Sure as Shure, le constructeur américain nous sort deux "casques de studios" fermés, dont on se doute (vu leur impédance et leur prix) qu'ils pourraient avoir d'autres usages, moins professionnels. Voilà le grand frère (840) et le petit arrivés sur nos bureaux. Alors, ça vaut quoi les nouveaux SRH ?
Au tout début de l’année, on vous avait parlé de la sortie de deux nouveaux « casques professionnels de studio » (c’est marqué sur l’emballage), petits nouveaux sortis des lignes de productions de Shure. Ces deux casques, le SRH440A et le SRH840A, partagent de nombreuses caractéristiques : casques fermés, circumauraux, disposant des mêmes haut-parleurs de 40 mm de diamètre, avec des réponses en fréquence couvrant l’intégralité du spectre auditif – de 10 à 22 kHz pour le 440A, tandis que le 840A annonce un spectre plus étendu de 5 à 25 kHz. Sensibilité et impédance là aussi complètement similaires (97 dB/mV et 40 ohms), ce qui n’est pas étonnant, étant donné qu’il s’agit du même haut-parleur dans les deux produits.
Ces deux casques se situent dans des tranches de prix raisonnables, avec un 440A au prix de vente conseillé de 99 € et le 840A proposé, quant à lui, à 149 €.
Comme d’habitude pour nos tests, nous allons procéder à une présentation générale du casque et, si possible, un démontage (au moins partiel) de l’appareil, pour voir un peu ce qu’il a dans les tripes, suivi du benchmark réalisé par nos partenaires Sonarworks, pour finir sur une écoute comparative.
Déballage
Dans leurs deux boîtes, différenciées par un code couleur légèrement différent – bleu pour le 440A, vert pour le 840A – les casques sont bien protégés dans des formes en carton thermomoulées. Ils sont, tous les deux, accompagnés d’un câble droit, terminé d’un côté par un jack sub-miniature stéréo (2,5 mm) à baïonnette (pour raccorder l’oreillette de façon sécurisée). À l’autre bout, un jack 3,5 mm stéréo et, bien entendu, son adaptateur 6,35 mm, à vis. L’acquéreur du 840A recevra en plus un sac de transport. À noter : tous ces accessoires sont facilement achetables en pièces détachées sur le site du constructeur.
Chaque casque est accompagné de son manuel d’utilisation… qui n’explique pas grand-chose sur l’utilisation, mais consiste plutôt en un ensemble d’éléments légaux et d’avertissements concernant le niveau de pression sonore et les possibles lésions auditives permanentes qu’une écoute trop forte peut occasionner. On remarquera, en revanche, que Shure a eu l’idée d’inclure un guide de prise en main ultra simple, imprimé directement à l’intérieur du couvercle, sous la forme d’une série de pictogrammes façon Ikea. C’est plutôt malin, même s’il est probable qu’aucun lecteur de cet article n’aura besoin d’un tel guide d’utilisation.
Au sortir de la boîte, un des premiers éléments qui nous frappe est le poids, plutôt léger pour un casque assez gros (255g) : on reviendra plus tard sur ce point. On apprécie aussi la sobriété générale du design, avec ses plastiques mats assez élégants. Les oreillettes sont recouvertes de mousse mémoire de forme très souple, et l’arceau est légèrement rembourré : légèrement seulement, car on sent quand même sous le rembourrage le plastique, assez dur. Aux premières manipulations, on remarque tout de suite que certains des axes paraissent un peu fragiles : par exemple, l’axe horizontal de l’écouteur présente du jeu, ce qui laisse soupçonner un usinage assez « brut ». De plus, la matière plastique qui constitue les étriers des écouteurs nous a paru répondre aux torsions avec une résistance forte, ce qui n’annonce pas nécessairement une bonne réponse aux chocs. À voir sur la durée, nous ne sommes pas devins de l’audio… Par ailleurs, le poids minime et le confort plutôt bon, sur la durée d’écoute que nous avons pratiqué, semble découler en partie au moins de la légèreté de ce matériau.
À noter : les casques ne se plient pas totalement sur eux-mêmes, il est également impossible de soulever un des écouteurs pour libérer une oreille. En revanche, les casques ne nous ont pas paru trop encombrants, ce qui les prédispose à un usage nomade et une écoute de loisir, en dehors du studio (cela et leur impédance, comme noté dans l’intro).
