J’ai testé plus de quinze systèmes d’amplification pour AF et je remarque qu’on ne peut trouver de Gallien Krueger dans aucune de ces colonnes. Alors je vous dis ça en regardant mes pompes et je courbe misérablement l’échine devant vous, fidèles lecteurs : quelle honte ! Même pas une ligne, ni même un seul mot sur cette marque qui nous a pourtant si bien servi !
Je mériterais d’être attaché à une chaise avec un casque sur les oreilles passant en boucle « a nos actes manqués » de JJ Goldman. Le tout compressé à 64 kb/s et interprété par M. Pokora. Pendant une ou deux heures, juste de quoi faire pénitence… Mais, je vais plutôt me rattraper en vous parlant d’une tête d’ampli qui va très certainement vous interpeller.
Il était deux fois
Premier test de la marque oblige, vous allez devoir passer par un petit cours d’histoire obligatoire.
Alors on prend son billet et on monte vite à bord : car il nous faudra traverser l’Atlantique et remonter dans le temps, assez loin pour toucher du doigt la genèse du Rock moderne. On embarque donc pour les Sixties ! Avant de goûter au succès, Robert Gallien n’est qu’un lycéen passant ses journées dans un magasin de musique de San Francisco, où il prend des cours de guitare et donne un coup de main dans l’atelier qui jouxte la boutique. On y répare et modifie des amplis, mais on y fabrique aussi une gamme d’enceintes maison et le jeune Robert, que tout le monde appelle déjà Bob, prend le goût à la soudure et au montage de circuits.
Un peu plus tard, alors qu’il hésite entre devenir musicien ou pilote, il choisit de faire des études d’ingénieur en électronique, un secteur alors en plein essor. Et c’est pendant son master qu’il se fait embaucher chez Hewlett Packard, une société qui en ce temps-là, ne fabriquait pas encore d’imprimantes ni d’ordinateurs, mais plutôt des instruments industriels de mesures. Durant son temps libre, Bob Gallien continue de s’intéresser à l’amplification instrumentale, il joue toujours et étant ingénieur de formation, il se risque à la fabrication d’un amplificateur après avoir maintes fois modifié son Fender Deluxe. Nous sommes alors au beau milieu des années 60, les guitaristes jouent de plus en plus fort et il leur faut des amplis de plus en plus puissants. Et à l’heure où les transistors n’ont pas encore la technologie suffisante pour pousser les watts, notre ami Bob Gallien a une idée de génie pour se passer des lampes. Il s’inspire du circuit d’un appareil de mesure de chez HP pour monter des transistors dans une configuration jusque là jamais utilisée pour un ampli. Ce circuit Push-pull d’un nouveau genre (baptisé Totem Pole) permit d’atteindre une puissance phénoménale de 226 watts !
Excusez-moi, j’en vois qui ricanent dans le fond… Oui j’ai bien dit phénoménale : je vous rappelle que nous sommes en 1967 et que 100 watts à l’époque, c’était déjà le bout du monde !
D’ailleurs, Bob Gallien est tellement fier de cette performance qu’il baptisera son premier ampli le modèle 226. C’est dire ! En très peu de temps et après avoir éprouvé lui même quelques prototypes, il décide de tester le marché : il fonde la marque GMT et apporte son ampli dans un magasin de San Francisco pour essayer de le vendre. Son propriétaire, peu enthousiaste envers le produit qu’on lui propose, accepte tout de même de prendre le modèle 226 en dépôt-vente. C’est donc une déception pour le jeune concepteur qui est à des lieues de s’imaginer que derrière cet échec, se cache la plus belle coïncidence de tout une carrière. Car dès le lendemain, un jeune guitariste rentre dans le magasin, teste l’ampli et repart avec. L’artiste est bien connu localement, mais sa popularité s’arrête pour l’instant aux murs de Frisco. Il s’appelle pourtant Carlos Santana et utilisera cet ampli pour enregistrer son premier album et jouer dans la foulée à Woodstock. Et en 1969, pour un ampli de gratte, on peut difficilement imaginer meilleure vitrine !
