Oui, vous avez bien lu. Même nous, on n’y croyait pas vraiment. Et pourtant : Chris Lord-Alge, l’un des ingénieurs du son les plus renommés au monde, qui compte aujourd’hui pas moins de 3 Grammy à son actif et des références telles que Green Day, Deftones, My Chemical Romance mais aussi Madonna, James Brown et Tina Turner, revient avec nous sur ses méthodes de travail, sa vision du mixage, la transmission du savoir et - bien entendu - les plug-ins qui portent son nom. Entretien totalement exclusif avec un maître en la matière, en direct de son studio de Tarzana.
Les débuts
AF : Bonjour Chris, peux-tu nous dire sur quoi tu travailles en ce moment ?
Je suis actuellement en train de terminer un album pour un groupe qui s’appelle Shinedown, je suis dans les finitions. Le single est d’ores et déjà sur les ondes et l’album ne va pas tarder à sortir. Juste avant de terminer cet album, j’ai mixé quelques titres pour Bruce Springsteen. Je l’ai co-mixé en quelque sorte avec Bob Clearmountain. Bob a mixé l’album, mais Bruce voulait que j’en mixe moi-même une partie. Hier soir, j’ai dîné avec Bob et on a bien rigolé à ce propos !
Il existe une vraie camaraderie entre les ingénieurs ! J’aimerais revenir aux débuts de ta carrière, savoir un peu comment tu as commencé, quelles sont les raisons qui t’ont poussé à faire ce métier ? Et pourquoi, particulièrement, le mixage ?
Tout a commencé avec ma mère qui jouait dans un groupe. Elle était musicienne dans un groupe de jazz, professeur de théorie musicale et son trio répétait à la maison. Chaque jour, il y avait tous ces musiciens qui venaient à la maison et moi, à 12 ans, j’étais au milieu de tous ces magnétophones, cette petite console et ces microphones. Dès qu’une occasion se présentait – en réalité, dès que les musiciens partaient en concert ! – j’emmenais le matériel dans le sous-sol ; c’est là que les expérimentations ont réellement commencé.
Ce que tu fais derrière la console ne veut rien dire tant que les artistes ne se sentent pas à l’aise
C’est donc une affaire de famille ?!
Oui, complètement. Ma mère était musicienne, je suis musicien; c’est juste ce que je voulais faire depuis mon enfance. Le fait d’avoir tout ce matériel autour de moi pour bricoler, c’était une bonne façon de commencer. J’avais déjà mon propre groupe à 12 ans ; au final j’utilisais ce matériel pour nous enregistrer. À cette époque, j’étais aux claviers et puis je me suis mis à la batterie. En fait, je comblais un peu les faiblesses musicales du groupe…
Y a-t-il une personne en particulier, un « mentor », qui t’a ouvert la voie et qui t’a pris sous son aile ? Quelqu’un en dehors de ta famille, qui t’a donné l’envie et qui t’a montré comment faire ?
Oui, bien sûr ! Ce qui s’est passé, c’est que ma mère a réalisé que je voulais vraiment en faire mon métier ; elle m’a donc emmené dans un studio pour passer un entretien. J’ai eu un job chez H&L Records sous la direction de Steve Jerome (GrandMaster Flash, Bobby O, Pet Shop Boys, NDA). Ils m‘ont engagé pour 50 $ la semaine pour être runner, puis assistant. J’ai commencé par nettoyer les toilettes, puis après j’ai fait le thé, le café, puis je me suis occupé des track sheets jusqu’à ce que je devienne assistant. Steve Jerome m’a ensuite formé et m’a montré comment il voulait que les choses soient faites. Il était en réalité mon mentor à cette époque. Quand j’ai eu 13/14 ans, il m’a montré les ficelles du métier et la rigueur que j’ai fini par adopter tout au long de ma vie.
Tu peux toujours repasser d’ingénieur à assistant, ça te remet à ta place.
Ensuite j’ai lu que tu avais travaillé aux Unique Sound Studios?
Oui, enfin, n’allons pas si vite ! J’ai passé pas mal de temps là-bas (chez H&L, NDA) avec Steve, Hugo et Luigi ; ce studio a fini par être repris par Sugar Hill Records, qui était par définition à l’origine du rap. Donc j’étais vraiment là au début du rap, avec des titres comme « Rapper’s Delight » du Sugar Hill Gang ou encore « The Message » et « White Lines » de GrandMaster Flash. Tous les premiers albums de rap ont été faits sous ce même toit avec Steve ou Eric Thorngren. Et j’y étais !
Quelle époque ! Et c’est donc bien après qu’arrive Unique Sound Studios ?
Je commençais à travailler à New York en freelance avec quelques artistes et c’est là que j’ai appris à trouver des projets. Je suis retourné « en bas de l’échelle » en tant qu’assistant à Unique Sound parce que je le voyais comme le studio d’avant-garde pour le hip-hop de New York de l’époque, je parle de 1982–83. Ça s’est terminé autour de 1987–88. Je suis donc devenu assistant et suis passé ingénieur maison ; j’ai eu quelques hits sympas et c’est comme ça que j’ai gravi les échelons en travaillant là-bas. Juste en faisant ce que je voulais.
Ce fut donc une évolution que je qualifierais de presque « naturelle » : tu as commencé en tant que runner, puis assistant, puis ingénieur…
Tout à fait. Mais tu peux toujours repasser d’ingénieur à assistant, ça te remet à ta place.
