15 ans après son premier test sur Audiofanzine, l’éditeur audionumérique Acoustica nous revient sur PC et Mac dans une septième version qui, sur le papier, pourrait bien bousculer les mastodontes du marché. Voyons ce qu’il en est sur le terrain.
Il faut dire qu’en 15 ans, le petit shareware d’Acon Digital a fait du chemin, se devant d’évoluer entre les poids lourds que sont Wavelab, Sound Forge ou encore Audition et les stars du monde freeware tels qu’Audacity ou Wavosaur. Le logiciel a bien sûr gagné en fonctionnalités, profitant entre autres des excellents effets développés par Acon Digital, mais il a également su moderniser son interface et son ergonomie. Avec cette septième version, il marque surtout un sacré point face à Wavosaur et Sound Forge puisqu’il est désormais disponible sous Windows comme sous MacOS, pour le plus grand plaisir de ceux qui ne veulent pas se retrouver mariés avec une plateforme.
Bref, tout cela mérite bien qu’on s’y attarde, en commençant par un vrai point fort du logiciel : son interface.
Sobre et simple
Jouant la carte du flat-design avec différentes nuances de gris et d’oranger, l’esthétique de l’interface est un modèle de clarté et de lisibilité qui rend l’usage du logiciel très agréable. S’il n’est hélas pas possible de changer les couleurs de cette dernière ni même d’alterner entre différents thèmes graphiques, il est à noter que les différents visualiseurs et panneaux peuvent être librement redimensionnés et déplacés tout autour de la vue principale, voire escamotés s’ils ne vous sont d’aucune utilité. Il n’est ainsi pas dur de se bricoler un espace de travail personnalisé sachant qu’on peut tout à fait enregistrer différentes dispositions d’écran pour les rappeler au besoin (layouts). Mentionnons enfin que la plupart des plug-ins fournis par Acon sont aussi librement redimensionnables, mais qu’ils ne pourront pas être ancrés (dockés), tout comme les plug-ins de tierce partie.
Toujours au rayon ergonomie, notons que le menu principal du logiciel comprend 11 rubriques dont 6 d’entre elles auraient sans doute pu être rassemblées pour plus d’efficacité. S’il n’y a pas grand-chose à redire sur les traditionnels menus File, Edit, View, Audio et Help (encore qu’une traduction du logiciel en français eut été appréciable), disons que la répartition des différents effets et traitements dans Tools, Volume, Analysis, Enhancement, Effects et Plug-ins tend à éparpiller des outils de façon pas forcément cohérente : les outils de normalisation et de fondu sont dans volume tandis que les traitements dynamiques sont dans Tools… avec un égaliseur et le filtre phono… qui aurait pourtant eu sa place dans Enhancement… Bref, c’est un peu le fouillis et de mon point de vue, tous les outils présents dans Volume et dans Analysis auraient eu leur place dans Tools, tandis que les plug-ins de tierce partie et les traitements présents dans Enhancement auraient pu logiquement se trouver dans Effects…
On comprend toutefois le choix du développeur de distinguer les plug-ins de tierce partie vu qu’ils occasionnent un menu à rallonge vraiment pas engageant : tous vos plug-ins se retrouvent en effet dans un menu classé par marque, quel que soit leur format. Il n’est ainsi pas rare de se retrouver avec deux ou trois occurrences du même effet, suivant qu’il est au format VST, VST3 ou AU (sur Mac), et il faudra donc effacer les occurrences non souhaitées depuis le Plug-in manager. Un système permettant d’ignorer tel ou tel format aurait donc été souhaitable, mais on aurait plus apprécié encore de pouvoir organiser tout ce petit monde au sein de catégories personnalisables, le classement par marque n’ayant rien de pertinent. Ceux qui ont 4 plugs qui se battent en duel sur leur ordi ne verront pas forcément le problème que cela pose ; ceux qui en ont plus d’une centaine le comprendront aisément. Or, entre les énormes bundles qu’on peut acheter ça et là, les freewares qui s’entassent et le jeu de plug-ins de votre STAN, vous aurez vite fait de vous retrouver avec un joli capharnaüm…
Hormis ces aspects où l’on espère des progrès, il faut bien admettre que pour le reste, Acoustica s’avère très efficace au point qu’on ne sent jamais le besoin d’avoir le manuel sur les genoux pour y faire ce que l’on est venu y faire. Les contrôles sont conformes à ce qu’on peut attendre d’un éditeur audio, les icônes bien choisies et, en regard de ce qu’on peut observer chez les concurrents, le logiciel a le double mérite de ne pas être bavard et de ne pas donner la sensation d’avoir à faire à une usine à gaz. Bravo et merci pour ça.