La demande se fait alors conséquente et son garage ne suffit plus à Bob pour y répondre. Quelque temps après, il s’associe à un autre ingénieur de chez HP, Rich Krueger et la compagnie prend le nom qu’on lui connait aujourd’hui, ainsi que de nouveaux locaux. Si à l’origine, Gallien Krueger vendait des amplificateurs pour guitare et pour basse, elle a fini par se focaliser sur sa clientèle bassiste. Et cette spécialisation va permettre à la compagnie d’innover pendant quarante ans. En 1971, sort la 600B qui sera vite adoptée par John Paul Jones, elle propose un égaliseur actif et une boucle d’effet. Du jamais vu sur un ampli basse, avec en prime, un design qui révolutionna le marché.
En 1982, la compagnie met la 800 RB sur le marché, cette dernière innove alors sur plusieurs points, avec son crossover intégré, sa sortie Direct-out et son câble d’alimentation détachable (eh oui, rien que cela fut une innovation en soi). Toutes les séries RB seront par la suite déclinées sous ce modèle. Et comment ne pas citer le MB150 dans cette bio ? Le premier combo pour basse vraiment mini, crachant 150 watts dans un unique douze pouces, pour un poids ridicule. Une vraie solution pour les contrebassistes qui purent l’employer dès 1984 (le modèle d’origine était le MB200), à l’époque où la miniaturisation sonnait comme une sombre blague chez l’ensemble de la concurrence ! Révélée d’abord par la puissance de ses systèmes, Gallien Krueger s’est surtout imposé par un flot continu de nouveautés. Bob Gallien est aujourd’hui seul aux commandes de l’entreprise à taille humaine.
Des lampes, du mosfet, on est bien !
Commençons par un descriptif court, mais alléchant : la MB fusion 800 ne pèse que deux kilos et demi et balance 800 watts sous 4 ohms. Je m’arrêterais là, j’aurais tout dit. Mais je veux aussi préciser que le tout ne tient que dans une unité, pour un format ridicule (31 × 28 × 4cm) et qu’il y a trois lampes de préamplification (12AX7) pour agrémenter la chose. Des lampes chez Gallien ?
C’était déjà chose faite avec la Fusion 500, un monstre de 4 unités équipé de potards motorisés et pesant 13 kilos. Aujourd’hui la marque propose 300 watts de plus pour 10 kilos de moins ! Avec tout autant de lampes, en couplant le préampli déjà existant à l’ampli d’une MB800.
On n’arrête pas le progrès et si ça continue comme ça, le bassiste aura vraiment bon dos !
Façade éclairée, on garde le cap !
C’est un détail, mais il est de taille, car tous les pointeurs en façade sont rétro-éclairés. Pour ceux qui mangent de la scène, mal ou peu mise en lumière, la chose ne passera pas inaperçue. Il en est de même pour l’interrupteur d’alimentation et les switchs qui permettent de baisser le niveau d’entrée de 10db et d’enclencher le MUTE. Certains potards servent aussi d’interrupteur :
- Le potard de Contour, qui voit son spectre étendu lorsqu’on appuie dessus
- Sur l’égaliseur à 4 bandes, celles des graves et des aigus permettent d’actionner Presence et Deep, deux interrupteurs qui permettent d’allonger la bande passante.
- Le volume général (Master) sert aussi d’interrupteur pour le limiteur intégré.
Un code couleur témoigne discrètement de l’activation des interrupteurs, par le biais des pointeurs rétro-éclairés. Il en va de même pour les potards de gains (X2) qui précèdent tous les contrôles.
On dispose d’un gain par canal et bizarrement, en plus du volume général (Master) qui fonctionne sur les deux canaux, on dispose aussi d’un second volume (Level-B), associé au second canal uniquement. Quel est l’intérêt ? J’y viens.
Logique embarquée
On dispose d’un Master en d’un volume B pour pouvoir équilibrer au mieux le volume des deux canaux. C’est la logique de ce système, qui garde une manipulation traditionnelle de la distorsion obtenue des lampes et qui au passage, se passe d’un potard de saturation. Beaucoup de bassistes aiment à faire rougir le gain d’un préampli de manière naturelle et je dois reconnaître que je suis un peu de ceux-là. On peut donc avoir un canal clair et un autre bien raillant, à volume égal.
