Je m’en souviens très bien. C’était dans le salon VIP de l’aéroport de Djakarta (ou peut-être Vancouver). Je discutais matériel avec David (Gilmour), et il me disait que malgré son attachement à ses immenses pédaliers Cornish, parfois il rêvait de partir en tournée avec sa Strat dans une housse et quelques effets dans la poche frontale. L’autre David (Evans, ou The Edge comme l’appelle son pote Paul Hewson) acquiesça alors : après tout, nous dit-il, un delay et une reverb sont tout ce dont il a besoin. Nous en étions là de nos lamentations, quand un gars s’est retourné vers nous : Andrew Barta en personne, le fondateur de Tech 21, et il nous a dit : « les mecs, j’ai l’idée qu’il vous faut, je vais vous construire un pedalboard miniature ! ».
Le retour du retour à l’essentiel
Bon, j’avoue, ce n’est peut-être pas tout à fait comme ça que l’idée est venue, mais le résultat est le même : quand le modèle pour guitare est sorti lors du NAMM Show de 2014, le concept n’était pas neuf. Mais le succès fut au rendez-vous, tout simplement parce que l’idée est diablement efficace : rassembler dans un tout petit pédalier le strict minimum pour un set impromptu, que ça soit en contexte pro ou pour un jam chez un ami, sans débarquer avec tout son pedalboard habituel voire même sans ampli, mais sans pour autant compromettre le son (avec notamment la qualité des simulations d’ampli qui sont le cœur des activités de Tech 21). Vous pouvez d’ailleurs jeter un œil au test que nous lui avions consacré.
Une version guitare « standard » et un modèle signature « Ritchie Kotzen » plus loin, ne manquait à l’appel que la version basse, avec bien sûr un SansAmp dedans ! C’est chose faite : annoncé au NAMM de janvier dernier, il arrive enfin dans les étals, dans sa magnifique robe d’alu bleuté, et il se permet au passage d’être plus complet que le cousin pour six-cordistes. Jugez-en plutôt :
- Au chapitre des entrées/sorties, il y a toujours principalement une entrée et une sortie jack, mais la sortie DI en XLR qui manquait à l’appel chez les guitaristes est ici présente (avec un petit switch pour déconnecter la masse, en cas de buzz quand on envoie le son dans la sono). L’entrée jack dispose désormais d’un « pad » pour réduire le niveau d’entrée (pour les possesseurs de basses actives ou caractérielles), et la sortie jack mono dédiée à l’envoi vers un ampli peut se muer en sortie casque (stéréo) au moyen d’un autre petit switch.
- La version basse comprend un accordeur alors qu’il était absent sur la version guitare, ce qui semblait absurde puisque cela impose d’utiliser en plus du Fly Rig une pédale dédiée à l’accordage.
- La simulation d’ampli est toujours centrée sur un circuit de SansAmp, mais ici la présence du potard « character », du bouton « bite » et du réglage des médiums laisse penser qu’il s’agit tout simplement du circuit du récent VT Bass DI plutôt que du vénérable Bass Driver.
- La version basse rassemble plus d’effets que son cousin guitare : un compresseur en amont du circuit de préampli, un boost que l’on peut positionner avant ou après le préampli, un filtre/octaver/fuzz dédié aux sons à forte personnalité, et un chorus en fin de chaîne. Enfin, chacun de ces blocs d’effets dispose d’un ou plusieurs réglages et d’un footswitch d’activation.
Pour le reste, et notamment le look et la construction globale, je vous renvoie au descriptif fait par FloSon dans son article sur la version guitare. On reste sur les mêmes dimensions lilliputiennes, et l’on garde ce regrettable contraste entre un boitier et des switchs solides alors que les autres boutons lumineux sont en plastique et paraissent mous. Notons que le design global, avec les sérigraphies très contrastées, rend la version basse également plus lisible que son cousin guitare une fois au sol (c’est un myope qui vous parle).
