sur des sources plus complexes : quand on passe un mix dedans ou une texture un peu complexe, on a vite fait de chopper des glitches dans tous les sens, avec un résultat qui est loin d’être aussi probant que ce qu’on obtient avec le petit DrumExtract de Yellow Noise Audio, certes extrêmement rudimentaire, mais nettement plus intuitif et vendu bien moins cher…
Et même si effectivement, Physion demeure utilisable dans les situations prescrites par l’éditeur, on se dit que ce serait bien se compliquer la vie de passer par lui quand il existe pour le traitement des transitoires, la restauration audio, le deessing ou l’accordage de fût bien des solutions plus simples et tout aussi efficaces.
Bref, si le concept de Physion demeure excellent, s’il n’est pas inintéressant en l’état, il y aurait un énorme travail à faire, tant sur les fonctionnalités que sur l’ergonomie, pour qu’il atteigne son plein potentiel.
Tout a un prix
Si l’on attendait plus de Physion qui n’est certainement pas la révolution annoncée, les autres nouveaux venus dans cette anthologie valent assurément le détour pour leur originalité, leur efficacité et leur simplicité. En marge de l’excellente 2016 Stereo Room qui modélise un grand classique du constructeur, Eventide prouve une fois de plus son savoir-faire dans la conception d’effets avec Blackhole, Mangledverb, TVerb et UltraTap que l’on recommandera à tous ceux qui cherchent des outils créatifs et inspirants.
Ceci étant dit, il reste à apprécier cette Anthology XI dans son ensemble, sachant qu’avec ces 6 nouveaux plug-ins, son prix public grimpe de 600 $ pour atteindre 1800 $. Pas de cadeau donc : il y a plus de choses dans le paquet mais c’est plus cher, au mépris des usages marketing en vogue sur le marché de la MAO, où l’on est habitué à en avoir plus pour le même prix pour nous motiver à mettre à jour. Trop cher ? Tout dépend de la façon dont on considère les choses.
Plaçant le prix unitaire du plug-in à 78 $ contre 70,50$ auparavant (soit une augmentation de 9,6%), le tarif est certes en hausse mais n’a rien de délirant si l’on songe au coût des équivalents matériels à ces plug-ins. Rien qu’avec les Harmonizers et les réverbes, on est déjà gagnant. Si l’on compare en revanche à l’offre concurrente dans le domaine du logiciel, force est d’admettre qu’Eventide n’est pas le champion du rapport qualité/prix, loin de là, d’autant que les reproches que nous adressions au bundle lors de notre précédent test sont toujours de mise.
Au-delà de certains manques (rien qui soit dédié à la saturation en dehors de Mangledverb), on regrettera toujours l’interface et l’ergonomie vieillotte du H3000 tandis qu’aucun travail n’a été fait sur le responsive design : sur des moniteurs en haute résolution, certains plugs sont ainsi minuscules.
Sur le pur plan fonctionnel, on pourra encore reprocher bien des lacunes à l’ensemble : pas de M/S, pas de gestion du multicanal et une gestion des presets vraiment oldschool, sans aucun système de tags ou moteur de recherche, avec une organisation parfois dénuée de sens pratique. Classer les presets par sound designer sur la Blackhole ou la Stereo Room 2016, quel intérêt cela peut-il avoir pour l’utilisateur ? On a beau comprendre qu’Eventide est très fier de ses sound designers parmi lesquels figurent des stars (Joe Chiccarelli, Richard Devine, George Massenburg, Dave Pensado, Vernon Reid, etc.), il y avait sans doute mieux à faire.
Bref, il y a à redire sur tout un tas de petites choses, et comme le tarif est élevé, on est forcément moins tolérant, ce qui n’enlève rien à l’excellence de certains plug-ins proposés dans ce bundle.
Conclusion
Originaux et simples à utiliser pour la plupart, les nouveaux plug-ins proposé dans cette Anthlogy XI valent assurément le détour. MangledVerb, Blackhole et UltraTap raviront notamment ceux qui sont à la recherche d’outils créatifs simples et efficients. Du coup, même si Physion n’est pas aussi pertinenet qu’on pouvait l’espérer, on serait tenté de mettre une très bonne note à ce bundle.
Hélas, si Eventide assure désormais la compatibilité de ses plugs avec le format NKS, l’éditeur n’a pas jugé utile de mettre à jour certains plug-ins qui ont vraiment mal vieilli en termes d’interface comme d’ergonomie et qui nécessiteraient pour certains une refonte complète (le H3000 notamment). Hélas encore, Eventide n’a pas jugé utile de proposer l’intégralité de ses plug-ins dans son bundle, oubliant le récent EQuivocate et son récent limiteur orienté vers le mastering qui auraient pourtant comblé certaines lacune de l’offre. Et tout ceci est d’autant plus regrettable que le prix réclamé pour l’ensemble, qui n’était déjà pas donné sur l’Anthlogy X, en profite pour faire un fameux bond. Avec 35% de plug-ins en plus (on passe de 17 à 23), le prix augmente de 50 % en passant de 1200 à 1800 $.
Or, si 1800 $ ne sont pas cher en regard des effets matériels du constructeurs, ils demeurent une sacrée somme en regard des tarifs pratiqués sur le marché de la MAO. Les pros ravis de mettre la main sur les Harmonizers et quelques splendides réverbes ne se poseront donc peut-être pas trop de questions pour acheter l’ensemble ou les mises à jour, mais les autres passeront sans doute leur tour en attendant les promos ou allant voir ce qui se fait chez d’autres. Pour ce prix, on peut par exemple se payer l’intégralité des plug-ins Melda (soit 105 plugs autrement plus variés dont le XXX qui n’a rien à envier au bon vieux H3000), ou encore les intégrales de Valhalla, SoundToys et Fabfilter. D’où ce 3,5 qui aurait été un 4 si le prix était resté à 1200 $, ou si Eventide avait eu la bonne idée de proposer des bundles thématiques plus accessibles plutôt que cette intégrale ressemblant des choses dont tout le monde n’aura pas forcément besoin.