En allant chercher les deux belles à la rédaction, je me suis demandé combien de Jazz Bass et de Precision j’avais bien pu tester dans ma vie de pigiste. Entre les standards, les Deluxe, les vintage et autres Specials ou Classics, des Américaines aux Mexicaines, sans oublier les Japonaises et sans parler des Coréennes ni des Squiers, il faut avouer que l’offre a de quoi égarer la demande. Pour vous j’ai fait le compte (un peu pour moi aussi) et voilà le topo : il y a au catalogue Fender pas moins de cinquante modèles en JB et PB (sans compter les déclinaisons de couleurs), pour seulement deux Jaguars et une Mustang ! Imaginez-vous entrer chez un concessionnaire Renault pour acheter une nouvelle voiture et n’avoir le choix qu’entre quatre douzaines de Clios, un triporteur et une voiture sans permis ! La fidélité de la marque pour ses deux grands classiques est donc évidente. Il y aura pourtant du neuf dans ce test : premièrement dans l’origine de ces deux basses estampillées Fender et pourtant chinoises, mais aussi du point de vue des micros, ce qui n’est pas rien quand on sait que ces basses sont éponymes de leur kit électromagnétique respectif. Alors à nous les petites Chinoises, pour une séance de grand tripotage instrumental !
Un bout d’histoire
Sur les précédents tests des produits de la marque (la 60th Anniversary et les American Specials), j’avais pris bien du plaisir à vous conter l’histoire de feu Léo Fender.
Voici de quoi poursuivre. Nous en étions à l’année 1951, charnière pour les musiciens que nous sommes puisqu’elle marqua l’avènement commercial de notre première Idole : la Precision Bass. Comme ce brave Léo avait tout à fait compris que le succès d’un instrument passe obligatoirement par son amplification, il s’emploie dès 1952 à commercialiser un combo digne de supporter la belle. Il fera 35 watts de puissance et sera baptisé Bassman. Le succès est quasiment immédiat surtout dans le milieu des jazzeux (Lionel Hampton fut le premier à accueillir l’instrument au sein de son orchestre). Le monde de la Pop et du Rock préférant le jeu de type Rockabilly de la contrebasse pour quelques années. Il est intéressant de souligner que le succès du Bassman se fera tout autant ressentir chez les guitaristes de l’époque qui appréciaient surtout sa puissance.
Côté six-cordes, Léo à l’écoute de la demande des musiciens en matière de variété sonore (le côté brillant de la Telecaster ne plaisant pas à tous) et d’ergonomie (la table brute de ce même modèle ayant tendance à scier les avant-bras) est sur le point de mettre sur le marché une nouvelle légende qu’il baptisera Stratocaster en 1954. Freddy Tavares et Bill Carson travaillent avec lui, dès 1953, à l’élaboration de ce projet. La forme de la Strat reprend les contours de la Precision Bass de 1953 dont les rondeurs s’inspiraient déjà du design automobile des 50’s. Il y a un chanfrein supplémentaire sur la table pour agrémenter le jeu de la main droite, trois micros pour donner le change et aussi une tige de vibrato pour répondre à la sortie du Bigsby en 1952.
La Stratocaster devient immédiatement incontournable et constitue aujourd’hui la gratte la plus copiée du marché. En 1957, c’est au tour de la Precision de s’inspirer de la Stratocaster en reprenant ses formes, le micro simple est remplacé par le fameux micro split qui restera en place jusqu’à aujourd’hui. En 1960, soit neuf ans après la sortie de la première basse de la marque, la compagnie commercialise sa dernière légende à savoir le “Deluxe Model” qui adoptera très vite l’appellation définitive Jazz Bass. Son manche est plus fin en son sillet que celui de la Precision, la forme de son corps s’inspire plus de la Jaguar et de la Jazzmaster élaborées toutes deux un poil plus tôt. Mais c’est aussi son kit micro qui marque sa singularité : deux micros simples placés en parallèle, utilisant chacun deux bobinages pour chaque corde. Si le grain obtenu est plus étriqué que celui d’une PB, il s’agissait surtout à l’époque d’épargner les haut-parleurs de piètre qualité montés sur les amplis de basse. Une concession qui deviendra par la suite, grâce au grand Jaco Pastorius et évidemment au génie de Larry Graham, une signature en soi. À propos de feu Jaco, alors que je faisais mes habituelles recherches pour taper ce texte, je suis tombé sur une petite annonce qui intéressera peu être quelques fans fortunés. Après tout, même les bassistes ont le droit de gagner au loto !
