Dernière déclinaison de la série Proteus 2000, le Vintage Pro remet au goût du jour les claviers électroniques qui ont fait les beaux jours des Sixties, des Seventies et des Eighties. Dans un marché très fourni d’ersatz de machines vintage, quels sont les atouts du nouveau né E-mu ?
(Test initialement paru en mai 2003)
Le Proteus 2000 a 4 ans, soit 10 de moins que le Proteus originel. C’est vrai que le temps passe vite. Très vite, car en à peine 4 ans, le Proteus 2000 est déjà la machine la plus déclinée de l’histoire de la musique : 10 modules en rack (Proteus 2500, Proteus 2000, Proteus 1000, B-3, XL-1, Mo-Phatt, Orbit 3, Virtuoso 2000, Planet Earth, Vintage Pro), 2 stations de commande en console (XL-7, MP-7,) et 5 claviers de 5 octaves (PX-6, XK-6, MK-6, Halo et Vintage Keys). Aujourd’hui, le Vintage Pro reprend le flambeau des Classic Keys et Vintage Keys sortis il y a 10 ans, eux-mêmes à l’époque dérivés du Proteus de 1989. Une lignée qui ne va pas tarder de s’agrandir avec la station PX-7, que nous avions découverte à Francfort lors de la Music Messe 2003. En attendant, retour vers le présent. Ou plutôt vers le passé…
Air connu
En 2003, un module E-mu ressemble comme 2 gouttes d’eau à un module E-mu de 1999. C’est un rack 19 pouces 1U avec une façade bien calibrée : une prise casque et 5 potentiomètres sur la gauche (un rotatif de volume et 4 rotatifs assignables pour commander jusqu’à 12 paramètres), un LCD 2 × 24 caractères au centre, puis 8 boutons de mode de jeu / navigation et un gros encodeur rotatif cranté à droite. Le panneau avant hérite, comme à l’accoutumée, d’une ligne graphique spécialement étudiée pour le type musical représenté. Dans notre cas, les couleurs dominantes sont le noir et le gris alu. Les boutons évoquent le Minimoog et la police de caractères rétro est du meilleur effet.
La connectique de la face arrière est tout à fait complète : 3 paires de sorties stéréo dont 2 sont configurables en inserts audio, une sortie Cinch S/P-Dif compatible AES-Pro, un trio Midi + un duo Midi (permettant de gérer 32 canaux) et une borne 3 broches secteur (alimentation interne universelle à détection automatique). Sous le capot, on découvre 4 slots pour Rom Simm maison de 16 ou 32 Mo, dont l’une est occupée par la Vintage Rom. Ainsi, le Vintage Pro peut être étendu à 128 Mo de Rom que l’on puisera dans l’impressionnante liste de cartes optionnelles.
Machines prestigieuses
Le Vintage Pro est un lecteur d’échantillon polyphonique 128 voix et multitimbral 32 canaux. La Vintage Rom offre, sur 32 Mo, plus de 400 multiéchantillons et échantillons tirés de machines prestigieuses, parmi lesquelles : Hammond (B-3), Wurlitzer (EP), Fender (Rhodes), Hohner (Clavinet), Farfisa, Mellotron (M400), Moog (Minimoog, Taurus), Sequential Circuits (Prophet 5, Prophet 10), Oberheim (OBX, Matrix-12), Korg (MS20), Roland (Jupiter-8, Juno-106, TR-808, TR-909, SH-101, TB-303), ARP (2600, Solina), Yamaha (DX7, CP70), E-mu (Modular), Fairlight, PPG, Elka… L’échantillonnage tire partie de la toute nouvelle station de numérisation E-mu 24 bits qui apporte davantage de dynamique et de précision. Le codage final reste sur 16 bits et les convertisseurs travaillent 24 bits.
