Il était une fois, dans un pays fort fort lointain …
L’histoire de Darkglass ressemble un peu à un de ces téléfilms de l’après-midi sur M6, dans lesquels deux individus passionnés luttent, contre vents et marées, pour vivre leurs rêves quitte à parcourir des milliers de kilomètres. Et les kilomètres sont bien là : la marque fut fondée il y a 6 ans en Finlande par … deux chiliens. Étrange destin que celui de ces concepteurs d’effets, ni le Chili ni la Finlande ne disposant il me semble, d’une réputation significative dans le domaine.
Pourtant, les deux compères se sont lancés dans l’aventure, commençant classiquement par souder des prototypes dans leur salon, et proposent depuis quelques années une gamme centrée sur un besoin très précis : la saturation pour les bassistes. Mais pas n’importe quelle saturation pour n’importe quel bassiste : du son de grande qualité, des pédales très bien conçues, et une gamme qui distingue le son « à l’ancienne » du son « saturation moderne ». Ainsi, pour chaque type de son, Darkglass donne naissance à une pédale d’overdrive et à une déclinaison en plus grand format faisant également office de préamp. Si depuis, une fuzz, un compresseur et un préampli interne pour basse ont rejoint les rangs des pédales proposées par la marque, la saturation pour basse reste leur créneau de base et c’est là qu’ils se sont construit, en peu de temps, une excellente réputation.
C’est donc avec curiosité et impatience qu’on a appris en décembre dernier la mise à jour de la Vintage Deluxe, c’est-à-dire le modèle orienté vers les sons d’overdrive classiques dans sa version préampli / DI. La Vintage Deluxe première du nom est pourtant une pédale récente, et les utilisateurs semblent satisfaits de cette version. Comment faire mieux que bien ?
Leçon de design finno-chilien
La pédale est livrée dans une élégante boîte en carton noire, frappée du logo de la marque et munie d’une fermeture aimantée, le genre de boîte que l’on gardera volontiers pour y stocker quelques menus objets plutôt que la jeter dans la poubelle à recyclage la plus proche. Un petit livret tient lieu de mode d’emploi succinct rappelant les fonctions principales de la pédale, un second livret présente la gamme des pédales du fabricant, et un autocollant du (très classe, avouons-le) logo de la marque vous permettra d’afficher les couleurs de votre fournisseur de gros son.
En ce qui concerne la pédale elle-même, dans un boîtier tout en alu d’un seul bloc rappelant fortement les laptops d’une marque fruitée, on retrouve un nombre conséquent de réglages et de prises marquant une volonté de polyvalence assez poussée. Jugez-en plutôt :
Sur le côté droit : une entrée instrument en jack, une prise pour adaptateur secteur au « standard » Boss (9V centre négatif, l’adaptateur n’est pas fourni et la pédale ne fonctionne pas avec des piles), et une sortie « parallel output » en jack également, pour le son non-traité (par exemple pour utiliser la pédale comme préampli envoyant le signal à une console tout en utilisant un ampli sur scène).
Sur le côté gauche : une sortie niveau instrument en jack, et une sortie niveau ligne en XLR (c’est-à-dire une DI) avec un switch de masse (ground lift). Une première rangée de potentiomètres rassemblant les réglages les plus courants pour une overdrive pour basse, j’ai nommé le gain (« drive »), le volume de sortie (« level ») et un mélangeur son saturé / son clair (« blend »), qui constitue souvent l’arme secrète d’un son de basse saturé qui tienne la route ; une seconde rangée de potentiomètres plus typique d’un préampli puisqu’il s’agit d’une égalisation active 4 bandes (graves, bas médiums, haut médiums et aigus). Les potentiomètres n’ont pas de « détente » au point milieu comme il pourrait y en avoir sur le préampli d’une basse.
Entre ces deux rangées de potentiomètres, deux mini-switches trois positions, l’un appelé « attack » prenant en charge la réponse en aigus de la saturation (avec comme positions « flat », « boost » ou « cut »), l’autre plus spécifique aux graves (son petit nom est « grunt » avec comme positions « fat », « thin » et « raw » ). Notons que c’est sur l’égalisation 4 bandes et ces 2 switches que la V2 diffère de la V1. Celle-ci en effet disposait d’une égalisation 3 bandes uniquement, et le caractère sonore de la saturation était pris en charge non pas par des switches, mais par un potentiomètre « era » jouant sur le spectre global de la pédale.
