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Quaerendo Invenietis - sa majesté Jean-Sébastien...

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Sujet de la discussion Quaerendo Invenietis - sa majesté Jean-Sébastien...

Afin de ne pas pourrir le thread des CONTEST 30 secondes, j'ouvre une discussion sur l'art de Jean-Sébastien Bach - et au delà, sur la composition harmonique qui s'y rattache.

Pas qu'on soit de grand maîtres mais...

2

Tout commence par une question de SixtySteven:

Citation de SixtySteven :

Un truc, vois-tu, c'est qu'on reconnait tout de suite tes morceaux! En dehors de l'orgue, ça tient à l'harmonie, qu'on dirait pré-baroque (avant Bach, quoi) et non-profane. Vulgairement "musique d'église".Eclaire-nous! tu composes selon des règles? Si oui, lesquelles?

 

3

 

Je réponds...

Citation de daRinze :

 

Ben la seule règle que j'ai pour composer est celle qui consiste à avoir au mieux et si possible tout le temps, le triptyque fondamentale+tierce+quinte.
A partir de là, il est vrai que j'ai également un certain réflexe avec la pédale (qui assure la basse), qui sur les finales, au lieu de donner la fondamentale, va donner la tierce, pour créer une certaine tension, que je résous en redescendant à la dernière seconde sur la fondamentale. C'est quelque chose de clairement identifiable, et de très propre à la musique d'orgue. On l'entend très bien par exemple, sur le final de 'A boire', le morceau que j'ai fait avec PurplaBash pour la saison de compos collectives (n° 14 je crois bien).
Et puis peut-être que mes morceaux sont reconnaissables parce que le travail d'harmonie sur un orgue (et donc le mien) repose plutôt sur un 'tressage' de plusieurs lignes mélodiques (ce que tu identifies certainement quand tu parles d'inspiration 'pré-baroque'), et non sur un thème principal appuyé au second plan par des accords (ce qui est souvent le cas avec les morceaux disons plus contemporains, où des accords de guitare ou de clavier viennent soutenir le morceau).

J'aime bien ce que tu dis sur l'orgue de Notre-Dame, parce que ça fait partie de ce 'truc' indéfinissable qui me fait kiffer cet instrument. django me demandait un jour pourquoi j'allais me faire chier dans une église, alors que je pouvais avoir un synthé chez moi, tranquille. Et je lui disais que justement, ce que j'allais chercher là-bas, outre le toucher d'un instrument d'ivoire et de bois, et outre l'atmosphère particulière (calme, luminosité) du lieu, c'était cette indéfinissable puissance, quand les les murs tremblent sous les coups des basses de 32 pieds qui, comme tu dis, font péter les infragraves et te mettent tous les atomes de l'air ambiant en mouvement... je lui disais "imagine que pas loin de chez toi y ait un hangar, avec en permanence un mur de Marshall et je ne sais quelle guitare de prestige branchée dessus, et qui n'attendent que toi : t'irais pas ?".

J'ai assisté moi aussi à des heures d'orgue du dimanche aprem à ND, et c'est effectivement là que les compositions contemporaines comme celles de Jehan Allain, qui prennent de prime abord certaines "libertés" (c'est un euphémisme) avec les règles harmoniques traditionnelles, prennent alors toute leur signification et toute leur ampleur : c'est parce que justement elle reposent sur une "esthétique sonore", quelque chose qui te rentre dedans non parce que c'est beau (au sens harmonique) mais parce les vibrations sonores te percutent et provoquent des choses physiques dans ton corps. Sur un CD c'est de suite moins évident. Comme regarder "L'Ours" ou "Star Wars" sur un écran DVD de 10 pouces...

 

 

4

Citation de SixtySteven :

ça c'est de la réponse! Intéressant tes histoires d'intervals. Et tu as pas envie d'en essayer d'autres pour varier la couleur?