Les résultats sont spectaculaires, comme le démontrent les 512 programmes d’usine. La plupart des instruments est reproduite avec des niveaux multiples de vélocité. Les Fender sont de toute beauté. Du plus doux au plus dur, avec ça et là une pointe de distorsion. Idem pour les Wurly, dont la réponse à la vélocité se montre des plus convaincantes. Les différents synthétiseurs analogiques sont très satisfaisants : basses hyper puissantes, nappes très amples et envolées de filtres finement recréées. Coup de cœur pour le CP70 idéalement capturé : présence, rondeur, caractère et réponse dynamique. L’un des meilleurs échantillons de CP70 à notre goût. En revanche, le Clavinet nous a déçus, car il manque de mordant. Nous avons contourné le problème en ajoutant une couche d’attaque courte et un compresseur en insert. C’est là notre seul regret. Les B-3 sont bien rendus, même s’ils n’égalent pas le module dédié B-3 ; c’est bien normal, l’acquisition de la Rom B-3 est un excellent complément. Quant aux sons de percussions, rien à redire. Tout y est, avec le gros son d’origine.
Synthèse profonde
Comme dans tous les dérivés du Proteus 2000, un programme simple est composé de 4 couches sonores. Chacune utilise un multiéchantillon ou un échantillon qui possède ses fenêtres de tessiture et de vélocité, avec fondus hauts et bas. L’onde est accordée, amplifiée et placée dans le champ stéréo, avant de passer dans la section filtres. Celle-ci offre 50 algorithmes de filtres résonants composés de 2 à 12 pôles (passe-bas, phasers, passe-haut, flangers, passe-bande, formants, EQ Boost, EQ Cut et effets spéciaux). Certaines configurations (Z-Plane) autorisent le morphing entre 2 profils de filtrage. Signalons toutefois que l’utilisation de filtres 12 pôles divise la polyphonie par 2, ce qui laisse tout de même 64 voix au Vintage Pro pour s’exprimer. C’est bon à savoir.
Avant de rejoindre la sortie, chaque couche peut être routée vers l’un des 4 bus de la section effets ou sortir sèche. Maladie héréditaire, on ne trouve aucun éditeur de kits de percussions, ce qui ne permet pas d’obtenir des paramètres séparés note par note. Seuls les kits en Rom préparés et mappés par E-mu peuvent être utilisés tels quels, dommage. La machine renferme 512 emplacements pour les programmes utilisateur. Cela devrait suffire !
Modulations exceptionnelles
Tradition E-mu oblige, les sections de modulation sont exceptionnelles : 3 enveloppes à 6 segments (temps et niveaux modulables, bouclages) assignables, 2 LFO à 17 formes d’ondes (synchro Midi et fluctuations aléatoires) et une matrice de modulation à 24 cordons. Cette dernière permet de connecter 64 sources (enveloppes, LFO, vélocité, pression, numéro de note Midi, 12 contrôleurs Midi à affecter aux 4 potentiomètres, bruit, fonctions mathématiques) vers 64 destinations (tonalité, volume, fréquence de coupure du filtre, résonance, départ des samples, boucle, panoramique, enveloppes, LFO). Chacune des 4 couches de programme dispose de ses propres modulations. Au niveau global s’ajoute un processeur de Lag et un générateur de rampe (idéal pour les transitions de Leslie lent et rapide, par exemple), ainsi qu’une seconde matrice à 12 cordons qui permet de relier les 24 contrôleurs physiques aux 8 départs effets, aux arpégiateurs et aux Beat patterns. Yeah !
Effets dépassés
La section effets n’a pas évolué. Les 2 processeurs 24 bits stéréo sont toujours là, mémorisés globalement ou au sein de chaque programme. Le processeur A propose 44 algorithmes : réverbérations (différentes tailles de pièces, Plate et Gate), délais (stéréo ou multiples) et combinaisons (délai + réverbération). Le processeur B offre 32 algorithmes de modulation : chorus, flangers, panners, délais, distorsions et combinaisons. La sortie de l’effet A peut être dosée vers l’effet B. Les paramètres d’effets sont peu nombreux : temps de déclin et absorption des hautes fréquences pour le processeur A ; feedback, vitesse du LFO et temps de délai pour le processeur B.
Pour régler les départs effets en mode multitimbral, on dispose de 4 bus élémentaires avec niveaux globaux vers chaque processeur, mais pas de départs séparés par canal. Ce qui fait trop juste quand on a 32 canaux. Par ailleurs, les quelques paramètres d’effets disponibles ne sont pas modulables. Pour plus de souplesse, il faut utiliser les 2 sorties stéréo Sub en tant qu’inserts d’effets avec un processeur externe. Seule la bonne qualité sonore sauve ce processeur d’effets – par ailleurs identique à celui des Emulator 4 Ultra – de la correctionnelle.