Tu ferais mieux de réussir du premier coup parce que je ne vais pas me laisser démonter sans m’être battu.
Le fait que tes deux frères travaillent également dans l’industrie de la musique crée-t-il une sorte de compétition entre vous?
En fait c’est plutôt simple. Mes deux frères ont d’abord travaillé avec moi : Jeff faisait le son façade pour mon groupe et Tommy s’occupait des lumières. Jeff a d’abord commencé par m’assister en studio et ensuite j’ai réussi à convaincre Tommy de ne pas faire de son live et de devenir mon assistant en studio. Ces deux gars sont donc venus travailler avec moi et je les ai formés. Tommy, je l’ai carrément poussé, je l’ai fait passer devant tous les autres assistants qui voulaient m’assister et je l’ai formé à fond. Donc y a-t-il une compétition entre nous ? Pas vraiment, parce que ce sont mes frères et qu’on travaille ensemble ! (Rires) Ce n’était pas vraiment ça, c’était plutôt du genre : « Il y a plein de trucs à faire, tu veux ce plan ? Fais-le ! Ou celui-là ? Vas-y ! » Je ne suis pas en compétition avec ma famille ! (Rires), Mais c’est vrai que j’ai un esprit de compétition envers n’importe qui d’autre. Mon attitude est : « Tu ferais mieux de réussir du premier coup parce que je ne vais pas me laisser démonter sans m’être battu. »
Ça n’a rien à voir avec le fait d’être un ingénieur du son, mais il s’agit d’être une personne avant tout, qui sache gérer les comportements et les relations avec les artistes.
Est-ce qu’il y a des méthodes de travail que tu as acquises dans les années 80 que tu gardes encore aujourd’hui ?
Eh bien, c’est une question intéressante, car la raison qui fait que le business a changé à l’heure actuelle est que les ingénieurs d’aujourd’hui n’ont pas été formés grâce à la discipline rigoureuse d’un mentor. Ils achètent un système Pro Tools, quelques plug-ins. Ils compressent un truc et pensent qu’ils sont mixers. Et je ne veux pas paraître aigri ou dépréciatif, mais, tu sais quoi : tant que tu n’as pas nettoyé les toilettes, écrit un bon millier de track sheets, que tu ne t’es pas fait taper dessus pour rouler les câbles, que tu n’as pas rangé les micros et que tu n’as pas été intimidé par tous les artistes et réalisateurs que tu as pu rencontrer, tu ne mérites pas ta place derrière la console. Non pas que je pense que ma façon soit la seule pour y arriver, mais je crois qu’il y a aujourd’hui beaucoup de nouveaux soldats ici qui ne méritent même pas d’avoir un fusil entre les mains.
Donc oui, toute expérience est bonne à prendre, ça paie un jour et tu apprends toujours quelque chose de nouveau, chaque jour. Ça n’a rien à voir avec le fait d’être un ingénieur du son, mais il s’agit plutôt d’être une personne avant tout, qui sache gérer les comportements et les relations avec les artistes. Ce que tu fais derrière la console ne veut rien dire tant qu’ils ne se sentent pas à l’aise.
Je fais tellement de séminaires pour changer la donne, en invitant tous les étudiants que je peux et organiser des conférences et des discussions, qui durent entre 3 et 5h, à mes frais, avec SSL. Je les fais venir et j’essaie de les inspirer, de leur montrer le chemin qui a du sens pour moi. Et ça me permet aussi de voir qui a envie d’être inspiré et qui ne le veut pas. J’essaie de pousser la nouvelle génération dans la bonne direction. Je travaille sous cet angle.
Les clients avec qui nous traitons attendent la perfection.
Tu considères donc l’éducation comme quelque chose d’important ; tu fais beaucoup pour ça.
Oui ! Voici un exemple : j’appelle le directeur de SSL, je lui dis : « Écoute, je veux organiser une rencontre avec les étudiants en son à Los Angeles, dans mon studio, à mes frais. Tu amènes une équipe de tournage, tes 30 meilleurs étudiants et je vais leur consacrer 4h de mon temps à parler de mixage, d’enregistrement, etc. » « C’est super, voici la date, faisons ça ! » Ça c’est à LA. Ensuite je dis : « Allez, on bouge, le weekend prochain je fais une autre rencontre à Power Station à New York avec SSL et 30 nouveaux étudiants. » Et après ça je vais aller à Real World – les studios de Peter Gabriel – et on va faire de même pour une centaine d’étudiants là-bas. Et à propos de Paris, je suis en train d’arranger cela, car je vais d’abord faire le séminaire Mix With The Masters à La Fabrique en juillet. Donc je vais essayer de faire quelque chose avec le studio Guillaume Tell qui, il me semble, est l’une des plus grosses cabines équipées de SSL. Je vais essayer de faire venir un maximum d’étudiants français et suisses pour faire un séminaire là-bas. Je veux juste une cabine qui a une SSL 4000 G, pour leur montrer comment je travaille sur cette console, dans une régie suffisamment spacieuse pour accueillir 30 à 40 étudiants toute la journée, parler de tout et leur donner une vision d’ensemble.
C’est donc toujours important pour toi de montrer aux autres comment travailler et comment se former. Sais-tu combien d’assistants tu as formés depuis le début de ta carrière ?
