Nous proposerons dans cette rubrique de développer des connaissances de base en acoustique qui ont pour but de permettre de mieux comprendre et maîtriser les pratiques élémentaires de sonorisation et d’enregistrement. Au cours de chaque intervention, nous choisirons un thème que nous définirons en premier sur le plan théorique puis immédiatement après nous en commenterons les conséquences dans l’application pratique de l’utilisation du matériel audio.
Définition du timbre
Le timbre est l’identité du son, son support matériel. Il dépend du corps sonore qui est à l’origine de son émission. Prenons un La 440 Hertz émis à 60 Décibels : nous identifierons immédiatement une différence si cette fréquence est émise par un violon, un saxophone ou un piano. Pourtant, il s’agit de la même note, à la même intensité, mais l’instrument change. Le corps sonore qui vibre n’est pas le même : corde, colonne d’air. De plus ce corps sonore n’est pas mis en mouvement par le même « outil » : au violon, corde frottée par un archet, pour le sax, colonne d’air mise en vibration par une anche et pour le piano, corde frappée par un marteau recouvert de feutre. C’est le choix de ces supports sonores et de leur mode d’excitation qui vont déterminer une forme d’onde caractéristique dans chacun des trois cas. Nous reviendrons plus tard sur le rôle de la caisse de résonance qui ajoute encore une dimension supplémentaire à cette définition.
Forme d’onde
La forme d’onde la plus élémentaire est l’onde sinusoïdale (fig. 1). Elle est en quelque sorte au son, ce que l’atome est à la matière.
Les sons sinusoïdaux purs sont rares : diapason, friction sur le verre humide. On leur prêtait autrefois des pouvoirs étranges sur le comportement humain !
Les sons qui nous entourent sont plus fréquemment de nature complexe. C’est à dire qu’à l’intérieur d’une masse sonore que nous percevons comme unique, il y a un mélange de très nombreuses petites sinusoïdes qui ont en quelque sorte « fusionné » pour produire un même son. C’est la nature de ce mélange qui détermine la forme d’onde résultante ( fig. 2) et qui est responsable de l’identité timbrale. On la nomme spectre.
Fig.2 : Signal Carré
Fig 2 : Signal en dent de scie
Représentation spectrale
Il existe plusieurs modes de représentation graphique pour matérialiser la forme du son. Nous en choisirons un aujourd’hui, le sonagraphe pour sa clarté pédagogique lors d’une première approche acoustique.( fig 3).
Horizontalement : le temps en seconde. Verticalement : les valeurs des fréquences en Hertz . Un son sinusoïdal de 100 Hertz est donc représenté par un trait horizontal à la hauteur correspondant à la valeur 100. Un son harmonique de 100 Hertz est représenté par la superposition de traits correspondant aux valeurs respectives des sinusoïdes de 100 ; 200 ; 300 : n X 100 Hertz. La longueur des traits traduit la durée du son.
Bruits
Imaginons qu’à des puissances identiques, toutes les fréquences sinusoïdales perceptibles par l’oreille humaine ( de 20 Hertz à 20 kHertz ) se trouvent ainsi « mélangées » en un seul signal sonore. Nous obtiendrons ce qu’il est convenu d’appeler : un bruit blanc, c’est à dire du souffle. Si ce dernier est très bref, nous l’identifierons comme un choc plus ou moins sec. Les consonnes appartiennent à cette catégorie de son de même que le corps sonore qui reçoit l’attaque de l’ « outil » qui le met en vibration commence par produire un bruit . Ce bruit correspond au temps de stabilisation de l’onde avant qu’elle prenne sa forme définitive. Le frottement de l’archet sur la corde de violon s’apparente à un bruit de souffle, la percussion du marteau sur la corde du piano à un choc sec ( fig 4). Ces notions seront approfondies lorsque nous parlerons de la courbe d’enveloppe d’un son et des transitoires.
Dans le cas où cette suite de fréquences serait comprise entre des valeurs limites, on parlera de bande de bruits.
Si une zone d’entre elles est particulièrement « gonflée » en énergie, on parlera de bruit coloré autour de cette zone émergente.
Un bruit rose est un bruit blanc avec une pondération de 3 dB A par octaves.
Son harmonique
Nous avons mis en évidence le caractère pluriel de la composition des sons, à présent nous allons nous intéresser à une répartition particulière des fréquences dans le spectre sonore : les sons harmoniques.
Un son harmonique est un son dont les sinusoïdes qui le composent obéissent à une loi mathématique appelée loi de Fourier. Cette loi se traduit ainsi : un signal complexe périodique c’est à dire qui se reproduit identique à lui même à intervalles de temps réguliers, se décompose en un certain nombre de sinusoïdes dont les valeurs sont des multiples entiers de la plus petite d’entre elles (donc la plus grave).
