Plus de quatre ans se sont écoulés depuis que Steinberg a racheté Spectralayers à Magix et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’éditeur ne s’est pas tourné les pouces. Quatrième mise à jour en quatre ans, cette version 10 n’a en effet plus grand-chose à voir avec le logiciel prometteur que testait Sleepless il y a une décennie de cela. De quoi faire trembler Izotope RX ?
La question se pose d’autant plus que tout en restant une suite de premier ordre pour la restauration audio, RX a semblé s’endormir gentiment sur ses lauriers au fil des dernières années. L’intégration aux différents séquenceurs et éditeurs audio via la plateforme ARA est par exemple depuis longtemps réclamée aux développeurs qui ont juste daigné la proposer pour Logic… Point de cela chez Steinberg qui s’est assuré que Spectralayers soit utilisable via la technologie de Celemony dans toutes les STAN du marché : c’est d’ailleurs sous Studio One que se déroule ce test, où l’affectation de Spectralayers en effet de clip suffit à bénéficier d’une intégration parfaite du logiciel, comme pour Melodyne…
À la fin de l’envoi, je couche
Sitôt affecté à un clip, Spectralayers s’ouvre donc et présente, en vis-à-vis de nombreuses commandes et indications, une représentation spectrographique du signal. On passera sur les traditionnels outils permettant de sélectionner toute ou partie de ce dernier et de le modifier de diverses façons pour s’intéresser à ce qui fait la particularité de Spectralayers : sa capacité à gérer différents calques, d’où son nom.
Et cette particularité est d’autant plus intéressante qu’au fil des versions, le logiciel s’est de plus en plus spécialisé dans le démixage, déployant une logique extrêmement intéressante d’un point de vue créatif comme du point de vue de la restauration. Dans le menu Démixage, vous disposez ainsi de quantité de façon de séparer votre signal original en plusieurs couches : démixage d’une musique par instrument évidemment, démixage d’une batterie par percussion, mais aussi séparation du bruit et du contenu tonal, séparation d’une voix parlée sur du bruit, de plusieurs voix parlées… À des fins de restauration ou créatives, voilà qui permet d’organiser complètement différemment le travail comparé à RX, d’autant que rien ne vous empêche d’ajouter vos propres calques, de couper/copier/coller des données de l’un vers l’autre ou encore de fusionner deux calques : de la sorte, les erreurs de détections de l’algo peuvent être corrigées, ou du moins la séparation grandement améliorée.
Quant à juger de la qualité des algorithmes de séparation, soulignons que le logiciel a gagné en précision avec cette nouvelle version : c’est manifeste sur la partie basse par exemple, où la piste obtenue ne tourne pas au vague brouhaha comme chez la plupart des concurrents, mais contient bien l’attaque de l’instrument… Soulignons en outre que Spectralayers est le seul à pouvoir faire de la séparation sur 9 Stems : batterie, basse, voix, guitare, piano et autres, sachant que la batterie peut ensuite être démixée en kick, caisse claire et cymbales… Il est aussi le seul qui permette de réattribuer simplement à tel ou tel calque des parties du spectre que l’algo aurait oublié ailleurs…
Bon, vous vous en doutez : comme toujours avec ce genre d’algos magiques, suivant les cas, on obtiendra des choses plus ou moins propres, mais pour peu que la source ne soit pas trop complexe, ce sera en général très exploitable… Sans passer par cette phase d’édition, voyez en tous cas les résultats obtenus par le démixeur de RX, celui d’Acoustica et enfin celui de Spectralayers. En sachant que le logiciel de Steinberg est le seul à permettre de corriger à la main le démixage, chose qui sera grandement facilitée par la possibilité de pouvoir sélectionner toutes les parties du spectre proposant des caractéristiques similaires à une sélection de référence…
Voici d’abord le fichier de référence :
Puis le démixage opéré par Izotope RX 10 :
- RX-Vocal01:04
- RX-Percussion01:04
- RX-Bass01:04
- RX-Other Instruments01:04
Voyons maintenant comment s’en sort Acoustica d’Acon Audio :
- Acoustic-Bass01:04
- Acoustica-Vocal01:04
- Acoustica-Piano01:04
- Acoustica-drums01:04
- Acoustic-Bass01:04
- Acoustica-Others01:04
Et enfin le demixage réalisé par Spectralayers, avec l’éclaté de la batterie pas forcément hyper convaincant mais très améliorable en récupérant ce qui est passé sur d’autres calques…
- Spectralayers-ORLP – Voix (4214556806)01:04
- Spectralayers-ORLP – Grosse Caisse (471756866)01:04
- Spectralayers-ORLP – Caisse Claire (2429436236)01:04
- Spectralayers-ORLP – Cymbales (1476888342)01:04
- Spectralayers-ORLP – Guitare (3168854837)01:04
- Spectralayers-ORLP – Piano (115451997)01:04
- Spectralayers-ORLP – Basse (3806754682)01:04
- Spectralayers-ORLP – Autre (4285860016)01:04
- Spectralayers-ORLP – Non-Demixe (2312048558)01:04
Steinberg nous met un bon petit calque
Et encore ne parlons-nous là que de démixage musical, car le logiciel s’avère assez impressionnant pour démixer deux voix enchevêtrées par exemple. Voyez les deux calques obtenus sur cette interview, en sachant que le petit reliquat de voix féminine qui reste sur une des pistes sera aisément réaffecté à l’autre calque…
- ITVmorgane00:10
- ITVmorganeALONE00:10
- ITVarnaudALONE00:06
Pas mal, non ? En sachant que la cerise sur le gâteau, c’est que Spectralayers peut extraire les mots prononcés, et ce dans 10 langues dont le français, de façon à naviguer plus simplement dans un long enregistrement ou à générer des sous-titres qui pourront être exportés aux formats TXT ou SRT : merci pour ça, même si pour l’heure, on a encore pas mal de raté dans la détection heureusement éditable. Soulignons qu’on est loin de la qualité de ce que font désormais Premiere comme Resolve, même si l’effort mérite d’être souligné face à un RX qui se cantonne à la seule langue anglaise…
Revenons toutefois à Spectralayers en examinant la partie traitement du logiciel.