Seules lacunes dont il faut avoir conscience : Acoustica ne permet pas de faire une sélection ou de placer des marqueurs en se basant sur les transitoires d’un signal, comme on le trouve dans Sound Forge avec la fonction Auto-Region par exemple. Par ailleurs, l’historique d’annulation ne prend pas en compte les sélections, ce qui s’avère assez déroutant et peut faire perdre du temps lorsqu’un clic malheureux nous a fait perdre une sélection calée avec précision. Ces deux seuls détails rendent de fait le logiciel moins attractif comme outil d’édition dans le contexte du sampling, même s’il a d’autres points forts à faire valoir, comme nous allons le voir en commençant par ses possibilités d’analyse.
De quoi voir
Sur le papier, Acoustica propose les outils essentiels pour visualiser en temps réel votre signal : outre le spectrogramme sur lequel nous reviendrons, on dispose ainsi d’un visualiseur de spectre, d’un vumètre, d’un Loudness Meter, d’un visualiseur de corrélation de phase et d’un chronomètre. Même si l’on notera l’absence étonnante de l’oscilloscope, disons qu’on a sur le papier de quoi voir, d’autant que tout cela est complété par la possibilité de pouvoir générer un rapport analytique complet sur le fichier, ainsi que des vues de la courbe spectrale, du spectrogramme ou encore d’un hybride entre les deux : le spectral histogramm.
À y regarder de plus près toutefois, force est de constater qu’Acoustica est encore loin de l’excellence d’un Wavelab sur ce point précis. Même si certains de ces modules offrent quelques options de calibrage, les visualiseurs d’Acon Digital demeurent assez basiques.
Sur le visualiseur de spectre, on ne peut ainsi pas afficher en surimpression les deux courbes de réponse en fréquences des canaux droit/gauche ou mid/side, pas plus qu’on ne peut changer l’échelle de la représentation ou zoomer sur une partie précise du spectre autre que les aigus, pas plus qu’on ne peut afficher autre chose que la réponse en fréquence en temps réel : ni la moyenne (encore qu’on peut générer un visuel statique), ni celle qui correspond aux pics. On ne peut pas enfin avoir un affichage plus grossier par bandes de fréquences… Il y a donc une bonne marge de progrès sur ce point précis, même si on pourra en attendant se reporter sur l’excellent égaliseur Equalize fourni dans le bundle d’effet et qui se montre bien plus complet en termes de visualisation. Direction les effets et traitements, donc, pour voir de quoi il retourne.
Il a tout d’un grand…
On le sait : en marge d’Acoustica, Acon Digital est surtout réputé pour la qualité de ses plug-ins d’effets. C’est vrai pour l’excellent chorus gratuit Multiply, mais ça l’est tout autant pour les effets payants, à commencer par Equalize qui accompagne la version Premium du logiciel et qui s’avère être très complet et ergonomique avec 12 bandes, trois modes pour gérer la phase (dont un mode à phase linéaire), des pentes pouvant aller jusqu’à 120 dB par octave et la possibilité de travailler en Mid/Side. On en dira tout autant des autres modules disponibles, qu’il s’agisse de traitements dynamiques (compresseur, compresseur multibande, limiteur), d’effets à modulation (Chorus, écho, phaser/flanger), de traitement de la hauteur tonale ou de l’étirement temporel (ce qui comprend aussi un harmoniseur qui demeure relativement anecdotique) ou encore d’outils liés à la numérisation (dither, phono filter pour corriger les courbes d’égalisations particulières des vinyles). Tout est simple à comprendre, à manipuler et s’avère dans l’ensemble efficace, pour peu que l’on n’attende pas autre chose que des traitements transparents et qu’on ne demande pas aux outils d’édition de pitch de se hisser au niveau d’un Melodyne par exemple.
