Aujourd’hui, les ingénieurs et réalisateurs qui ont eu la chance de recevoir une formation en studio aux côtés de « pointures » se font de plus en plus rares, mais certains gardent l’envie de transmettre leur savoir auprès de la nouvelle génération. Ryan Hewitt est définitivement l’un d’entre eux.
À la fois plein d’humour et très sérieux, il fait partie de ces gens qui parlent de musique avec passion et un véritable respect pour son corps de métier. Grâce à son père David Hewitt – lui-même un « pionnier » du son studio – Ryan a toujours été immergé dans cet environnement si particulier avec une vision, une éthique et une sacrée expérience qu’il aime à partager aujourd’hui, au travers de son travail et des séminaires qu’il dirige.
Nous avons eu la chance de rencontrer Ryan cette année alors qu’il était en France pour l’un de ces fameux séminaires.
Interview
Bootz : Salut Ryan ! Nous sommes chez Jukebox à Paris, c’est vraiment sympa de t’avoir avec nous ici ! Tu viens d’animer deux séminaires en France, pendant deux semaines. C’est assez nouveau pour toi il me semble ; est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
Ryan Hewitt : Oui, en fait je m’intéresse depuis un moment à l’animation de séminaires, car pour moi la « rupture » dans l’apprentissage de l’enregistrement, du mixage et de la réalisation artistique est très évidente aujourd’hui, à cause du « déclin » des studios. Par conséquent, très peu de gens bénéficient de l’expérience que j’ai pu avoir, en commençant par être stagiaires, puis assistants, puis ingénieurs, puis mixeurs, etc. avec un peu cette approche du « compagnon du devoir » qui apprend son métier d’artisan. Parce que c’est de l’artisanat. C’est de l’art. Pour moi, enseigner aux jeunes comme aux moins jeunes, de tous âges, de tous talents, c’est vraiment passionnant ! J’ai commencé avec cette société aux Etats-Unis, Studio Prodigy, il y a un an environ et ils font exactement ça.
J’ai animé un séminaire, Ross Hogarth (Van Halen, Devildriver, Miley Cyrus, Motley Crue, Jewel…) en a donné un aussi, Al Schmitt en a animé aussi à Los Angeles… Je sais que Mix With The Masters se débrouillent très bien et font du très bon boulot aussi, d’après ce que j’ai pu entendre. Celui auquel j’ai participé s’est fait au travers d’une structure qui s’appelle Audio Creative Factory, c’est un centre de MAO situé à Toulouse. Yann Sera là-bas m’a appelé et m’a demandé si je voulais animer deux semaines de séminaires en France et, évidemment, j’étais très emballé ! Michael Wagener est venu en novembre pour faire la même chose et ça a rencontré un vrai succès.
On a donc fait une semaine au Studio de la Chine – qui n’est pas très loin d’ici – et une semaine à Toulouse au siège du Creative Center. C’était très sympa ; des gens de tous âges et de toute la France. C’était réservé aux professionnels français qui gagnent leur vie dans l’industrie musicale. On avait de jeunes ingénieurs qui commençaient à peine, certains venaient d’obtenir leur diplôme d’école ou avaient un petit studio chez eux. A côté de ça on avait des gens dans les cinquante-soixante ans, des compositeurs et des ingénieurs qui ont travaillé dans la pub toute leur vie et qui voulaient apprendre comment faire des disques de rock, mixer, un peu tout… C’était plutôt étonnant, il y avait un large panel de participants, les personnes les plus sympas au monde. J’ai été vraiment impressionné par la qualité des gens qui sont venus, combien ils étaient cool et combien ils étaient prêts à « absorber » toutes les infos, de nouvelles idées et toute cette connaissance. Ce fut une expérience assez incroyable.
Tu as donc passé un bon moment ? Avec de la bonne cuisine et du bon vin ?
Ouais, c’était plutôt incroyable ! Oh, la cuisine et le vin… !
Avant que l’on parle de tes méthodes de travail, j’aimerais revenir sur le début de ta carrière. J’ai lu que tu es batteur et ton père, David Hewitt, est l’un des créateurs du Record Plant Remote Service. Comment as-tu commencé et quelle influence ton père a-t-il eu sur ton travail ?
Eh bien… Petit, mon père avait le boulot le plus cool du monde. Personne dans mon quartier n’avait un père qui partait enregistrer les Rolling Stones ou U2, ce genre de personnes. J’étais vraiment fasciné, comme n’importe quel enfant l’aurait été à ma place. J’aimais les voitures et les camions donc d’un côté il y avait un camion, de l’autre la musique, et les voyages ; pour un gamin de 13 ans c’est le truc le plus cool de la planète ! Donc tout petit déjà, je voulais – j’étais un peu forcé en fait! – partir sur la route avec mon père, l’été pendant les vacances scolaires, principalement pour me sortir de la maison et des jupes de ma mère ! C’était en quelque sorte des « travaux forcés » puisque mon père n’avait pas à me payer ! (Rires) Non je plaisante ! Je rigole ! Il m’a payé… 2 dollars de l’heure…!!! (Rires) Je pense que c’était le stage le plus long que l’homme ait jamais connu ! J’ai donc commencé quand j’avais 13 ans et j’ai travaillé pour mon père toutes les vacances d’été et à chaque congé scolaire. Et après l’école, dans la « boutique »v ; quand on a déménagé en Pennsylvanie, on avait le camion dans le fond du jardin. Bon, on avait un terrain de 5 hectares et le camion était dans la grange derrière la maison à ce moment-là. Donc oui, après l’école et pendant les vacances scolaires ; c’était top.
Après, mes premiers enregistrements… J’avais ce petit studio-cassette portable, et un magnétophone deux pistes 1/4‘’ quand j’avais 10–11–12 ans mais mon premier véritable enregistrement c’était sur une Neve VR et un Studer 24 pistes ! (Rires) J’étais plutôt gâté ! On avait un A827 et de super micros, des trucs comme ça avec lesquels j’enregistrais mon groupe de lycée. Mon père m’encourageait à travailler dans la musique et bien sûr, il a eu une influence sur moi parce qu’il me disait « C’est comme ça que j’aime mon son de kick » ou « C’est comme que j’aime avoir un son de voix » « Je fais très attention à ça », « J’aime bien l’idée de faire ça… » Mais jusqu’à ce que j’aille à l’université pour apprendre l’électronique, son idée c’était que je suive une formation générale qui me permettrait de « retomber sur mes pattes » si jamais je ne voulais plus devenir ingénieur du son. Il m’a dit : « Passe ton diplôme et quand tu auras terminé, si tu veux toujours être ingénieur du son, je te suivrai dans cette voie. Il y a plein de gens avec qui tu peux apprendre, pas la peine forcément d’aller dans une école pour ça. Va plutôt suivre cette formation, tu auras une autre façon de voir les choses, la musique, l’ingénierie, d’une façon plus empirique. »
Parfois, les étudiants qui sortent des écoles de son peuvent avoir une vision restreinte des choses, « c’est comme ça qu’on m’a appris à faire ci, ça ou ça » plutôt de l’apprendre par 10 mecs différents qui ont fait des albums qui ont bien marché. Je ne veux pas être trop caricatural – parce qu’il y a des personnes très brillantes qui sortent des écoles de son – mais parfois ça devient ou peut devenir un peu restrictif. Je préfère avoir de l’expérience en studio et apprendre sur le tas avec les ingénieurs que je veux « imiter ». Pour moi, c’était la meilleure formation
Et donc, quand j’étais à l’école d’électronique, je passais tout mon temps dehors à faire de la musique. J’ai un peu repris la « boîte de sono » du campus ; on avait cette petite société de prestation son pour faire les concerts locaux. J’ai donc repris cette petite boîte, j’ai acheté du nouveau matériel. A l’époque, le truc cool à avoir c’était la Mackie 8-bus et je me demandais : « Comment vais-je faire pour enregistrer en cachette, sans que personne le sache ??! » (Rires) Je me suis mis à acheter tout ce matériel pour la « sonorisation », j’avais les clefs de l’entrepôt dans lequel je pouvais amener les groupes la nuit ou pendant les weekends, et enregistrer leurs demos live sur DAT. Ensuite j’ai eu un DA88, l’enregistreur de chez Tascam, j’enregistrais tout sur 8 pistes et après je mixais tout ça… Je trouvais que c’était le truc le plus cool à l’époque, de faire ces petits enregistrements ! J’ai dû enregistrer tous les groupes du campus pour faire leurs demos. Je trouvais ça super passionnant, c’était vraiment ce que je voulais faire. Tous mes amis étaient assis à leur table, à faire des Transformées de Fourier, à écrire des formules et résoudre des problèmes de dérivées, des trucs comme ça… Je me disais « C’est nul ! Ca craint ! » (Rires) En fait c’était cool et à l’époque je ne me rendais pas vraiment compte à quel point c’était cool.
Aujourd’hui je me dis que j’aimerais bien concevoir mon propre compresseur, des trucs comme ça. Réparer un truc quand c’est cassé, comprendre quel filtre fait quoi, comment fonctionne tel compresseur, avoir une idée du trajet du signal… Ce sont des choses que j’ai apprises à l’école en électronique. Au contraire, ça n’a fait que renforcer ma passion pour l’enregistrement ! (Rires) Du style : « Je ne veux pas passer ma vie devant un ordinateur ». Et je crois que c’est ce que je fais maintenant…! C’est plutôt amusant et ironique, non ?! (Rires)
Petit, mon père avait le boulot le plus cool du monde. Personne dans mon quartier n’avait un père qui partait enregistrer les Rolling Stones ou U2…
On vient donc de voir ta formation en électronique mais tu as travaillé à Sony Studios. Comment as-tu fait le « pont » entre l’école et Sony Studios et qu’y as-tu appris?
