Live 5 est arrivé, apportant dans sa hotte non seulement des améliorations ergonomiques significatives, mais aussi un moteur audio entièrement revu, notamment au niveau des algorithmes de warping. De quoi mettre l’eau à la bouche de tous ceux que la version 4 avait déjà totalement convaincus…
Eh oui, c’est terrible, mais il va falloir être franc avec vous… Ce test pourrait bien être partiellement partial, tant convaincus nous fûmes, dès la découverte de ce soft météorique apparu il y a à peine 4 ans.
A l’époque, il est vrai, Live fit pour beaucoup l’effet d’un gigantesque trou noir dans le foisonnant univers des STAN (comprenez stations de travail audionumériques !), absorbant dans son intense gravité toute matière ou pulsation s’en approchant de trop près, et accomplissant le difficile exploit de pousser allègrement du coude les vénérables institutions logicielles ayant pignon sur .wav depuis plusieurs décennies, pour se retrouver dans le peloton de tête des applications les plus innovantes du marché. (NdRC : Vous pouvez recommencer à respirer… )
Du vrai Live !
Car il est clair que depuis sa naissance, le bébé d’Ableton n’usurpe pas son patronyme. Doté d’un moteur audio hallucinant de qualité, il permet de pétrir les loops en temps réel comme du chewing-gum, et de les pré-écouter au tempo du projet grâce à un browser « drag & drop » pratique et fiable, et une fenêtre de « Session » permettant de déclencher les conteneurs MIDI ou audio sans ordre préétabli, comme des patterns de boîte à rythme.
Plus fort encore, il permet d’enregistrer toutes ces manipulations « on the fly » dans une seconde fenêtre d’arrangement traditionnelle (à linéarité temporelle) et offre une facilité d’assignation des commandes hardware inégalée grâce à la généralisation et à l’efficacité de la fonction « learn ».
Automation facile à gérer, stabilité impeccable autorisant une utilisation sur scène intensive mais sereine, plug-ins originaux et performants : tout a été ici conçu pour redonner vie à l’ordinateur, devenu un véritable instrument de musique à jouer « Live ». Résultat : Ableton, à force de bonnes idées, est parvenu à faire rimer « Live » avec Studio, convaincant du même coup tous ceux qui s’étaient jusqu’alors cassé les dents sur le mur du mode d’emploi, souvent infranchissable, des usines à gaz concurrentes.
Alors certes, de nombreuses fonctions communément proposées ont été initialement simplifiées. C’est notamment le cas du MIDI, qui n’est apparu qu’avec la version 4, ou celui de l’édition audio, pouvant paraître très sommaire aux utilisateurs chevronnés, habitués à la puissance des softs plus anciens. Pourtant, et c’est probablement là l’une des raisons du succès du logiciel, jamais simplification ne rime avec bidon.
En effet, la plupart des fonctions apportent tant d’évidence à la réalisation instantanée des idées musicales les plus diverses, quand elles ne les suggèrent pas carrément, et sont tellement rapides à maîtriser et à mettre en œuvre, que l’on se fiche pas mal d’éventuelles petites habitudes que l’on ne retrouve pas, là où un autre logiciel, s’il venait à nous en priver, serait définitivement sanctionné comme nul et non avenu ! Mais voyons donc ce que nous réserve cette nouvelle version.
Warp : le retour
Le nouvel algorithme destiné à l’analyse des échantillons, au placement des points d’articulation rythmique, et à leur adaptation au tempo du morceau s’appelle l’Auto-Warp. Comme son nom l’indique, il peut entièrement se passer de nous. Bonne nouvelle, car cela va nous laisser le temps de prendre un petit café, pendant que monsieur mouline, surtout pour les longs échantillons !
A ce propos d’ailleurs, on avait constaté sur la version 4 que le Warp, très efficace pour les boucles de quelques mesures, avait parfois un comportement à tendances psychédéliques dès que l’on s’aventurait dans de la durée solide, voire dans un morceau complet, et qu’il fallait vraiment en repasser plusieurs bonnes couches à la main si l’on souhaitait formater tout un titre, pour un remix, par exemple.
