Voilà un test qui s’annonce haut en couleur, dont les prémices contentent déjà votre serviteur, peu familier avec cette marque riche en Vitamine C. J’avais déjà eu l’occasion de voir et de tester, disons “vite fait”, le matériel durant deux précédents salons. Et, depuis quelques jours j’ai le privilège de loger un tout petit système en deux corps, le fleuron de la marque au rayon de l’amplification de basse : la tête Bass Terror de 500 watts et son enceinte, le SP210. Je commencerai les festivités en vous contant une belle histoire, puis nous passerons aux choses sérieuses et vous saurez tout de mon nouveau locataire.
Il était une fois…
Un commerçant pas si riche, au beau milieu du Swinging London. Clifford COOPER, jeune entrepreneur n’a qu’une ambition : faire de la musique, au sens large du terme. En 1966, il avait déjà commercialisé sous la marque CTI (Cooper Technical Industries) un amplificateur à transistor miniature équipé d’une oreillette, appelé Pixy MK V. Mais ses ambitions de production prennent le dessus et deux ans plus tard, il ouvre avec un ami (Brian Hatt) les studios Orange (sa couleur préférée), dans une petite rue de la capitale britannique. Les locaux sont aménagés par leurs soins durant l’été, dans la New Compton Street, en plein milieu de Londres. La surface est grande, la situation géographique est parfaite, car le voisinage est rare dans cette rue laissée quelque peu à l’abandon. La période faste de la fin des années 60 promet alors une certaine réussite au projet de Clifford. Mais la rentabilité du studio s’avère difficile à gérer et les gains qu’il engrange ne suffisent pas à payer le loyer. À la fin de la saison, le gérant se retrouve contraint de vendre le matériel du groupe dans lequel il joue (The Millionaires) et décide de l’exposer dans la vitrine du studio. Tout est vendu dans la journée et il profite de ce succès pour ouvrir une boutique, afin de couvrir les frais du studio. Mais la compétition est rude dans le milieu et ses concurrents font pression sur le réseau de distribution pour lui en interdire l’accès. Contraint de vendre exclusivement du matériel d’occasion, Clifford prend la résolution de sa carrière en 1969 :
En plus de vendre des guitares et des amplis d’occasion, l’enseigne orange deviendra aussi fabricant (Orange Guitar Amps). Pour concrétiser la chose, il s’associe à Mattamp, un fabricant établi dans la région de Manchester, pour faire fabriquer sa première ligne d’amplis pour guitare. Clifford, qui a été producteur, connaît du beau monde chez les artistes de l’époque dont le grand groupe de Blues Fleetwood Mac qui est reconnu pour avoir été l’un des piliers de la vague du British Blues boom. Et dès leur sortie d’atelier, les premiers 100 watts de la marque (baptisés Orange Mattamp) seront embarqués par la formation en tournée américaine. Puis les commandes deviennent trop importantes pour les locaux d’Huddersfield, la principale clientèle de la marque est alors professionnelle et pas des moindres, de grands artistes viennent dorer le blason de la compagnie dès le début des années 70. On peut citer Stevie Wonder, BB King, Jimmy Page, Ike and Tina Turner, John Mayall et même James Brown. La distribution s’ouvre donc à l’international et le succès est enfin lancé pour la société qui déménage la production dans des locaux plus spacieux, situés dans le Kent (pas très loin de l’usine ROTOSOUND). La marque se diversifie et tente une percée du marché de la sonorisation (amplification de scène, table de mixage et même des platines pour DJ) des percussions (fabriquées en France par la société Capelle) et quelques fantaisies (une enceinte de 24X12 pour guitare et un baffle de 10X15 pour la basse !). Mais c’est finalement son catalogue d’amplis pour guitares qui s’inscrira dans la pérennité. Ce qui hier a bâti la réputation de la marque continue de susciter l’intérêt des musiciens contemporains. Un look décalé affirmé par la couleur orange et une signalétique de tableau de bord instinctive et quasi hiéroglyphique (empruntée à l’industrie informatique du début des années 70), un grain versatile pour les amplis qui ont eu très vite la réputation d’être faciles à régler et une fabrication Anglaise de qualité (so british !).