En fait, je le dis tout le temps – et je le pense à chaque fois : je me sens vraiment chanceux d’avoir eu un père dans ce métier. Et pas seulement ça, mais aussi un père qui se soucie de mon expérience de vie et ce que je suis amené à faire. Dès mon plus jeune âge, j’ai commencé à aller aux salons de l’AES ; je me souviens d’ailleurs être allé à l’un de ces salons quand j’avais 15 ans et peut-être même avant ça…J’allais aussi aux soirées du Record Plant, où il travaillait à New York, et je rencontrais Dave Thoener, Jack Douglas et tous ces types alors que je n’étais qu’un gamin ! Au fil des années, j’ai rencontré toutes ces personnes et à un moment, il s’est avéré que l’ancien manager du Record Plant, Paul Slomann, était devenu manager des Sony Studios. Je cherchais un stage, mon père l’a appelé et il s’est occupé de me trouver ce stage. J’ai travaillé gratuitement pendant deux étés à Sony Studios, je me suis vraiment défoncé, j’ai travaillé plus dur que tout le monde, ils m’ont demandé de revenir et j’ai eu le job. Je me suis battu pour ça ; tout le monde le voulait ce job mais j’étais l’un des rares stagiaires à obtenir un job à la fin. Du coup j’ai eu ce job de runner (homme à tout faire, NDA), payé 5$ de l’heure, après des centaines de milliers de dollars dépensés dans un cursus en électronique, vivre à New York sur une base de 5$ de l’heure était une vraie corvée mais, voilà, j’ai travaillé plus dur que tout le monde et rapidement, j’ai été promu assistant, grâce à…
En fait, pour la faire courte : j’ai accepté une session que personne ne voulait faire un weekend de 4 Juillet. Un des techniciens avait droit à une journée gratuite au studio et il a demandé à chacun des assistants s’ils voulaient faire la séance. Tout le monde lui a répondu non ; il a alors demandé à tous les runners et j’étais en fin de liste, parce que j’étais le petit nouveau. Je lui ai dit : « Mais ouais, put***, je vais la faire moi, la séance ! » Je suis donc venu au studio un 4 Juillet – la fête nationale aux Etats-Unis – et on a enregistré ce truc. À un moment un, de ses amis, un ingénieur connu, entre dans le studio et il me dit : « Qui es-tu ? » – Oh, moi, je suis juste le runner ! Et là il me dit : « Plus maintenant ! La semaine prochaine, tu es mon assistant ! » Et d’ailleurs – ironie du sort – on a travaillé avec un groupe français qui s’appelait Laplace cette semaine-là ! J’assistais Kirk Yano qui est un grand ingénieur aux Etats-Unis et qui est devenu un ami depuis, et on mixait ce groupe Laplace ! J’ai beaucoup appris à ses côtés, il m’en a fait baver mais il m’a tellement appris… Du coup, je suis devenu le « petit mec en bas de l’échelle » des assistants et j’assistais tous les ingénieurs résidents. Parce qu’ils devaient s’assurer que j’étais suffisamment bon pour assister les ingénieurs extérieurs… et ils ne m’ont pas lâché la grappe !
Apparemment, je faisais mon malin, du coup ils m’ont demandé d’assister Michael Brauer ! Ce fut le plus gros défi de ma vie. J’étais assis à coté de ce mec, tu sais, ce super grand mixeur ! (l’air étonné). Tu sais, du genre : « Wow ! OK, je ne joue plus dans la même cour maintenant ! Faut que je passe la seconde ! » Et je me suis débarrassé de mes habitudes à faire mon gros malin… Parce que j’ai un sens de l’humour aiguisé, j’aime bien faire le foufou, tu vois ce que je veux dire ? Enfin, peu importe…! Je pensais que j’en savais suffisamment, puisque j’avais gravi les échelons rapidement et que les choses avançaient bien pour moi… A partir du moment où je me suis retrouvé dans la même pièce que Michael Brauer – qui lui savait VRAIMENT ce qu’il se passait et comment arriver à faire en sorte que ça sonne – je me suis dit : « Oh ! Je ne suis PAS ce mec ! Mais je veux être ce type ! Je veux sa place ! Mais je ne suis pas ce mec et je vais apprendre à ses côtés comment faire tout ça ! » D’un seul coup, cette partie de moi a disparu, dès le premier jour où je me suis retrouvé avec lui dans ce studio. J’ai donc travaillé avec Michael, lui aussi il m’en a fait baver pendant deux ans ! (Rires) C’est quelqu’un de très exigeant mais toujours très juste. Quand je foirais un truc, il passait me voir et je lui disais : « OK, c’est ma faute, je ne le referai plus… » Et je ne refaisais plus la même erreur ! Quoi que ce fût, je ne le refaisais plus jamais ! Il a un don pour sentir les choses; quand il était assis devant la console, moi j’étais derrière ses murs de racks, à bouger la jambe en rythme et il se retournait, me regardant entre les racks et me disait : « Arrête ça tout de suite. » Ou quand j’étais à l’arrière de la cabine et qu’après être resté au studio jusqu’à 5h du matin la nuit précédente, je faisais une micro-sieste, il me disait : « Tu es en train de t’endormir ? » Tu vois ce que je veux dire ? (Rires) Et moi – Euh…non… ! Pas du tout ! « Moi je crois que si ! » (Rires) C’était comme si il avait des yeux derrière la tête ! Jusqu’à ce jour, c’est devenu un de mes amis les plus chers, et un véritable mentor dans ma carrière. J’ai travaillé pour lui, j’ai travaillé pour Elliott Scheiner, j’ai travaillé pour Phil Ramone, Bob Power… Quelques-uns des ingénieurs qui constituent pour moi une vraie source d’inspiration et qui m’ont appris comment faire de grands disques et – en dehors de ça – comment être une bonne personne, parce que tous les mecs que j’ai pu citer précédemment sont des personnes extraordinaires, au top.
Apparemment, je faisais mon malin, du coup ils m’ont demandé d’assister Michael Brauer ! Ce fut le plus gros défi de ma vie.
Ce métier reflète et constitute un équilibre avec ta vie personnelle.
Oui, enfin c’est un tout autre sujet que l’on pourrait aborder autour de pas mal de bières… (Rires) Mais tu sais, ces mecs m’ont appris à être professionnel et comment bien faire mon travail, de manières bien différentes. Bob Power mixe des albums d’une façon très différente d’Elliott Scheiner, très différente de Michael Brauer ; mais ces gars-là sont amis et leur « facteur commun » c’est d’écouter et d’avoir leur personnalité qui ressort d’un disque. Michael a une forte personnalité qui se ressent sur un album. C’est le patron. Il est LE patron de CE mix. Il va botter le cul de ce mix ! Et c’est comme ça que ça sonne ! Ca sonne du genre (croisant les bras) « Ouais… » Pour moi c’est comme ça que sonnent ses mixes ! Un peu du genre (l’air sûr de lui) « Hmm, hmm… » Après, Elliott est très « hi-fi » dans son approche, il aime avoir le contrôle, mais d’une manière totalement différente. Bob, lui… En fait, si tu rencontres Bob, tu comprends son caractère et ses mixes sont comme ça : « Ah mais oui, c’est un mix de Bob Power ! ». Et pareil avec des mecs comme Manny Maroquin ou Tony (Maserati), leurs personnalités… Quand tu les rencontres et que tu ré-écoutes leurs albums… « Wow ! J’entends le mec ! Je l’entends ce petit Borsalino, dans le mix ! » Je veux dire, c’est totalement ridicule de dire ça mais, quand tu rencontres ces mecs et quand tu écoutes leurs mixes, tu vois très bien d’où ils viennent.
J’ai rencontré Michael une fois et il m’expliquait qu’il demandait à ses assistants de noter la couleur des câbles de patch pour le recall, juste pour être certain que le câble de patch serait le même pour le recall du mix.
Hahaha! (Rires) Ouais, c’est son truc ça ! Il est génial !
On vient de parler des Studios Sony. Tu as ensuite déménagé à LA et tu es allé au Cello Studios. Comment as-tu fait la transition entre New York et Los Angeles ? Qu’est ce qui diffère entre les deux villes ?
C’est drôle, parce que c’est encore un de ces chanceux concours de circonstances dans ma carrière…En fait, pendant que je travaillais avec Michael Brauer, on était en partenariat avec SSL, alors que la 9000 venait de sortir. Et j’étais un des premiers assistants à Sony à apprendre à se servir de la console, avec mon pote Dave Swope d’ailleurs. Du coup, quand Michael a décidé de passer à la 9000, j’ai pu rencontrer tous les gars de chez SSL, Don Wershba et un paquet d’autres gens qui sont un peu tous partis maintenant. Don lui est toujours là! Mais bon j’ai commencé à travailler pour SSL et à montrer aux autres comment se servir de la 9000 à New York. Au même moment d’ailleurs sortait l’Axiom MT – qui est en gros la version numérique de cette console – et j’enseignais aux gens comme s’en servir. A peu près au moment où je commençais en avoir marre de New York, le gars qui travaillait pour eux à Los Angeles quitte la boîte. Ils m’ont dit : « Hey, est-ce que tu peux venir ? On a besoin de toi tout de suite, pour remplacer notre gars à LA, du moins temporairement, et tu vois si ça te plaît… » – Ok, cool !
