Après plusieurs années de suprématie américaine, Akai revient en force au pays des gros échantillonneurs. Avec le S6000, la firme nipponne a créé un monstre prêt à piétiner ceux qui lui ont fait tant de mal. A la lecture des spécifications, nous ne donnerons qu’un seul mot d’ordre : tous aux abris !
![Test du S6000 de Akai : Godzilla](https://img.audiofanzine.com/img/fr/article/cover/3866.jpg?fm=pjpg&w=704&h=396&fit=fill&s=0f3c89d2864fff09142fb12a62712d40)
(Test initialement paru en janvier 1999)
L’échantillonnage, développé au début des années 80, fait partie des technologies qui n’ont cessé de progresser pour avaler et digérer de plus en plus de données à chaque nouvelle génération. Le pionnier en la matière a été E-mu en 1981 avec l’Emulator, un échantillonneur 8 bits mono doté de 128 K de Ram. Mais la fin des années 80 verra la victoire d’Akai avec le S1000, capable de sampler en stéréo sur 16 bits avec 16 voix de polyphonie et une Ram de 32 Mo. Que de progrès en moins de 10 ans ! C’est à peine le temps nécessaire à E-mu pour retrouver sa suprématie grâce à l’E-mu IV puis l’E-Synth, offrant dans sa version boostée 128 voix de polyphonie, 128 Mo de Ram et 32 Mo de Rom. Egalement présent aujourd’hui sur le segment haut de gamme, le K2500 de Kurzweil avec 48 voix de polyphonie (ou 192 oscillateurs numériques), 128 Mo de Ram et 28 Mo de Rom. Chez E-mu comme chez Kurzweil, on a également mis l’accent sur la synthèse (filtres Z-plane ou algorithmes VAST) avec modulation matricielle surpuissante. Toutes ces caractéristiques impressionnantes, Akai a du les décortiquer pendant sa longue traversée du désert qui a suivi la série 3000 et pour tenter de reprendre ses positions sur un marché en nouvel essor, la firme nippone a dû créer une bestiole presque deux fois plus grosse que ses condisciples. Avec un grand LCD 320 × 240 points, 128 voix de polyphonie, 256 Mo de Ram (maximum), 32 canaux Midi, 2 ports SCSI et 16 sorties, le S6000 est venu d’extrême orient pour tout atomiser sur son passage. Voyons si l’ergonomie, le grain et d’autres qualités essentielles ont aussi fait le voyage.
Belle est la bête
La droite du LCD est consacrée aux réglages d’édition, avec un pavé numérique, un alphadial cranté accompagné de 2 touches <>, 3 touches assignables, les touches Mark, Jump, Window, Undo, Enter et Exit. Window permet d’ouvrir un sous-menu local en cours d’édition, lorsque cela est indiqué par une petite flèche près des fenêtres des paramètres. Le panneau détachable est relié à l’unité par un tout petit câble multibroches solidement vissé des deux côtés. A l’heure de la téléphonie mobile, on rêve de transmissions sans fil ! Enfin, une prise permet de raccorder un clavier ASCII (QWERTY) pour entrer rapidement des noms. Passons maintenant à la face arrière du S6000, un autre modèle du genre. Tout y est en double : 2 rangées de 8 sorties (ou 8 paires stéréo) format jack 6.35 mm asymétriques, 2 sorties stéréo et 2 entrées sampling en XLR symétrique, 2 interfaces SCSI 50 broches halfpitch (dur dur !), 2 trio Midi (32 canaux obligent) et 2 trappes pour extensions, dont une interface numérique ADAT 16 pistes . Même le ventilateur a 2 vitesses (par logiciel) et on trouve aussi des entrées / sorties numériques AES / EBU (ou S/PDIF) en jack et optique, ainsi qu’une entrée BNC Wordclock. Voilà, c’est complet et vraiment maousse costaud !