Le magasin où tout a commencé disparaîtra en 1978 avec toute la New Copton Street qui sera détruite, dans sa quasi-totalité, pour être réhabilitée. Avec la boutique qui ferme définitivement ses portes, c’est toute une page de la carrière de Cliff qui se tourne : les années de disette à dormir dans son bureau avec une housse de haut-parleur en guise de sac de couchage, sa lutte acharnée pour s’imposer dans le milieu et cette époque pas si douce où il posa les jalons de ce qui allait devenir un nom incontournable dans le monde de l’amplification. Orange Guitar Amps devient alors exclusivement constructeur et trente ans plus tard, son fondateur reçoit des mains de la Reine d’Angleterre le “Queen Award for Entreprise and International Trade”, une distinction honorifique pour les résultats exceptionnels de son entreprise. Tout est bien qui continue bien…
Un kilo pour cent watts !
Je commencerai le test de ce matos en l’estimant de la tête aux pieds. À regarder ce stack, j’ai envie de mettre une jupe de petite fille et de m’écrier en sautillant sur place : oh qu’il est mimi ! Parce qu’il faut bien reconnaître que le matos est aussi ravissant qu’un petit Jésus au fond d’une crèche de Noël. L’ampli-préampli se présente sous la forme d’une tête non rackable, affichant un look vintage endémique de la marque. C’est un boîtier aux dimensions réduites pour sa puissance de sortie de cinq cents watts : seulement trente centimètres de largeur, pour dix-sept de hauteur et quatorze de profondeur. Le poids bénéficie d’un régime Class D (amplification à Mosfet, cf. article SWR), qui permet à ce système de ne pas dépasser les cinq kilos à la pesée. Du moderne donc, pour ce qui est de l’amplification du signal. En revanche, la préamplification est plus traditionnelle, avec les deux lampes 12AX7 qu’elle embarque.
La façade à dominance blanche striée d’orange et de noir affiche un logo énorme ainsi que les armoiries de la marque∗.
∗À ce sujet, je ne peux résister à l’envie de décoder pour vous l’étrange blason qui orne les productions Orange. J’ouvre donc une rapide parenthèse sur la symbolique suggérée par ce bien étrange dessin, qui scelle la plupart des produits de la marque : tout en haut se trouve le “Barrel of Plenty”, un tonneau faisant office chez les Anglo-Saxons de corne d’abondance. De chaque coté de ce dernier, on peut voir deux personnages distincts se faisant face, l’un masculin et le second féminin : Le dieu Pan et sa flûte à gauche et une jeune et fringante Britannia (une personnification féminine de la Grande-Bretagne) à droite. Les deux protagonistes se lancent un regard complice qui suggère à la fois les origines de la marque et son dessein. Toujours dans la partie supérieure, à peu près à hauteur de ventre du couple ainsi formé, se trouve une balance placée au-dessus d’une étendue d’eau. La lune et le soleil surplombent ces deux symboles : un croissant de lune (dans le sens croissant) au dessus du plateau de gauche et un soleil radieux pour celui de droite. On remarque que la balance est parfaitement centrée entre ses deux astres. Ici se trouve représentée la politique commerciale de l’entreprise axée sur l’international. En dessous sur la gauche, on retrouve l’oranger du monde, qui sert aussi de logo à la marque. Au même niveau, sur la droite, se trouve un lion enchaîné surplombant deux outils. Le lion reflète la puissance mise à bien par la compagnie. Les deux outils, qui pour changer ne sont ni une équerre et un compas, ni un marteau et une faucille (Léninisme et Royaume Uni n’ayant jamais fait bon ménage), figurent simplement la qualité de fabrication du matériel. Enfin les sigles crescendo et decrescendo viennent fermer cet ensemble qui affiche en talon le slogan de la marque : “Voice of the World”.