Je suis donc allé à Los Angeles et il s’est avéré qu’en fait c’était un super plan ; j’allais dans tous les studios de Los Angeles pour mettre à jour les SSL 9000, pratiquement tous les jours. Pareil, j’enseignais aux gens comment l’utiliser, aider les commerciaux à la vendre aux ingénieurs, aux réalisateurs artistiques, aux studios, ce genre de choses. Ce faisant, j’ai rencontré tous les managers de studio à LA et pas mal de super réalisateurs artistiques et ingénieurs qu’autrement je n’aurais pas pu rencontrer. Par conséquent, j’ai rencontré Candace (Stewart, manager du Cello Studio) and Gary (Myerberg, ingénieur « en chef » résident) à Cello quand on leur a vendu la 9000, que j’ai installée et pour laquelle j’ai montré aux gens comment s’en servir, voilà… Et dans l’entrée, je vais voir Jim Scott, comme on fait d’habitude… Tu vois, tout à l’heure (en off, NDA) on parlait de la « magie » des studios qui possèdent plusieurs cabines… Là, il me fait : « Hey mais qu’est ce que tu fais ici ? Tu bosses sur quoi ? » Je vais vers Jim que j’avais brièvement rencontré à New York et lui, tout de suite : « Qu’est ce que tu fais ici ?! » Je lui réponds que je travaille pour SSL, que j’installe la console… « Mais pourquoi tu fais ça ?! » (Rires) Je lui raconte l’histoire, il me dit : « Ah OK, je comprends, mais tu devrais bosser ici ! » Et moi : – Ouais, ça serait cool ! Ça serait super cool…
Mais bon, une semaine passe et je le revois. Parce que, oui, en fait quand je n’avais rien à faire au bureau j’allais chez Cello – parce que c’était cool d’être avec tous ces gens. Il y avait toujours un truc qui se passait, toujours quelqu’un qui faisait un bon disque. A l’époque Bill Bottrell était là-bas, c’était un peu une « époque bénie » pour ce studio. Jerry Finn était là-bas aussi, Jerry Harrisson des Talking Heads était là-bas, Rich Costey, enfin, tu vois… Dave Schiffmann enregistrait un album dans cette cabine, Andrew Scheps était dans l’autre, Rick Rubin était dans telle cabine, Jim Scott bien sûr… Il y avait cette concentration d’énergies dans ce studio à ce moment-là et je voulais en être dès que je pouvais. Je vais voir Jim dans le hall d’entrée et il me dit : « Hey, mon assistant vient juste de partir, comme ça sans prévenir. Il vient de passer 3 ans à travailler pour moi et là il se barre. Il en a marre de ce métier, il veut travailler dans la ferme de ses parents ! Tu veux bosser pour moi ? » – Bien sûr !!! (Rires) Je suis retourné chez SSL et j’ai quitté la boîte ! (Rires) Et ça c’était le 10 septembre. Le lendemain, c’est le 11 septembre et d’un seul coup, je me dis : « Merde ! Je n’ai plus de boulot !… » Parce qu’à ce moment-là, toutes les productions étaient reportées, tout était un peu en suspens à l’époque aux Etats-Unis, c’était complètement dingue. Bien évidemment, les choses sont rentrées dans l’ordre petit à petit et j’ai pu par la suite travailler avec Tom Petty, les Red Hot Chili Peppers, tous ces super disques les uns à la suite des autres, avec Jim Scott.
Et oui, travailler à New York est très différent de travailler à Los Angeles . c’est une atmosphère différente. À LA c’est du genre : « Ouais mec, c’est cool… » Tu dois rester professionnel bien sûr mais ils ont un peu ce culte – enfin non, ce n’est pas un vraiment un « culte » parce que ça n’est pas artificiel – mais il y a cette ambiance un peu cool que tu vois partout en Californie, quelque chose de plus relax… Les choses doivent être bien faites, comme à New York, mais de façon plus relax.
Jim est très différent de Michael aussi. Michael est super précis, beaucoup de périphériques, tous ces trucs. Jim lui, c’est : une grosse Neve, un gros Fairchild, un gros Gates, c’est parti ! « Lecture, stop, je peux mixer n’importe quoi ! » (Rires) Tu vois ce que je veux dire ? C’était un peu son attitude en studio, carrément l’inverse de ce que j’avais connu, très peu de périphériques externes et des mixes en 3 heures. « Boom, voilà, ça c’est fait, ça c’est mon son ! » On a fait beaucoup d’enregistrements, pas mal de mixages ; j’ai beaucoup appris avec lui. Et pareil, il devenu un super ami et un véritable mentor pour moi. Et c’est comme ça que j’ai eu mes premières séances, grâce à Jim. Pareil, comme on le disait tout à l’heure, un jour, Jim ne peut pas prendre cette session parce que ses clients débordent sur le temps et il vient vers moi en me disant : « Hey, TU vas faire la séance dans cette cabine ! » OK, cool ! Et maintenant je travaille avec John Frusciante ! (Rires) Qu’est ce que ça veut dire ? Comment je me retrouve à faire ça, moi ??! (Rires) Après, c’est toujours pareil, j’ai conservé la même éthique de travail et j’ai bossé plus dur que n’importe qui, plus dur que le mec dont tu veux la place. Quand je bossais avec Jim, je me disais : « Franchement, c’est incroyable, ce mec met en place une vraie « vibe » dans le studio… » Il met toutes ces tapisseries au mur, et toutes ces lumières de Noël, avec tout ce matériel super cool, et tous ces microphones, tout est installé pour aller dans une direction bien précise… C’est ce que je veux faire ! Je veux sa place ! Je veux être Jim Scott ! Je veux faire ce qu’il fait !
Je l’ai donc observé et j’ai toujours essayé d’avoir un temps d’avance sur lui. J’ai dû bien faire mon travail puisqu’après il m’a refilé toutes ces séances ! C’est comme ça que les choses se sont passées, l’histoire complète ! (Rires)
Bob Power mixe les albums d’une façon très différente d’Elliott Scheiner par exemple, qui est très différente de Michael Brauer ; mais ces gars-là sont amis et leur « facteur commun » c’est d’écouter et d’avoir leur personnalité qui ressorte d’un disque.
Oui mais c’est une histoire vraiment intéressante !
C’est plutôt drôle en effet et la chose à laquelle je pense le plus par rapport à mon évolution de stagiaire à l’âge de 13 ans avec mon père, à celle d’ingénieur, mixeur et réalisateur artistique à l’âge de 39 ans c’est simplement : garde la tête dans le guidon, maintiens le cap et reconnais les opportunités. Les gens disent qu’ils ne travaillent jamais gratuitement et ce genre de choses, mais je n’en serais jamais arrivé là si je n’avais pas donné un peu de mon temps. À certains moments de ma vie, à des moments cruciaux de ma carrière, il y a toujours eu des « coups de mains », que ce soit pour produire l‘EP d’un petit groupe de punk de m*** que j’ai donné à Jerry Finn pour après obtenir le plan avec Blink-182 ; ou bien faire un mix-test pour Rick Rubin pour finalement récupérer l’album des Red Hot Chili Peppers. Reconnaître ce genre d’opportunités est très important dans ce métier.
Il faut être investi.
Il faut être investi, faire sans relâche et s’intégrer dans les endroits où tu as envie d’être. Si tu veux être un ingénieur ou mixeur reconnu, il faut que tu travailles pour un ingénieur ou un mixeur reconnu. Regarde comment ce type fait son truc. Ensuite, absorbe ça et passe à quelqu’un d’autre. Trouve les endroits pour t’apprendre. Et si tu ne peux pas bosser pour ces gars, suis un séminaire avec eux. Lis tout ce que tu peux à leur propos et trouve les informations qui viennent des endroits dans lesquels tu voudrais travailler. Pas des endroits qui sont à côté de chez toi ou derrière chez toi – comme tout ce qu’on peut lire sur les forums – avec tous ces mecs qui se demandent quel microphone chinois à lampe sonne le mieux pour 100 dollars ? Ça n’a aucune importance ! Regarde qui fait les disques qui ont du succès et ce que tu voudrais faire ! Et découvre ce qu’ils utilisent. Comprends comment ils pensent, comment ils écoutent et ce qu’ils entendent dans un micro chinois à lampe à 100 dollars, ou dans ce que tu as toi, ou peu importe ce que tu cherches. Ça n’a rien à voir avec le matériel, ça a à voir avec comment toi, tu vois les choses et ce que tu cherches à entendre. Je peux utiliser un petit micro chinois de m*** pour obtenir un son « hi-fi » mais je dois d’abord me demander : « Comment vais-je faire pour avoir ce résultat ? » Tu vois ce que je veux dire ? Quel microphone de m*** ? Mets-en un dans ma main et je vais trouver un son avec ça ! Ca n’a pas d’importance. Oui, j’aimerais bien avoir tel ou tel microphone, j’aimerais bien avoir ce périphérique, ou ce preampli micro, OK, mais aujourd’hui je n’ai pas ça ! Donc qu’est-ce que je vais faire ? Bah, je vais utiliser celui-ci !