Antre du monstre
Mais qu’on se rassure, un échantillon à 44 kHz passe sans problème, ouf ! Le son est cristallin et la bande passante ne semble pas rabotée dans l’aigu. Ceux qui n’aiment pas la coloration seront comblés alors que ceux qui recherchent une personnalité plus marquée (un grain) seront en reste. Le S6000, c’est transparent comme du Baccarat. La seule question à se poser, c’est pourquoi Akai n’en a-t-il pas profité pour passer en 24 bits 96 kHz afin d’enfoncer définitivement le clou par rapport à ses concurrents ? En fait, il semble que le passage amène plus d’inconvénients (compatibilité de banques pour les utilisateurs) que d’avantages. Le marché ne semble pas encore tout à fait mûr. Ceci dit, la récente sortie d’une carte 24/96 pour le DD8 et les connecteurs internes du S6000 portent à penser qu’un passage en 24/96 est tout à fait envisageable. A suivre…
De Charybde en Scylla
Grâce à son large LCD, le S6000 indique en son centre le nombre de multi, programmes et échantillons chargés ainsi que la mémoire restante, histoire de garder le Nord. Passons au manuel, en français bien traduit et très concis (moins de 200 pages). Il est commun aux S5000 et 6000, ces deux machines étant très proches. Akai suggère d’ailleurs avec humour (au second degré) que c’est là sa contribution à l’environnement et une manière de réduire les coûts. Dans ce cas, pourquoi avoir ajouté un addendum de 20 pages qui vient corriger un coup parti trop vite ? En fait, il s’agit du premier « substractum » à notre connaissance, dans lequel le constructeur s’excuse, courbettes à l’appui, pour avoir parlé un peu trop vite dans le manuel de base. Ah, ces Japonais, quelle correction ! Ainsi, on apprend qu’il faudra attendre un prochain OS pour avoir un affichage graphique de la courbe du filtre, pour convertir directement des samples de S1000, pour « crossfader » lors de l’extraction d’une portion d’échantillon, pour disposer d’un lecteur de Midi File ou pour « timestretcher » entre deux points au choix. Nous saluons cette franchise mais nous attendons une réaction rapide, maintenant que nous avons l’eau à la bouche !
Proie pour Jabba
Une fois l’enregistrement effectué, une fenêtre indique si le signal a subi un écrêtage et une autre demande de confirmer ou non le passage immédiat en congélation. Là où le S6000 passe à la vitesse supérieure, c’est dans sa capacité à envoyer les sons directement au bac à surgeler (disque dur, amovible) sans consommer de Ram (256 Mo, c’est si peu !). Seules restrictions, la durée d’échantillonnage est curieusement fonction de la Ram disponible (ce n’est donc pas du pur DtD), les échantillons virtuels ne peuvent pas être joués en accord ni en boucle. Par contre, il est possible d’en déclencher plusieurs en même temps suivant la rapidité du disque dur (au moins 8 pistes stéréo avec un Jaz 1 Go). La lecture est instantanée et il est assez facile de convertir des samples Ram en samples virtuels et réciproquement. De plus, ils sont traités comme des samples classiques au sein d’un programme ou d’un multi, avec tous les traitements numériques et synthétiques à disposition. Assez souple pour un gros lézard !