J’en ai formé peut-être 10 ou 15 seulement ; j’ai probablement montré des choses à un plus grand nombre, mais c’est parce que mes assistants veulent rester avec moi. Enfin, non, je vais le dire autrement : ils ont envie de partir chaque soir parce que je suis vraiment agaçant ! (Rires) J’ai les meilleurs assistants au monde. Ils ont été formés jusqu’au point où personne ne peut les déstabiliser ; je leur inculque cette estime de soi et cette attitude qui fait qu’ils peuvent surpasser n’importe quel autre assistant sur cette planète. Et c’est l’état d’esprit, car les clients avec qui nous traitons attendent la perfection, ils attendent de toi que tu sois opérationnel 24h/24. C’est un boulot difficile, on a besoin d’une vie aussi. Je suis d’astreinte 24h/24 – et ça n’est pas parce que je travaille 24h par jour – mais parce que les artistes avec qui je travaille sont partout dans le monde, ils t’envoient des emails, des SMS, ils veulent qu’on s’occupe d’eux. Parfois, c’est vraiment casse-pieds, mais quand Mick Jagger, Bruce Springsteen, David Bowie ou quelqu’un d’important t’appelle ou t’envoie un message, tu t’occupes d’eux ! C’est juste ce que tu dois faire. On s’en fiche de savoir quelle bouteille de vin tu es en train de boire ou l’endroit où tu te trouves. Ça n’a pas d’importance.
Est-ce que tu te souviens quand tu as mixé ton premier hit ? Ce moment où tu sors du studio et tu te dis : « Waow, cette chanson était vraiment cool ! » ou « cet album était tellement cool, j’ai le sentiment que ça va marcher ! ».
Je dirais que la toute première fois, c’était quand, en tant qu’assistant de Steve Jerome, on a enregistré et mixé de A à Z une chanson qui s’intitule « The Message » de GrandMaster Flash, qui est devenu leur plus gros hit. Je crois que c’était en 1979–80. Steve mixe le titre, il est 20h et il file rentrer chez lui. Mais le groupe, lui, est toujours là au studio, à traîner et ils sont du genre : « Hey, pourquoi tu ne t’amuserais pas un peu avec le titre ? » Je me suis donc fait ma propre version. Aujourd’hui, seul l’ingénieur de mastering sait quelle version a atterri sur l’album – ma version ou celle de Steve ! C’est à ce moment que j’ai commencé à franchir la ligne. Tu es l’assistant, ce qui veut dire que, quand l’ingénieur est parti, tu es l’ingénieur. Donc quand le groupe te demande quelque chose, tu ne dis pas non. La première fois où j’ai poussé les faders pour quelque chose qui a fonctionné, c’était ça. Après, l’autre moment qui me paraît évident c’est « Living in America » de James Brown, qui a été un énorme hit pour le film Rocky, en 84 ou 85. J’ai enregistré le titre et l’ai mixé avec Dan Hartman. Je me souviens avoir fait l’edit du single, qui était une version de 3’30 de la version album qui elle, durait 7’. C’était mon premier vrai coup en faisant une version courte.
Tout en respectant la vision de l’artiste, te souviens-tu des premiers mixes où tu as senti que tu avais ta propre « signature sonore » ?
Tout le truc de la signature sonore est venue par Bob Clearmountain ; c’est lui qui a créé ça. Dès que j’entendais un mix de Bob… je savais que c’était lui. Le premier mix que j’ai entendu et que j’ai aimé fut « Good Times » de Chic. Les gens ne savent pas bien qu’il a mixé des trucs pour Chic. Ils pensent qu’il a juste fait Bryan Adams et Bruce Springsteen, Huey Lewis, David Bowie ; ils ne réalisent pas que ses premiers mixes étaient déjà incroyables. Même moi, à l’époque, je n’en avais pas conscience. J’étais plus dans les trucs qu’il faisait pour le rock, car il avait une vraie identité pour le son de batterie. Pour moi donc, c’était d’avoir d’emblée le son de batterie et la voix. Je voulais être aussi bon que Bob. Ce qui m’importait, c’était de jouer dans la même cour que Bob ! Je m’efforçais de devenir comme Bob. « BLB – Be Like Bob » : c’était mon truc ! (Rires) Trêve de plaisanterie, l’autre soir, quand on a dîné ensemble, il m’a fait un sacré compliment en retour, il m’a dit : « Maintenant tu peux choisir ce sur quoi tu veux travailler parce que tu es tellement occupé en ce moment ! » Et j’ai répondu : « J’essaie juste de te suivre. Tu es celui qui est capable de faire les Rolling Stones et Springsteen, comme ça, d’un claquement de doigts ! » Je crois que tout le truc de la signature sonore vient de la façon dont j’entends les choses ; pour moi, sur ces premiers disques de hip-hop, c’était de faire en sorte que la batterie soit plus forte que ce qu’elle ne devrait.
Il s’agit vraiment du son de batterie uniquement ?
Étant batteur moi-même j’ai toujours entendu les batteries devant, un peu du genre : « Oh mon Dieu, elles arrivent! ! » Il est clair que certains de mes premiers mixes avaient une batterie très devant. Et c’est encore un peu le cas aujourd’hui, les albums ont une batterie bien devant.
Et c’est ce que les artistes veulent aussi aujourd’hui ! OK, on va passer à un aspect plus technique des choses.