Les deux séries de réglages introduites dans la V2 ne sont pour autant pas des inconnues pour qui jette un œil aux autres produits de la gamme de Darkglass : il s’agit en effet, pour les 2 switches de couleur sonore, de réglages que l’on retrouve dans le design de la saturation B3K, et l’égalisation 4 bandes est présente sur sa grande sœur en version préampli, la B7K. En revanche, impossible de savoir s’il s’agit exactement des mêmes réglages (c’est-à-dire s’il s’agit des mêmes circuits agissant sur les mêmes fréquences). La comparaison avec le descriptif de la B7K montre qu’a minima, les bandes de fréquences des bas et haut médiums ne sont pas identiques entre les deux pédales.
Une LED bleue complète le tour de la pédale, le footswitch quant à lui est ferme sous le pied, mais ne présente pas le clic marqué d’un footswitch « true bypass ». Par ailleurs, le mode d’emploi ne fait pas non plus mention du bypass. En tout cas, pédale branchée, mais non allumée je n’ai pas perçu d’altération du son, s’il s’agit d’un buffer il semble de qualité.
Le Vintage en action
Basse à la main, direct dans la carte son via la sortie DI, je m’attelle à la découverte de l’engin. Je règle tout d’abord le blend au maximum (sans son clair dans le mélange), l’égalisation à plat et les deux switches dans leur position la plus « neutre » afin de jauger le caractère sonore de la bête. La course du gain est très progressive : avec le gain au minimum le son n’est pas saturé si l’on joue normalement et la saturation apparait uniquement si l’on attaque vigoureusement à la main droite.
Le son présente une perte de graves nette, mais pas inquiétante puisqu’on peut bien sûr retrouver ces graves dès qu’on remet une dose de son clair dans le mélange. Dans la première moitié de la course de ce même potentiomètre de gain, le son garde cette sensibilité à la dynamique. Aux environs de 9 à 10h coté gain, avec une dose de son clair dans le mix, le son est agréablement velouté, flatteur à l’oreille, pas du tout neutre, mais dès qu’on éteint la pédale on se dit tout simplement « c’est mieux avec » et on la rallume aussitôt. Avec le gain au-delà de 12h, la saturation est présente en permanence même avec l’attaque la plus délicate qui soit et une dose non négligeable de graves revient dans le son au point que l’ajout de son clair n’est plus totalement nécessaire. C’est encore plus net joué au médiator, avec un son naturellement moins riche en graves qu’aux doigts. Aux réglages les plus extrêmes du gain, le son est creusé, riche en graves, mais surtout en aigus au détriment des bas médiums, mais néanmoins toujours typé overdrive : on atteint ni le niveau de saturation d’une distorsion violente, ni le gras et la touche un peu synthétique d’une fuzz.
Le premier enregistrement illustre la plage du potentiomètre de gain (pédale coupée, puis activée, gain à 9h, 12h et 15h), le tout avec le blend au maximum (sans son clair dans le mélange) et les deux switches en position la plus neutre.
Les deux switches proposent des boosts de fréquences positionnés avant l’étage de saturation, pour modifier le spectre de la pédale et le type de saturation obtenue.
Le switch d’aigus (« attack ») en position « boost » donne l’effet de basculer le spectre sonore de la pédale vers des territoires plus modernes. Le gain semble augmenter plus rapidement sur la première moitié de la course du potentiomètre « drive » et dans la seconde moitié de la course, la saturation devient violente et flirte avec le territoire d’une fuzz (cf. deuxième extrait : pédale coupée, puis activée, gain à 9h, 12h et 15h).
En position « cut », dans la première moitié de la course du gain, l’effet est similaire à celui d’une tonalité passive que l’on aurait coupée en partie. Dans la seconde moitié de la course du gain, le son est moins abrasif et rend ces plages de réglages plus utilisables à mon goût par rapport à la position « flat », notamment au médiator (cf. troisième extrait : pédale coupée, puis activée, gain à 9h, 12h et 15h, et au médiator gain à 15h également).