En fin de compte, avec cette version, les bassistes se sentiront plus chouchoutés que les guitaristes… Pour une fois !
In bed with a Fly Rig
En ces chaudes journées d’été, c’est affalé dans mon canapé que je teste ce pedalboard miniature. Foin des gros stacks et des nuées de pédales, je branche une basse dans le petit machin bleu, la sortie DI dans l’entrée de ma carte son, et je fais le tour des sons en tournant délicatement les (vraiment petits) potards.
Je commence par activer le circuit SansAmp issu selon toute vraisemblance du VT Bass. Je n’entre pas dans les détails puisque cette pédale a déjà été testée par David Lo Pat. On retrouve donc le grain typé « à la manière d’un Ampeg », et je me fais très rapidement un son avec juste ce qu’il faut de Character pour avoir un son bien croustillant, et juste ce qu’il faut de creux dans les médiums pour que ça sonne agréablement avec une basse seule, sans nécessité de traverser un mix de guitares et batterie.
On notera tout de même que, puisque cette partie centrale du circuit dispose elle aussi de son footswitch, l’on peut imaginer de jouer avec un son de base « nu » sans l’apport du préampli, et d’utiliser celui-ci comme une pédale d’overdrive, ou bien comme une égalisation dédiée à l’alternance entre deux instruments au cours d’un set. Dans cette optique, le circuit du SansAmp est alors un très bon overdrive, polyvalent et dynamique (cf. extrait 1 ci-dessous).
En amont du circuit du préampli se trouve un compresseur minimaliste, mais efficace. Le choix de placer ce compresseur au début plutôt qu’à la fin est un parti pris, les deux écoles étant tout à fait justifiées dans l’absolu. Personnellement, je suis en terrain connu puisque mon compresseur est en début de chaîne sur mon pedalboard. De plus, le compresseur du Bass Fly Rig s’inscrit réellement dans le positionnement « set and forget » avec une facilité de réglage certaine. Le potentiomètre « comp » permet de régler le taux de compression (sur quel paramètre agit-il réellement ? Attaque ? Ratio ? mystère…) et le « level » est clairement un gain post-compression pour rattraper une perte de niveau. Je trouve ce compresseur plutôt du genre « limiteur », et à vrai dire, un peu envahissant : dès 9 h sur le potentiomètre « comp » les attaques des notes sont bien mises en avant et l’enveloppe très lissée, les bruits de frettes ont rapidement tendance à ressortir, et au-delà de 12 h c’est trop compressé à mon goût avec une basse active. Heureusement, l’utilisation du pad qui baisse le gain d’entrée permet alors de redonner un peu de marge de manœuvre au compresseur.
Le « tone » me laisse plus dubitatif, non pas que son action soit anodine (puisque l’effet n’est pas du tout une tonalité passive, mais un boost de hauts médiums), mais d’après le mode d’emploi il s’agit de compenser le côté « assombri » du son compressé. Or, je ne trouve pas que le compresseur fasse particulièrement perdre des fréquences aiguës (ni graves non plus). On pourrait imaginer ce « tone » comme une sorte de réglage de la « couleur » globale du son, mais dans ce cas c’est dommage que son activation soit liée au compresseur.
Dans le premier extrait sonore, je joue tout d’abord avec le son « nu », puis j’enclenche la simulation d’ampli SansAmp (Character à 13 h, Drive à 11 h, mid très légèrement creusés), puis j’ajoute le compresseur (« comp » vers 10 h, « level » pour obtenir un niveau identique avec ou sans compresseur, « Tone » à 9 h).
Après le compresseur, on trouve un boost réglable et activable par footswitch, qu’on peut utiliser en amont du préampli (pour passer d’un son clair à un crunch) ou bien en aval (comme boost de volume, par exemple pour un solo).
Dans le deuxième extrait j’illustre les deux situations : je joue au médiator, tout d’abord uniquement avec la simulation d’ampli SansAmp, puis j’ajoute le boost (réglé à 14 h) avant le préampli, puis après.
