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Pédago
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Pour en finir avec les complexes… - Le guide de l’enregistrement - 60e partie

Cette semaine, je vous propose une petite parenthèse sous la forme d'une réflexion autour de la musique enregistrée afin de désacraliser un peu tout ça…

Pour en finir avec les complexes… : Le guide de l’enregistrement - 60e partie
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Qu’im­porte le flacon…

N’avez-vous jamais musardé sur la toile à la recherche d’une version inédite ou Live de l’un de vos morceaux préfé­rés ? N’écou­tez-vous pas en boucle certains de ces enre­gis­tre­ments introu­vables dans le commerce ? Si vous êtes un tant soit peu amateur de musique, ce qui semble logique puisque vous lisez ces lignes, la réponse est sûre­ment un grand « Oui » ! Pour ma part, cela m’ar­rive plus qu’à mon tour, comme par exemple avec cette version d’un titre de Thom Yorke qui n’était dispo­nible sur aucun album jusqu’à récem­ment :

N’est-ce pas curieux que des amou­reux du son tombent en extase devant des enre­gis­tre­ments d’aussi piètre qualité ? Je ne pense pas, car avant le son, c’est surtout la musique qui nous attire. Et ce genre de lubie n’a que faire de la qualité tech­nique de la capta­tion à partir du moment où l’émo­tion musi­cale trans­pire de la perfor­mance. De là à conclure que le maté­riel d’en­re­gis­tre­ment et sa maîtrise ne pèsent pas lourd face à l’Art avec un grand A, il n’y a qu’un pas que je fran­chis allè­gre­ment avec le sourire, malgré mon état d’in­gé­nieur du son.

Cet argu­ment ne vous convainc pas ? Vous vous dîtes que la « gratuité d’ac­cès » via votre navi­ga­teur web le rend caduc car vous n’au­riez jamais acheté un enre­gis­tre­ment de cette natu­re… Les grands amateurs de musique nés durant la seconde moitié du siècle dernier, comme c’est mon cas, seront certai­ne­ment d’un avis diamé­tra­le­ment opposé. En effet, il y a de fortes chances pour que ces derniers aient passé un nombre consé­quent d’heures chez leur disquaire indé­pen­dant favori à la recherche de boot­legs aptes à satis­faire leur fréné­sie « mélo­ma­niaque ». Mais soit. Peut-être serez-vous plus récep­tifs aux exemples suivants…

Saviez-vous que le fameux tube plané­taire Loser de Beck a été produit avec trois bouts de ficelle ? Roman Candle, superbe premier album du regretté Elliot Smith, a été, pour sa part, entiè­re­ment enre­gis­tré dans la cave de sa petite amie du moment sur un pauvre quatre pistes. Pour ceux qui ne connaissent pas ce petit bijou, voici la chan­son éponyme :

Plutôt pas mal, non ? 

Dans la série « à nos chers dispa­rus », beau­coup de fans consi­dèrent que les meilleurs titres du second album (post­hume) de Jeff Buck­ley sont ceux prove­nant de ses dernières maquettes réali­sées encore une fois sur un enre­gis­treur de quatre pistes à cassette. En voici un extrait que j’af­fec­tionne parti­cu­liè­re­ment :

Enfin, « The Boss » en personne a égale­ment sorti en 82 un album entiè­re­ment enre­gis­tré sur un magné­to­phone à trois francs six sous, ce qui n’a pas empê­ché Nebraska de se vendre à plusieurs millions d’exem­plaires dans le monde entier. Et il faut bien avouer que cette galette a de la gueule, comme en témoigne l’un des singles :

Alors j’en entends déjà certains dire que s’ils avaient eu le choix, ces artistes auraient indis­cu­ta­ble­ment préféré enre­gis­trer ces chan­sons dans de meilleures condi­tions et avec du meilleur maté­riel afin d’ob­te­nir un résul­tat encore plus trans­cen­dant. Eh bien n’en soyez pas si sûr… Evidem­ment, Jeff Buck­ley aurait sans doute préféré vivre assez long­temps pour rentrer en studio, mais que voulez-vous, l’en­vie de baignade fut la plus forte, ce qui n’est pas évident lorsqu’on nage comme une pierre. Comme quoi, les génies ne sont pas forcé­ment des lumières, pas vrai Claude François ?

Trêve d’hu­mour noir. Si la ques­tion des condi­tions d’en­re­gis­tre­ment peut être sujette à débat pour messieurs Beck et Smith, ce n’est pas le cas pour monsieur Spring­steen. En effet, ce dernier est bel et bien passé en studio avec le E Street Band pour réen­re­gis­trer l’al­bum dont il est ici ques­tion, mais au final, le grand Bruce a préféré exploi­ter les versions brutes de la démo. Édifiant, non ?

Dernier exemple assez frap­pant selon moi, et qui illustre bien que le maté­riel et la tech­nique ne sont que secon­daires : le cas Ed Harcourt. Monsieur Harcourt s’est fait connaître du grand public au travers de l’EP Maple­wood qu’il a lui-même enre­gis­tré sur un quatre pistes chez sa mère-grand en 2000. En voici le titre phare :

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le petit Ed a une bonne feuille et qu’il a su produire un son très inté­res­sant malgré son manque de moyens. Toute­fois, l’an­née suivante, Harcourt a cru bon de réen­re­gis­trer ce titre pour l’in­clure dans son premier véri­table album co-produit par Tim Holmes (Death in Vegas). Et ça a donné ça :

Alors, je ne sais pas pour vous, mais person­nel­le­ment, je trouve que ce « remake » n’est clai­re­ment pas à la hauteur de la version origi­nale. C’est certes plus « propre », mais cela me semble bien fade en regard de la chaleu­reuse émotion se déga­geant de la première inter­pré­ta­tion. Cet argu­ment est tota­le­ment subjec­tif, je vous l’ac­corde, mais cela laisse tout de même songeur, non ?

Pourquoi ai-je cru bon de vous parler de tout ça dans cette série consa­crée à l’en­re­gis­tre­ment ? Tout simple­ment parce que beau­coup pensent que le manque de maté­riel et / ou l’ab­sence de connais­sance tech­nique sont un frein indis­cu­table à leur expres­si­vité artis­tique. Pour­tant, je crois dur comme fer que tel n’est pas le cas. C’est pour cela que je tenais à remettre les choses à leur place, afin d’ébré­cher un tant soit peu cette barrière psycho­lo­gique qui n’a pas lieu d’être. Pour moi, la musique est un cadeau dont l’en­re­gis­tre­ment n’est que l’em­bal­lage, ni plus ni moins. En tant qu’in­gé­nieur du son, mon métier se résume à confec­tion­ner de jolis paquets en faisant de mon mieux avec les moyens à ma dispo­si­tion, quels qu’ils soient. Mais la « beauté » de ces paquets ne change fonda­men­ta­le­ment rien aux cadeaux qu’ils renferment. Mon propos n’est pas de dire que l’on ne doit pas faire de son mieux lors de l’em­bal­lage, bien au contraire ! C’est d’ailleurs le but de cette série. Je souhai­tais juste désa­cra­li­ser un peu le mythe de l’en­re­gis­tre­ment afin de vous inci­ter à faire les choses sans vous inquié­ter outre mesure de ces « problèmes » de second plan. 

Sur ces bonnes paroles, je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de nos aven­tures !

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