Ce cauchemar des détracteurs de la souris n’est maintenant plus qu’un mauvais souvenir ! On « dragainnedraupe » n’importe quel fichier audio (notons d’ailleurs que désormais, « ouf, c’est pas trop tôt même si on se doutait bien qu’ils allaient s’en occuper », Live reconnaît les formats MP3, Ogg Vorbis, Ogg FLAC et FLAC, qu’il décode en .wav pour les utiliser, d’où le petit moulinage…), on s’en fume une, et c’est parti : on découvre avec stupeur que tout est parfaitement calé sur la totalité de la longueur du morceau. Il ne reste plus qu’à faire joujou avec le tempo ou rajouter n’importe quel séquence ou loop par dessus ! D’une fraîcheur…
De plus, on dispose maintenant d’une fonction qui permet, en cas d’erreur du moteur Warp (notamment pour les morceaux avec une intro en rubato) de définir manuellement d’un simple clic droit le début du clip, à partir duquel le warp devra être calculé.
Ainsi, montre en main, en 5 minutes, on peut importer le dernier titre de Garou ainsi que son morceau préféré de Pantera, puis mixer les 2 ensembles à 40 BPM pour les romantiques ou à 250 pour les angoissés, et l’on obtient dans les 2 cas un avant goût instantané et parfaitement en place des merveilles que peut produire le mélange des cultures dans une société idéale. Trouvez-moi quelqu’un d’autre qui en fasse autant…
La création des boucles
De signifiantes améliorations ont été apportées dans le domaine de l’édition des boucles. Tout d’abord, une fonction Scrub permet de lire un fichier à partir de n’importe quel position, simplement en cliquant à l’endroit désiré, directement dans la partie inférieure de la représentation de la forme d’onde, la lecture commençant alors au point de quantisation le plus proche. Si l’on maintien le clic, on obtient alors la lecture d’une boucle d’une longueur de la valeur de quantification. Si cette valeur est fixée à « aucune », la lecture du clip se poursuit jusqu’à la fin. Notons que cette fonction Scrub fonctionne aussi dans le mode Arrangement, optimisant drastiquement la navigation dans cette fenêtre, qui était, il faut l’avouer, un peu laborieuse dans la version précédente.
Dans ce même ordre d’idée, on salue avec enthousiasme l’arrivée dans le mode arrangement de nos potes les locators, dont l’absence cruelle avait quelque peu ankylosé les envolées lors de nos précédentes réunions. Désormais, ils sont là, peuvent être positionnés à la volée, déplacés, renommés, effacés, affectés à n’importe quelle touche du clavier, et utilisés pour fixer des zones de bouclage. Un autre grand soulagement !
Mais revenons à notre éditeur de boucles à l’intérieur duquel les points de début et de fin de clip ont été désolidarisés des points de loop, ce qui permet, comme avec un sampler classique, de lire l’amorce d’un fichier avant d’entamer le bouclage d’une partie ultérieure, très pratique pour conserver un appel avant un pattern.
Un contrôle d’offset en temps réel a également été implémenté dans la fenêtre de contrôle des clips. Grâce à 2 boutons, on peut décaler le clip en avant ou en arrière par rapport aux autres clips ou pistes du projet, selon la valeur de quantisation globale de celui-ci. Particulièrement créative pour concocter de bon petits grooves enchevêtrés, cette fonction devient tout à fait jouissive si l’on ajoute, comme l’a fait Live, un bouton permettant d’affecter un contrôleur rotatif hardware à cette commande, qui permet alors de jongler en temps réel sur la structure rythmique relative des différents loops comme avec autant de quilles en caoutchouc. Un outil miraculeux !
Enfin, notons que l’on peut désormais conserver tous les réglages effectués sur un clip simplement par glisser/déposer dans le browser de Live. De cette façon, tous les point de bouclages et de début de clip seront instantanément sauvegardés, ainsi que les éventuels plugins d’effets qu’on leur aurait adjoint, pour pouvoir être écoutés, puis rappelés à volonté, et ce dans n’importe quel autre projet !