Le switch de grave (« grunt ») en position « raw » donne un boost de graves d’un effet comparable à l’ajout d’une dose de son clair, mais limité justement aux graves, le son restant par ailleurs creusé dans les médiums. (cf. quatrième extrait : pédale coupée, puis activée gain à 9h, 12h et 15h)
La position « fat » donne un véritable coup de fouet aux graves qui deviennent surboostés quelle que soit la position du gain. Aux doigts comme au médiator c’est particulièrement flatteur joué seul avec la pédale comme préampli. Dans un ampli et utilisée comme overdrive en revanche c’est un peu excessif, vos collègues de groupe vous en font rapidement la remarque (cf. cinquième extrait : pédale coupée, puis activée gain à 9h, 12h et 15h, et au médiator gain à 15h également).
Notons qu’en raison du positionnement des deux switches entre les deux rangées de potards et de la taille des boutons, la manipulation des deux switches sans faire tourner les boutons de l’égalisation est un peu hasardeuse, et par ailleurs la sérigraphie des noms des positions de ces switchs est en partie masquée par les boutons. C’est sans conséquence une fois qu’on a rapidement saisi comment s’en servir, mais c’est dommage pour une pédale dont le design se veut pensé dans les moindres détails. Un zoom sur la photo d’une B7K qui a les mêmes réglages dans le même format montre qu’elle souffre du même léger défaut.
Coté égalisation justement, elle présente une plage d’utilisation agréable car non excessive : en boost comme en cut, les réglages de graves, de hauts médiums et d’aigus sont efficaces sans être caricaturaux, ils font penser nettement à l’effet qu’on peut obtenir avec une bonne égalisation active intégrée à une basse. Le potentiomètre de bas médiums est plus subtil d’utilisation. Si l’on utilise la pédale comme un simple préampli, sans saturation ou presque, il joue considérablement sur le caractère sonore de la basse elle-même. Un balayage de ce potentiomètre place le son de basse dans un mix de manière instantanée, plus ou moins en avant, plus ou moins collé à la grosse caisse ou à la guitare… Avec un taux de saturation plus significatif, ce potentiomètre agit sur le caractère sonore de l’overdrive, avec le même type d’effet que les switches, mais sur un autre registre. Un réglage fin de ce potentiomètre « lo mids » associé aux deux switches enrichit considérablement la gamme de sons que la pédale est capable de produire.
Dans le sixième et dernier extrait sonore, j’illustre la course de ce potentiomètre « lo mids » (à 7h, 11H, 13h et 16h) avec par ailleurs, le gain à 11h, les deux switches en position neutre et le blend à fond (c’est à dire sans son clair).
Chili con carne
Le son global de cette Vintage Deluxe deuxième du nom est véritablement charnu, quel que soit le réglage. Les différents paramètres interagissent beaucoup, mais l’approche peut être simplifiée en réglant le type global de son saturé avec le gain et les switches, puis en ajoutant une dose de son clair et/ou en rectifiant l’égalisation. On peut arriver à un résultat similaire avec plusieurs combinaisons de réglages, ce qui laisse à chaque utilisateur la possibilité de se faire sa propre approche de la pédale.
La parenté avec les sons classiques d’un ampli à lampes est affichée jusqu’au nom de la pédale. On navigue dans les mêmes territoires en effet, sans pour autant définir si l’on s’approche spécifiquement du son d’une marque en particulier. La pédale est polyvalente en termes d’utilisations possibles (au sens de « boîte à tout faire »), un excellent outil aussi bien pour l’enregistrement, l’utilisation comme préampli vers une console en live, ou comme overdrive devant un ampli. Une polyvalence qui permet de justifier le prix, tout de même non négligeable puisqu’annoncé à 299 euros. Le son reste lui typé, pas de son limpide ici, je ne qualifierais donc pas le son de polyvalent dans l’absolu, mais pour qui cherche un son typé, gras, qui torde avec la dynamique du jeu, c’est un excellent choix. Reste à mettre les sous de coté pour vous l’offrir !