La traite du calque
Pour cette version 10, Steinberg assure avoir revu ses algos, et notamment celui de son de-noiser comme de son de-reverb.
Voyez ce que cela donne sur le premier :
Quant à l’algo de déréverbération, voyez-le à l’œuvre sur ce son de pièce :
- REVoriginal00:06
- REV10000:06
Puis sur cette voix en comparaison avec les algos des autres logiciels, dont l’étonnant Goyo dont la version payante est attendue pour octobre :
- VOCALdeverbSource00:08
- VOCALdeverbGOYO00:08
- VOCALdeverbRX00:08
- VOCALdeverbSpectralayers10000:08
- VOCALdeverbSpectralayers7000:08
En allant à fond dans le traitement, on obtient certes une réduction complète de la réverbe, mais au détriment de la voix : il faudra donc trouver une juste mesure, sachant que le logiciel ne propose que peu de réglage (juste la force du traitement) et n’incorpore pas d’enhancer comme le fait le spectaculaire Adobe Speech Enhancer sur les voix parlées uniquement.
Plus décevant, l’alignement de réverbe, censé reporter la réverbe d’un clip sur un autre, donne parfois des résultats bruitistes qui fait qu’on aurait préféré quelque chose de moins « intelligent » pour gagner en efficacité : plutôt que de laisser le logiciel créer sa propre réponse à impulsion, le guider pour adapter les presets d’une vraie réverbe, façon Izotope, aurait sans doute permis d’obtenir quelque chose de plus propre à la fin… Voyez le problème sur cet extrait :
- MATCHsource00:04
- MATCHtarget00:06
- MATCHdone00:06
Notez toutefois que la comparaison des outils peut vraiment varier d’une source à l’autre : ici Izotope s’en sortira mieux, là ce sera Spectralayers. Du coup, on apprécie d’autant plus le fait de pouvoir utiliser des plug-ins VST3 depuis le logiciel de Steinberg. De la sorte, vous n’aurez aucun problème pour utiliser la plupart des modules de RX si vous disposez de la version Advanced de ce dernier : voilà une bonne façon de compléter le logiciel avec des traitements qui lui manqueraient, le soft d’Izotope ne manquant pas d’originalité sur ce point (Guitar Denoise, De-Wind, Mic De-rustle, etc.) tandis qu’on trouvera bien d’autres chose encore chez Waves, Zynaptiq, Supertone, Accentize, etc.
Et soulignons-le encore : l’usage d’ARA comme plateforme d’accueil rend l’intégration du logiciel absolument géniale, un cliqué-glissé d’un des calques sur la fenêtre d’arrangement de Studio One permettant par exemple de récupérer la piste qu’on pourra continuer d’éditer avec Melodyne par exemple, ou soumettre à tout autre traitement ou plug-in… Vous voulez récupérer le kick d’une batterie sur une nouvelle piste pour utiliser un Drum Replacer ? Quelques clics suffisent : voilà qui devrait intéresser les remixeurs de tous poils !
Conclusion
C’est un bien beau logiciel que ce Spectralayers car le principe des calques, couplé à des algos de qualité, un maniement somme toute relativement simple et une excellente intégration via ARA, permet d’accomplir des choses absolument renversantes d’un point de vue créatif comme de celui de la restauration. Le fait de pouvoir intervenir depuis l’intérieur du mix change effectivement bien des choses de ces deux points de vue par rapport à ce que permet un RX par exemple, même si le logiciel de Steinberg n’est pas aussi complet sur les traitements spécialisés que ce dernier. Sur un marché en pleine révolution depuis que l’Intelligence Artificielle s’en mêle, Spectralayers a certes bien des concurrents de poids face à lui sur telle ou telle tâche (notamment le spectaculaire Adobe Speech Enhancement, bluffant sur le débruitage et la déréverbération de voix parlée), mais soulignons que son ouverture permet d’utiliser d’autres outils en complément, tandis que personne n’est aussi complet ou performant que lui sur les tâches de démixage qui changent vraiment la façon dont on peut aborder des problématiques de restauration comme de création.
Quant à savoir s’il vaut mieux se payer ce Spectralayers plutôt que le très sérieux RX ou le créatif RipX, disons que tous sont complémentaires, chacun disposant de ses propres originalités. S’il n’en fallait qu’un toutefois, me concernant, ce serait sans doute le soft de Steinberg qui l’emporterait…