Eventide s'est associé au célèbre producteur/ingénieur du son Tony Visconti afin de créer un nouveau joujou sobrement baptisé Tverb. Comme nous allons le voir, ce plug-in est un peu à part puisqu'il ne s'agit pas d'un traitement audio "classique", mais plutôt d'une technique de production bien particulière. Revue de détail...
I will be King
Disponible pour Mac (OS X 10.7+) et PC (Windows 7+) aux formats VST, AAX et AU, la Tverb d’Eventide utilise le système de protection iLok. Que les allergiques au célèbre dongle physique se rassurent, l’éditeur offre la possibilité, grâce au logiciel iLok License Manager, de lier l’autorisation à une clé iLok, mais également directement à votre ordinateur. Notez aussi que l’achat du plug-in comprend deux licences à répartir librement entre clé(s) USB iLok 2 ou ordinateur(s).
Pour en finir avec les détails techniques, sachez qu’une instance de la Tverb consomme entre 0,8% et 1,2% de ressource CPU sur ma machine de guerre (Mac Pro fin 2013 Hexacoeur Xeon 3,5 GHz – 32 Go DDR3) et induit 8 samples de compensation de latence. Ces chiffres me paraissent tout à fait raisonnables, d’autant que ce joujou n’est pas de ceux que l’on glisse sur toutes les pistes d’un projet. Mais de quoi s’agit-il exactement ? C’est ce que nous allons voir tout de suite…
Comme son nom le laisse supposer, Tverb navigue dans des eaux réverbérantes, même s’il n’est pas ici question de la « réverbération à papa » classique. Afin de créer ce plug-in, Eventide s’est inspiré d’une technique de studio utilisée pour la première fois par Tony Visconti lors de l’enregistrement du titre « Heroes » de David Bowie. Depuis sa parution en 77, cette chanson a inspiré bon nombre de producteurs et l’astuce de Visconti est désormais un classique des studios. La combine a pour base une cruelle réalité d’alors : il ne restait plus qu’une piste disponible pour enregistrer la voix du roi David et Visconti souhaitait également capturer la réverbération du lieu d’enregistrement à deux endroits distincts. Pour pallier le manque de voies, l’ingénieux ingénieur du son a eu l’idée d’envoyer trois micros sur l’unique canal : le premier pour capter le chant du Thin White Duke, le deuxième légèrement plus loin pour reprendre un peu du son de la pièce, et le dernier encore plus loin pour une réverbe plus prononcée. Le truc réside dans l’emploi de Gates sur les signaux des micros 2 et 3 avec des constantes temporelles différentes. Ainsi, lorsque Bowie chante doucement, aucun Gate ne s’ouvre et l’enregistrement se réduit au signal intimiste du premier micro ; lorsque sa voix s’envole sensiblement, le Gate du micro 2 s’ouvre et ajoute alors une petite ambiance ; enfin, lorsque David déraille, tous les micros sont ouverts pour un rendu d’une profondeur envoûtante.
Reproduire cette méthode dans le monde réel ou virtuel n’a, en soi, rien de vraiment sorcier. Dans le premier cas, il suffira de calquer son mode d’enregistrement à celui de Visconti ; dans le second, un envoi de la piste de chant vers deux canaux auxiliaires virtuels avec un couple Gate/réverbe judicieusement configuré sur chacun d’eux fera la blague… Encore faut-il avoir le lieu ou le plug-in de réverbération capable de tenir la route face à la salle originelle, la Meistersaal du Hansa Tonstudio à Berlin. De plus, la solution tout-en-un proposée par Eventide semble offrir des perspectives beaucoup plus vastes que la technique dont il s’inspire, jugez plutôt…
You will be Queen
La première chose qui frappe lors de l’ouverture de la Tverb, c’est son interface graphique photoréaliste du plus bel effet. Cela peut vous paraître anodin, mais l’éditeur américain nous a habitué à des GUI autrement plus austères, parfois à la limite du fouillis. Or, le graphisme est ici d’une élégance certaine et propose un agencement rendant l’utilisation du plug-in diablement intuitive. Seule ombre au tableau, cette interface n’est pas redimensionnable et il faut bien avouer que la lisibilité n’est pas optimale sur un grand écran. Mais passons…
L’interface se divise essentiellement en deux parties. Le quart supérieur représente la fameuse Meistersaal et permet de placer librement via glisser/déposer les micros 2 et 3, ce qui aura pour effet de modifier le son réverbéré. Il est également possible de rentrer directement au clavier la position latérale ainsi que la distance (malheureusement en pieds, pas en mètres…) de ces micros en cliquant sur les bulles apparaissant lors de leur survol. Si cette façon de manipuler les micros ne sera pas la plus utilisée, il est intéressant de noter qu’elle permet de les placer exactement au même endroit, chose impossible dans le monde réel et qui n’est pourtant pas sans intérêt, comme nous le verrons plus tard.