Technique
Je sais que tu as installé ton studio dans les anciens studios Can Am à Tarzana (Los Angeles, au nord-ouest de Beverly Hills et de West Hollywood, NDA) depuis un moment. À part le fait qu’il était déjà équipé d’une SSL 4000, qu’est-ce qui t’a motivé à t’installer dans ce studio?
Ça a commencé par un simple processus logistique ! Je vivais à Tarzana et je faisais les trajets jusqu’à Burbank et Hollywood pour aller travailler. Je n’étais pas dans mon studio, j’étais dans un studio de quelqu’un d’autre. Et après avoir fait tous ces trajets et ne pas pouvoir être près de ma famille à cause de tous ces bouchons… J’avais déjà travaillé à Can Am dans les années 90 – j’avais mixé les Damn Yankees là-bas et John Wetton (Asia, King Crimson, NDA) et d‘autres albums en 90–91. Un jour, je roulais tout près, je voulais voir si le studio existait encore ; bien sûr, j’y suis rentré et évidemment le studio était un peu délabré, sous la coupe d’un propriétaire. Je suis rentré et, wow, j’ai demandé aux propriétaires : « Est-ce que je peux regarder la cabine un peu ? » J’ai commencé par la louer en leasing – oui je louais carrément la cabine au propriétaire – et, un jour, je me suis dit : « Allez, c’est bon, je ne loue plus la cabine ; je l’achète ! Je vais virer ce mec ! » Quelques jours plus tard, je lui ai dit : « La location, ça ne va pas fonctionner, je vais récupérer l’endroit. C’est bon ! » J’ai commencé par récupérer la partie Studio B et dès que j’ai eu la possibilité d’acheter le Studio A, je l’ai acheté. Il y avait quelques autres personnes intéressées par ce projet d’achat, mais je me suis complètement imposé sur ce coup-là. Mon manager m’a dit : « Écoute, je me fiche de savoir comment tu vas faire, mais on récupère le studio. » C’était évident. Et même si je n’avais pas vraiment besoin des deux studios, j’avais besoin d’avoir le contrôle de toute la structure parce que je voulais que ça soit MA structure, sous mon contrôle. Le point fort du studio est qu’il y avait déjà la console que je voulais. J’avais juste à faire un peu de traitement. À part ça, je suis complètement satisfait.
J’ai lu que tu utilises des Sony 3348 pour le mixage. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu le processus ? Est-il vrai que tu utilises encore aujourd’hui des 3348 et si oui, pour quelles raisons ?
Bien sûr. Même encore hier soir, Bob a quelque peu sursauté quand je lui ai dit ça parce qu’il a lâché ce format depuis bien 5 ou 6 ans maintenant. C’est simple, ils ont arrêté de fabriquer des bandes en 2008. Pour moi, ce format était le meilleur format parce que ça met ta chanson sur un morceau de bande bien défini ; une fois que c’est enregistré, la forme de ta chanson ne change pas, c’est numérique, c’est transféré en numérique à partir de Pro Tools et j’aime la façon dont ça sonne. Donc quand la bande retourne dans sa boîte une fois que l’album est fini, le multipiste de la chanson est exactement tel qu’on l’a laissé quand on a mixé le titre. À part le fait que ce format sonne bien – ce qui est toujours pour moi la raison n°1 – tu sais que, quand tu remets la bande, tu vas retrouver les choses telles que tu les avais laissées. Et mon processus de travail n’est pas pour autant ralenti parce que, quand je mixe une chanson, mon assistant prépare la suivante. C’est vrai que c’est un peu « à l’ancienne », mais pas tout à fait. D’un point de vue sonore, c’est génial. J’ai plein de bandes vierges. Ça ne va pas durer une éternité, mais j’aime bien les choses que ça amène.
Ce qui m’amène à une autre question. Tu as 48 pistes sur une bande et je me doute que tu reçois des sessions Pro Tools de la part de tes clients avec plus de pistes, donc il doit y a avoir un processus de « premix » que ton assistant assure pour que toutes ces pistes puissent atterrir dans les 48 pistes du 3348… Mais si par exemple il y a un problème dans le stem de cordes, et que tu souhaites faire refaire le premix par ton assistant, comment faites-vous ?
Et bien c’est très simple. Quand tu veux modifier quelque chose sur la bande, tu ouvres la session Pro Tools, tu fais les changements nécessaires et tu droppes. Admettons que je veuille plus de violons dans le pont et moins d’alti ou de violoncelles ; on fait la modification dans la session Pro Tools, on répare, on droppe et c’est fait ! Avec les choeurs, ou autres, pareil. Bien souvent, même une session avec 200 pistes atterrit plutôt bien sans faire trop de compilation. Par compilation j’entends quand on a 4 pistes qui atterrissent sur 2 pistes, ou 8 sur 2, etc. La plupart du temps, on n’a pas vraiment à intervenir. Ce qui veut dire qu’une paire de pistes atterrit sans problème sur une paire, qui atterrit sur une autre paire, et ainsi de suite… On est devenu très bon pour réaliser des compilations en essayant de faire le moins de compromis possible, ce qui veut dire que la bande master n’est pas juste une bande de compilations ou de stems. Et puis on a toujours les sessions d’origine d’où viennent les pistes. Donc ça marche aussi si on veut tout étaler.
Ça force donc le processus de mixage à prendre des décisions très tôt, si jamais le client ne l’a pas fait?
En effet, et c’est ce qui fait toute la différence, car, quel que soit le projet que tu reçois, tu peux le gérer.
