Il n’y a pas si longtemps, alors que posé derrière ma fenêtre je sortais d’une torpeur matinale grisonnante, je reçus l’appel de notre rédacteur en chef. La bouche un peu pâteuse et pas tout à fait réveillée par mon premier café du jour, je me concentrai pour garder une élocution correcte, tout en appréciant une parfaite gueule de bois. Il y a des jours comme ça…
Mon interlocuteur, comme à ses habitudes, me propose de tester du nouveau matériel. Car sachez-le amis lecteurs, non content de pouvoir tester du matos avant tout le monde et d’être payé pour la chose, j’ai aussi la liberté de dire non quand je ne suis pas inspiré. En somme, je mène un véritable train vie de diva. Mais concernant l’objet du jour, je vis ma curiosité piquée au vif, malgré mon métabolisme proche de la zombification :
« ça te dirait de tester le Basswitch IQ DI de chez RMI ? me demande Mister G
-Le quoi de qui ?
-C’est une pédale pour basse.
-Une pédale qui fait quoi ? J’espère que c’est pas un chorus…
– Bah c’est une DI, qui fait préampli, switch et d’autres trucs.
-Elle soigne les lendemains de cuite ?
-Non pour ça ya le paracétamol et la modération David… »
Sur ces bons conseils et après avoir confirmé mon intérêt pour le mystérieux objet, je me jetais sur un fond de tube d’aspirine et le site Internet de la société en question, qu’en toute franchise, je ne connaissais pas vraiment.
Virage serré
La société RMI (pour Ruppert Musical Instruments) est une jeune structure, fondée en 2009 par Jacques Ruppert et Jean-Claude Bintz, basée au Luxembourg. Après trente ans passés comme cadre de haut vol dans l’industrie sidérurgique et suivant sa passion pour la guitare basse qu’il pratique depuis plus de quarante ans, Jacques se lance dans l’aventure avec la certitude d’avoir trouvé une niche dans le business instrumental et musical. Car cela fait plusieurs années qu’il cherche en vain un préampli/DI au format de pédale, répondant aux exigences de matériel de studio. Cette perle rare étant boudée par les fabricants, trop frileux à l’idée de lancer un produit dont le prix dépasserait le budget du consommateur lambda, Jacques Ruppert va tout simplement le concevoir lui-même. Il fonde donc son entreprise avec le dessein de construire du matériel de haute facture, sans compromis et répondant aux meilleures exigences en matière de composants internes.
La rigueur allemande sera donc mise à contribution pour la confection des produits de la marque et pour la qualité de leurs composants internes, RMI s’associe à la compagnie Lehle pour profiter de son savoir-faire dans la conception de switchs et de transformateurs de haute fidélité. C’est donc l’histoire d’un bassiste qui avait la vision d’un matériel idéal pour le studio et la scène et qui prit le risque d’en devenir le concepteur. Un beau challenge en soi, mais voyons concrètement de quoi il en retourne, matériellement parlant.
Aucun compromis…
Avant de rentrer dans les détails descriptifs de ce produit, je voudrais en préciser l’usage. Cette pédale réunit les fonctions d’un sélecteur d’instrument (pratique pour ceux qui usent de deux basses sur scène), d’un switch entre deux boucles d’effets (Il permet d’ajouter une boucle en parallèle en plus de celle en série), d’un préampli avec un égaliseur embarqué et enfin d’une DI.
Visuellement et au creux des mains, le Basswitch a tout d’un produit allemand de haute facture. Les lignes du boîtier sont sobres (sauf le logo phosphorescent qui apporte un soupçon de fantaisie) et l’acier qui le compose fait de lui un objet contondant idéal. Vous pourrez assommer n’importe qui avec (une groupie en transe, la petite mamie du dessous qui se plaint tout le temps du vacarme, votre chat qui vient de peler toute la moquette de votre beau 4X10…), sans risquer de bigner votre matériel.