Autre fonction utile, Tverb comprend des raccourcis qui facilitent grandement la vie lors de la recherche du bon emplacement. Ainsi, le « glisser + Shift » sur un micro mets celui-ci en solo, un « glisser + clic droit » limite le déplacement à un seul axe, « Alt + clic » ou double clic renvoie aux valeurs par défaut et « glisser + Cmd » augmente la précision du changement de valeur.
Dernier point concernant ce quart supérieur du plug-in, et pas des moindres, le survol du micro principal permet d’activer des filtres passe-haut et passe-bas, mais surtout offre la possibilité de choisir la directivité du micro ! En position cardioïde, le micro ne capte pas le son de la pièce ; en mode bidirectionnel, nous obtenons un léger ajout d’ambiance ; et enfin, en position omnidirectionnelle, le signal s’accompagne d’une bonne dose de réverbe, certes subtile, mais bel et bien discernable.
Passons maintenant à la partie inférieure de la Tverb. Cette dernière reprend le look d’une console vintage type Neve et offre 4 voies : une tranche pour chaque micro (donc post-réverbération) et la voie master. À l’instar de la configuration utilisée par Visconti à l’époque, nous trouvons un compresseur sur la tranche du micro 1 avec les réglages classiques (on/off, seuil, ratio, temps d’attaque et de relâchement, gain), et des modules de gate pour chacune des deux autres tranches avec les contrôles on/off, seuil, temps d’attaque, de maintien (Hold) et de relâchement, un switch Link pour lier les réglages des deux gates, et enfin un switch « Pre » pour que le signal pilotant les gates soit prélevé avant le compresseur. Pas grand chose à redire ici, c’est simple et fonctionnel. Seul détail légèrement gênant, les indicateurs de niveaux d’entrée et de réduction de gain pour chaque module sont un tantinet lilliputiens et donc pas vraiment utiles.
Concernant les tranches des micros à proprement parler, le premier détail qui saute aux yeux, ce sont les rotatifs pour la balance gauche/droite… Contrairement à la technique « de base » qui était, de fait, monophonique, la Tverb est stéréo ! Cela n’a peut-être l’air de rien dit comme ça, mais vous verrez à l’occasion de la séance d’écoute que l’impact sonore de ce « détail » est diablement attrayant.
Remarquez également la présence de boutons « Mute », « Solo », et inversion de polarité pour chacune des 3 tranches. Enfin, si cette fois-ci les VU-mètres indiquant les niveaux de sortie de chaque tranche sont d’une taille correcte, il est regrettable que la manipulation des faders vienne assombrir ce beau tableau tant leur maniement à la souris n’est pas des plus aisés. En effet, il arrive fréquemment qu’en essayant « d’attraper » un fader, ce dernier fasse littéralement un bond, et c’est loin d’être pratique.
Je ne m’attarderai pas sur la voie master tant cette dernière est limpide. En revanche, prenons un instant pour parler du module situé juste au dessus de cette tranche, à savoir le module baptisé « Room ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le but de cette section n’est pas de traiter la réverbération a posteriori. En fait, il s’agit ici de modeler le son de la pièce produisant la réverbération, chose plutôt délicate dans la vie de tous les jours. Il est ainsi possible de modifier la taille de la queue de réverbe, la diffusion et le rendu fréquentiel dans le haut et le bas du spectre. L’ensemble est simple, efficace, rien à signaler.
Pour terminer ce tour d’horizon, jetons un oeil à la barre supérieure du plug-in. En partant de la droite nous avons un réglage de mixage entre le signal source et le signal traité, un judicieux bouton « Mix Lock » permettant de verrouiller ce dosage lors du passage d’un preset à un autre, un bouton « i » ouvrant le manuel de la Tverb (très bien fait et bourré de bons conseils… mais seulement en anglais), et enfin un bloc consacré aux presets afin de les sauvegarder, rappeler, comparer, naviguer, etc. Bref, rien de foncièrement neuf par rapport à d’habitude chez Eventide. Et c’est bien dommage d’ailleurs car certaines choses pourraient être améliorées à mon sens. Par exemple, la fonction « Compare » est intéressante mais se limite à comparer un preset avec une variation de celui-ci, ce qui n’est pas aussi puissant qu’un « undo/redo » ou un comparateur A/B. De plus, face au nombre impressionnant de presets, le système de gestion est un poil archaïque… Des fonctions de recherche et / ou de tags seraient les bienvenues pour s’y retrouver plus facilement. Enfin, si la fonction « Mix Lock » est fort sympathique pour un plug-in de réverbération « classique », elle n’est pas des plus utiles ici car la Tverb s’utilise principalement en insert ; une option similaire pour les réglages de seuil des modules de gate et du compresseur aurait été beaucoup plus intéressante, me semble-t-il.
Avant de passer aux exemples sonores, une dernière remarque. L’utilisateur devra faire attention à l’alternance Play/Stop de la tête de lecture de sa STAN. En effet, si l’enchaînement est trop rapide, les gates n’auront pas le temps de revenir à leur position de « repos », ce qui peut perturber la prise de décision en situation de mixage.