Et en tirer le meilleur !
Et je vais en tirer le meilleur ! Ce sera toujours mon son, parce que je place le micro, je l’égalise, je le compresse, je fais n’importe quoi avec. Si je n’ai pas le setup optimal, j’utilise les plug-ins ou, enfin tu vois, je trouve une autre façon de faire ! Mais j’écoute toujours et je recherche toujours le son qui est le mien. Avec ce musicien, cet instrument, dans cette pièce, aujourd’hui. (Rires) Tu comprends ce que je veux dire ? Tous ces trucs du genre : « Mais pourquoi tu n’utilises pas ça ? » – Eh bien aujourd’hui je n’ai pas ça, donc aujourd’hui je ne l’utiliserai pas !
On est d’accord ! Ça tombe bien car tu embrayes sur ce que je voulais aborder ensuite : le matériel et ta façon de travailler. Les périphériques, micros et autres équipements que tu utilises. J’ai vu que tu avais une belle collection de périphériques et d’équipements. Tu as monté ton propre studio il y a 1 ou 2 ans… Qu’est ce que tu as dans ce studio ? Qu’est ce que tu aimes utiliser et que tu utilises tout le temps dans tes séances ?
Commençons peut-être avec l’étape d’enregistrement… Comment procèdes-tu quand tu commences une séance d’enregistrement ? Qu’est ce que tu utilises comme micros ? J’ai vu que tu aimais bien les Mojave… Pourquoi ?
Ok, si on doit aborder le début d’une séance d’enregistrement, au moment de l’installation, j’installe pour tout faire. Quand j’assistais Jim Scott ou maintenant que je fais des enregistrements pour Rick Rubin, ou que je travaille sur mes propres productions, je veux être prêt à tout. Ayant appris dans l’enregistrement de concerts, j’ai toujours du backup. Je n’ai pas seulement le kit pour la batterie, avec les micros habituels : kick in, kick out, snare dessus, snare dessous, les toms, les cymbales, le charley, les rooms, blah-blah-blah… J’ai toujours quelques micros branchés dans la pièce, au cas où… « Oh, on aurait besoin de faire une percu ! » – Ouais, pas de problème, j’ai ça. « Oh, on voudrait un son de room complètement dément ! » – Ouais, j’ai ça aussi. Pas de souci, c’est là, déjà branché. Avec Rick, tout se fait live donc on fait tout, batterie, basse, guitares, les voix, violon, peu importe ce qu’il y a dans le groupe ou qui est présent, on enregistre tout le monde ensemble.
En même temps ?
Oui, en même temps. Parce qu’il s’agit de capturer le feeling lié à une prise de la chanson. Tout peut être modifié, re-joué ou édité plus tard, OK, mais si tout le monde joue ensemble, chacun sait ce que les autres font. Et du coup ils jouent sur ça. Ils le sentent.
Et ils construisent quelque chose à partir de ça.
Et tu construis quelque chose à partir de ça. Tu n’es pas en train de faire d’abord les batteries, puis les guitares, ensuite la basse, puis les voix et tous ces trucs qui vont être artificiellement parfaits – ce qui peut être cool, je fais aussi des disques de cette façon, qui doivent sonner de cette manière – mais j’ai un vrai penchant pour faire les disques live en studio. Autant que possible. Là encore, je n’ai pas de règles, du genre « Pas grave si ça n’est pas parfait tout de suite, tout va bien, ça peut être un chant témoin, une partie témoin, c’est top ! » mais on doit savoir comment tout ça va s’imbriquer. Tout est installé, j’aime bien prendre les guitares en DI quand je peux, si jamais nous avons besoin de les reamper plus tard. Parce que nous devons avancer, vite, pour capturer l’inspiration, et si le guitariste n’a pas LE son parfait, on peut le reamper plus tard, le modifier, peu importe, mais on a ce moment, ce feeling dans son jeu, parce que le batteur est juste à côté. Il voit le batteur et ils font quelque chose ensemble. C’est à ce moment particulier et ça n’arrivera plus jamais, quelque soit l’énergie que tu y mets plus tard au moment des overdubs ; ça ne sera jamais pareil que d’être assis dans la pièce – peut-être dans la même pièce que le batteur, peut-être dans un booth ou dans la régie, qui sait ? – mais CE moment n’arrivera plus jamais. Et si tu as la DI tu peux le reamper, le modifier, peu importe, si je dois le faire. J’aime avoir le son au moment où on enregistre mais tu ne peux pas passer une heure à chercher un son de guitare alors que tout le groupe attend pour jouer.
Parce que tu dois avancer vite.
Oui, tu dois avancer et pareil, tu dois garder ce flot d’inspiration. Quand je travaille avec Rick Rubin, on fait 2, 3, 4 chansons par jour, le tout dans une journée courte, dans un court moment. Il est un peu du genre (claquant des doigts, en regardant sa montre) « Allez, on continue tant que ce groupe est chaud ! » Il ne se laisse pas freiner pour savoir quelle pédale d’overdrive est la meilleure entre celle-ci ou celle-là, ou ce genre de choses… Parce que, si tu obtiens le bon « feeling », tu t’appuies sur tes compétences de base d’ingénieur pour avoir un super son dès le départ, tu traces ta route avec et ça sera très bien.
C’est du coup plus facile de construire le titre, le réaliser et le mixer ensuite.
Oh que oui !
La chose à laquelle je pense le plus par rapport à mon évolution de stagiaire (…) à celle d’ingénieur, mixeur et réalisateur artistique c’est : garde la tête dans le guidon, maintiens le cap et reconnais les opportunités.
Parlons un peu des batteries, parce qu’on a commencé sur ce sujet. Tu as des sons très différents sur les disques des Avett Brothers comparés au Red Hot Chili Peppers par exemple. Comment places-tu les microphones sur ces kits ? Qu’est ce que tu utilises en général ? Peut-être y a-t-il des choses que tu fais tout le temps, comme des rubans sur les overheads ou les rooms… ? Est-ce que tu utilises par exemple un micro que tu compresses ou que tu overdrives… ?
En fait, tout dépend de tout le reste. Du coup, quand j’écoute le groupe… Bon d’abord, tu dois faire tes devoirs. Il faut que tu écoutes le groupe, ses CDs en amont. J’aime demander aux groupes ce qu’ils écoutent, ce qu’ils aiment en ce moment et ensuite je définis en quelque sorte la direction que je vais vouloir emprunter, au niveau du son. J’ADORE les sons de batterie, je suis batteur moi-même, j’adore faire un super son de batterie. Je veux dire, j’adore faire un super son pour tout, mais les batteries en particulier, je trouve que c’est un véritable défi parce qu’avec tous ces microphones, tu dois obtenir un son moderne…
Les problèmes de phase…
Ouais, les problèmes de phase, les problèmes d’accordage des peaux… Il y a tellement de choses qui rentrent en ligne de compte pour obtenir un super son de batterie, c’est un défi énorme. Donc, quand tu as un super batteur, avec un super kit, dans une super pièce, c’est tellement plus simple ! Tout le reste est plus simple. Après, que tu utilises tel ou tel micro, c’est une question de choix personnel. C’est un peu comme si je te disais : « Ton café, avec ou sans sucre ? », tu vois ce que je veux dire ? Vu le nombre de très bons micros, que tu utilises ce micro ou celui-là, ça n’a pas d’importance. Je veux dire, je ne vais pas utiliser un micro nul mais si je veux un son « hi-fi », j’aime bien mes C12 en overheads. Après, ça dépend des preamplis que tu as, etc. Si par exemple tu as des Coles, qui sont un peu « dark », il te faut un genre de préampli un peu brillant qui va t’amener un joli haut du spectre. Si tu as des 1073, ça va sonner super bien. Mais les C12 sonnent très bien, les 87 sont très bons, ils vont tous ajouter un peu de leur personnalité ; tout dépend de l’instrument et de la pièce.
Et du batteur !
Oui, bien sûr ! Le batteur ! Tout dépend de tout. Quand j’installe la batterie, j’aime bien bouger la grosse caisse dans la pièce et trouver le sweetspot dans le bas du spectre. Ensuite, je place la batterie en fonction. J’installe le kit et essaie différents micros. Je vais me dire: « OK, dans ce genre d’endroit, je vais avoir ce genre de problème ici, je vais donc commencer avec ce micro et si ce micro ne marche pas, je vais essayer autre chose. » Dernièrement, j’utilisais pas mal cet AEA stéréo à ruban comme un overhead mais parfois ça ne fonctionne pas ! Comme c’est un Blumlein, l’autre côté « regarde » vers le plafond et si tu es dans une pièce qui sonne bizarrement, ça ne va pas le faire ; tu auras besoin de quelque chose de « plus » directionnel. Nous devons tous faire fonctionner nos méninges pour choisir un microphone intelligemment mais on n’a malheureusement pas toujours une super liste de micros à notre disposition donc on doit faire un peu avec ce qu’on a. J’ai une collection de micros que j’aime, du coup, quand rien d’autre ne fonctionne, je sais que les ai et qu’ils vont marcher, donc je les prends. Bon après, pour le kick… D112, D12, 421, tu vois quoi, tout dépend de ce qu’il y a… Les caisses claires avec des 57, les toms avec des 414 ou des 421… Les charley j’aime bien des rubans ou des 57…
Qu’as-tu utilisé sur le kit des Avett Brothers ? C’est un son très clair et défini comparé aux Blink-182 ou aux Red Hot Chili Peppers.