Le recours à un tel alliage aura cependant une conséquence pondérale, ce pédalier affichant plus d’un kilo à la pesée. Ses dimensions sont cependant pratiques, avec seize centimètres de large et vingt-deux de longueur, le Basswitch pourra se loger au sein de votre rack de pédale. Vous trouverez au fond de la housse qui lui sert d’écrin un petit sachet contenant les vis de fixation, prévues à cet effet. À portée de pieds, se trouvent trois larges interrupteurs de conception originale : plutôt qu’un switcher classique qui, directement au contact du pied du musicien et du circuit électronique qui le supporte, finit par s’altérer à l’usure et cause avec le temps quelques dommages au circuit imprimé ; la compagnie Lehle a mis au point un bouton actionneur qui active un micro-interrupteur, à l’aide d’un levier métallique. L’action parfois violente du pied d’un artiste en plein labeur verra sa force mécanique compensée. Le bouton actionneur est lui-même engoncé dans une douille, afin de faciliter les déplacements récurrents de ce dernier et de réduire les bruits engendrés par son action.
Tous les relais rattachés aux commutateurs internes sont plaqués or pour assurer une parfaite conductivité lors de leur action et éviter toute perte de qualité du signal électrique. À quoi peuvent donc servir ces trois super interrupteurs ?
Celui du milieu coupe le son au besoin (accordage, changement d’instrument), celui de droite permet de passer du canal A au canal B et celui de gauche active la boucle d’effet en parallèle, tout en employant un boost, qui viendra gonfler au besoin le gain de l’instrument (pratique pour ceux qui ont un chorus à faire au milieu d’un morceau). Au-dessus de chacun des trois switchs se trouve une diode, témoin de l’activité de ces derniers. La dernière sur la droite affichant deux tons de bleu pour signifier que l’on se trouve sur le canal A (Bleu foncé) ou le B (bleu clair). Juste au-dessus se trouve un premier potard de mix qui permet d’ajuster le niveau des effets raccordés à la boucle « mix ».
Encore au-dessus, on accède à huit contrôles rotatifs : le niveau du boost, un égaliseur paramétrique (avec deux modulateurs de fréquence, HF et LF) à quatre bandes (potards B, LM, HM et T) et le volume du canal A (vol). On notera un clin d’oeil à la marque Gallien Krueger : comme sur l’ensemble des amplis créés par Bob Gallien, l’égaliseur du Basswitch IQ DI se lit de droite à gauche. Tous les potentiomètres se fondent à moitié dans le châssis pour éviter les dérèglements involontaires, causés par une semelle maladroite ou une botte trop hargneuse. Un détail ergonomiquement bien pratique quand on joue dans une salle obscure, dans un état proche de l’Ohio ou tout simplement, si on est emporté par la musique que l’on joue (j’ai moi-même cassé deux potards sur un de mes effets durant un concert). Sur le châssis à droite, se situe la partie DI du système avec une sortie symétrique et trois push-push (ground, pad et pre/post). Les autres connectiques se trouvent sur la partie haute du boîtier : l’entrée de l’alimentation (voir plus bas), la boucle d’effet « Mix » (agrémentée d’une inversion de phase), une seconde boucle en série (pour tous les effets à utilisation constante : compresseur, pédale de volume, etc.), une sortie accordeur (qui reste active si le son est muté), un line-out en jack ¾ et deux entrées distinctes pour vos instruments. La première étant associée à un commutateur d’impédance pour les instruments passifs.
En plus des relais plaqués or, ce système est équipé d’un Buffer Bypass (pour éviter les nuisances dues aux longueurs de câble et au chaînage des effets), d’une alimentation qui accepte toute sorte de transfos de 9 à 20 Volts en continu ou en alternatif et sous n’importe quelle polarité. L’utilisateur pourra alors utiliser l’un des transformateurs dont il dispose déjà pour ses effets. Le courant est stabilisé en interne, filtré et amené à 18 volts en continu. Enfin son transformateur interne, toujours de la marque Lehle, est conçu pour assurer une parfaite isolation galvanique de la sortie DI. Le Basswitch consommant beaucoup pour assurer le son, il n’est pas possible de l’alimenter correctement avec une pile ou une alimentation fantôme.
Cette pédale est vendue avec sa housse en nylon rembourré.