Avec quelles écoutes travailles-tu?
J’utilise toujours 3 paires d’enceintes. J’ai toujours mes NS-10 d’origine avec la protection devant, depuis les années 80, avec les amplis d’origine Yamaha 2002 et un subwoofer Infinity BU2. Ensuite, pour les main, j’ai des M&K actifs avec deux subs, juste pour gonfler un peu le truc. Et toujours mon ghetto blaster Sony Z1 qui reçoit le mix de la console et que j’ai en rack. Avec ces trois systèmes, c’est déjà pas mal.
Tu utilises un gestionnaire d’écoutes à part ou tu utilises celui de la SSL ?
Juste celui qui est dans la console. C’est un A/B, minis/large. Le ghetto blaster, quant à lui, récupère la sortie du bus Studio Loudspeakers ; il me permet de contrôler la vibe générale de la chanson.
J’ai quelques questions à te poser à propos des plug-ins que tu as développés avec les ingénieurs de Waves. Peux-tu nous expliquer comment ça s’est fait ?
Ca a vraiment commencé quand ils ont sorti leur Channel Strip de SSL série E – la chose devant laquelle je suis assis depuis maintenant 30 ans, quand SSL est apparu. Ils sont venus vers moi et m’ont dit : « Peux-tu écouter un peu ce qu’on vient de faire et nous dire comment ça sonne ? » Je les ai aidés à optimiser le rendu de ces plug-ins et ils sont devenus les plug-ins les plus populaires qu’ils aient vendus. Je les utilise encore aujourd’hui, ils sont très simples et reprennent exactement ce que je connais. Nous avons donc commencé par les émulations de SSL – pour lesquelles j’ai réalisé quelques presets - et après c’est devenu : « Venez on va faire des émulations de mes 1176, LA2A et LA3A parce que je les utilise tous les jours. » Ils ont donc sorti les plug-ins 1176, LA2A et LA3A. Ils ont emporté mes machines d’origine à Tel-Aviv pendant quelques mois, les ont passées à l’oscilloscope et on a échangé nos points de vue jusqu’à ce que les plug-ins donnent la même distorsion harmonique. Je suis vraiment content du résultat, ce que ça amène, la vibe générale… Une fois qu’on a fait ça, ils m’ont dit : « Conçois ton propre plug-in. » J’ai carrément pris un morceau de nappe en papier lors d’un dîner dans un steak house avec Mike Frateus – le responsable produits chez Waves – et j’ai dessiné le design original de ce qui est devenu les plug-ins Signature CLA, qui ressemblent à de petites consoles de mixage avec des boutons, quelque chose de simple pour l’utilisateur.
J’ai déjà utilisé les plug-ins CLA Bass et Vocals et ils sonnent super bien. En fait, ils compilent un certain nombre de traitements ou d’effets que tu utilises beaucoup, comme la réverbe, les délais avec des presets particuliers pour la réverbe, un voice doubler… En fait, ils reprennent un peu les « grandes lignes » de ce que tu utilises comme chaîne de traitements sur chacun de ces instruments?
En fait, ce que j’aime vraiment avec ces plug-ins – et ce que j’ai essayé d’accomplir – c’est qu’un débutant avec son système Pro Tools peut très bien s’en sortir avec seulement mes plug-ins Signature. Et c’est tout ce dont il aurait besoin parce que chaque plug-in possède ce que tu cherches. Le fait d’avoir des envois et des retours d’insert, c’est un peu casse-pieds au bout d’un moment. Crois-moi, je sais que tu dois mettre en place tous tes sends et tes returns et c’est compliqué. Avec ces plug-ins, tu peux les mettre partout et tu as une EQ, une compression, un réglage de gain, un preamp, tout cela dans un seul plug-in. Je pense que ça le fait. Après, si tu as besoin de plus de détails, tu peux très bien avoir différents plug-ins de delay séparés. Mais 80% du temps, tu peux utiliser ces plug-ins.
Les utilises-tu également sur tes sessions Pro Tools ?
Bien sûr. Si je cherche un des effets que je veux et connais, j’utilise toujours mes plug-ins.
Donc si je comprends bien, ton assistant et toi-même utilisez tes plug-ins dans les sessions Pro Tools qui vont être ensuite transférées vers le 3348 ? Après, tu n’utilises que la SSL et tes périphériques pour le mixage ?
Exactement !
En clair, tu travailles main dans la main avec tes assistants, ils occupent une part importante dans ton travail de mixeur. Ils ont dû être très bien formés pour que tu les laisses s’occuper des transferts et de la mise en place des sessions ?
Oui, bien sûr ! La chose la plus importante est que, quand mes clients sont là, ils veulent expérimenter et faire des trucs, comme déplacer des parties de voix, faire du montage, bouger quelques choeurs… Mes assistants font attention à tout ça, ils font les modifications et punchent pour le transfert sur le 3348 juste après.
Quand tu cherches à créer un plat inspirant, tous tes outils sont à la même place, mais tu crées toujours quelque chose de différent.
Les périphériques que tu utilises sont-ils toujours insérés sur les mêmes pistes de la console ? Possèdes-tu le même workflow pour chaque mix ?