On notera cependant que dans ce cas, l’ensemble du fichier audio sur lequel on a travaillé est conservé en mémoire, ce qui peut être inutile si l’on a créé une boucle qui n’en utilise qu’une petite partie. Mais on peut toujours, pour éviter une surcharge discale, effectuer un bounce (ou export audio), comme dans les versions précédentes. A propos, on ne comprend pas pourquoi, dans la fenêtre de paramétrage du bounce, on ne peut pas lancer l’opération avec un simple appui sur la touche Return de l’ordinateur. Il faut en effet toujours cliquer sur le bouton OK, ce qui s’avère particulièrement fastidieux lorsque l’on travaille sur de nombreux loops et que l’on n’a aucune correction à effectuer sur les paramètres. A voir pour la version 6…
Let Freeze Be !
Puisque nous sommes dans le bounce, parlons un peu de ce proche cousin, nommé Freeze, pour signaler que Live dispose maintenant de cette précieuse fonction qui permet de « geler » les pistes et les clips, c’est-à-dire, comme lors du bounce, effectuer une réduction audio de tout ce qui s’y passe. Ainsi, on peut ensuite éteindre les VSTi et les effets utilisés pour décharger un peu le CPU de la bécane.
Comme dans la plupart des séquenceurs, cette opération s’effectue de façon totalement transparente : les clips peuvent être déclenchés et les pistes mixées exactement comme d’habitude, au niveau du volume et du pan, et de la quantité de signal envoyé dans les pistes auxiliaires, qui, elles, ne peuvent bien sûr par profiter de ce traitement. Seule limitation : on ne pourra plus déplacer les clips, ni en importer d’autres dans la piste gelée. Par contre, on pourra copier un clip en provenance d’une piste gelée vers une piste normale, mais il ne profitera pas alors du traitement appliqué sur la piste d’origine.
Particulièrement utile pour les configurations peu puissante, cette fonction est ici bienvenue, d’autant qu’elle permet en plus de lire vos projets sur n’importe quel ordinateur où Live est installé, même si les plugins utilisés par les clips ou les pistes gelés ne le sont pas. Vraiment pratique !
FX…
Si les dernières mises à jour de Live 4 nous avaient surpris avec l’arrivée d’un nouvel instrument virtuel, l’Operator, petit synthé FM qui arrivait à point en complément de Simpler et de Impulse, la version 5 reste calme de ce côté et ne nous livre pas de nouvelle surprise, à part cependant plein de nouveaux presets et de samples pour ces 3 instruments 100% Ableton, ainsi que toute une collection de boucles fraîchement préparées pour vous.
Par contre, cela bouge bien du côté des effets, avec tout d’abord, dans le rayon MIDI, l’arrivée tant attendue et tant réclamée d’un magnifique arpégiateur pouvant sévir dans de nombreux styles d’égrenage des notes, de transpositions, de séquences aléatoires, et d’émulation de différents strummings.
Côté audio, notons un petit gadget absolument excellent, du nom de Beat Repeat. Celui-ci permet de déterminer une partie d’un loop que l’on va pouvoir répéter selon plusieurs modalités, en le transposant, ou en le filtrant. On peut déterminer la vitesse de répétition (croche, double croche…) et un offset permet de choisir à quel endroit se place cette répétition.
Grâce à 3 modes de reproduction, la partie répétée peut se superposer au loop d’origine (fonction très créative pour composer des polyrythmies), s’y substituer (parfait pour apporter des variations à un groove de base), ou carrément le remplacer (pour fabriquer des breaks). Vraiment musical et efficace, le Beat Repeat va certainement faire très plaisir aux amateurs de dub… Encore un monsieur Plus typiquement Ableton !
On trouve aussi un nouveau flanger, ainsi qu’un phaser, tous les 2 de bonne qualité, et proposant de nombreux paramètres d’édition. Enfin, saluons 2 dernières nouveautés : le Saturator qui permet d’ajouter distorsions et chaleur à vos pistes, ainsi qu’un auto-pan qui se chargera de balader vos grooves dans le champ stéréo (grâce à ses LFOs), vous évitant de vous tordre le poignet sur les potars de votre surface de contrôle.
Notons enfin la possibilité de sauver toute une chaîne d’effets ainsi que leurs différents réglages, un peu à la manière du Combinator de Reason 3, pour pouvoir s’en servir ensuite dans n’importe quel projet. Un grand pas dans la bidouille d’autant qu’Ableton nous gratifie au passage de toute une série de décoctions maison particulièrement significatives !