La partie Octafilter mériterait un article à elle seule, tant la diversité de sons possibles est impressionnante. On a ici un filtre de type synthé/autowah d’un genre gras et funky à souhait, dont les réglages sont le « Q » (largeur du spectre du filtre) et le « Range » qui ajuste à la fois la bande de fréquences et la sensibilité du filtre. Au moyen de deux mini-sélecteurs, on peut ajouter en amont de ce filtre un octaver basique (octave -1, non réglable) et une fuzz (plutôt agressive, non réglable elle non plus). Un dernier potentiomètre de « mix » dose la proportion entre le son clair et le son avec effet.
Notons que l’ensemble constitue un circuit encore jamais vu chez Tech21, qui a déjà sorti des fuzz mais jamais d’octaver ni de filtre. Ces deux derniers effets pourraient franchement faire l’objet d’une pédale sous peu, avec très probablement un succès mérité chez les bassistes. Il est impossible de couvrir en quelques mots ni en quelques extraits la gamme de sons que peut produire cet engin. En résumé : c’est très bon. Ca va de l’octaver typé 80’s avec un soupçon de filtre pour renforcer le coté synthétique (octaver enclenché, filtre modéré), au filtre funky façon Bootsy Collins en fusion (filtre poussé dans ses retranchements), en passant par des sons synthétiques gras flirtant largement sur les terres de Moog (filtre + fuzz, avec ou sans octaver). On en vient très vite à regretter que cette section ne dispose que d’un footswitch on/off et non de la possibilité de stocker une large variété de presets !
Voici une courte série de trois extraits avec ces trois types de sons :
- Extrait n° 3 : filtre avec Q à fond et Range à 15 h
- Extrait n° 4 : octaver enclenché, filtre avec Q à zéro et Range à 15 h (octaver simple), puis Q à 15 h et Range à 11 h (octaver avec un soupçon de filtre)
- Extrait n° 5 : fuzz + filtre avec Q à 16 h et Range à fond (à la Moog / Muse), puis ajout de l’octaver
- Test Bass Fly Rig Extrait 3 00:22
- Test Bass Fly Rig Extrait 4 00:41
- Test Bass Fly Rig Extrait 5 00:43
Enfin, l’effet de chorus est lui aussi surprenant, non pas par ses sonorités (il sonne de manière tout à fait classique pour un chorus pour basse), mais par le choix du réglage proposé, un simple dosage de l’effet allant du très subtil au très présent, mais n’offrant aucun contrôle de la profondeur de l’effet ni la vitesse de la modulation. Pour moi qui suis très amateur de chorus à la basse (années 80 bonjour !) c’est très frustrant : le chorus en lui même sonne bien à mon goût, je peux donc tolérer l’absence de réglage de profondeur puisque je trouve celle par défaut adéquate, mais l’absence de réglage de vitesse est pénalisante pour la polyvalence… C’est un peu comme si Tech21 nous offrait un seul son, « à prendre ou à laisser ». En revanche, ce chorus sonne aussi très bien comme couche supplémentaire par dessus le filtre afin de renforcer le côté synthétique du son.
Dans le sixième extrait sonore, je joue au médiator, avec le chorus (réglé à 16 h), puis j’ajoute l’octafiltre réglé comme sur l’extrait 5.
Je n’ai pas inclus d’extrait sonore de l’accordeur, puisqu’il coupe le son ! En revanche, il accorde tout à fait honorablement, il est rapide et très lisible. Au chapitre du « simple, mais efficace », la sortie casque fonctionne elle aussi parfaitement, ajoutant encore à la polyvalence de l’engin. Je regrette néanmoins qu’il soit difficile de l’utiliser comme préampli complètement nomade : il ne fonctionne que sur alimentation (format Boss, fournie).