Ce recours à l’héraldique, quasiment aux origines de la marque, visait à apporter un certain prestige à cette dernière. Chez les anglais, la science des blasons est aussi importante qu’elle l’était chez nous sous l’Ancien Régime. En donnant des armoiries à sa marque, Cliff Cooper souhaitait élever, dès ses débuts, ses prétentions, en lui donnant un cachet noble.
Pour un utilisateur tel que moi qui apprécie les tableaux de bord simples, mais complets, la Bass terror 500 à tout pour plaire. À portée de main se trouvent le commutateur de mise en tension de l’ampli (trois positions), le volume général, un égaliseur inversé en trois bandes (de l’aigu au grave), le gain d’entrée et un actif/passif qui pour une fois prend la forme d’un gros interrupteur push-push. L’entrée Jack se fait comme la conduite automobile dans ce beau pays que l’on dit un poil pluvieux : sur la droite. À l’arrière se situent les deux sorties HP et un switch permettant de sélectionner leur impédance (8 ou 4 Ohms). Cette tête délivre sa pleine puissance aussi bien en 8 qu’en 4 Ohms. D’où l’intérêt d’un tel sélecteur. Si l’on utilise une enceinte en 4 Ohms ou deux enceintes en 8 Ohms, on le place sur 4Ω ; dans le cas où l’on ne disposerait que d’une enceinte de huit Ohms, il suffit de commuter en 8Ω pour bénéficier de toute la puissance mise à disposition par l’ampli. Donc attention à ne pas descendre en dessous de la barre des 4 Ohms et de bien s’assurer que son enceinte de 8 Ohms est capable d’encaisser des crêtes de 500 watts. Sur le côté du châssis se trouvent une sortie directe et une boucle d’effet.
Voilà une tête exhaustive et sans fioritures, largement de quoi combler un homme simple tel que votre serviteur. Je souligne le fait que cette dernière est livrée avec un soft bag bien commode pour le transport, qui donne fière allure à celui qui la porte en bandoulière. Mon roadie imaginaire dit merci !
Isobarique toi-même !
Je commencerai le descriptif de l’enceinte par une anecdote amusante. En posant le tout dans mon salon afin de pouvoir tester une première fois la chose, je me suis demandé pourquoi cette enceinte de dix pouces s’appelait SP210. En général, on ajoute le chiffre 210 à une série pour désigner une enceinte équipée de deux haut-parleurs de dix pouces, quelque chose clochait, on m’avait peut-être livré la mauvaise enceinte… Le doute a un peu duré dans mon esprit et puis l’envie de me brancher et de jouer a pris largement le dessus sur mon intellect. Quelques secondes plus tard, une fois que j’avais ma basse entre les doigts et le volume sur trois, je n’y pensais même plus. Et chose intéressante, alors que mes yeux m’avaient largement trompé, ce sont mes oreilles qui m’ont conduit vers la lumière. Ce caisson ne sonnait pas comme un dix-pouces, mais plutôt comme un douze de type néodyme. En bref, un son bien grave, suffisamment ample pour faire résonner les cordes de mon vieux Pleyel.
Pour être franc, je n’avais jamais entendu des infra basses pareilles sur un si petit gabarit et pourtant j’en ai vu défiler du matos. J’ai enfin fini par retrouver toute ma curiosité intellectuelle et après avoir reposé mon instrument, je suis parti consulter les oracles de l’internet. La réponse m’apparut comme le débinage d’un tour de magie : il y a bien deux HP dans cette enceinte, escamotés l’un derrière l’autre, même qu’on appelle ça un caisson isobarique. En fait j’avais déjà entendu parler de ce genre de montage en Hi-Fi, permettant à performances égales de réduire le volume d’une enceinte de cinquante pour cent. Là en plus de faire parfaitement illusion, le principe fonctionne pour la bande passante, ça descend dans les basses comme un gros caisson. On a donc un gabarit tout petit pour les 600 Watts RMS supportés : 33 cm de large, 41 cm de hauteur et 38 cm de profondeur, pour un poids total de 16 kilos. Il n’y a pas de tweeter sur le SP210, ses deux haut-parleurs Éminence de 10 pouces sont équipés d’aimant néodyme. Le caisson est composé de solides panneaux de bois en treize plis, de deux entrées en Speakon et du traditionnel Tolex orange parfaitement posé. L’évacuation de l’air passe par un évent en façade, discret malgré sa largeur qui parcourt toute l’enceinte. Il en est de même pour les talons sur lesquels repose l’ensemble, un choix qui vise à transmettre les vibrations au sol. Je donne un bon point pour la finition irréprochable du SP210, je ne n’ai pourtant aucun penchant pour la couleur, mais dois avouer qu’il a bien du charme avec ce petit côté rétro qui en jette.