Tout à fait. La chose la plus importante est de faire en sorte que la chanson fonctionne. Donc si tu dois te demander où se trouvent toutes les parties, ça devient difficile. Pour ma part, j’enlève tout l’aspect difficile de l’équation, tout ce que je fais c’est me concentrer sur la chanson. Quand tu veux toucher à la batterie par exemple, elle revient toujours sur les mêmes faders. Elle n’aura pas toujours le même son, mais elle est toujours à la même place. Quand tu es chef dans un restaurant, tu sais où sont les couteaux, tu sais où est la farine, tu sais où sont les planches à découper, tu sais où se trouvent les poêles. Quand tu cherches à créer un plat inspirant, tous tes outils sont à la même place, mais tu crées toujours quelque chose de différent. C’est l’état d’esprit.
Revenons un peu aux instruments. Peux-tu nous décrire ce que tu utilises pour une formation rock basique : batterie, basse, guitares, claviers… ? Quels sont les périphériques que tu utilises la plupart du temps, disons, sur les batteries par exemple ?
La première chose que je fais c’est pousser les faders et trouver là « où est la chanson ». Si je mets la batterie en solo, je désactive toute compression ; je commence donc par faire la balance de la batterie sans compression. Littéralement. Et je vois quels samples j’ai besoin d’ajouter pour faire en sorte que la batterie prenne vie. Ensuite je vois si je peux continuer sans compression. Dès que tu commences à ajouter les autres instruments, si la batterie ne me parle plus, là je me dis : « OK, je dois compresser les overheads ou je dois compresser cette piste de room. » J’essaie de faire le moins de dégâts possibles, parce que je peux commencer à tout compresser d’entrée de jeu, mais ça risque de sonner terne et à l’encontre de ce que je cherche. J’essaie avec un minimum de compression au départ, puis j’en ajoute un tout petit peu au fur et à mesure. Ça vient aussi en grande partie de la quantité de room ou de réverbe que j’utilise. J’ai 6 différentes réverbes et je les mélange selon mes goûts. Ça n’est pas : « OK, je vais utiliser cette réverbe sur la caisse claire » mais plutôt « Je vais utiliser ces 4 réverbes sur la batterie ou bien ces 6 réverbes », qui partent toutes du même départ d’effet. C’est une palette. J’ai 14 réverbes câblées au total, et je monte simplement les retours de réverbes et vois celles que je vais garder, du style : « cette balance fonctionne bien pour les refrains, celle-ci plus pour les couplets », c’est plus comme ça. Ca n’est pas une science exacte, mais j’utilise des réverbes numériques, quelques unités de compression analogiques, les EQ de la console, plus quelques Pultec pour « aider » la grosse caisse et la caisse claire. On utilise une technique complètement old school.
Justement, en parlant de réverbe, quelles sont tes réverbes préférées ?
Mes préférées sont l’EMT 246, la Yamaha Rev1 originale, la Sony DRE2000 et l’EMT 252. Les Lexicon que j’utilise sont les 224 et 480 originales, elles ont leur propre son. Ensuite il y a les nouvelles, comme la Bricasti M7, qui est certainement la seule nouvelle réverbe que j’utilise. Ensuite j’utilise également l’AMS réverbe et l’Ursa Major Space Station, qui n‘est pas vraiment une réverbe, mais entre le multi-effet et la réverbe. Et enfin il y aussi l’Eventide SP2016. Elles sont toutes câblées et utilisées. Parfois j’en utilise 4 ou 6 en même temps. Elles sont toutes réglées comme je veux ; parfois je n’ai qu’à régler le temps de réverbe. On ne peut pas vraiment faire mieux que les réverbes numériques d’origine…
Si tu utilises jusqu’à 6 réverbes sur une batterie, j’imagine que tu dois faire de même pour les voix… ?
Les voix ont leur propre chaîne de delays. Je peux utiliser 6 delays sur la voix et 4 lignes de slapback différents que j’utilise comme un package; après il y a les vocal doublers et les réverbes spécifiques à la voix. Les voix ont leur propre arsenal d’effets. Entre les réverbes de la voix et les réverbes de la batterie, ça couvre à peu près tous mes effets.
En parlant de périphériques, à part tes 1176 et les LA2A, y a-t-il d’autres machines que tu utilises tout le temps ? Comme les Pultec ?
J’ai toujours 4 Pultec branchés, tous les délais et réverbes sont toujours activés – les envois sont toujours actifs – tout dépend comment j’équilibre les retours (de ces effets, NDA). Parfois, sur certaines chansons, je me retourne et me dis : « Oh, je n’utilise que 3 compresseurs sur ce titre ». Et sur certains titres, je vais utiliser 23 compresseurs ! Certaines chansons vont avoir besoin de 8 réverbes pour fonctionner. Tout dépend de la chanson. Le fait d’avoir tous ces faders à disposition, je peux mettre telle ou telle couleur, ici un peu plus de réverbe, ici un peu plus de delay… Tu n’as plus qu’à équilibrer les textures. Un peu comme un sous-chef ! (Rires)
Et que penses-tu des nouveaux périphériques? Est-ce que tu as vu de nouvelles machines qui t’ont donné envie de travailler avec ? De nouveaux compresseurs ou de nouvelles EQ qui viennent de sortir ?
En ce qui concerne les nouveaux compresseurs, Shadow Hills fait ces nouveaux compresseurs et j’en utilise quelques-uns : le compresseur de mastering et les compresseurs en série 500. Steve Firlotte fait aussi ses propres compresseurs avec Inward Connections et j’utilise les nouveaux, les FET. J’ai même fait monter mes propres 1176 par mon staff technique ; ils en font des nouveaux qui sonnent différemment. Sinon, ceux que j’utilise le plus, ce sont les Retro 1176, ces tout nouveaux limiteurs à lampe, ils sont géniaux.