Arpégiateur multitimbral
Hérité de l’Audity 2000, l’arpégiateur du Vintage Pro décoiffe. Il est capable de lancer 16 patterns simultanés sur 16 canaux Midi différents. On peut choisir l’un des 7 motifs élémentaires (haut, bas, haut & bas, endroit, envers, endroit & envers, aléatoire) ou l’un des 400 motifs internes. Dans ce dernier cas, on règle la durée des notes jouées, la vélocité (fixe ou jouée), le Gate, l’intervalle et la fenêtre d’action.
Le motif peut être synchronisé, quantisé, retardé et arrêté à volonté. On trouve un mode Latch et un démarrage au « Midi Song Start ». Enfin, les notes arpégées peuvent être envoyées par Midi Out. Il y a 300 motifs en Rom et 100 motifs utilisateur. Ces derniers possèdent 32 pas avec 4 paramètres modifiables par pas : note (décalage de +/- 48 demi-tons, liaison avec la note précédente, silence ou suppression de pas), vélocité, durée et répétition. De quoi satisfaire les plus difficiles !
Motifs rythmiques
Les Beat patterns sont des motifs rythmiques que l’on peut lancer et stopper en temps réel. Les motifs multitimbraux sont répartis sur 2 octaves du clavier : 16 touches pour lancer des motifs élémentaires, 4 pour regrouper des motifs et 4 pour contrôler le jeu en temps réel (marche, arrêt, effacement, coupure, tenue). Pas facile de s’y retrouver ! Il existe 26 motifs multitimbraux et 234 motifs monotimbraux élémentaires figés en Rom. On ne peut pas les éditer, le Vintage Pro n’est pas une Groovebox.
Il existe plusieurs modes de déclenchement : calage sur l’enfoncement de touche, marche / arrêt alternés et jeu sur une mesure unique. Le riff peut être redémarré avec un message « Song Start ». La matrice de modulation permet d’affecter un contrôleur au déclenchement des canaux. On peut ainsi faire apparaître progressivement les pistes avec la molette de modulation ou la pression de clavier. Les 16 arpégiateurs et les Beat Patterns peuvent tourner en même temps. De quoi faire bouger la foule, même si on perd parfois les commandes.
Setups multitimbraux
Le Vintage Pro permet de regrouper 32 programmes sur 32 canaux Midi au sein de 64 Setups. Pour chaque canal, on mémorise le numéro de programme, le volume, le panoramique, ainsi que le statut des Beat patterns et de l’arpégiateur (16 premiers canaux uniquement). Chaque Setup contient également les réglages généraux de la machine. Pour utiliser un Setup, il convient au préalable de le charger en mémoire, une petite restriction à signaler. Heureusement, cela prend moins d’une seconde.
A l’usage, le fait de faire tourner 16 arpégiateurs, les Beat patterns et des modulateurs synchronisés sur le tempo n’apporte aucun temps de délai perceptible. Le Vintage Pro traite parfaitement des flux Midi importants sans broncher, ce qui n’est pas toujours le cas des machines concurrentes poussées à l’extrême. Une excellent point à signaler !
Presque trop parfait
Au final, le Vintage Pro est une machine au son puissant et ample. Certains habitués des machines originales pourront le trouver trop clean et trop sage. C’est vrai que quels que soient la température, l’humidité et le temps de fonctionnement, le son du Vintage Pro ne bouge pas. Mais n’est-ce pas après tout ce dont on rêvait il y a 20, 30 ou 40 ans ? Un bon compresseur à lampes permettra de réchauffer le plat et d’ajouter un peu de fluctuations. Ce que la section interne d’effets, inchangée depuis 4 ans, ne permet d’ailleurs pas. En revanche, la reproduction des synthétiseurs d’autrefois est excellemment secondée par les puissants filtres et la matrice. Le Vintage Pro est donc une machine pratiquement parfaite, trop peut-être au plan sonore. Mais son prix réduit et ses 3 kilos feront vite oublier ce manque d’imperfections.