Un exemple de son harmonique : un son de 100 Hertz dont les composantes seraient 100 ; 200 ; 300 ; 400 ; 500 ; 600 Hertz. La hauteur perçue est la fréquence la plus basse, c’est-à-dire 100 Hertz. Les composantes suivantes 2×100 , 3×100, 4×100 etc. sont bien des fréquences calculées sur des multiples entiers ( 2 ; 3 ; 4, etc.) elles se nomment des harmoniques. La fréquence la plus basse qui leur sert de base de calcul se nomme le fondamental. Le rang d’un harmonique est le nombre entier par lequel on a multiplié le fondamental. On parlera par exemple d’harmonique de rang 3, dans le cas présent 300 Hertz. (figure 5)
La hauteur d’un son harmonique est facilement perceptible par l’oreille. Ces sons se perçoivent aisément « justes » . C’est pour cette raison que les instruments musicaux mélodiques seront conçus pour produire des spectres harmoniques ou presque.
Les bruits dont nous avons parlé précédemment sont des signaux apériodiques. Ils caractérisent les instruments à percussion.
La répartition de l’énergie dans le spectre
Une fréquence « gonflée » en énergie s’appelle un « formant » (fig 6) . Si c’est le cas d’une bande de fréquences consécutives, on parlera de zone formantique comprise entre x et y Hertz.
Cette répartition de l’énergie joue un rôle important dans la perception timbrale, au même titre que le nombre de composantes dans le spectre, leur répartition ou leur régularité ou non par rapport au modèle harmonique.
Quelques exemples de représentation graphique
a- un son de violon : bruit de souffle à l’attaque, spectre harmonique
b- Un son de flûte : spectre harmonique
c- Un piano : bruit d’attaque du marteau, choc sec et spectre pas tout à fait régulièrement harmonique.
d- Son chaud : peu d’harmonique mais répartition de l’énergie régulière du grave vers l’aigu.
e- Son « aigre » son harmonique à forte concentration d’énergie dans l’aigu
f- Son qui sonne creux : perte d’harmoniques dans le médium
g- Son nasillard : faiblesse dans le grave, médium gonflé, aigus affaiblis
h- Son pas harmonique : comme une cloche désaccordée.
i- Signal carré, harmoniques impairs : sonne comme une clarinette
Dans le cadre des corrections sur une console
C’est l’étage des correcteurs qui permettra de retoucher le timbre sur la console. Selon les modèles, ils seront plus ou moins sophistiqués et offriront des possibilités d’ajustements différentes. Nous laisserons de côté les « simples » correcteurs grave/aigu que l’on peut trouver sur les amplis « Hi-Fi » ou sur les mixettes d’entrée de gamme et dont l’effet sera plus celui d’une correction physiologique d’équilibre du signal par rapport aux conditions d’écoute domestique, pour aborder la section de corrections des « petits » modèles numériques actuels ou des principaux logiciels d’enregistrement. On admettra en préambule que les correcteurs timbraux ne seront principalement utilisés que dans une logique… corrective, et non à fin d’espérer améliorer le signal capté : on ne rendra jamais « exceptionnel », par leur utilisation, un son qui ne serait que très moyen à la captation, à cause du placement du micro face à la source sonore ou de la nature même de ce micro… Les correcteurs se partagent la bande des fréquences audibles (les fameux 20 Hertz à 20 kHertz…) en plusieurs sous-bandes. On parle ainsi généralement de correcteurs aigu, haut-médium, bas-médium et grave. Le premier travail consistera donc à évaluer, avant toute action sur le correcteur, dans quelle zone de fréquences se situe le problème à corriger et ensuite, à identifier sa nature : est-ce une coloration outrancière non détectée à la captation, un « parasite » lié à l’environnement, un effet de « masquage » lié à la présence d’autres instruments…
À quoi ça ressemble ?
Les correcteurs de timbre sont des filtres à… harmoniques et partiels ! Leur spécificité est qu’ils ne se contentent pas seulement de supprimer des composants, mais ils peuvent aussi « amplifier » une zone de fréquences choisie. Évidemment, s’il « n’y a rien » dans le signal dans la zone considérée, c’est du souffle qu’on ajoutera ! Un « bon » étage de correcteurs propose en général 4 « sous-bandes ». Chacun propose au moins deux réglages : un ajustement de fréquence et un gain d’efficacité. On les nomme alors « semi-paramétriques ». Il n’est pas rare de trouver un troisième réglage, nommé « facteur Q » ou sélectivité, dont l’objet sera de plus ou moins « resserrer » ou « d’élargir » la zone d’action du filtre. Lorsque ce 3ème réglage est présent, le correcteur est alors qualifié de « paramétrique ». L’ajustement de fréquences sera dosable dans les deux limites de la sous-bande de fonctionnement du filtre (nos logiciels se sont affranchi de ces limites !).