Parmi les bonnes surprises, on citera la présence d’une chouette réverbe algorithmique en vis-à-vis d’un processeur à convolution qui permettra de bénéficier des quantités de réponses à impulsion gratuites ou payantes qu’on trouve sur le web. Proposant plusieurs algorithmes de modélisation des réflexions précoces dont les incontournables Plate, Room, Chamber et Hall, Verberate s’avère simple à paramétrer et d’une qualité supérieure à ce qu’on trouve chez bien des concurrents.
Voyez ce qu’il en est avec ces exemples :
- Vocals dry 00:11
- Vocals VocalPlate 00:11
- Vocals VocalHall 00:11
- Vocals RegularrecordingRoom 00:11
- Flute dry 00:09
- Flute HugeIronSilo 00:09
- Flute LeadReverb 00:09
- Drums Dry 00:16
- Drums ambiance 00:16
- Drums GermanPlate 00:16
Certes, il manque encore bien des choses pour qu’Acoustica puisse prétendre être exhaustif, à commencer par un module de distorsion/waveshaping, un de-esser, un processeur de transitoires, un égaliseur dynamique ou des outils un peu plus évolués que le Channel Mixer pour travailler l’image stéréo notamment, mais l’éditeur se rattrape sur le plan de la restauration en incluant les plug-ins de son excellente Restoration Suite (Denoise, Dehum, DeClick et DeClip) complétés par un module Vitalize qui permettra de régénérer des fréquences qui auraient trinqué lors de la restauration.
Comme les autres traitements, ces derniers s’avèrent simples et efficaces et n’ont rien à envie à ce qu’on peut trouver dans un Wavelab ou un Sound Forge. Voyez par exemple le module Denoise à l’oeuvre sur cet extrait.
- Prof original 00:14
- Prof processed 00:14
Évidemment, Acoustica ne va pas faire d’ombre à un Izotope RX autrement plus exaustif sur quantité d’applications précises, d’autant que l’éditeur n’a pas jugé bon d’inclure les sympathiques Deverberate et Defilter qui auraient pourtant eu leur place ici. Convenons qu’en regard du prix auquel est vendu cette version Premium, cela n’a rien d’un scandale, surtout que le logiciel dispose, comme RX, Wavelab ou Audition, d’un mode d’édition spectrographique relativement efficace, capable de faire de la bête suppression ou du remplacement de matière audio, et disposant d’un mode bien pratique pour sélectionner les harmoniques correspondant à la fondamentale sélectionnée. Voyez ce que donne le retrait du bip qui se trouve à 00:02 dans cette conversation de rédaction :
- redaction original 00:07
- redaction processed 00:08
Bref, sur ce point, le petit Acoustica a tout d’un grand. Reste à voir ce qu’il a dans le ventre sur le domaine particulier du traitement par lot, ô combien important pour pas mal d’utilisateurs d’éditeur audio.
Par lot, y a quelqu’un ?
Un éditeur audio est bien souvent utilisé lorsqu’il s’agit d’automatiser certains traitements en masse, comme normaliser par exemple les 15000 fichiers composant une banque de son. Il va sans dire, donc, que c’est une fonction à ne pas négliger.
Et sur ce point, Acoustica 7 rassure par son interface, toujours aussi convaincante en termes de simplicité et d’efficacité : on y désigne facilement les fichiers à traiter puis détermine tout aussi aisément un certain nombre de tâches à réaliser avant d’exporter le tout dans un répertoire de son choix. Certains détails viennent hélas gâcher la fête : l’éditeur n’a ainsi pas pensé à proposer un module de renommage de fichier (qui devrait gérer les suffixes, préfixes, le remplacement d’une chaine de caractère, l’ajout d’un chiffre à incrémenter) ni de module pour remplir automatiquement les meta-données des fichiers. Plus ennuyeux encore, on ne peut pas déterminer la durée d’un fondu que ce soit en pourcentage de la durée ou en temps. De fait, le fondu s’appliquera sur toute la durée du fichier, ce qui le rend parfaitement inutilisable.
Bref, de petits détails en lacunes, Acoustica n’est pas prêt de devenir le processeur par lot des professionnels sur ce point et c’est bien dommage, car il n’y manque pas grand-chose et qu’en dépit de son prix agressif, il propose par ailleurs d’excellentes fonctions comme son module de normalisation capable de travailler en dB LUFS, sachant que le logiciel s’appuie sur les normes EBU R 128 et ITU-R BS.1770 pour le calcul des niveaux.