Hum, les Avett… Il y avait un D112 dans la grosse caisse, un 47 FET en dehors, un SubKick, 57 sur la caisse claire, 414 sur les toms, C12 sur les overheads. Je crois que j’avais une paire de Royer et une paire de Mojave sur les rooms pour avoir 2 « couleurs » et j’avais certainement un green bullet sous le kit, histoire d’avoir une sorte de …
…vibe ?
Ouais, mon p’tit truc à moi !! (rires) Mais tu sais, pour Blink-182, c’était un peu pareil. Juste un batteur différent, un kit très différent et un résultat final très différent aussi !
Travis (Barker, batteur de Blink-182) tape très fort !
Oui, de tous les batteurs que j’ai enregistrés, Travis est celui qui joue le plus fort. Il tape plus fort que n’importe qui que j’ai pu rencontrer. Tu dois donc traiter ça différemment. Il s’agit plus de bien « séparer » les éléments de la batterie. Jerry avait tous ces trucs qu’on a fait sur les toms…
Que veux-tu dire ?
Oh, on avait juste ce truc en parallèle pendant l’enregistrement, qu’on faisait avec un BBE 422. C’est assez compliqué, avec des triggers, des gates et ce genre de choses. Mais on a eu un son super cool avec ça et nous avions besoin de ça, principalement à cause de sa batterie en plastique, enfin tu vois, la batterie en plexiglas, qui ne génère pratiquement aucune basse fréquence. Tout a donc été un peu « fait maison » !
OK ! Passons à d’autres instruments si tu veux bien, comme les guitares, les claviers. Je trouve que sur les albums que tu fais, les guitares sonnent bien fort mais jamais elles ne sont agressives ; bien devant mais jamais à t’arracher les oreilles. Ca n’est jamais évident de gérer le son des guitares.
Tu sais, c’est la même chose qu’avec les batteries : ça dépend du musicien, de l’instrument, de l’ampli dans la pièce et du contexte du son. Parce que oui je traite les guitares pour un disque de punk-rock différemment des guitares pour un disque de folk. Après, pour le résultat final… mais le processus, dans le sens où comment je pense les choses, est le même. Je suis du genre à me dire : « Oh, on doit avoir un super son qui va aller avec cette batterie, pour ces chansons, et qui définit l’identité de ce groupe ! » Quand tu utilises de bons procédés d’ingénieur du son… Garder les microphones en phase – quand tu utilises plusieurs micros, vérifier que les capsules soient toujours alignées en phase, en prenant un casque et en écoutant fort pour détecter le moment où la phase est la plus juste. Bouger l’ampli dans la pièce, bouger les micros devant l’ampli, afin d’obtenir le meilleur possible, le plus vite possible. Parfois ça peut prendre une journée ! Sur l’album des Blink-182, il n’y avait pas de deadline donc on passait des heures à chercher le son de guitare, parce que c’est comme ça que cet album a été fait. C’était du genre : « OK, on a fait les batteries, maintenant on va faire les guitares, et maintenant on va faire les basses. » Du coup il nous fallait trouver le meilleur son pour ça. Ce qui était cool dans le fait de faire cet album avec Jerry, c’est qu’il était du genre : « OK ! Essayons cette guitare avec cet ampli ! OK, essayons cette autre guitare avec cet ampli-là ! OK, maintenant on essaie les deux ensemble ! OK, essayons cette guitare avec 3 amplis différents et 6 micros différents, avec ces préamplis, et ceux-là dans la (Neve) BCM-10 ! Ça sonne terrible ! OK, faisons la partie ! » Et on passait ces heures à chercher le son, parce que c’est devenu l’identité de l’album.
Et aussi parce que certaines chansons étaient un peu… « Tum tum tum.. » (mimant les rythmiques punk à roulettes californien typiques de Blink-182, NDA), tu vois ce que je veux dire? Il faut que tu fasses sonner ça d’enfer ! Et à la fois il faut que ça sonne différemment de la fois où ils ont joué le même genre de partie sur une autre chanson, qui arrive juste après celle-ci. Il faut que ça soit différent, ça ne peut pas être toujours la même chose. Mais avec les Avett Brothers, c’est du genre : « Hey, je vais brancher ma Strat dans ce Marshall. » – OK. « Est-ce que c’est le meilleur truc que l’on ait ? – Ouais, ça va, ça marche. « OK, j’ai ma partie. je suis prêt. » – OK, on garde ce son ! Et on fait en sorte que ce son soit le plus approprié pour cette partie. Bon, après, j’exagère un peu mais..
Ce sont des façons différentes de travailler…
Ce sont des modes de travail très différents, avec des personnalités différentes et des groupes différents. Et – pour un ingénieur du son qui ne veut pas avoir d’étiquette et qui veut être capable de faire des genres de musique différents – je me dois d’être conscient de la façon dont ces gens aiment travailler et de m’adapter rapidement à leur processus. Si tu ne le fais pas, tu restes cantonné à un seul truc. Pour moi, c’est barbant. Je n’ai pas envie de faire des disques de punk-rock tous les jours. J’aime faire ce genre de disques, j’aime aussi faire des disques avec les Avett Brothers mais je ne veux pas faire ces disques tous les jours non plus. J’aime bien faire ci, puis ça, puis faire un disque de reggae, je veux faire ça, ça et ça. Faire en sorte que ça reste intéressant et être inspiré par ces différents processus de travail, pour que je puisse apporter des bouts de ces processus dans les autres disques.
Enregistrer du banjo avec les Avett Brothers est différent d’enregistrer un banjo avec Flogging Molly. Mais je peux utiliser un peu de leurs processus, un peu de leurs idées, les prendre et les utiliser dans l’autre groupe. Parce qu’ils ne penseraient pas de cette façon ; Scott Avett ne pense pas comme Bob Schmitt des Flogging Molly et vice-versa. Mais je peux me dire : « Comment Bob ferait ça ? » Et je peux dire à Scott : « Hey, je sais que ça pourrait paraître stupide, mais qu’est-ce que ça dirait si tu jouais tes accords en strumming sur ton banjo ? » Et lui de dire : « Oui, c’est cool sur cette chanson ! » Ou de dire à Bob: « Pourquoi tu n’utiliserais pas ci, ça ou ça ? » – Oh oui, bien sûr, c’est cool ! De fait, on a cette émulation d’idées et de procédés qui n’existeraient pas autrement. C’est vraiment passionnant.
Il faut être investi, faire sans relâche et s’intégrer dans les endroits où tu as envie d’être.
Essayer d’être influencé par d’autres façons de faire, d’autres styles…
Oui, et à la fin de la journée, la chanson doit parler d’elle-même et tu dois faire tout ce qui est approprié pour que ça arrive. C’est l’autre idée globale dans tout ça : faire tout ce qui est approprié au moment opportun, pour CETTE musique, CE groupe. CE jour-là ! (Rires)
C’est toujours une question de temps !
Oui, tellement de choses : le temps, l’équipement, blah blah blah… Je ne sais pas, il n’y a pas de règles ! Fais ce qui sonne bien !
Pour faire en sorte que ça sonne bien, il faut un peu d’équipement. Qu’est ce que tu as dans ta liste de matériel ? il me semble que tu as un sacré arsenal, et pas seulement des périphériques, consoles, enceintes et micros, mais aussi des instruments et des effets, des choses comme ça. J’ai lu que tu étais un utilisateur averti des plug-ins UAD, tu as aussi un gros sommateur Tonelux, tu es fan de Manley et de Chandler… Est-ce que tu peux nous en dire plus sur cet équipement et comment tu as construit ton identité sonore avec ?
En fait, j’ai vu venir ce truc du home studio… Il y a combien de temps maintenant ? 13 ans je pense. J’ai vu arriver le déclin des studios, c’était imminent; j’ai vu que les gens allaient abandonner toutes ces grosses consoles hors de prix et s’installer chez eux. Je ne savais pas que ce serait du Mix In The Box parce qu’à l’époque ce genre de système n’existait pas en « haute-fidélité »… Pro Tools Accel HD venait juste de sortir. Mais je l’ai vu venir et je me suis dit : « OK, je vais commencer à acheter un peu d’équipement, comme ça, quand ça va arriver et que tout va s’écrouler, je serai prêt ! » J’ai donc vu ce revirement dans le fait de travailler dans les gros studios et ai commencé à acheter les choses que je pensais nécessaires, que les autres studios n’avaient pas forcément. De ce fait, j’ai acheté le Transient Designer, j’ai acheté des Distressor au tout début, quand ils sont sortis. Je me suis acheté une paire de ProAc parce qu’il est nécessaire d’avoir ses propres enceintes, celles que tu connais, avec qui tu as un lien. Ensuite j’ai acheté l’ampli, et les câbles d’enceintes, des choses comme ça, comme Michael Brauer, Rick Rubin et tous ces mecs. Et ensuite j’ai acheté des préamplis micro. J’ai acheté un Chandler LTD-1 ; c’était mon « vrai » premier préampli micro.