Fly me to the Moog
La pédale comporte une foule de réglages et d’options, mais, au final, je trouve qu’elle se divise essentiellement en deux sections :
- D’une part, un SansAmp avec les deux dépendances que sont le compresseur et le boost, l’ensemble pouvant être vu comme un préampli à un canal, voire deux, très polyvalent, sur lequel on peut toujours trouver à redire (et notamment du côté du compresseur un peu trop intrusif à mon goût), mais tout de même tout à fait à la hauteur des produits classiques de Tech21, qui ont fait leurs preuves auprès de milliers de bassistes depuis 30 ans.
- D’autre part, une section d’effets assez radicale, à forte personnalité synthétique et moins consensuelle que le choix d’effets proposé dans le cadre de la version guitare (reverb + delay, on a vu plus innovant…). Tech 21 s’est probablement basé sur le constat que chez les bassistes, passés l’overdrive et le compresseur comme ajouts au son de base, les effets les plus fréquents sont effectivement les filtres, octaves et fuzz permettant des sons qu’on retrouve dans des styles allant du funk au rock en passant par le jazz fusion.
Les différents exemples de réglages donnés dans le mode d’emploi accréditent cette approche, illustrant des sons de bassistes pas vraiment passe-partout. Sont ainsi cités Muse, The Cure, Jaco Pastorius, Pino Palladino, Yes, Black Sabbath ou encore les Beastie Boys.
Notons aussi une ambiguïté dans le design : la logique de la pédale (entrée à droite, sortie à gauche, sérigraphie alignant compresseur puis SansAmp, puis Octafilter, puis Chorus) laisse penser que le signal passe dans les différents blocs dans cet ordre (relativement logique, quoique contestable). Or, après consultation du mode d’emploi, c’est plus compliqué puisque le signal suit en fait l’ordre suivant : compresseur, puis Octafilter, puis SansAmp (avec le boost avant ou après le préampli), puis Chorus. Si cette suite d’effets est à mon avis plus logique que la précédente (avec l’octaver/filtre AVANT le préampli), sa contradiction avec l’ordre visuel des effets sur la pédale elle-même est un peu regrettable.
En comparant à nouveau avec le grand frère pour guitare, on s’aperçoit qu’au final les deux Fly Rig ont le même nombre de potentiomètres et de footswitchs, disposés de la même façon. Ce ne sont pas pour autant rigoureusement les mêmes boitiers, puisque la version basse comporte de nombreux mini-sélecteurs absents de la version guitare, sans compter l’espace pour l’écran de l’accordeur et la prise XLR. On pourra donc regretter que Tech 21 ne soit pas allé jusqu’au bout dans la personnalisation, s’affranchissant de la contrainte du design du boitier pour guitare, et libérant les choix en termes de réglages (nombre et disposition des boutons) pour optimiser cette version basse.
Avec un prix flirtant avec les 400 euros, c’est un engin à la fois enthousiasmant et frustrant. Pour chacune des situations potentielles auxquelles se confronterait le Bass Fly Rig, une combinaison de 2 ou 3 pédales bien choisies (en restant dans le monde de l’analogique) fera aussi bien, voire mieux, avec plus de souplesse et de personnalisation, mais avec un encombrement et un poids nettement supérieurs. Par contre, couvrir la totalité du spectre du Fly Bass nécessite au moins 4 à 6 pédales (un compresseur, un préampli à 1 ou 2 canaux, une overdrive/fuzz, un synthé/filtre, un octaver, un chorus…). De plus, la multiplication des situations (et des combinaisons potentielles de pédales) fait la différence et la réelle plus-value de ce Fly Rig. Il pourrait donc vous satisfaire, sauf si vous possédez déjà une vaste collection de pédales dans laquelle puiser au quotidien en fonction des besoins.
Comme tout compromis, il laisse un arrière-goût d’inachevé, mais trouve sa justification dans son côté opérationnel. Un outil au son échevelé, mais pour bassiste raisonnable !