Le constat sera d’ailleurs un peu le même du côté des fonctions de montage et d’authoring CD.
Novice de montage
Comme tous les éditeurs audio, Acoustica dispose de fonctions de montage au sein du module Multitrack Session. Qu’en dire ? Que ce pan du logiciel dépannera pour des projets basiques mais que ce n’est pas ce qui se substituera à un produit comme Audition, Sequoia ou n’importe quelle STAN pour travailler sur du montage son avec rapidité et efficacité.
La gestion des effets se fait en insert de pistes, via un bus auxiliaire et via le bus master, mais l’automation se limite ainsi à gérer le volume, le pan et l’envoi de chaque piste vers le bus (notez que l’onéreux Wavelab souffre des mêmes limitations). Et si le chevauchement de deux clips permet de générer automatiquement un fondu, on ne dispose pas hélas de poignées pour gérer le gain ou le fondu d’entrée/sortie de chaque clip. Bref, c’est propre mais c’est rustique.
Et c’est la même conclusion qu’on tirera après avoir fait un tour du côté du module de gravure de CD. On peut certes graver un CD depuis le logiciel, mais ce dernier n’est ni capable de lire ou écrire des images au format ISO tandis que le format DDP n’est pas supporté : voilà qui réduit de beaucoup l’intérêt du module à l’heure où le cloud a remplacé le bon vieux CD envoyé par coursier ou courrier pour valider les projets. Mon petit doigt me dit toutefois que les développeurs ont à coeur de faire évoluer ça. Affaire à suivre donc, en sachant qu’il nous reste un dernier point à aborder et non des moindres : le prix.
Le juste prix ?
Acoustica se décline en deux versions : la Standard à 60 euros et la Premium à 200 euros. En Standard, vous bénéficierez de quasiment tous les outils, fonctions et effets de la Premium à l’exception de l’édition spectrographique et de la gestion du multicanal tandis que certains traitements vous seront proposés dans des versions allégées : vous aurez ainsi moins de paramètres éditables dans Verberate, pas de mode adaptatif dans Denoise et pas de mode à phase linéaire dans Equalize. A vous de voir donc ce qui vous importe en fonction des plug-ins et logiciel dont vous disposez déjà et des domaines d’application qui vous intéressent.
En dépit des lacunes que nous avons relevées, il ne fait en tout cas aucun doute que les prix très raisonnables pratiqués par Acon Digital sont un véritable atout face à la concurrence. Et par rapport à Audacity ou Wavosaur, vaut-ce la dépense ? Selon moi, tout à fait, ne serait-ce que sur le plan de la qualité des effets et traitements proposés ou pour accéder à des fonctions qui font défaut à ces sympathiques freewares (édition spectrographique et pas seulement visualisation, traitement par lot). J’avoue en outre que l’ergonomie et l’interface d’un Audacity m’ont toujours rebuté.
Conclusion
Doucement, mais sûrement, Acoustica fait son trou sur le marché des éditeurs audio en pratiquant des prix autrement plus raisonnables que certains leaders du marché et en surpassant les logiciels gratuits sur quantité de points. Stable, efficient et doté d’une excellente interface, il pourrait facilement devenir un logiciel de premier plan s’il parvient à combler les quelques lacunes qui empêcheront pour l’heure certains utilisateurs de l’adopter. Pour la restauration audio ou la numérisation de supports analogiques : pas de problème, à plus forte raison lorsqu’on investit dans la version Premium et son édition spectrographique qui n’a rien à envier à un Izotope RX Elements sur le plan de la restauration tout en proposant un solide éditeur audio en sus. Mais que ce soit pour le mastering, l’édition de samples ou le traitement par lot, il manque encore quelques petites choses pour que ce prétendant bouscule définitivement les mastodontes assis sur le trône.
Tout cela n’en est pas moins extrêmement prometteur et on a hâte de voir la suite, car si Acon parvient à effacer les lignes qui sont dans la colonne des moins de ce test (ce qui n’a rien d’insurmontable), alors on tiendra là un fameux logiciel obligeant pas mal de concurrents à revoir, sinon leur copie, dumoins leurs tarifs. Et comme les développeurs sont réactifs et sont déjà à pied d’œuvre pour incorporer un certain nombre de demandes d’utilisateurs dans une prochaine mise à jour gratuite, on a hâte de voir la suite.