La réplique du 1073…
Oui, c’est un genre de réplique de 1073 ; mais le mien a le numéro de série 39 ou quelque chose comme ça ; il a donc les cartes et les transformateurs originaux Neve à l’intérieur, quand Wade a monté la boîte. Et je l’ai toujours ! Je l’utilise tout le temps. J’ai donc commencé à acheter des choses de qualité qui pouvaient m’aider à avoir mon son et ce, peu importe là ou j’allais ou ce que je faisais; j’avais quelque chose de bon. Est-ce que c’était le meilleur ? Peut-être pas, mais c’est vraiment bien par contre. Du coup j’avais mon petit rack 4U avec un Distressor, un LTD-1 et je ne sais plus encore ce que j’avais à l’époque… Je pouvais enregistrer n’importe quoi, j’avais quelques trucs pour pouvoir mixer et faire en sorte de bosser. Après, de la même façon, j’ai commencé à acheter les trucs dont j’avais besoin pour le studio, plus de compresseurs… Ensuite j’ai trouvé ce distributeur/préampli casque, par hasard sur eBay, pour pas cher. « Oh, cool, je vais acheter ça ! » Ensuite, des cables Mogami, ensuite ça, puis ça… Après ça j’ai eu le job avec Blink-182 donc j’ai mis tout ça dans un rack avec une baie de patch. J’ai donc construit mon premier rack, avec tous mes trucs, avec un patch, les câbles Mogami et ce genre de trucs… J’ai continué à travailler dans les gros studios pendant un moment et soudainement c’était devenu difficile de trouver du budget pour tous ces mixes qu’on me demandait de faire, du style : « Oui, je peux le faire mais il faut que tu paies 2000 dollars par jour pour le studio ! » Tu vois le truc ? « Tu plaisantes ??! » Du coup, il fallait que je sauve le boulot que j’avais en faisant mon propre endroit. J’ai déménagé et ai fait mon propre studio à la maison ; c’était il y a 6 ans.
Ça n’a rien à voir avec le matériel, ça a à voir avec comment toi tu vois les choses et ce que tu cherches à entendre.
Ca n’a pas été pas trop dur de faire ton studio à la maison ?
Non ! Je veux dire, pas dans la pratique ! Concrètement, j’ai fini une session un jour, j’ai bougé tout mon matériel dans ma nouvelle maison, ai tout installé et le jour d’après, j’avais ma première séance. Ça n’était pas le meilleur studio du monde et ça m’a pris 2 à 3 ans pour y trouver mes marques. Beaucoup de sang, de sueur et de larmes, et tout le côté affectif qui va avec ; beaucoup d’efforts, d’argent, ce genre de choses, mais c’était génial ! J’ai travaillé là-bas pendant près de 6 années et comme j’ai changé de maison, j’ai tout déplacé dans un gros studio qui contient plusieurs cabines ; maintenant j’ai une vraie régie, conçue par George Massenburg à la fin des années 70, avec une belle pièce de prise dans laquelle je peux enregistrer des groupes. Et c’est quand même cool d’être en dehors de la maison et d’aller au travail ! Quand je rentre chez moi le soir, je ne suis plus au travail.
Séparer la vie professionnelle de la vie personnelle…
Oui, c’est important de garder un certain degré de séparation, même si c’est juste aller dans le fond du jardin pour travailler dans le garage qui a été transformé en studio ou bien de faire 10min de voiture pour aller à un autre endroit. Ceci étant dit, la solution du home studio a bien fonctionné pour moi pendant un moment et j’y ai fait pas mal de bons disques. J’ai mixé tous les disques des Avett Brothers dans mon home studio. Et oui j’ai mon sommateur Tonelux et plein de périphériques que j’utilise en hardware insert, parfois directement en sortie de Pro Tools vers le sommateur. Tout cela a été développé pour répondre à des besoins occasionnels qui ont finalement déterminé une façon de travailler très fluide pour moi. C’est devenu très confortable.
Que penses-tu de l’évolution des méthodes de travail ? Est-ce que tu penses qu’on est sur une bonne voie ?… Comment te sens-tu dans ces nouvelles façons de travailler ?
En fait, j’ai deux opinions là-dessus. Au début, je détestais ça. Quand j’ai commencé à installé mon studio et que je bossais « in the box », je me disais : « Ça craint ! C’est nul ! C’est vraiment pas fun ! » Mais par la suite, les plug-ins UAD sont arrivés et là j’étais plus : « Oh, cool ! Maintenant je peux mixer tranquillement avec ces plug-ins qui sont des re-créations des périphériques que je connais ! » Après j’ai continué d’acheter un peu plus de matériel, je deviens meilleur mixeur avec le temps, du coup je suis l’aise pour mixer avec ce setup hybride. Il y a des avantages : je peux faire des recalls en quelques minutes, mais ça peut être aussi un inconvénient, parce que ça peut être du genre : « Hey, tu peux recaller le titre pour la 13e fois et enlever le shaker dans le deuxième couplet…? » (l’air blasé) « Ouais…OK…oui, oui, on va le faire, pas….pas de problème ! » (Rires) Tu dois gérer un peu ce genre de choses…
Mais pour les clients c’est sûr, c’est génial et pour les budgets aussi. Je mixe des disques d’artistes qui ont des « statures » différentes; je veux dire, j’ai mixé l’album de Harry Connick Jr l’année dernière et d’autres choses comme les Avett Brothers avec Rick Rubin. Il n’y a pas de honte à faire ce que tu fais, quelle que soit la manière dont tu t’y prends. D’ailleurs pendant ce séminaire, on a fait la première semaine sur une 9000 et la seconde semaine je mixais quasiment in the box. Et je me disais : « Woah, ça va aller tellement plus vite, de mixer sur une 9000, ça va être cool de retravailler sur une console à nouveau ! » Et en fait c’était pareil ! Ca m’a pris à peu près le même temps de faire le mix. Je me suis dit après coup « Oh, je pensais que j’irais plus vite sur la console ! » Mais ce sont juste deux processus différents, deux façons de travailler différentes. Est-ce qu’il y en a une meilleure que l’autre ? Je ne sais pas… je ne pense pas qu’il y ait un point de vue absolu là-dessus, tu vois. Ce truc doit avoir ci ou ça, ou ça et ça… Je ne sais pas. Une chose que j’ai apprise en travaillant pour tous ces gens – et plus particulièrement mon père – c’est : « Garçon, fais avec ce que tu as ! » Tu peux passer tes journées à te plaindre que tu n’as pas ci ou ça, que tu n’as pas tel ou tel microphone, que le monde va s’arrêter… Non, c’est plutôt : « OK, j’ai tous ces trucs, j’ai ce groupe, je suis ici pour enregistrer. Allons-y ! Faisons un disque ! »
C’est super, et très positif comme façon de penser !
Tu te dois d’être positif! Si tu ne l’es pas, qui va vouloir passer du temps avec toi ? Qui va t’appeler, qui veut du « mec qui fait la tronche sans arrêt dès qu’une note est fausse ? » Qui ? « Oooh, je n’ai pas mon micro, oh je n’ai pas tel musicien, ooooh c’est nul, ça craint…aaaaannnn ! » NON ! Il faut être du genre : « OK, allez, on la refait, ça sonne super, j’ai besoin que tu me refasses ci, ça et ça, faisons une nouvelle prise. OK, ça sonnait super, il nous manque un tout petit truc juste ici, est-ce qu’on peut juste puncher cette phrase là, ou juste ce break de batterie ici ? » Il faut être positif et patient, et encourager la personne avec qui tu travailles, peu importe qui c’est. Je suis dur avec mon assistant et fais en sorte qu’il bosse pour mériter son salaire mais avec les musiciens, il faut les soutenir, les encourager et être cool. Il faut que tu sois ce mec avec qui ils ont envie de passer du temps. Parce qu’ils se mettent un peu à nu avec toi, musicalement…
Je vois bien ! Je voulais juste terminer avec le matériel, avant de passer à…
Je me suis éloigné de l’aspect technique ! (Rires)
J’ai un vrai penchant pour faire les disques live en studio. Autant que possible.
Non mais c’est très bien, au contraire ! Tu fais justement la transition avec la suite… Je voudrais juste savoir ce que utilises sur ton mix bus. De quoi te sers-tu ? Sur combien de versions de mixes tournes-tu ? etc.
Je sors de mon sommateur et j’ai une chaîne de traitement sur mon mix bus stéréo. J’ai le compresseur API 2500 que j’ai fait modifier; il y a quelques trucs sympas en plus. Ensuite ça, ça va dans mon Chandler CurveBender et après j’ai un EQ3 NTI, le rack 2U que j’adore et qui rajoute un peu « d’air ». Je ne les utilise pas tous tout le temps mais ils sont branchés et je peux les enclencher pour voir ce qu’ils font. Si ça ne me plaît pas, je les enlève. Pas de problème ! Pour (la conversion de) mon mix bus j’utilise un Burl B2, ça sonne phénoménal ! Ce truc a un vrai son. Il ajoute une sorte de vibe et fait son truc. Ca sonne vraiment bien. Et oui, parfois je les utilise, parfois pas du tout, parfois je les utilise tous à fond, parfois juste un seul (faisant semblant de tourner les boutons) parfois juste un tout petit peu… Ce sont de super outils à avoir et je suis très content de les avoir.
Ils font partie de ton identité dans tes mixes.