Avec un cahier des charges complet, une fabrication aussi robuste et des composants de cette qualité, je vais avoir du mal à pester un tant soit peu sur l’objet de ce test. Mais pour ce qui est de chercher la petite bête, je suis toujours prêt à apporter ma contribution au sein de mes bancs d’essai. Je suis français, donc je râle. À mon goût, il y a un peu trop de connexions sur la partie haute du châssis pour permettre un chaînage facile sur un pedalboard comme mon BCB-60. Je pourrais suggérer à cet égard de placer les deux entrées et le line-out en Jack sur les côtés de la machine, pour ne laisser que les boucles et la sortie accordeur en haut. Je me permettrais une seconde remontrance : si les potards enclavés ne risquent pas de bouger à cause d’une mauvaise manœuvre (ce qui est bien), ils en deviennent presque difficiles d’accès. Je me vois mal devoir corriger vite fait mon grain au milieu d’un set avec de si petits contrôles et je trouve que le celui du mix entre le son clair et la boucle d’effets en parallèle fait un peu de résistance sous le pouce. Un simple grip, sur le contour des potards, aiderait à leur manipulation.
Dans la pratique
Voici les différentes utilisations que propose le Basswitch, illustrées par des portraits types d’utilisateur :
– Pierre joue sur une basse passive. Il peut donc brancher son instrument sur l’entrée A, laissant la B vacante. Pierre disposera tout de même de deux canaux, le A qui passe par le préampli et son égaliseur et le B qui reste en mode Bypass. Il passe de l’un à l’autre en pressant le sélecteur de droite (A/B) et peut jouer indépendamment sur deux grains : un signal brut et un second corrigé. Comme Pierre n’utilise pas de pédale, le sélecteur de gauche (Mix loop/boost) lui permet d’enclencher un pousse-gain, ce qui met en valeur ses chorus et autres mélopées dignes du soliste qu’il est.
– Paul a aussi une Basse passive et un petit paquet d’effets qu’il souhaiterait gérer au mieux. En fait il en a marre de jouer les organistes sur scène, car il passe son temps à jouer du pied pour switcher ses effets, qu’il adore cumuler dans le mix. Comme il dispose de deux boucles distinctes, il peut répartir ses pédales en deux catégories : celles qui sont constamment actives (son compresseur et sa pédale de volume) et celles qu’il utilise de manière pondérée (son octaver et son Envelope Filter). Comme Pierre, Paul dispose de deux canaux distincts pour passer d’un son à l’autre. Mais quand il presse le premier footswitch (Mix loop/boost), c’est pour activer ses deux pédales d’effet (l’octaver et l’enveloppe filter). Cette boucle posée en parallèle dispose d’une balance entre le grain brut et le rendu modulé, afin d’affiner au mieux l’incidence de ses effets. Il lui est aussi possible de pousser le gain de ce canal en incrémentant le boost. Quant à sa pédale de compression et celle de volume, connectées toutes deux en série, leurs actions respectives resteront constantes sur le signal.
– Jacques utilise à la fois une basse active et une contrebasse. Il raccorde donc sa basse préamplifiée à l’entrée B, cette dernière ne passant pas par le préampli du Basswitch. Sa contrebasse est raccordée à l’entrée A, ce qui lui permet de corriger le grain de son capteur Piezzo qui à tendance à tirer sur les aigus. Il passe d’un instrument à l’autre grâce au sélecteur de droite (A/B).
– Luc a une basse fretless et une frettée et tout comme Paul, il a recours à plusieurs effets.
Il connecte ses deux instruments à la manière de Jacques, pour pouvoir passer de l’un à l’autre d’une simple pression du pied. Comme Paul, Jacques jouit des deux boucles d’effets pour contrôler leurs modulations respectives. Un même pédalier lui permet de gérer ses effets et le passage d’un instrument à l’autre.
Pour les retours de scène et la sonorisation des salles dans lesquelles ils se produisent (ou pour leurs enregistrements en studio), Pierre, Paul, Jacques et Luc font reprendre directement leur signal de sortie signal via la DI intégrée du Basswitch. Voilà pour l’aspect pratique de ce bel outil. Je vais maintenant m’étendre sur les qualités sonores du préampli et de l’égaliseur.