 

5

Citation de daRinze :

Pour les autres intervalles : ben toute ma théorie repose sur le triplet fondamentale+tierce+quinte. J'avais demandé à django une grille jazz, sur une walkin que je lui ai fournie, pour tenter quelque chose, mais je groove comme un sac à patates - et le résultat est assez minable. J'ai laissé tomber et en suis revenu à mes classiques.
C'est pas qu'une question d'intervalles mrgreen. Faut savoir faire groover un truc aussi, pour le rendre digeste.

 

6

Citation de blackbollocks :

oué du contrepoint quoi^^

je fais des pastiches de Bach en ce moment t'aurais pas quelques astuces?

 

7

Citation de daRinze :

 

blackbollocks> non, pas forcément du contrepoint. Le contrepoint est une règle très stricte, bien qu'elle ait évolué au cours des époques, qui impose que deux lignes mélodiques ou plus se superposent et se correspondent. Au départ, si sur la première ligne j'ai croche, blanche, noire pointée double croche, je dois avoir sur la seconde exactement pareil croche, blanche, noire pointée double croche. A chaque note de la ligne 1 correspond une note de la ligne 2. C'est ce qu'on appelle le "contrepoint rigoureux", 1 note pour 1 note. Au fil des écoles et des époques, les règles ont ensuite évolué en s'assouplissant.

 

 

Par ailleurs, pour te donner des conseils sur tes "pastiches de Bach", cela pourrait prendre des pages et des pages, mais je vais essayer d'être le plus concis possible:

1. tu pars d'une ligne mélodique donnée, appelée "S". A cette ligne mélodique va correspondre une grille d'accords qui vont l'accompagner. Il est nécessaire que cette grille d'accords soit parfaitement connue et posée dans sa totalité, avant de commencer l'écriture de quoi que ce soit d'autre.

2. le plus simple pour commencer est d'écrire la ligne de basse correspondant à ta ligne mélodique et à la grille d'accord susdite. Appelons-la "B". Elle va assurer l'assise, la fondation. Une fois écrite, le doublet "ligne mélodique+ligne de basse" (S+B) va te donner le cadre précis dans lequel vont s'inscrire les autres lignes d'accompagnement. Autrement dit, en écoutant seulement S+B, on doit avoir une idée déjà très précise de l'ambiance. Pour te simplifier le travail, écris d'abord "B" en noires, et va au plus simple en "plantant les clous", c'est à dire la fondamentale de chaque accord de ta grille. On y reviendra plus tard, pour la varier harmoniquement et rythmiquement.

3. Nous avons à ce stade S, "le plafond", qui est la ligne mélodique de départ, et B, le "plancher", qui est la ligne de basse, ou du moins l'ébauche de basse mise au point en 2. Reste à écrire la, ou les, autres lignes d'accompagnement. Pour te simplifier le travail au début, tu peux n'en écrire qu'une. Pour faire du "vrai" Bach il te faudra en écrire deux, voire trois... Ces autres lignes, en majorité, seront comprises entre le "plancher" B et le "plafond" S. Rien n'interdit que l'une monte plus haut que S, ou descende plus bas que B, mais c'est antinomique, car chacun sa place. B étant la basse, il n'y a aucune raison que d'autres lignes descendent plus bas qu'elle ; S étant la sopano, il n'y a aucune raison que d'autres montent plus haut qu'elle. Mais ce n'est pas une interdiction pure.
Je te conseille d'écrire ces deux autres lignes une par une. Note pour note, et comme je le disais à Sixty, il te faut constamment garder (c'est l'un des préceptes les plus rigoureux de Bach) le triptyque fondamentale+tierce+quinte. Donc, en fonction de S et de B, il te manque ou la fondamentale, ou la tierce, ou la quinte (selon les lignes S et B, peut-être deux, ou même peut-être les trois). Donc la ligne que tu écris devra porter cette note qui manque. Ca c'est pour le côté harmonique. Construis ainsi ta première ligne d'accompagnement que l'on va nommer "A" (pour alto). Comme pour B, au début, pour commencer, écris des noires. Si tu veux corser l'affaire, une fois A écrite, tu peux te lancer dans la deuxième ligne d'accompagnement, que nous nommerons "T" (pour ténors), toujours avec la contrainte : garder note pour note le triptyque f+t+q correspondant à la grille d'accord.