Browser in arms
C’était l’une des innovation de Live : ce browser très ergonomique permettant de gérer et d’écouter ses fichiers, d’ouvrir ses instruments VST et ses plugins d’effet, directement à partir de la fenêtre principale de travail, le tout par simple glisser/déposer.
Eh bien, il a pour l’occasion encore été optimisé, autorisant désormais d’accéder directement aux presets des différents plugins : au lieu de sélectionner le plugins, on peut directement glisser/déposer le preset dans la piste. Il se charge alors d’ouvrir tout seul le plugin auquel il correspond, faisant gagner une manipulation.
Enfin, le browser est désormais pourvu d’un moteur de recherche qui permet de retrouver en un clin d’œil la moindre boucle égarée dans les limbes ensommeillés de votre disque dur.
Mais aussi…
Parallèlement, cette version 5 nous gratifie de nombreuses petites améliorations pratiques dans l’ergonomie du soft, comme l’apparition du clic droit pour les PCistes, qui était jusqu’ici resté désespérément muet.
Il est maintenant de la partie, et permet d’accéder directement à de multiples fonctions comme la création de pistes, le quantize (on apprécie ici l’apparition d’une quantisation progressive qui permet de fixer un pourcentage de quantization), ou le warp… Cela fait vraiment du bien ! Notons également que la taille des colonnes peut maintenant être redimensionnée dans la fenêtre Session, ce qui permet de lire clairement le nom des clips et que l’on dispose d’un préroll de métronome lors de l’enregistrement…
Enfin, côté audio, Live peut désormais enregistrer en 32 bits, toutes les pistes étant équipées d’un réglage d’offset temporel tandis que le moteur audio calcule automatiquement le délai compensatoire pour les plugins… Last but not least, précisons que le logiciel est désormais compatible avec les surface de contrôle Mackie.
Conclusion
Bon, on ne va pas vous la délayer dans la conclusion: cette nouvelle version de Live déboîte carrément ! Apportant une foule d’améliorations importantes qui instillent encore plus de fluidité à un soft qui n’en a jamais manqué, elle mérite vraiment un détour, pour ne pas dire un investissement. Et si certains possesseurs de la version 4 hésitent encore à faire l’upgrade, qu’ils se précipitent sans plus tarder sur leur connexion Internet ! Pour les autres, qui ne connaissent pas encore Live, il est grand temps d’aller jeter un œil sur la version de démo, également en ligne, et de se préparer au décollage le plus spectaculaire probablement jamais effectué, tant il est difficile, après avoir senti la puissance et le fun d’un soft 100% musical comme Live, de se retourner vers les anciennes habitudes de travail sur des plateformes souvent beaucoup plus complètes, mais aussi beaucoup plus lourdes à gérer, douloureuses à maîtriser et longues à travailler.
Car certes Live est loin d’être aussi complet, comme nous l’avons évoqué, que nombre de ses concurrents mieux établis. On pense ici à l’édition MIDI, qui reste encore assez sommaire (quoi que largement suffisante dans la plupart des cas) pour les habitués des softs spécialisés dans ce domaine, et où un step recording, par exemple, serait le bienvenu.
De même, une boîte à outils, notamment pour division des clips (qui ici se fait uniquement avec un raccourci clavier) aiderait pas mal pour accélérer les processus de montage. Mais n’oublions pas que Live est plus fait pour le temps réel (où il excelle) que pour la frappe chirurgicale, qui n’est pas vraiment son truc, tout en restant parfaitement possible, avec quelques longueur toutefois.
Et même si l’on peut être un peu déçu que l’équipe d’Ableton n’ait pas encore apporté toute son attention à ces détails importants, il nous reste entre les mains un outil exceptionnel, permettant toujours un travail créatif, rapide, intuitif, bref musical, et contenant dans ses principes une philosophie nouvelle et inédite du séquenceur, qui donne un sens à cette maxime commerciale, mais pour autant ici parfaitement justifiée : essayer, c’est l’adopter. Alors pardon pour les excès de lyrisme qui, je vous l’assure, ne sont pas toujours l’apanage d’une étroite subjectivité…