Le Moog Modular V ("V" pour virtuel) est la réplique des synthétiseurs analogiques modulaires Moog Modular 3c et Moog 55, produits par une firme dont le son est particulièrement à la mode en ce moment (s'agit-il vraiment d'une mode, ou bien le son Moog est-il immortel ?). Voyons donc si ce synthétiseur virtuel est à la hauteur de ses homologues analogiques.
Le MMV (c’est son diminutif) se compose de trois grandes parties :
- Le synthétiseur
- Le mini séquenceur et effets
- Le clavier maître
Prise en main
Le manuel en français de près de 150 pages ne se contente pas d’expliquer le fonctionnement du synthétiseur virtuel, mais reprend également les bases de la synthèse soustractive. On peut également trouver des exemples concrets de création de patches pour se familiariser avec la philosophie de l’instrument. Arturia continue donc la démarche pédagogique que l’on trouvait déjà dans leur premier logiciel, Storm.
Les 15 premières pages du manuel sont dédiées à la comparaison entre la technologie TAE (True Analog Emulation) et celles des concurrents… On peut s’étonner que cette rubrique soit présente sur le manuel, car si manuel il y a, c’est que le musicien a déjà fait l’acte d’achat, il ne s’agit plus de le convaincre… Je ne rentrerai pas dans des considérations marketing et fais résolument le choix de ne pas vous parler des arguments « officiels » (TAE, absence d’aliasing etc.) pour savoir si oui ou non le Moog Modular sonne. Je préfère écouter par moi-même ce qu’il en est réellement, technologie novatrice ou pas, et vous en donner le résultat « pragmatique ».
Je vous l’avoue, lorsque je découvre un logiciel, je suis d’un naturel bidouilleur… Alors plutôt que de lire immédiatement le tutoriel sur le patching disponible dans le manuel, j’ai tout de suite pris un preset que j’ai trafiqué de manière empirique, au niveau des connexions et des paramètres, jusqu’à trouver un son complètement nouveau. L’édition s’avère très intuitive (à condition bien sûr de connaître les bases de la synthèse soustractive) et on retrouve en grande partie le plaisir que l’on peut avoir avec un vrai synthétiseur modulaire (les nœuds dans les câbles en moins, puisque les fils sont virtuels). Très bon point pour Arturia !
Facilité d’utilisation
L’ensemble est plutôt bien pensé. Par exemple lorsque l’on clique sur une entrée ou sortie jack, toutes les prises jack susceptibles d’accepter une connexion avec cette entrée ou sortie sont mises en valeur par un cadre. Cela rend le patching encore plus intuitif, notamment si on va un peu « au hasard » au sein des modules.
Notons un détail esthétique assez remarquable: les fils bougent lorsqu’on les survole avec la souris. Cette fonctionnalité peut paraître superflue, mais en fait elle sert également à pousser un fil lorsque l’on veut lire les inscriptions qui se trouvent derrière. Bien vu ! Pour ne pas s’arrêter là, il est également possible de régler la « tension » des fils, si bien qu’ils pendent plus ou moins…
Ces détails ont pour conséquence une facilité d’utilisation du logiciel, même pour l’amateur. Et la simplicité d’utilisation est un point plus important qu’il n’y paraît. Car si l’on ne maîtrise pas son instrument, on ne peut rien en faire sinon écouter les presets. Ici, c’est tout le contraire, on rentre rapidement dans l’univers du sound design.
On s’étonnera à première vue que les deux LFOs soient à des endroits différents du module. Les raisons en sont simples. Réponse de l’ergonome de chez Arturia : « premièrement, le graphisme déjà chargé de boutons nécessitait de placer le second LFO là où il restait de la place [NDLR : raison suffisante !]. C’est aussi pour faire comme dans l’original. Enfin, cela suit la logique d’utiliser a priori un LFO sur les oscillateurs et l’autre sur les filtres. La position actuelle des LFO permet donc d’éviter que les fils traversent tout l’écran. ». Comme quoi, les choses ne sont pas faites au hasard.
Passons donc au plus important : le son !
Qualité sonore
Au niveau du son, ce que l’on peut dire en tous les cas c’est que les graves ne manquent pas, notamment dans le spectre aux alentours de 20–100 Hz. Les sons de basses sont effectivement « pleins » et les membranes des enceintes en font les frais (elles vibrent d’une lente oscillation à vue d’oeil). Ce ne sont que des petites Tannoy Reveal, qui descendent peu dans les graves, et pourtant, elles ont du encaisser des basses monstrueuses avec le Moog Modular V ! A ce propos, veillez à utiliser un filtre passe haut à 20–30 Hz sur votre sortie générale pour éviter d’abîmer vos enceintes à trop fort volume.
La qualité des presets est mitigée (certains sont excellents et d’autres très basiques). C’est assez étonnant que les auteurs de ces patches – souvent des sound designers et musiciens renommés – aient parfois fait se côtoyer des sons de qualité et d’originalité si différentes. Doit-on en déduire que le Moog Modular n’est pas capable de créer de gros sons ? Certainement pas ! Certains patches sont d’excellente facture, comme vous pourrez l’entendre dans notre rubrique « démos en MP3 ». Et là où vous allez certainement vous régaler, c’est lors de la création de vos propres patches (c’était mon cas, j’ai passé une journée entière à en programmer) !