4. Nous avons à ce stade S la ligne de chant, B la ligne de basse, et entre ces deux, A et quelquefois T qui viennent "combler" les vides harmoniques, afin qu'en chaque point de la partition soit conservé au mieux le fameux triptyque fond+tce+qte qui crée l'accord. A, T et B sont rythmiquement très simples, mais harmoniquement doivent être finies. Il est temps de retravailler la partie rythmique sans plus se soucier de la partie harmonique qui à ce stade est considérée achevée. Achevée ne signifie pas gravée dans le marbre : on va voir qu'ici en 4 et même peut-être en 5, il va arriver que A et T vont s'échanger des notes, voire carrément des bouts. On verra pourquoi.
Astuce: pour l'instant on n'a que des noires sur A, T et B. Or S a son propre rythme. Le but est de répondre aux feintes rythmiques de S, alternativement sur A, T et B. Si, par exemple, sur S on a croche-croche-noire, sur A on va faire noire-croche-croche et sur B, noire-noire-croche-croche. A l'écoute, on va entendre croche-croche trois fois : le première fois sur S, la seconde sur A, la troisième sur B. Capito ? Rythmiquement, les lignes doivent se répondre et se compléter, et non s'empiéter. De la même façon que S, A et B ne font pas les mêmes notes mais font des notes qui se complètent, elles ne doivent pas avoir le même rythme mais des rythmes qui se complètent : à des croches sur l'une doivent correspondre des noires sur les autres, de façons à ce que chacune puisse "respirer" toute seule. C'est là, en organisant ces rythmes, que A et T vont être peut-être amenées à s'échanger des notes....

5. On a posé la ligne de départ en 1. Rajouté une assise en 2. Construit l'harmonie en respectant la grille d'accords en 3. Aménagé la rythmique de chacune des lignes pour laisser chacune s'exprimer à tour de rôle en 4. En 5, nous allons finaliser le travail : l'idée maintenant est que chaque ligne A, T et B, prise seule et séparément des autres, soit la plus musicale possible. Cela peut remettre en question beaucoup de choses construites en 2, 3 et 4. De gros bouts peuvent à cette occasion passer de A à T et vice-versa. Le but, c'est que chaque phrase en elle-même, par elle-même, soit musicale, variée, mélodiquement et rythmiquement. Que A ne se contente pas de faire que des tierces et T que des quintes et B que des fondamentales, et que des noires partout. Par exemple, la basse fait deux noires DO puis LA, bon ben on intercale une croche SIb au milieu afin d'avoir une descente "DO SIb LA", qui sera toujours beaucoup plus jolie qu'un bête DO-LA. C'est ce qui fera au final l'effet Bach recherché: non seulement l'ensemble est harmonieux parce que le point 3 l'a construit ainsi, mais chaque ligne prise seule, est elle-même musicalement aboutie, parce que le point 5 qui est le plus important, a veillé à ça.

Sans exemples clairs, l'explication est assez verbeuse et peut-être un poil hermétique. Bon courage...

(PS) je remarque que mes explications ci-dessus s'inscrivent dans le cadre où c'est la voix de soprano "S" qui chante la ligne mélodique principale, le thème porteur.
Rien n'interdit que ledit thème soit chanté par A ou T, ou même B, voire passe alternativement de l'une à l'autre. S devenant alors à cette occasion une voix d'accompagnement.

Cette précision, par rapport à ce que je dis au point 3, que les lignes d'accompagnement doivent être comprises entre la ligne du thème et la basse. Ce n'est donc pas tout à fait vrai : les lignes A et T sont à la vérité comprises entre B et S. Mais S n'est pas toujours la ligne du thème - même si c'est le cas la plupart du temps.