Standing by the wall
Quoi de plus logique qu’une ligne de chant pour commencer cette séance d’écoute ?
- 01 Vox dry 01:01
- 02 Vox cardio 01:01
- 03 Vox omni 01:01
- 04 Vox bi 01:01
Pour ces quatre premiers extraits, j’ai voulu illustrer l’impact du choix de la directivité du micro 1. Avouez que cette option est sympathique pour ajouter une petite touche d’ambiance, non ?
Passons maintenant au coeur de la Tverb avec les micros 2 et 3.
- 05 Vox wet only 01:01
- 06 Vox wet 01:01
- 07 Vox wet pan 01:01
- 08 Vox wet invert 01:01
Le premier exemple présente le signal uniquement issu de ces deux micros avec les gates réglés de façon à s’ouvrir progressivement en fonction de l’intensité du chant. L’extrait suivant reprend les mêmes réglages avec en sus le signal du micro 1. Jolie mise en perspective, n’est-ce pas ? Le sample suivant va encore plus loin en exploitant les possibilités stéréophoniques du plug-in, ce qui permet de créer un mouvement latéral fort plaisant. Enfin, le dernier extrait exploite une astuce présentée dans le manuel utilisateur. Les micros 2 et 3 sont placés rigoureusement au même endroit avec exactement les mêmes réglages de tranche à une exception près, l’une des voies a sa polarité inversée. Résultat des courses, la réverbération s’entend cette fois-ci lorsque la voix est calme et s’éteint lors des passages plus « pêchus ». Effet de contraste garanti pour une mise en oeuvre enfantine, un vrai régal !
Voyons à présent ce que donne la Tverb sur d’autres instruments, en commençant par un trombone.
- 09 Trombone dry 00:48
- 10 Trombone wet 00:48
- 11 Trombone FX 00:48
Le premier extrait se résume au signal source. Pour le deuxième, aucun gate n’est activé et nous pouvons constater que la réverbération à elle seule vaut déjà son pesant de cacahuètes. Le dernier exemple emploie différents réglages pour les gates afin d’obtenir une agréable sensation de perspective.
Passons à une ligne de basse synthétique.
- 12 Synth dry 00:23
- 13 Synth wet 00:23
- 14 Synth FX 00:23
Comme pour l’exemple précédent, le premier sample est « sec », le deuxième n’utilise pas les gates, et le troisième utilise des réglages permettant de renforcer le mouvement de vague rythmique du riff.
Testons la bête sur une guitare électrique.
- 15 eGtr dry 00:21
- 16 eGtr wet 00:21
Même démarche que précédemment et même constat : la réverbe seule sonne déjà très bien et les modules de gates permettent d’obtenir rapidement une sensation de mouvement des plus plaisantes.
En sera-t-il de même sur une batterie ?
- 18 Drums dry 00:12
- 19 Drums wet 00:18
- 20 Drums FX 00:14
Ici, j’ai volontairement utilisé une dose de réverbération exagérée sur le bus complet car une fois les gates activés et judicieusement réglés, le mouvement généré me paraissait intéressant.
Enchaînons avec une prise de piano.
- 21 Piano dry 01:24
- 22 Piano wet 01:24
- 23 Piano FX 01:24
Décidément, la technique de Visconti n’a pas son pareil pour renforcer le côté « dramatique » d’une performance !
Pour finir, voici une petite expérience réalisée à partir d’une piste de piano électrique.
- 24 ePiano dry 00:24
- 25 ePiano wet only 00:24
- 26 ePiano FX 00:24
Pour ces exemples, j’ai tenté d’automatiser le mouvement des micros 2 et 3 au sein de la pièce virtuelle. Bien que le rendu soit ici plutôt outrancier, la bonne nouvelle c’est que l’automation se passe sans anicroche, pas le moindre clic audio comme c’est malheureusement trop souvent le cas avec certaines réverbes. Ici, tous les réglages sont automatisables en toute transparence. Chapeau bas !
Voilà qui clôture notre session d’écoute. Je tiens à souligner que la réalisation de ces exemples sonores a été un véritable jeu d’enfant. La prise en main n’est qu’une pure formalité et les conseils distillés dans le manuel d’utilisation constituent une véritable mine d’or.
As though nothing could fall
Si vous m’avez fait l’honneur de lire ces quelques lignes jusque-là, vous devez certainement vous douter de la conclusion que je m’apprête à livrer. Tverb (221 € prix généralement constaté) n’est certes pas exempt de défauts, il ne fait d’ailleurs pas non plus partie des plug-ins que je qualifierais d’indispensables. Mais Bon Dieu que ça sonne ! La réverbération à elle seule vaut déjà le détour. Mais la facilité de mise en oeuvre de la méthode Visconti et les sensations sonores de mouvement, contraste et perspective que cela procure enfoncent définitivement le clou pour faire de cet outil bien plus qu’un accessoire superflu. Honnêtement, je ne lui décerne pas un Award parce que nous ne pouvons pas en donner un à tout le monde, mais ce n’est vraiment pas l’envie qui m’en manque.
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