Le gain d’efficacité définit, en dB, le « niveau » d’action du filtre, au niveau de sa fréquence de coupure, autrement dit, de la fréquence à laquelle il est réglé. Comme on peut le voir sur la figure 8 empruntée à Cubase 4, ce réglage de gain peut être positif ou négatif. On remarque également que l’action du filtre est plus ou moins « raide » de part et d’autre de la fréquence de coupure sélectionnée. La « pente » de cette cloche sera précisément ajustée par le réglage de sélectivité.
Comment intervenir sur le timbre
Il ne faut pas perdre de vue que les actions réalisées sur le son d’un instrument seront forcément destructrices par rapport au son capté, ce dernier l’étant… souvent aussi, par rapport au son original. C’est donc avec prudence qu’il faudra agir ! Avant de toucher à quoi que ce soit, imaginer le résultat, après correction : je veux un son plus « chaud », je veux retirer des basses, je veux faire « émerger » mon instrument du mixage, je veux supprimer cette résonance énervante qui vient du studio… Nous vous proposons le petit tableau ci-dessous, en guise de « fiche pratique » ; vous y trouverez une rapide « check-list » vous permettant de faire vos corrections timbrales, en parfaite maîtrise de la chose. N’oubliez cependant pas que l’écoute est le point fondamental et ultime de jugement sur la qualité de votre travail…
Nature de la correction
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Objectif souhaité
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Action
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Remarques utiles
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Ajuster le timbre d’un instrument capté par un micro, instrument électronique ou virtuel | Modifier le timbre d’un instrument qui a trop ou pas assez d’aigus ou de basses. | Evaluer quelle bande de fréquences est concernée : 1) réglez le gain à +12 dB et ensuite, tournez le sélecteur de fréquence jusqu’à ce que vous entendiez, à l’oreille, la zone où le signal augmente le plus. Vous avez trouvez la fréquence de coupure ! 2) réduisez le gain à 0 dB, puis baissez progressivement jusqu’à obtenir le résultat cherché. 3) comparez en « by-passant » le correcteur avec le signal d’origine. |
Faites ce réglage avec l’instrument choisi en solo. Ensuite, ouvrez à nouveau les tranches des autres instruments pour évaluer le timbre corrigé dans le mixage. Conserver une « taille de cloche » large et resserrez si besoin. |
Faire « ressortir » l’instrument ou le rendre plus « discret » dans le mix. | 1) Evaluer la bande de fréquences, tel que ci-dessus. Peut-être faudra-t-il utiliser deux correcteurs, si l’instrument a une large tessiture. 2) Resserrez la sélectivité du filtre au plus étroit possible autour des limites de jeu de l’instrument. 3) augmentez légèrement (pas plus de 3à 5 dB !) le gain du filtre. |
Cà ne marche pas à tous les coups ! Parce que d’autres instruments sont peut-être dans la même zone de fréquences et que monter votre soliste les montera aussi. Dans ce cas, il faudra se rabattre sur le compresseur multibandes… | |
Mauvaise qualité d’une voix parlée captée par un micro | Corriger les « problèmes » sur certaines consonnes. | C’est probablement sur les « pa », « da » et ce type de syllabes que se posent les problèmes : la solution est dans le bas du spectre de fréquences, et plus précisément dans le bruit de l’attaque. Certaines consoles proposent un « coupe-bas » fixe, dont l’objet est précisément de tenter de limiter ce souci. Choisissez le correcteur « grave », et réduisez le gain de 2 à 3 dB. Adoptez, si ce n’est pas le cas par défaut, un mode de filtrage de type « shelving » (plateau). A défaut, élargissez la cloche du filtre, au maximum. | Là encore, le résultat n’est pas forcément acquis d’avance ! C’est toutefois plus facile sur une voix parlée qu’une voix chantée. Si en dépit de vos efforts, les problèmes subsistent, il faudra aussi utiliser un compresseur. |
Nuisance sonore en diffusion ou sur un enregistrement. | Supprimer un bruit « parasite » ou un bruit de fond lié au lieu ou à la captation. | Identifiez la fréquence parasite, comme nous l’avons fait plus haut : si c’est un problème « secteur », ce sera vers 50Hz ou un harmonique de 50Hz. Dès que la fréquence est bien ciblée, resserrez la sélectivité au maximum et atténuez le gain… autant qu’il faudra pour que le signal ne gène plus dans le mixage. | Vous auriez dû vous en rendre compte à la captation ! On ne pourra donc que « sauver les meubles » ! La correction que vous appliquez sera d’autant plus efficace que la fréquence sera fixe. Mais… tout ce qui se trouvera d’utile dans la même zone disparaîtra avec le son parasite ! |