Yeah Baby
Bon ce n’est pas tout ça, mais on va peut-être arrêter de broder pour entamer les festivités. Il ne faut pas oublier de laisser chauffer le circuit un couple de minutes, en le laissant sur stand-by avant de jouer. ça n’est pas du tout lampes, mais cela reste conseillé. J’utilise pour cet essai ma Precision Deluxe V, un micro Beyerdynamic M88 et une interface Novation. Pour chaque réglage, vous disposez d’une prise via la DI et d’un repiquage d’enceinte. C’est un détail important, car la diffusion du SP210 donne une couleur particulière au grain de la tête, que j’ai testé sur mon propre 2X10 (Epifani UL210) pour faire la différence. Et le contraste est net, alors que mon enceinte est tout aussi équipée de HP en néodyme, le SP210 sonne bien plus rondement. Pour la plupart d’entre nous, la chose serait un plus : un caisson de dix pouces qui sonne presque comme un boomer de quinze, que pourrait bien demander le peuple ?
Peut-être bien un poil de dynamique en plus, je dis ça pour ceux qui affectionnent comme moi la réponse caractéristique de ce type de configuration. Le parti pris sonore en faveur des basses fréquences n’est pas forcément avantageux pour le rendu des plus hautes, ça manque un peu de brillance, serait-ce par défaut de tweeter ? Ce que je viens de soulever ne sera pas forcément considéré comme une tare par un utilisateur moins conformiste que moi.
Mais il faut bien dire les choses telles qu’elles sonnent : Ce 2X10 a un son bien spécifique, tout en rondeur. J’ai choisi trois égalisations différentes pour le jeu aux doigts, mais commençons par le réglage neutre :
En avant les graves, les médiums à zéro et je cut les aigus (-2) :
J’ajoute juste une tranche de médiums en les poussant jusqu’à 2, les aigus sont sur 0 :
Je creuse tout à fait le son, aigus et graves sur 3 et médiums en dessous de zéro :
Et je me dégourdis un peu le pouce, sans rien toucher à l’égaliseur :
Et pour finir, un petit extrait avec un jeu au médiator, j’ai juste ajouté un peu de médiums pour que ça pêche un peu plus haut :
Pour ce qui est de la tête, j’aime vraiment son rendu à la fois linéaire et chaud. Les deux 12AX7 du préampli font leur office, je retrouve bien le son de ma basse avec une chaleur en plus. L’égaliseur à l’allure rustique apporte son lot de corrections de manière simple et efficace. Les possibilités de jeu sont variées et le grain passera à peu près partout. Je donne donc un autre bon point pour les qualités du préampli qui, personnellement, m’ont bien séduit.
Vitamine C
Le geste mérite vraiment d’être salué : le bassiste est tout de même bien considéré par la marque qui lui dédie une ligne d’enceintes au concept bien particulier. Il faut savoir que le montage isobarique des haut-parleurs se retrouve sur toute la gamme Smart Power de la marque et se décline en 2X12 et même en 4X10. À l’écoute du rendu des graves sur le plus petit modèle de la série, on peut se demander jusqu’où les plus gros peuvent descendre. Pour ce qui est de la réduction de l’encombrement, il faut aussi avouer que la marque anglaise fait très fort. La finition est très soignée sur cet ensemble qui avoisine les 1200 € (un prix moyen de 579 € pour l’enceinte et de 639 € pour la tête). Ce qui n’est pas forcément donné. Mais pour une fabrication anglaise de qualité, ça reste toujours moins cher que de s’acheter une Rolls et c’est en soi bien plus utile !