La Chine est dans la place
Jusque-là, la fabrication chinoise se limitait à la facture des produits de la sous-marque principale de Fender, à savoir Squier. Avec les Modern Player, le “Made in China” fait son entrée au catalogue Fender pour donner suite au récent succès des Squier Vintage Modified. C’est donc une nouvelle ligne de production qui voit le jour et un nouveau challenge pour la marque. Le savoir-faire des Chinois en matière de fabrication d’instrument n’ayant pas encore les faveurs d’un public averti. Afin de faire taire les préjugés, il va donc falloir donner le change…
L’aînée d’abord
Avant tout, je vous suggère de préparer une fine lame pour accéder à une de ces Fender car vous allez batailler sévère avec le carton dans lequel elles sont livrées. Il faut avouer qu’il est assez bien fait, consolidé en haut comme en bas, sur les côtés aussi. Il en deviendrait presque impressionnant. Mais il ne fera jamais le travail d’une housse gracieusement offerte par la marque. Ce regret derrière soi, il faut avouer que cette Telecaster Bass a bonne mine. Avec ses rondeurs et ses jolis cache-micros qui permettront de vérifier au besoin, si l’on n’a pas un bout de salade collé entre les dents. Une belle robe Butterscotch blonde qui laisse transparaître les veines du bois d’aulne, un joli vernis gloss pour le manche : aucune faute de finition n’est à regretter sur cette quatre cordes. Le manche moderne de 34 pouces offre une bonne prise en main et moi qui aime les Precisions équipées d’une touche en érable, me voilà servi (nous verrons un peu plus bas pourquoi cette essence était toute prédestinée à cette basse).
Le radius de 9,5 pouces s’écarte un peu des cotes des anciennes Precisions (Radius de 7,25 pouces) c’est donc plus plat, ce qui me va tout à fait. La largeur du manche est tout aussi moderne, avec ses 41,3 mm. La tête de manche qui est bien celle d’une Telecaster, est équipée de mécaniques ouvertes. Le chevalet cordier est assez simple dans sa fabrication, ce qui n’enlève rien à son apparente robustesse. L’originalité de notre spécimen réside dans ses deux micros doubles en Split, identiques, mais bien retranchés dans leur position respective : l’un collé au manche et l’autre tout proche du chevalet. On compte quatre plots appairés par micro, que l’on peut régler en hauteur à l’aide d’un tournevis plat. Pour les réglages et l’électronique, c’est bien du passif, avec deux volumes et une tonalité. Enfin, un chanfrein de table permet de poser son avant-bras sur le corps sans en souffrir. Ce mélange rétro-fantaisiste qui a un je-ne-sais-quoi de frais dans l’offre de la marque me donne bien des envies. Mais il est l’heure de découvrir ce que nous réserve la Jazz Bass.
Ne jamais séparer les familles
Je serai moins prolixe sur la JB (pas le Whisky hein !) ; non pas qu’elle soit moins intéressante que la Tele, mais parce que les deux modèles sont bien similaires par endroits.
Même bois pour le corps, mêmes contrôles (Volume, Volume, tonalité), Radius de manche et chevalet identiques, mécaniques sorties du même moule. La touche est cette fois en palissandre et sa largeur est bien plus fine, avec 38,1 mm au sillet (Jazz Bass oblige). La couleur est moins plaisante à mes yeux : un blanc uni un peu triste, pas translucide pour un sou, avec une plaque noire en trois plis. Par contre, là où j’ai les mirettes qui brillent, c’est à regarder les micros qui ne sont rien d’autre que deux doubles Jazz-Bass en grave et en aigu. De quoi assurer un son ne manquant pas de mordant. Le vernis est tout aussi bien posé, évidemment contrairement à la Telecaster et sa touche érable, seul le dos du manche est verni.