Pas de Vac-Rac?
Oui, le Vac-Rac, il est plutôt récent. En fait, j’utilise du neuf et du vieux. Bien sûr, j’utilise des délais et des réverbes nouveaux : les Line 6 EchoPros ne sont pas si vieux et les réverbes de chez TC Electronic, tout ça, c’est du matériel récent.
Quelle est ta chaîne de traitement pour le mix bus ? Est-ce que tu appliques un traitement, pendant ton mix, que tu enlèves juste avant d’envoyer au mastering ou est-ce que tu laisses ce traitement pour le mastering ?
Eh bien, ton mix est ton mix ! Le compresseur fait partie du mix, tu ne peux pas retrouver ton mix si tu enlèves ta compression. De toute façon, je ne compresse pas tant que ça. Je le fais soit avec le Shadow Hills Mastering Compressor ou bien le Focusrite Red 3 original, qui a un des premiers numéros de série. Il sonne différemment des nouveaux. Pour les EQ, j’ai des Pultec de mastering que j’utilise sur mon mix bus ; mon mix passe donc à travers des lampes et des transformateurs.
Comment procèdes-tu pour tourner tes mixes? Combien de versions fais-tu ?
Je fais toujours 6 versions, enregistrées à travers une Apogee Symphony à 192 kHz.
OK donc tu fais un main mix, un playback, instrumental…
Je fais un master mix, un vocal up, un TV Track (instrumental avec choeurs, NDA), un instrumental. Ensuite je fais l’a capella de la voix lead et l’a capella des choeurs. Et ce, quelle que soit la version que tu as : s’il y a une edit pour le single, il y aura 6 versions. S’il y a une edit longue, il y aura 6 versions. S’il y a une « clean » edit, idem. Chaque edit revient à faire 6 versions. De cette façon, l’artiste a toujours l’instrumental qui va avec chaque edit.
L’aspect artistique et humain
Je voudrais revenir sur les relations que tu entretiens avec les réalisateurs. Tu as beaucoup travaillé avec Don Gilmore par exemple. Est-ce qu’il y a d’autres réalisateurs avec qui tu aimes vraiment travailler?
On va essayer de mettre les noms dans le bon ordre. Le réalisateur avec qui j’ai fait le plus de disques est Howard Benson. Howard et moi avons fait au moins 100 disques ensemble. On a commencé à travailler ensemble en 1998 et il se peut qu’on en ait fait plus. Un de ces jours, quelqu’un grossira un peu le truc, mais je crois qu’on a dépassé la barre des 1500–2000 titres. Après Howard Benson, un autre client (avec qui Chris a beaucoup travaillé, NDA) est Rob Cavallo, qui dirige maintenant Warner Bros. Je mixe ses productions depuis les années 80. Il a produit Green Day, Shinedown, des grands groupes comme les Goo Goo Dolls, le Dave Mathews Band. Il est le second dans ma liste. Ensuite arrivent Don Gilmore, Matt Serletic, John Fields et ensuite, tous les autres, Rick Rubin… La liste des réalisateurs peut continuer. Je pense oublier des noms, mais je veux m’assurer de les remettre dans le bon ordre ; Howard et Rob sont vraiment les deux plus importants. Byron Gallimore, j’ai fait tous les albums de country avec lui ces 10 dernières années. Il y a toujours une véritable loyauté et une attitude qui nous permet de faire un peu n’importe quel projet, n’importe quand.
La musique ne va être que meilleure, il faut rester positif et faire en sorte que les choses arrivent !
As-tu un conseil à donner aux ingénieurs de mix qui débutent ou aux étudiants qui aspirent à devenir ingénieurs ?
Mon conseil est le suivant : la relation que tu entretiens avec le groupe ou le réalisateur détermine ton travail. Tant que tu n’as pas établi de réelle relation avec le groupe ou le réalisateur, qu’ils ne sont pas contents de ce que tu fais et qu’ils ne te demandent pas de le faire tout le temps, tu n’as pas vraiment de titre. C’est vraiment ça qui définit qui tu es. Si le groupe te veut, que le réalisateur te veut et que la maison de disques veut également que tu fasses tel album, et qu’ils sont contents de ce que tu fais, alors là seulement tu peux te considérer comme un mixer.
Comment vois-tu l’évolution du marché aujourd’hui ? L’industrie de la musique est en crise en ce moment, dans chaque pays… Comment vois-tu l’évolution concernant la production et la vente de disques aujourd’hui ?
Je pense qu’on se trouve aujourd’hui à une nouvelle frontière. Quoiqu’il arrive, les gens veulent de la musique. Nous, on veut juste qu’ils paient pour ça. En fait, ils paient pour ça, mais d’une autre façon. Nous devons être plus créatifs et plus efficaces dans notre façon de faire la musique. Le point de départ, c’est que les groupes continuent de faire de la musique. Les groupes continuent d’enregistrer et ils ont toujours autant besoin de toi pour mixer. On aura toujours des gens pour acheter la musique ; nous devons juste faire attention à ce qu’ils ne la volent pas. Je pense que la passion n’a jamais été aussi grande.
C’est un point de vue très positif !