Les deux casques embarquent les mêmes transducteurs dynamiques à aimant au néodyme. Nous avons donc cherché ce qui pouvait expliquer des réponses en fréquence différentes. Pour cela, on sort le tournevis, on ouvre les casques et on découvre, en premier lieu, que la matière des oreillettes (amovibles et remplaçables) est différente : l’une (sur le 440A) sépare l’oreille du transducteur par une simple couche de tissu acoustique (comme ce que vous pouvez généralement trouver sur les caches d’enceintes hi-fi), l’autre (840A) cache le transducteur derrière une couche de mousse d’environ 1,5 mm d’épaisseur, recouverte d’un tissu tressé en chevron, à la maille assez serrée (voir photo ci-contre). On remarque également que les caches en plastique, derrière lesquels se trouvent les haut-parleurs, présentent une légère différence : autour de chaque haut-parleur se trouve un ensemble de petits trous, obturés par un papier très fin et acoustiquement poreux. Sur le 440A, on remarque 13 trous (qui font le tour complet du transducteur), tandis que sur le 840A on en remarque seulement 9. Pour finir, à l’intérieur, on remarque une différence d’espace résonnant derrière le transducteur : plus petit, plus concentré autour du haut-parleur dans le 440A, plus large d’au moins 1 cm en hauteur et en largeur sur le 840A. On comprend donc que la différence de courbe viendra d’un traitement acoustique différent, appliqué à un haut-parleur similaire.
Un dernier point à noter et qui me semble important : les deux casques sont pourvus de nombreuses vis qui permettront leur réparation ou modification, au-delà de la date limite de garantie. Je le répète souvent dans ces colonnes, mais il me semble que c’est un élément qui est tout à fait à l’honneur des marques qui, ainsi, ne jouent pas totalement le jeu de l’obsolescence programmée, mais choisissent plutôt de faire des produits réparable, sinon durable.
Benchmark
Si vous êtes un habitué de ces tests, vous le savez déjà : nous avons mis en place un protocole de mesures objectives, afin de compléter l’écoute comparative subjective. Avec l’aide précieuse de notre partenaire Sonarworks, nous avons le plaisir de pouvoir vous fournir des courbes précises de la réponse en fréquence et du taux de distorsion harmonique (THD), réalisées à l’aide d’une tête artificielle et de matériel de mesure de laboratoire.
Ci-dessus, les courbes de réponse en fréquence du 440A puis du 840A. On remarque bien que la similarité de design donne lieu à une similarité de courbe, quoique quelques différences frappantes ressortent : des basses plus « gonflées » sur le 440A, un médium plus creusé sur le 840A, avec des aigus un peu plus soulignés. Sinon, on est face à la courbe assez « classique » que partagent beaucoup de casques aujourd’hui, proche des « courbes Harman », avec des basses et des aigus renforcés, souvent au prix de toute forme de linéarité au-dessus de 5 kHz.
De la même façon que le 840A était le moins linéaire des deux (ce qui, encore une fois, n’est pas nécessairement un défaut), il a le taux de THD le plus élevé, avec une présence plus importante de distorsion harmonique du troisième ordre. Ceci étant dit, les résultats sont toutefois plutôt très bons. Passons donc aux écoutes…
Écoute
Richard Hawley – Don’t Get Hung Up In Your Soul (sur Truelove’s Gutter)
Une ballade acoustique, avec beaucoup de réverbe et une différence de dynamique importante entre la voix et la guitare. Sur le 440A, on perçoit une prééminence des médiums et hauts médiums (voix très en avant) et qui par conséquent donne le sentiment, subjectif, d’aigus en retrait : absence des sons de plectre sur les attaques de la guitare, suivi de la réverbe sur la scie musicale assez moyenne. Il nous apparaît également et c’est à notre avis une conséquence de ce manque de suivi des réverbes, que le 440A n’offre pas une image stéréo aussi large, profonde, que le 840A. Ces réserves mises à part, le casque nous a semblé adapté pour un usage de monitoring, en particulier pour les voix, étant donné qu’il a un très beau timbre dans les médiums, et que son léger écourtage des aigus fait qu’il n’offre aucunes sifflante fatigante. Le 840A, quant à lui, a certes une signature sonore générale proche de celle du 440A, mais avec clairement une meilleure étendue vers l’aigu qui donne à entendre plus de détails.