Des petits trous et du vent
À l’arrière de la machine se trouvent la sortie DI, la connexion pour le footswitch, une sortie accordeur, une boucle d’effet et enfin une sortie casque qui peut aussi servir de Line Out (un petit switch permet de convertir cette sortie). Les enceintes sont connectables en SpeakOn.
Sur le côté droit se trouve la double aération des lampes qui passe quand même par deux ventilateurs. Ces derniers ne sont pas vraiment bruyants, mais nécessiteront un aménagement précautionneux, afin de ne jamais encombrer leur ventilation.
GK tester
Aujourd’hui je vous propose des prises de plusieurs instruments, toutes sont réalisées avec mon interface Steinberg UR22, une prise directe et une capture de micro (Beyerdynamic M88). Bien que l’on m’ait prêté une enceinte avec cette tête, un 4×10 pouces de la série CX, j’ai aussi utilisé mon Epifani (UL210) sur deux des prises, afin d’avoir un rendu plus neutre de la diffusion. Et surtout vous donner le change. Voici trois premiers extraits.
- 1 Mayones BE5 Fretless + CX410 00:32
- 2 Fender JB Slap Contour+UL210 00:14
- 3 Fender PB Delux V Deep +UL210 00:24
D’abord une petite ligne de basse posée sur ma Mayones BE5, une fretless montée en filet plats. Les réglages sont ici rudimentaires : un peu de graves, quelques décibels en plus sur la bande des bas médiums, un léger cut aigu sur l’ampli (mais j’en garde quand même sur la basse). Le micro utilisé est un simple bobinage Bartolini, campé dans les aigus, je joue très près du manche, limite en bas de touche pour éviter le son Pasto (on n’est pas obligé de faire dans le cliché). Le rendu sonore est à mon goût élémentaire et efficace, on profite de toutes les fréquences de manière équilibrée et je reconnais bien le chant de ma fretless. Il est important quand je joue de cet instrument d’avoir de bonnes références auditives, vu que je me repère tout particulièrement avec mes oreilles pour pouvoir jouer juste (aucun repère sur la touche, pour une liberté totale). J’adopte !
Sur le second extrait, vous pouvez entendre un soupçon de Slap, tapé sur ma vieille Jazz Bass. Pas vraiment inspiré par les percussions depuis quelque temps déjà, je dois aussi faire face à l’usure naturelle de mes cordes qui attendent encore d’être changées. À ce sujet, on n’imagine pas à quel point trouver des filets ovoïdes est compliqué en France (je joue sur ce jeu de cordes que je vous conseille vivement au passage) et je suis même contraint de les importer moi même. J’ai donc poussé un peu le contour pour creuser les médiums comme il le faut. Ici, vous pouvez entendre les vertus du switch Presence, qui va percher un peu plus haut les aigus de l’égaliseur, sans rendre le contraste trop criard. Cet extrait est enregistré avec la capture de mon UL210, dont le tweeter est quand même nettement plus performant que sur le CX de Gallien. Réglage simple, sans trop pousser grand-mère dans les aigus, à cause de mes cordes rincées (car plus je monte dans les fréquences, plus je me rends compte que mes cordes sont fichues !). Je trouve que la balance est belle. Certains auraient certainement plus creusé la courbe ou simplement gonflé les basses. Personnellement, j’ai toujours trouvé qu’un son de Slap, s’il est accompagné d’un bon kick à la batterie, se passe facilement de superflu en matière de fréquences extrêmes. Ici j’ai un rendu qui, s’il n’est pas des plus chatoyants quand on l’entend en solo, sera véritablement efficace une fois inséré dans un mix, avec une légère compression. J’aime.
Pour le troisième enregistrement, j’ai décidé d’employer ma PB Deluxe V qui balance bien sur le SI grave. Petite progression aux doigts, pour donner un peu de rondeur. La balance est entre le micro Precision et le double Jazz Bass, j’ai essayé de passer tous les réglages de la basse en neutre. Sur l’ampli, seul le switch Deep est activé. J’ai juste poussé un peu les hauts médiums et les graves. Le rendu est sans fioritures, pour un groove simple qui passerait partout. Le son typique des Gallien est très efficace à mon goût, pour un jeu aux doigts bien pulsé et précis, sans trop sonner chirurgical. On le retrouve parfaitement ici.