Tout le monde a envie de voir les choses en noir… Tant pis si c’est leur attitude ! Si tu as envie de voir les choses en noir, va travailler dans une autre industrie. Mais, en ce qui me concerne, la musique ne peut que devenir meilleure, il faut rester positif et faire en sorte que les choses arrivent !
À la Bernard Pivot
Quel est ton meilleur souvenir à propos du mixage d’un album ou du fait de travailler sur un album ?
Mes meilleurs souvenirs sont certainement liés aux albums que j’ai réalisés. En fait, tous les albums sont de très bons souvenirs et il est très difficile de dire : « celui-ci était le meilleur ». Je pense que ceux que j’ai vraiment le plus appréciés sont les albums que j’ai réalisés, comme celui de Tina Turner, John Miles, Rick Price ou Joe Cocker, où le fait d’être réalisateur t’amène en fait à triturer tes rough mixes; tu mixes avec l’artiste, en rigolant et en t’amusant. Quand tu sais que tu joues dessus, qu’en plus tu le réalises et qu’au final ça sonne super, tu es super enthousiaste. À part ça, quand tu mixes quelque chose que tu n’as pas réalisé… Bien sûr, travailler sur « American Idiot », qui s’est fait si vite… C’était passionnant parce que les chansons étaient si bonnes et on ne s’en rendait pas compte à l’époque ! Mais les meilleurs souvenirs sont définitivement liés aux albums que j’ai réalisés parce qu’il y a plus de choses en jeu quand tu es le réalisateur. D’un point de vue humain, parce que tu en as une vision artistique, tu joues des parties de la chanson, il y a plus de « vie » sur la bande que lorsque tu mixes l’album de quelqu’un d’autre.
Tu veux dire que ce job c’est 60, 70% d’humain ?
C’est 100% d’humain. Ça n’est pas du tout du business. C’est un business personnel, émotionnel qui fait que, tant que tu n’as pas mis ton coeur dans la chanson, tu peux rentrer chez toi. Tu dois être attaché à la chanson, émotionnellement parlant, ou sinon ça ne sert à rien de faire ce métier.
Tes pires souvenirs ou moments en studio ?
Il y a eu définitivement des moments – je ne vais pas nommer les groupes – mais des sacrés moments de dispute entre les membres d’un groupe : personne n’est d’accord avec ce que tu fais, chaque mec quitte la régie et revient avec une idée différente… Quand ça ne roule pas tout seul, ça rend les choses vraiment difficiles. Il y a eu une paire de moments où le groupe se sépare ou se dispute pendant que tu mixes, ou alors ils n’ont pas bien confiance en ce que tu fais. Ce n’est pas toi, ce sont eux, et c’est ça qui rend le truc difficile. La plupart des meilleurs albums que j’aie pu mixer se sont faits alors qu’il n’y avait personne ici, à part moi, et je leur dis (aux clients, NDA). Parfois, ils sont leur pire ennemi pour eux-mêmes. Ça n’est pas leur faute. Ils feraient mieux de mettre fin à tout ça. Quand ils veulent venir ici et se battre avec le mix, parfois ils peuvent enlever la magie que tu as pu y mettre en isolant leurs parties préférées.
Avec quel artiste voudrais-tu travailler et pourquoi ?
Je veux travailler avec Paul Mc Cartney, je veux travailler avec Coldplay. Je veux vraiment mixer un album complet de U2, et pas seulement une ou deux chansons comme j’ai pu le faire par le passé ; je veux être en régie avec le groupe. Je voudrais mixer un nouvel album des Rolling Stones avec le groupe au complet ici. Je veux faire mon possible pour travailler avec les derniers des mohicans, les plus grands groupes qui restent tant qu’ils ont quelque chose à donner. C’est plus avec les légendes absolues du rock n’ roll que j’ai envie de travailler aujourd’hui. Bien sûr, j’ai envie de travailler avec Muse, les Foo Fighters et tous les nouveaux groupes, mais ils ont encore le temps ! Je veux bosser avec les anciens tant qu’il y a de l’action. Je veux les avoir tant qu’il me reste une chance.
Tu es embauché pour mixer l’album d’un artiste que tu aimes, mais les conditions techniques sont limitées. Tu dois choisir seulement 5 périphériques. Qu’est-ce que tu choisis et pourquoi ?
Si je ne peux en prendre que 5, alors je prendrais mon limiteur préféré pour la voix, ma réverbe favorite pour la voix et celle pour la batterie, ça fait 3…
C’est-à-dire ??!
Ça serait mon Urei Blue 1176, mon EMT 246 originale, ma Sony DRE 2000, ensuite je prendrais une paire de Pultec pour mon mix bus et mon Focusrite Red. Les Pultec je dis que c’est une seule machine, car ils sont appairés.
Tu triches ! (Rires)
Ils viennent par paire ! Avec ces 5 machines dans un rack, je peux aller n’importe où !!
Juste pour clore cette interview, est-ce que tu as un leitmotiv ou une citation à propos de la musique que tu aimes utiliser ?
Une des choses qu’on dit au studio est : « N’essayez pas cela chez vous ! » (Rires) Tout ce que nous avons ici ne fonctionnera pas à la maison. C’est vraiment fait pour être intégré dans une structure adaptée, dans un temple du son. Pas dans ton garage. Pour moi, ça ne fonctionne pas !
Merci à Sarit Bruno d’avoir rendu cette interview possible.