Sun Kil Moon – Butch Lullabye (sur Common As Light And Love…)
Sur l’intro, on doit entendre à la fois les notes graves, les harmoniques médiums ajoutées par la distorsion, l’attaque légèrement piquée des notes, tout en séparant bien la grosse caisse qui sonne assez sèche et médium. L’impression que nous avons eu sur le premier morceau se confirme sur celui-ci, mais on peut ajouter une différence également au point de vue du rendu des basses : le 440A, s’il descend sans trop fléchir sur les notes les plus graves, n’a toutefois pas la présence, le punch, la richesse des timbres que l’on retrouve sur le 840A. Celui-ci s’en tire beaucoup mieux, par exemple, sur la dissociation de l’attaque de la grosse caisse et de la basse. Pour les voix, nous n’avons pas ressenti, d’un casque à l’autre, autant de différence que sur le morceau précédent.
Massive Attack – Teardrop (sur Mezzanine)
Un titre avec beaucoup d’extrême grave, mais qui ne doit jamais masquer les nombreux détails dans le haut médium et l’aigu. On reste encore sur le même ressenti : c’est-à-dire un 440A qui se concentre peut-être un peu trop sur les hauts médiums et qui donne, pour cette raison, le sentiment d’un panoramique resserré, un peu trop touffu ; un 840A qui, quant à lui, nous a paru « respirer » un peu plus, avec un haut du spectre très détaillé (sans pour autant infléchir trop les consonnes sibilantes, qui peuvent parfois gêner sur ce morceau) tout en proposant un rendu assez punchy dans le bas du spectre. La résonance infrabasse du kick, qui apparaît tout particulièrement dans le premier couplet, passe un peu à la trappe sur les deux casques.
Charlie Mingus – Solo Dancer (sur The Black Saint And The Sinner Lady)
Voilà un morceau avec beaucoup de soufflants jouant dans des tessitures similaires : c’est très touffu et le but est d’essayer de discerner les timbres. Sur ce titre, comme c’est souvent le cas, c’est le casque le plus « modeste » des deux qui s’en tire le mieux. Le fouillis instrumental bénéficiant parfois d’être un peu limité dans l’aigu et dans le grave, au risque de voir certains instruments noyés par d’autres (par exemple les cuivres haut-médiums et aigus mangés par les cymbales). On remarquera toutefois sur le 840A une belle capacité à détacher, dans le grave, la contrebasse de la grosse caisse (plutôt mixée en retrait, et pas toujours très discernable), et un bon suivi de la réverbe sur la courte excursion en solo du saxophone.
Edgar Varèse – Ionisation (New York Philharmonic, dir. Pierre Boulez)
Ici on cherche à juger de l’image stéréo et du suivi de la réverbération naturelle de la salle, qui joue sur l’impression d’espace. L’écoute se fait entre 0:30 et 1:15 mins. À n’en pas douter, c’est le 840A qui brille le plus, grâce à une bonne capacité à rendre la longueur des réverbérations acoustiques, et donc de donner le sentiment du placement des percussions dans la salle. Si cet effet de réalisme auditif est moins présent sur le 440A, on lui trouvera quand même une belle capacité à rendre les timbres complexes des percussions médiums et hauts médiums (caisse claire sans timbre, timbales, bloc chinois, grosse caisse…).
Conclusion
Comme souvent lorsqu’on réalise un test double, on se trouve dans la difficulté de conclure de façon homogène : les deux nouveaux casques de la série SRH nous ont paru remplir une grande partie des cases qu’on peut désirer pour un casque de studio – confort, bonne isolation, légèreté, encombrement moyen, et un rendu sonore précis (ensuite, sur ce dernier point, chacun a ses propres attentes, ses propres préférences). Des deux, le 440A nous a paru le moins convaincant : son spectre sonore plus réduit, avec des hauts médiums soulignés qui ont tendance à couvrir d’autres informations, se prêtera bien à la prise, en particulier lors d’enregistrements en groupe, où le casque doit pouvoir, par exemple, retranscrire une voix à travers un niveau sonore élevé. En revanche, pour le mix, ou le mastering, le 840A sera un casque certainement plus adapté. En conclusion donc, cette note moyenne de 8, entre 7,5 pour le 440A et 8,5 pour le 840A, en soulignant que les deux nouveaux casques Shure nous ont paru être, surtout pour leur prix, une bonne addition possible pour un studio / home studio qui chercherait à diversifier sa panoplie d’écoutes, ou pour un débutant (ou pas si débutant d’ailleurs) souhaitant acquérir un casque de bonne qualité pour un prix qui ne vide pas trop les poches…