Corrige sans déteindre
Comme le montrent les deux exemples sonores, le préampli du Basswitch est tout à fait neutre. J’ai utilisé deux basses assez opposées dans leur caractère pour illustrer ce propos : Une CORT ARONA V, équipée de deux micros (Music Man/Jazz Bass) et une MAYONES BE5 fretless dont je n’emploierai que le micro aigu (Jazz Bass Bartolini). L’égalisation de ces deux instruments est complètement mise à plat, afin de mettre en valeur les corrections apportées par le Basswitch. Dans les deux exemples, je répète trois fois le même phrasé : une première fois sur le Canal B tout à fait linéaire, pour la seconde je passe par le préampli et l’égaliseur du Canal A et pour la dernière, j’active le Boost.
Ici, j’ai voulu mettre en exergue les fréquences que j’affectionne le plus en jeu Fretless. J’ai poussé légèrement les graves, baissé tout à fait le haut des médiums (potard HM) pour mettre les bas en berne (potard LM). J’ai baissé la fréquence de ces derniers (potard LF) et j’ai augmenté légèrement les aigus (potard T)
Pour cet extrait tout en percussion, j’ai simplement creusé le son en poussant graves et aigus (B et T), en condamnant les bas médiums (LM) et en laissant les hauts médiums à zéro pour garder un certain corps dans le mix. J’ai poussé un poil la fréquence des hauts médiums pour leur donner une légère teinte, qui met en valeur les cordes tirées du jeu en Slap.
Le contrôle du boost étant assez sensible, j’ai évité de trop en abuser pour ne pas faire gerber le son. Mais il est possible de le pousser largement plus si on prend le temps de bien l’ajuster.
Les corrections de l’égaliseur étant vraiment performantes, je conseille aux utilisateurs du Basswitch de condamner celle de la basse (si cette dernière est active) connectée à l’entrée A. J’ai essayé d’user des deux de manière simultanée sans en apprécier le rendu général. Par contre je suis un fervent amateur de la linéarité des amplis que j’utilise. J’aime le grain de mes instruments et j’apprécie que ma diffusion respecte le ramage de ces derniers. Je suis donc gâté par ce système puisque je retrouve leur son originel. L’égaliseur du Basswitch est bien plus précis que les préamplis embarqués dans mes instruments, pourtant j’ai pour habitude de ne passer que par l’électronique de mes basses pour façonner mon son, sans avoir à tripoter mon ampli à chaque fois que j’ai besoin de changer de dynamique. Il doit être certainement possible d’user simultanément des deux types de correction. Mais il me faudrait, afin de maîtriser la chose, un peu plus de pratique sur cet outil. Pour ceux qui cherchent un préampli vraiment typé visant à modifier le grain de leur basse, ou une machine à générer des saturations mordantes et extraverties, vous pouvez tourner les talons et vous intéresser à une autre marque.
Réservé à l’élite ?
Si le prix du Basswitch n’est pas forcément accessible à toutes les bourses, avec une facture avoisinant les 450 € ; le budget nécessaire à son acquisition me paraît cependant justifié si l’on considère ses performances, la qualité de ses composants et sa fabrication plus que sérieuse (pour ne pas dire allemande). Ce pédalier est conçu pour tous ceux qui apprécient la linéarité d’une amplification et qui cherchent une solution dans le chaînage de leurs effets et (ou) à l’utilisation simultanée de deux instruments sur scène. La DI intégrée est performante tout comme l’égalisation, ce qui plaira aux requins de studio qui cherchent une solution d’enregistrement portable et efficace. Ceux qui ont les moyens de s’offrir un tel matériel en auront pour leur argent avec ce concept aux utilisations multiples qui, même s’il joue dans plusieurs cours à la fois, ne favorise pas l’une de ses fonctions en dépit des autres.
Et comme le Basswitch n’en est qu’à sa première version, il laisse augurer le meilleur pour l’avenir de cette jeune marque.