Ouais, parce que l’API peut être violent parfois! Il peut réagir d’une manière assez dure et c’est cool ! Mais je peux aussi l’utiliser d’une façon plus douce, quand une chanson le demande. J’ai également un Elysia mPressor que j’utilise parfois sur le mix bus ; c’est assez intéressant. Donc oui, ce sont des couleurs différentes. Mon prochain achat sera un Alan Smart C2. J’adore cette machine, le bon son VCA.
Est-ce que tu tournes des stems pendant les mixes ?
J’essaie d’éviter. Je fais le Main Mix, le Lead Vocal Up, les Choeurs Up, toutes les voix Up… S’il y a sujet à polémique sur « Mec, je ne sais pas si les guitares sont assez fortes », si quelqu’un n’est pas satisfait ou que quelqu’un fait part de quelque chose dans le mix, je fais une version avec plus de cet instrument et une version avec moins de cet instrument, juste pour l’avoir, au cas où… Je préfère prendre 10mn de plus maintenant que devoir faire un recall un mois après… « Ooh M****, j’aurais dû te demander de tourner le mix avec ça plus fort, ou d’enlever cette partie… », ce genre de trucs… Je me fais juste une petite note dans ma tête et à la fin de la journée je tourne ces mixes.
Et oui après, je fais l’instru, l’acapella, parfois certains demandent des TV Mixes (mixes comprenant l’instrumental et les choeurs). J’évite les stems la plupart du temps – à moins que quelqu’un me le demande – je doute vraiment que les stems puissent refaire le mix que tu avais tourné. Essentiellement à cause de ma chaîne de traitement du mix bus. Mais s’ils les veulent, je les tourne et parfois – tout dépend de ce que je fais avec le compresseur de mix bus – je laisse enclenché ou pas. Mais après, je ne trouve pas que ça apporte quoi que ce soit et personne n’est jamais venu me dire, avec les stems : « Reprends ces stems et refaisons le mix ! » C’est un sacré casse-tête mais s’ils en ont besoin, à des fins de remix par exemple, oui bien sûr ils peuvent les avoir, je m’en fiche ! C’est pas un problème !
C’est l’autre idée globale dans tout ça : faire tout ce qui est approprié au moment opportun, pour CETTE musique, CE groupe. CE jour-là.
Tu parles des assistants et je voudrais aborder avec toi la question de l’évolution du business, de l’apprentissage… Est-ce que tu travailles avec des assistants ? Comment vois-tu cette évolution dans l’industrie musicale ?
Eh bien, comme je le disais plus tôt, je pense que c’est un business où la carrière se développe grâce à l’apprentissage. Tout dépend des expériences, la trajectoire de ta carrière dépend d’où tu as été, ce que tu as fait, avec qui tu as travaillé, ce genre de choses. Je me suis retrouvé à assister des gens incroyables et beaucoup de gens m’ont donné ma chance, certains m’ont pris sous leur aile et m’ont enseigné ce qu’ils savaient et j’ai été capable de continuer avec ça. Certaines personnes dans ce business ont été très sympas avec moi et j’ai comme une obligation morale de continuer cela, de faire en sorte que cet état d’esprit perdure. J’ai eu des assistants au fil des ans, pendant les 6 années dans mon studio j’ai eu quelques assistants – certains ont été plus efficaces que d’autres, que ce soit pour des longues ou des courtes durées – et je pense que c’est important, pour quelqu’un qui a « une voix » dans ce métier, d’être capable de transmettre ce que je sais et ce que j’ai vécu à la nouvelle génération, à ceux qui vont arriver. Je reçois pas mal d’emails de gens qui cherchent un stage ou juste avoir des infos et j’essaie d’établir un programme me permettant de prendre ces gens avec moi et de les former pour le long terme, de différentes manières. Maintenant que mon studio est en dehors de ma maison, cela va rendre les choses plus simples, c’est pourquoi je travaille actuellement sur ce programme… Et c’est pourquoi j’ai commencé Studio Prodigy aux Etats-Unis, ainsi que ces séminaires que je dirige ici en Europe.
Mais, tu sais, l’assistant – ou n’importe quelle personne qui veut travailler pour moi – doit être fort. Ils doivent savoir ce qu’il se passe et avoir envie de travailler. Ne me demande pas à quelle heure on rentre ce soir. Tu me demandes ça, je te fous dehors du studio. Demande moi : « Qu’est ce que je peux faire pour toi quand tu vas partir ce soir ? Qu’est ce que je peux faire après que tu seras parti ? » J’ai dit à plusieurs gars (en montrant la chaise sur laquelle il est assis) : « Si tu veux ce fauteuil, tu dois travailler plus dur que moi. Il va falloir que tu restes plus longtemps, que tu sois là avant, et que tu ne sois pas distrait par ce qu’il se passe en dehors du studio. Si tu veux réussir dans ce business, il faut que tu sois en avance sur moi. Et ça n’est pas facile, parce que je bosse vite. Et j’en sais beaucoup, parce que j’ai un peu traversé tout et n’importe quoi dans ce métier. Mais pour passer au niveau supérieur, tu te dois d’être en avance par rapport à la personne qui se trouve dans le fauteuil que tu plébiscites. » C’est très important. Si l’artiste est là, et que quelqu’un dit qu’il a faim, tu as déjà le menu dans les mains. Si on doit te demander pour quelque chose, tu es déjà derrière, peu importe qui te pose la question. Si je dois te demander les Sharpie, tu es derrière. Si je dois te demander de faire le recall, c’est que tu n’y prêtes pas attention. Les assistants doivent toujours être prêts à faire, tout le temps. C’est un travail épuisant !
Je sais que j’ai été un bon assistant mais je sais que j’aurais pu être meilleur à certains moments. J’y pensais ce matin, je me disais : « Hey, il y a quand même des choses que j’ai faites pour lesquelles j’aurais pu me faire virer ! » Mais ça n’est pas arrivé, heureusement ! Je me suis fait malmener et je ne rends pas non plus la vie facile à mes assistants, j’attends un certain niveau de la part de ces mecs. J’ai écrit sur un petit carnet les choses que je veux, les choses que j’attends, les choses qu’ils doivent faire. Tout est « formalisé ». Quand un nouveau arrive, c’est du genre : « Voici la liste des choses que tu auras à faire ! Si ça ne te va pas, je n’ai pas besoin de toi, la porte est là ! » Ce n’est pas pour jouer les c*nnards, mais j’ai un boulot à faire et si tu m’empêches ou me retardes dans mon travail, si je dois tout t’expliquer, si je dois te montrer comment passer une commande pour le déjeuner, comment demander l’argent au groupe pour acheter à manger et leur rendre la monnaie correctement, pourquoi es-tu là ? Je ne peux pas t’apprendre ça, je suis là pour mixer un disque, tu es ici pour prendre soin du groupe qui est là quand on enregistre, mixe ou peu importe… Si tu ne comprends pas l’idée globale, tu ne peux pas faire de recall, ça ne va pas le faire. Il y a des choses de base en studio que tu te dois de connaître. Ce sont en quelque sorte des leçons de vie et si tu ne les as pas vécues, si tu n’as pas travaillé assez dur pour que je puisse t’embaucher, nous ne pouvons pas continuer ainsi. Parfois ça ne se voit pas tout de suite et ça rend les choses compliquées. Cependant, peu importe qui j’embauche, cette personne doit agir en bonne intelligence. Pas besoin qu’elle soit le meilleur ingénieur du monde – je ne l’embauche pas pour qu’elle soit ingénieur – je l’embauche pour qu’elle soit mon assistant. Et j’apprends à mes assistants comment enregistrer, mixer, ce genre de choses, oui, mais ils doivent avoir un minimum d’expérience de vie qui leur permet de réaliser des tâches de base, d’apprendre, d’absorber les informations et de se battre pour les choses qu’ils doivent faire. Là, c’est l’assistant qui parle à l’assistant. C’est un boulot très très dur. Et c’est malheureux que ces postes se fassent de plus en plus rares avec l’arrivée des home studios, mais je pense qu’il reste encore des opportunités pour ceux qui les veulent vraiment.
Si tu entretiens les liens avec les gens et que tu écoutes leurs conseils… Je veux dire, si tu envoies des emails à 30 ingénieurs avec qui tu veux travailler, tous ne te répondront pas, peut-être 1 seulement, voire 2… Et peut-être que ce gars-là te voudra comme assistant ! Mais je pense que c’est important de garder le contact et de faire évoluer sa carrière de n’importe quelle façon. Je ne réponds pas à tous les emails ; je peux tout de suite reconnaître qu’untel va être difficile, je ne veux pas non plus qu’un mec de Tombouctou vienne s’installer en Californie pour être mon assistant ; ça n’est pas le genre de choses que je recherche. Mais une fois de plus, être introduit là où on veut évoluer, aller aux salons de l’AES, aller aux conventions, rencontrer des gens, traîner avec eux et faire partie du truc, de l’expérience – je pense – est une façon d’évoluer dans sa carrière. On peut tous acheter du matériel, on peut tous acheter ces équipements mais comment allons-nous faire pour faire des disques ? Comment allons-nous faire pour passer au niveau supérieur ?
On doit d’abord apprendre à travailler.
Oui, on doit d’abord apprendre à commander les sandwiches ! (Rires)
À la Bernard Pivot
Quel est ton meilleur souvenir d’enregistrement ?