Deux basses dans ta face
C’est le moment de pousser les watts et de causer sérieusement gros son. Je rentre directement les deux basses dans mon interface Novation, sans manières et me prépare à faire trembler les murs du bureau dont je n’apprécie vraiment plus le papier peint. Côté prise en main, tout se passera pour le mieux, j’ai bien testé la Tele et la Jazz Bass debout comme assis et ne trouve pas grand-chose à en redire, mis à part le micro grave de la Telecaster qui peux gêner l’accès des doigts pour le pop-out (on s’y fait assez vite). Je conseillerais aussi aux futurs acquéreurs de cette dernière de se muscler un petit peu le dos. Veuillez pardonner ma phallocratie (j’ai oublié de prendre mes gouttes), mais cette basse n’est pas faite pour les minettes. Évidemment, comme je dispose des trapèzes de Dwayne Johnson, cela n’est absolument pas un problème pour moi ! Mais passons toute digression sur ma formidable plastique, je ne voudrais pas faire de jaloux et j’en vois qui s’impatientent déjà d’en prendre plein les esgourdes. Bien que je ne sois pas du genre à penser qu’une Precision (je veux dire une Telecaster Bass) soit forcément comparable à une Jazz Bass, j’ai quand même voulu utiliser les mêmes réglages pour les deux tests. Vous disposez donc de neuf enregistrements par instrument pour vous faire une idée de comment les Chinoises sonnent.
- 1 Fender Precision mediator 00:14
- 2 Fender Precision mediator 200:22
- 3 Fender Precision Micro grave00:21
- 4 Fender Precision Micro grave tonalite aux 2 tiers00:19
- 5 Fender Precision Micro grave tonalite a fond00:21
- 6 Fender Precision Micro Aigu00:21
- 7 Fender Precision Micro Aigu tonalite tonalite aux 2 tiers00:14
- 8 Fender Precision Micro Aigu a fond00:14
- 9 Fender Precision Slap00:53
- 16 Fender Precision Micro Aigu tonalite tonalite aux 2 tiers00:29
La Telecaster Bass est tout à fait à l’aise dans les registres graves, le jeu aux doigts pulpeux et les allez-retour de médiator raillant. J’adore la dynamique du manche, le côté un peu caverneux du micro grave et ses aigus qui, même s’ils ne percent pas le plafond, présentent toutefois une touche tout à fait rétro dans le spectre de la basse. Je suis moins fan du rendu du même micro dans les aigus, qui n’est pas assez pincé dans les bas-médiums et manque clairement de brillance, notamment en Slap. La touche en érable est ici d’un véritable secours face à cette petite carence. Je conseille aussi de relever un peu la hauteur du micro pour en élever le niveau de sortie, un poil en arrière par rapport à celui du micro grave. D’un point de vue sonore général, je dois avouer que j’ai comme un petit coup de cœur pour cette passive à 500 € qui peut sonner comme une vieille Hagstrom, avec toute l’assise caractéristique d’une Precision.
- 10 Fender JB mediator 00:22
- 11 Fender JB mediator 200:22
- 12 Fender JB Micro grave00:22
- 13 Fender JB Micro grave tonalite aux 2 tiers00:20
- 14 Fender JB Micro grave tonalite a fond00:19
- 15 Fender JB Micro Aigu00:21
- 17 Fender JB Micro Aigu a fond00:14
- 18 Fender JB Slap00:21
La Jazz Bass est plus moderne dans son grain et comme je l’avais prévu, déborde de vitalité et de dynamique. Bien équilibrés entre ses deux pôles, les micros jumeaux sont ici bien complémentaires. Parfaite pour le Slap (et oui même les passives peuvent assurer de belles percussions), agressive au médiator ; la bande passante de son micro grave descend bien plus bas que sur un bobinage simple et reste toujours étoffée. Au sud, ce n’est pas mal non plus quand on ouvre la tonalité. Par contre je ne suis pas vraiment convaincu par le grain obtenu avec sa tonalité dans les graves. Sur ce point, je lui préfère le côté pincé d’un micro Jazz Bass simple. Mais je doute que les bassistes intéressés par ce type d’instrument soient réellement portés sur le répertoire Pastorussien (même si ça ne fait de mal à personne).
Alors on est Hong-Kong foufou ?
Je ne sais pas pour vous, mais j’ai trouvé ces Fender à moins de 600 € tout à fait charmantes, surtout la blonde ! Si j’avais un joli billet violet, je m’en payerais bien une petite pour lui coller une paire de Darkstar et un Badass, juste pour le kiff. Voilà pourquoi j’affirme haut et fort que les Chinois sont beaux (étant en partie Cantonais, je ne me gênerai pas), qu’ils fabriquent de tout et de mieux en mieux ! En témoignent les qualités intrinsèques des deux basses mises au banc d’essai du jour, qui ont le mérite de présenter un rapport qualité-prix bluffant et des spécificités qui sortent un peu du standard. Du frais en somme, dans le respect des traditions. Je vous laisse les amis, j’ai encore plein de trucs à vous écrire pour ces jolies fêtes de Noël !