Pour résumer les domaines de prédilection du Moog Modular V, on peut raisonnablement dire que les basses ont une très bonne attaque et un grain dans le grave extrême digne du Moog original, chose que l’on trouve rarement dans les plug-ins qui sonnent généralement plus brillants que « gras ». Il semblerait en revanche plus difficile de faire des nappes convaincantes avec ce synthé virtuel.
Les 9 (!) oscillateurs, groupés par 3 (à l’image du Moog original) peuvent servir soit à générer du son, soit à contrôler d’autres paramètres (à la manière de LFOs). Ils peuvent être synchronisés entre eux. En pratique, cela donne des gros sons, évolutifs et très convaincants.
On trouve les filtres inspirés par le synthé original de chez Moog (passe-bas 24 dB, passe-haut 24 dB, passe-bande, coupe-bande), plus un filtre multimode comportant 7 types de filtres (voir fiche technique). La pléthore d’enveloppes (8 au total) permet une multitude d’évolutions du signal.
Effets
On notera de bonnes possibilités de routing des effets. Par exemple, il est possible de ne mettre le chorus (assez gros, mais « ramolissant » pas mal le son) que sur le [def]VCA[/def] 1 et aucun effet sur le [def]VCA[/def] 2, pour créer des sons spatialement intéressants… Dans ce cas, en effet, le [def]VCA[/def] 2 donne un son précis, monophonique et dont l’attaque est très rapide et le [def]VCA[/def] 1 ajoute un grand espace sonore. Pour vous en convaincre, écoutez les deux sons de notre rubrique « MP3 ».
Les effets de base sont un peu légers (délai, chorus, égaliseur multibandes etc.) ce qui explique en partie que les presets sonnent souvent « dry ». A vrai dire, ce n’est pas ce que l’on recherche sur ce type d’appareil. En effet, les synthétiseurs modulaires sont avant tout faits pour créer un son « dry » (sans effet), auquel on peut ensuite ajouter des effets via des processeurs ou plug-in externes.
Performances
Parlons à présent des ressources prises par le Moog Modular V d’Arturia : en tant qu’instrument VST sous Cubase SX, il semble que notre configuration matérielle* ne plaise pas trop au Moog Modular V car il prend des ressources énormes (de l’ordre de 25 % du CPU par voix de polyphonie instrument).
* Machine de test : PÏII 933, 512 Mo de RAM, disques durs UW SCSI.
Au passage, ne vous fiez pas à l’indicateur en mode stand alone des ressources CPU. Sous Windows 2000, les ressources prises peuvent être visualisées en temps réel en faisant un Control + Alt + Suppr… On découvre alors que, lorsque le Moog Modular V indique 4 % de CPU utilisé, le système indique 12 %. Par conséquent, si le Moog Modular indique 70 %, méfiez-vous, le son risque de craquer.
Le point noir du Moog Modular est donc la consommation de CPU… Ceci s’explique par le fait que les algorithmes utilisés se veulent réalistes avant tout, par rapport à l’original analogique. Un compromis, si vous avez un PC ou Mac peu puissant, est de baisser la valeur de notes en release. Ainsi vous ne dépasserez jamais le nombre de notes simultanées provoquant des craquements par manque de ressources processeur. Dans tous les cas, on aurait aimé deux modes, dont l’un serait moins gourmand en CPU. Cela permettrait de composer dans Cubase SX sans avoir les problèmes de ressources, puis d’exporter en audio le son généré par le MMV en haute qualité.
Conclusion
Astuces Si vous avez une carte graphique Matrox G550, passez en 24 bits (en 32 bits, l’interface graphique du Moog Modular V semble planter très dangereusement – vidage mémoire et reboot sous Windows 2000). Comment utiliser les 9 oscillateurs en même temps alors que l’on a seulement 2 VCA en sortie ? |
Après un premier logiciel « tout en un » (Storm) davantage grand public, Arturia cible désormais un échelon véritablement professionnel avec un synthétiseur virtuel qui n’a pas à rougir devant le modulaire original produit par Moog. Quant à la facilité d’utilisation d’un modulaire virtuel, il n’y a pas photo : les câbles virtuels, c’est quand même bien plus pratique que les nœuds !
A mon avis, le Moog Modular, comme l’original (le Moog 3c et une partie du Moog 55), excelle avant toute chose dans les sons de basses, grâce au fait que les harmoniques du signal qu’il génère descendent très bas dans le spectre. Les sons médiums dans l’esprit trance sont également au rendez-vous grâce aux 9 oscillateurs qui, détunés, donnent un très gros son. Pour les sons de nappes, on pourra lui préférer des plug-ins plus brillants (mais qui ont souvent moins de chaleur) en complément. Personnellement, je compte bien l’utiliser pour ses sons de basses et les sons « agressifs » en complément de mes autres plug-ins. Un régal de création sonore.