Chez le Yeti
Autres fonctions, Join et Mix permettent de coller deux échantillons bout à bout (avec crossfade) ou l’un sur l’autre (avec la possibilité de passer en stéréo à partir de deux samples mono). Fade permet un fade in et out avec trois courbes disponibles (linéaire, log ou sinus), Resample peut effectuer une conversion de la fréquence d’échantillonnage et/ou une réduction de bits (bonjour les sons grungy !). Passons maintenant aux fonctions en vogue, Timestretch (de 50% à 200% avec 18 presets et 3 qualités) et son alter ego Pitch Shift. Ayant compris l’importance de la qualité que l’on était en droit d’attendre, Akai n’a pas hésité à emprunter les algorithmes de sa station numérique haut de gamme DD1500. Bilan, des résultats très corrects avec un grand respect pour le verrouillage de phase des sons stéréo. D’ailleurs à + ou – 10%, le Timestretch est parfait. Mieux, la fonction est couplée à un calculateur de tempo, BPM Match, capable de faire coïncider la vitesse de 2 boucles pour peu qu’on en ait indiqué le tempo d’origine. Pour terminer, un égaliseur 3 bandes (2 semi-paramétriques et 1 paramétrique) peut être utilisé. Seul regret (mais il est important), toutes les fonctions destructives sont globales et ne peuvent pas s’effectuer sur une portion d’un échantillon, contrairement au K2500 par exemple. Par contre, dès qu’un traitement numérique est effectué, la machine propose d’écouter le son avant et après traitement afin de sauvegarder sa version préférée ou les deux. Difficile de faire plus simple. Bien sûr, toutes ces fonctions tirent largement partie du grand LCD, capable d’afficher en même temps le sample édité intégralement et la portion en cours d’édition, avec possibilités multiples de zoom. Gros plan sur la bête !
Thriller night
Enfin, un menu « tools » permet d’avoir des infos sur la mémoire, d’appeler une liste de sons ou de sauvegarder / charger rapidement ses programmes. Passons au filtre multimode résonant, disposant de pas moins de 26 algorithmes différents : on trouve des LP 2 et 4 pôles, des BP 2 et 4 pôles, des HP 1 et 2 pôles, des combinaisons LP/HP ou BP, des notch simples et doubles, des peak simples et doubles, des phasers et un « voyelliseur » pour générer des voyelles et des diphtongues. De plus, un paramètre Headroom permet de réduire en amont les risques de distorsion dus à certains réglages de résonance élevés. Les résultats sont très bons, à des années-lumière du S1000, et pas mal de programmes importés de cette machine devront être retravaillés au niveau des filtres, tant l’efficacité de ces derniers a été améliorée. Par contre, la résonance n’est hélas pas modulable, un axe de progrès pour un futur OS. Pour en finir avec le mode programme, le S6000 fonctionne sans buffer, donc toute modification est définitive et ne nécessite aucune procédure de sauvegarde interne. A la fois dangereux et rapide !
Jurassic Park
A partir du mode multi, une fonction Part Edit permet de basculer dans l’éditeur de programme et ainsi éditer les sons dans leur contexte multitimbral, avec les effets activés. Toute modification est immédiatement répercutée sur le programme, puisque le S6000, nous l’avons vu, ne possède pas de buffer d’édition de programme ou de multi, et n’invite donc pas l’utilisateur à sauvegarder ses nouvelles éditions avant de sortir de l’éditeur. Comme en mode programme, un menu Tools permet d’obtenir des informations sur la mémoire ou d’effectuer des chargements et des sauvegardes rapides. Il est ainsi possible de se fabriquer un set multitimbral à partir de plusieurs programmes importés depuis des unités de disques différentes en un tour de main, sans sortir du menu Tools. Enfin, une fonction « purge » permet d’éliminer impitoyablement de la mémoire tous les programmes et les échantillons qui ne sont pas utilisés par des multi. Sauve qui peut !
Le huitième passager
Passons enfin à la réverbération stéréo, identique sur les 4 bus. Elle comporte des algorithmes Hall, Room, Gate et Reverse (donc pas de Plate) et autorise les réglages de prédélai, déclin, diffusion, proximité, atténuation des graves et des aigus. Les modèles Gate et Reverse ne possèdent pas les trois derniers paramètres, pourquoi donc ? De plus, nous avons trouvé cette réverbération métallique. Pour ne pas partir de zéro, les effets complexes possèdent des modèles d’usine. Et pour ceux qui cherchent plus de souplesse, la disposition des blocs des deux multi-effets peut être modifiée grâce à un paramètre Path astucieux. Celui-ci agit sur les envois réciproques des effets de modulation et de réverbération, ce qui permet d’inverser complètement leur ordre, de les mettre en parallèle ou de choisir n’importe quelle valeur intermédiaire. Superbe ! De plus, un routage permet d’envoyer les signaux du multi-effets n°1 (pré effets série, pré effets de modulation, pré ou post réverbération) au bus n°3 de réverbération. Idem pour le couple multi-effets 2 / réverbération 4. Mais comme toute nouveauté, le processeur d’effets a aussi ses inconvénients : d’une part, il n’est pas compatible avec les effets de la série 3000 et d’autre part, les réglages sont sauvegardés au niveau des 128 multi et pas avec les programmes, qui restent « secs ». Quoi qu’il en soit, Akai a réalisé un processeur d’effet intéressant qu’il serait dommage d’expédier dans l’espace par le premier sas venu !