GK Growler !
Et enfin, pourtous ceux qui se demandent comment sonne un préampli à lampes chez Gallien, une fois qu’on le titille un peu, je vous propose d’écouter ce dernier mix :
J’ai reconnecté le cab de chez Gallien, pour avoir deux HP en plus et donc, plus de corps. J’utilise encore ma Jazz Bass, sur ces deux micros, avec la tonalité ouverte et un médiator de 1,14 mm. Côté égaliseur, j’ai pas mal de hauts médiums, un peu plus de basses et surtout, aucun contour ! Le canal 2 de l’ampli est donc utilisé pour cet extrait. À l’origine, j’avais enregistré une ligne de basse comprenant à la fois un son clair et un son saturé, pour pouvoir m’amuser un peu avec le footswitch et vous faire entendre l’équilibre des deux signaux en matière de volume. Mais comme je n’ai vraiment pas l’habitude de passer d’un canal à l’autre pendant que je joue, je m’y prends réellement comme un pied ! En gros, je ne peux pas m’empêcher d’appuyer sur la pédale pendant que j’attaque une note, ce qui défie toute forme de logique et crée une sorte de mini coupure dans le signal. Ce qu’il y a de bien avec la musique, c’est qu’il y a toujours un truc à apprendre !
Alors j’imagine que les amateurs de grosse saturation vont trouver la disto un peu maigre. Personnellement, il m’a été difficile de faire saturer plus cet ampli pour cet enregistrement, avec une capture micro : je ne sais pas si vous pouvez l’imaginer, mais j’habite en appartement à Paris et faire un enregistrement chez soi n’est pas toujours tout simple. Surtout quand il s’agit de faire sonner un système de 800 watts ! Quoi qu’il en soit, je ne pense pas qu’il faille attendre beaucoup plus de saturation que ça et je trouve ça très bien, car pour moi saturer plus n’est pas forcément nécessaire. On a un bon lot d’harmoniques qui viennent en renfort quand on pousse le gain, le son se fait raillant, mais juste ce qu’il faut pour ne pas perdre de corps ou de précision. Notez que je n’ai pas utilisé ici de piste mixée (une piste en dry et une seconde en saturé), la prise DI passe en PRE et le micro capte évidemment le son distordu de l’enceinte. On peut donc apprécier la chose comme si on entendait l’ampli sonner devant soi. À mon goût cette distorsion de préampli est parfaite, on aura le loisir d’ajouter un overdrive ou une fuzz supplémentaire pour les besoins les plus sauvages, une boucle d’effet étant disposition pour le faire.
Ça mérite bien… Un award !
Eh oui, je suis comme ça : quand je n’aime point, je mets des baffles. Quand je tique, je lance des peaks. Mais quand je kiffe, c’est écrit sans delay !
Ça m’a vraiment fait plaisir de tester ce matériel, d’abord parce qu’il sonne et il fait toujours bon d’entendre sa basse sous les auspices d’un bon ampli. Et parce qu’avec ce système, Gallien-Krueger pousse le concept de la miniaturisation des séries MB encore plus loin. Je rappelle les chiffres : 800 watts pour 2,5 kilos ! Avec ce préampli dopé à la 12AX7, je pense que la marque va directement intéresser ceux qui jusque là, boudaient les séries à transistors. Bien conçue, la MB Fusion propose des réglages et connectiques complets tout en restant compacte. Et son utilisation sur scène prévoit même un éclairage embarqué sur les potards. Ajoutez les deux canaux et leur footswich offert, une réalisation solide qui donne vraiment confiance et vous pourrez certainement comprendre mon engouement pour ce système qui, je le pense, devrait sous peu prendre la tête du marché de l’ampli hybride. Pour ceux qui n’auraient pas le budget des 800 watts, la marque propose le même système en 500. À essayer !