 

 

8

 

Citation de blackbollocks :

 

@daRinze:

Citation :

A chaque note de la ligne 1 correspond une note de la ligne 2.

ça c'est pour du contrepoint de première espèce non? mais le contrepoint des autres espèces peut aussi être considéré comme rigoureux?

 

j'ai fait pas mal d'harmonie mais le contrepoint, j'ai essayé de voir ça tout seul juste avec des pauv traités, ben putain c'est pas facile bave

 

merci pour ton pavé (mais j'ai quand mm un peu l h'abitude du vocabulaire propre a la discipline, t'aurais pu moins te casser le cul sur le plan rédactionnel, ceci dit ce sera toujours utile pour les autres!)

et d'ailleurs dans ta partie 5 tu mets le doigt la ou ça fait mal: perso j'ai appris de manière générale l'harmonie plutot classique et romantique que baroque, et du coup, ma voix d'alto, moins elle bouge, mieux c'est facepalm du coup après je rajoute des notes de passage, retards etc... et la VLAN les quintasses et les octaves...

va falloir que je remette en question un peu toutes mes habitudes...

et d'ailleurs plus j'avance plus je me rends compte que bach a presque plus de similitude avec l'harmonie jazz qu'avec l'harmonie classique mrgreen

fin bref, merci pour tes astuces, et touts les trucs rythmiques aussi, que j'avais pas du tout capté

 

9

Citation de daRinze :

 

Citation :

du coup, ma voix d'alto, moins elle bouge, mieux c'est

mets-toi à la place du chanteur, s'il a à chanter une succession de RE en croche sur dix mesures c'est pas top! fais-lui plutôt chanter un truc varié, d'où le point 5 (rien à voir avec notre Huitou hein)

 

Citation :

bach a presque plus de similitude avec l'harmonie jazz qu'avec l'harmonie classique

à vrai dire, Bach se situe à la croisée de la vieille école, dite de l'Allemagne du Nord, celle du contrepoint rigoureux de ses vieux maîtres (Johann Pachelbel et Dieterich Buxtehude, qui seront déterminants dans sa quête de la polyphonie exacte et de l'harmonie majestueuse, maîtrisée, structurée, presque "mathématique"), et de la nouvelle école, inspirée par quelques français (Nicolas de Grigny, François Couperin), celle qui aboutira plus tard au romantisme, qui lui donneront l'art de la légèreté et de l'ornementation.
Sa présence à cette époque là où cohabitent ces deux courants, et la puissance démesurée de son esprit, feront qu'il saura faire une synthèse de ces deux mondes, à nulle autre pareille.

Mais c'est également vrai qu'on entend souvent dire que Bach "swingue" icon_mrgreen.gif

 

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Citation de blackbollocks :

 

Citation :

 

du coup, ma voix d'alto, moins elle bouge, mieux c'est

mets-toi à la place du chanteur, s'il a à chanter une succession de RE en croche sur dix mesures c'est pas top! fais-lui plutôt chanter un truc varié, d'où le point 5 (rien à voir avec notre Huitou hein)

ben oui je sais, mais c'est dur mrgreen pis j'ai appris comme ça, faut que je reparte un peu a zéro!

(c'est surtout pour ça que je dis que bach ça ressemble a de l'harmo jazz, dans le sens ou tu verras jamais un instrumentiste se faire chier avec une seule note)

 

et c'est marrant ce que tu dis sur nouvelle école française et ancienne allemande, parce que perso, j'ai écouté pas mal de couperin, et dans ma tête, historiquement qussi bien que musicalement, j'aurais eu tendance a penser que c'était plus proche de Buxtehude que de gars plus tardifs comme Haydn

[d'ailleurs en recopiant du Couperin, j'ai ris une grosse claque, je conseille ça a tout le monde!]