Terminator SCSI
Ceux qui connaissaient les anciens échantillonneurs Akai et leur manie de découper les disques en partitions vont être ravis par l’approche du S6000. En effet, celui-ci gère les fichiers comme un « bête » ordinateur, c’est-à-dire sous forme de répertoires arborescents. Autrement dit, on va pouvoir s’organiser comme on le souhaite, car quoi de plus stressant en studio, sous la pression du producteur qui se prend soudain pour King Kong, de retrouver ce p… de son de hurlement de chouette mâle en rut un soir de pleine lune. Alors qu’avec une logique arborescente « être vivant / animal / oiseau / nocturne / mâle / cris », notre chouette hulule du premier coup. Mieux, les programmes et les échantillons, stockés dans des fichiers séparés, se reconnaissent mutuellement. Ceci signifie que l’on peut très bien charger un programme avant ou après un échantillon et une fois les deux en mémoire, l’échantillon retrouve son Keygroup tout seul comme un grand. Il sonne alors correctement dans son programme. Cette faculté, pas assez mise en avant dans le mode d’emploi, est la solution à bien des tracas quotidiens dans la gestion mémoire (échantillons orphelins ou redondants, programmes vides). Pour faire la jonction avec les anciens samplers de la marque, le S6000 est bien évidemment compatible S1000 / S3000 (avec les petits inconvénients évoqués précédemment sur les banques S1000) mais n’autorise pas, dans sa version actuelle, la conversion directe des samples effectués sur ces anciennes machines. Cela viendra dans un prochain OS, parole d’Akai !
Quasimodo and Co
Parmi les autres utilitaires intéressants, la machine peut être configurée pour que le processeur d’effets interne traite un signal externe stéréo via les entrées sampling (analogiques uniquement). Il est possible d’assigner l’entrée de son choix (L ou R) au bus de son choix (1 à 4). Enfin, pour ceux qui veulent vérifier la liste des périphériques SCSI reliés à la machine, une fonction Show Hardware permet de les afficher automatiquement sur l’écran (c’est aussi le cas à l’allumage de l’appareil). Enfin, une page autorise la sauvegarde des réglages globaux de la machine soit en FlashRam, soit sur disquette. Dans ce cas, celle-ci sera transformée en boot et lue immédiatement à l’allumage de la machine (si elle est dans le lecteur !). Les paramètres seront alors automatiquement rechargés dans la FlashRam, un peu comme une disquette .BIN de mise à jour de l’OS. Scrontch scrontch !
Un Nessie Mille ?
Là où Akai doit faire progresser son gros bébé, c’est sur la compatibilité S1000, sur les transformations destructives des échantillons (entre deux points libres et non globalement) et sur toutes les fonctions retirées avant commercialisation. Bref, des écueils purement logiciels, donc très simples à résoudre. Côté hardware, les extensions externes et les slots internes laissent présager un bel avenir, avec, nous pensons, une porte ouverte au 24/96. Akai a la réputation de développer et d’entretenir ses produits pour qu’ils durent longtemps. C’est pour cela qu’aujourd’hui, le S6000 mérite de trôner au royaume des monstres sacrés de l’échantillonnage. D’ailleurs vue la bête, peut-on encore parler d’échantillon ?