Le premier qui me vient à l’esprit est quand j’enregistrais « Stadium Arcadium » pour les Red Hot Chili Peppers. Flea arrive – on avait déjà enregistré le principal, j’avais déjà fait pas mal de choses avec John (Frusciante, guitariste, NDA), c’était d’ailleurs des années après que j’ai commencé à travailler avec John en solo – mais à ce moment précis Flea vient au studio pour refaire 2–3 parties de basse pendant quelques jours sur des titres qu’il avait déjà enregistrés. À un moment, il joue un truc et il me dit : « Cool, super, on passe au suivant ! » Là je lui réponds qu’il peut faire mieux. « Quoi ?? » Il se retourne vers moi et me regarde (l’air étonné et surpris) « Vraiment ??! » – Oui, oui le placement dans le temps peut être un peu mieux je pense ! Là, il me dit : « OK, vas-y, lance la bande ! » Il écoute sa partie et me dit : « Ouais, d’accord, je vois ce que tu veux dire… OK, on la refait mais si je ne la rejoue pas mieux, je vais vraiment être fâché après toi ! » Et là je me dis « OK… » Je me tourne vers la télécommande du magnéto et je me dis : « Put*** de m***, je viens de dire à Flea qu’il pouvait la refaire mieux ! » Et je suis là, à rembobiner et à réfléchir à ce punch qu’on est en train de faire et à ce moment-là je me dis « Pu*** !! Mais c’est cool ! je suis en train d’enregistrer mon groupe préféré et je viens juste de dire à Flea de la refaire ! » Tu sais du genre : « Hey ! je suis là ! J’ai une carrière maintenant !! » (Rires) « Hey maman, j’ai une carrière maintenant ! Je viens de dire à Flea de la refaire ! Et il a dit qu’il était OK ! » Ce moment était juste… Quand je suis rentré à la maison j’étais sur mon petit nuage, parce qu’il a refait sa partie et qu’après, il m’a dit que ça sonnait mieux ! Je ne me souviens plus de quelle chanson ou de quelle partie il s’agissait – c’est sans conséquence d’ailleurs ! – mais le simple fait que je puisse dire à Flea, qui était un de mes héros à la basse quand j’étais plus jeune : « Refais-le ! » je me suis dit « OK, j’y suis. C’est génial ! » Ce fut un grand moment pour moi.
Quel est ton pire souvenir ?
Le pire c’est quand j’ai effacé quelque chose par accident. Je ne me souviens plus de qui c’était ou de ce qui est arrivé mais j’ai effacé un truc sur une bande et je me suis dit : « Oh M*** !!! L’ai-je vraiment effacé ??!! » Le mec dans la cabine, derrière le micro, me dit : « OK, c’est cool, je vais le rechanter, ne t’en fais pas, c’est pas un problème. » J’ai cru que mon coeur allait s’arrêter. J’étais dépité ! Franchement, il a fallu que je reprenne mes esprits. Il a fallu que je la joue en mode « OK, tout va bien… » et dropper la partie et remplacer ce que j’avais effacé mais je n’arrêtais pas de m’excuser. Là il me dit : « OK, n’en parlons plus. Il n’y a pas de problème. On sait que je l’ai mieux chanté de toutes façons donc ça n’est pas bien grave. » J’étais mortifié ! (Rires) Heureusement, tout s’est bien passé et ça s’est bien fini.
Il faut que tu sois ce mec avec qui ils ont envie de passer du temps.
Avec quel artiste voudrais-tu travailler et pourquoi ?
Je fais des allers-retours avec cette question. The Police était mon groupe préféré quand j’étais tout jeune et j’ai cette idée de vouloir travailler avec l’un d’entre eux, Stewart, Sting ou Andy. Mais après je me dis que, comme ces mecs sont mes héros, je ne pourrais pas ! Ca pourrait casser la barrière pour moi de bosser avec eux un jour. Parce que j’ai entendu qu’ils n’étaient pas faciles ! (Rires) Mais après tout je me dis, qui sait ? Peut-être qu’un jour ça arrivera… ou pas !
Il y a deux personnes sinon. J’aimerais bosser avec Dave Grohl ; ça serait vraiment cool dans une certaine mesure. Et j’aimerais travailler avec Paul Weller parce que j’aime sa musique depuis que je suis môme, j’ai acheté tous les disques qu’il a faits et il a juste ce « style » où il se fout de tout, tu vois ? Il est tellement « effronté », il est… Tellement unique ! Il a cette voix, il a un super groupe et il est en total contrôle de ce qu’il fait. J’admire ça en quelque sorte mais après ça me fait peur aussi parce que, si je travaille avec quelqu’un dont j’admire la musique, que se passe-t-il après ? C’est un peu comme « Dans la Peau de John Malkovitch » quand tu te retrouves dans cette position. (Rires) C’est un peu comme si tu voyais les choses à travers ces yeux qui ne sont pas les tiens et d’un seul coup tu fais un disque comme tu le ferais habituellement mais est-ce que cela viendrait interférer avec ce que tu aimes dans ces disques justement
Pareil, j’adore les Doves mais j’écoute ces disques par plaisir. Je les écoute dans la voiture, je les écoute à la maison sur ma chaîne et je ne les écoute pas d’un point de vue de la production. D’un seul coup, j’emmène ces disques au studio et je me dis que certains de ces disques ne sonnent vraiment pas terribles ! Qu’ils sont mauvais et que je veux les faire sonner mieux que ça ! Mais ce son qu’ils ont, c’est aussi ce qui fait le charme de ces disques. Le son de Paul Weller est tellement… « bizarre » – parce que je ne trouve pas de meilleur adjectif pour le qualifier - et le son des Doves est ce qu’il est – sur les deux premiers albums par exemple – parce qu’ils les ont enregistrés eux-mêmes dans leur petit studio. Mais ils sonnent super bien ! est-ce qu’ils sonnent comme moi je les ferais sonner ? Pas du tout. je ferais quelque chose de potentiellement différent. Et peut-être qu’ils aimeraient ça. Peut-être que ce serait une bonne combinaison, je ne sais pas. J’ai toujours un peu peur de travailler avec un groupe que j’admire pour ce genre de raisons.
Tu es engagé pour faire un disque que tu aimes mais tu ne dois prendre que 5 éléments de ton setup. Qu’est ce que tu choisis et pourquoi ?
Je ne sais pas… C’en est une bonne ! Probablement un 1176, parce que c’est le meilleur compresseur jamais fait. Et… certainement mes enceintes, mes ProAc. C’est une question difficile ! J’en sais rien !! Est-ce que je dois prendre des micros ou est-ce qu’ils ont des micros là-bas ? Je ne peux pas répondre à cette question !
Des choses sans lesquelles tu ne pourrais travailler.
Alors si je vais dans un studio, les choses que je dois avoir… Donc oui, je prendrais mes enceintes j’aimerais avoir un 1176… Je prendrais certainement mon Chandler TG-2, c’est mon préampli micro favori… je ne sais pas, je prendrais mon rack de séries 500, parce qu’il n’y a pas beaucoup de trucs pour faire des enregistrements, mais plutôt du mix. Je prendrais mon « camion de lunchbox » comme je l’appelle, parce que c’est un rack 12U avec des chassis de séries 500 que je me suis fait faire et il y a plein d’autres préamplis Chandler, des EQ Tonelux, des trucs comme ça… Donc ça fait 4… M***, quel micro je prendrais avec lequel je pourrais tout enregistrer ?!…
Un 47, un 67… ?
Ouais, allez si je dois faire la liste du Père Noël, oui ! Je ne sais pas pour le 47, oui, peut-être un 47 FET, parce que tu peux enregistrer plus de trucs avec et que ça sonne vraiment bien, tu peux faire des voix avec et tout, et…. Non !! Non, non, enlève-le ! Je prendrais un Gefell UMT 70 parce qu’avec ça je peux enregistrer vraiment TOUT et ça sonne super bien ! (Rires)
OK super ! Finalement, tu y es arrivé !
Ouais, pffiouu… (Rires) Cool ! C’était une question difficile !
Pour finir, as-tu un « leitmotiv » ou une citation que tu aimes employer à propos de la musique ?
En fait mon père a plein de super citations, comme un peu des « punchlines » qu’il a accumulées au fil du temps et je ne sais pas si elles sont de lui ou s’il les a volées à d’autres mais, pour moi, à la fin, si ça sonne bien, c’est que c’est bien. Peu importe comment tu y es arrivé, ce que tu as utilisé pour le faire, c’est tout ce qui compte. Le matériel… j’adore le matériel, j’en achète des tonnes et c’est complètement hypocrite pour moi de dire ça mais ça n’est pas le plus important. Si tu as du matériel que tu connais et dont tu sais te servir pour obtenir un super son… C’est le plus important. Je collectionne tous ces trucs, les guitares, les pédales, les claviers et ce genre de trucs. Donc oui je peux faire de meilleurs albums et j’en fais profiter les musiciens qui autrement ne pourraient pas jouer sur une super Les Paul ou un super Marshall ou n’importe quel truc de studio que je peux brancher et qui m’aide à avoir un super son. Mais à la fin… Rien de tout cela n’a d’importance. Fais en sorte que ça sonne super bien ! (Rires) Ça n’est pas si difficile ! Voilà ! (en français dans le texte) Fais en sorte que ça sonne !
Eh bien, ce sera le (super) mot de la fin ! Merci Ryan pour cette interview !
Merci de m’avoir fait venir !
Vidéo
Voici la vidéo en anglais de cette interview :