La série Forty de M-Audio, nouveauté dans le paysage du monitoring bon marché, débarque chez nous aujourd'hui. Des enceintes imposantes, qu'on pourra piloter depuis notre petit téléphone. Un pied dans le passé, un autre dans l'avenir...
Depuis quelques années, on teste des enceintes de monitoring pour vous en rendre compte dans ces colonnes, et on constate, parmi les tendances marquantes, une volonté des constructeurs de réduire la taille. Deux voix coaxiales, des boomers ou bass réflex latéraux, de multiples stratégies sont essayées par les marques pour proposer des basses fréquences dans des formats les plus compacts possibles. Mais voilà que M-Audio lance sa nouvelle collection, complètement à contre-courant : la série Forty, et notamment les Forty Eighty qu’on teste aujourd’hui, mise sur des moniteurs volumineux. En effet, avec 38 cm de haut pour 25 de large et 29 de profondeur, 10 kg l’unité, ces enceintes sont assez massives, imposantes.
M comme MIDI
Pour la plupart d’entre nous, la marque M-Audio est surtout associée à des claviers et contrôleurs MIDI, et c’est en effet un marché qu’elle occupe depuis une vingtaine d’années. On se souvient, entre autres, des « Keystation » présents dans de très nombreux home studios dans les années 2000. La marque était d’ailleurs appelée à ses débuts Midiman ! Mais d’autres types de produits ont également été développés au fil des ans par M-Audio, comme les interfaces audionumériques, les micros, les casques, et donc les moniteurs. Globalement, quelle que soit la catégorie, hormis les claviers MIDI, la marque propose du matériel d’entrée de gamme, peu onéreux. L’offre dans le domaine des moniteurs n’échappe pas à cette tendance, et la série précédente BX, sortie en 2020, est constituée de modèles vendus entre 89€ la paire et 150€ l’unité. La nouvelle série Forty qui nous intéresse dans ce test, ne propose que deux modèles, les Sixty (haut-parleur 6'') à 160€ l’unité, et les Eighty (haut-parleur 8'') que nous venons de recevoir, à 220€ l’unité. Pour les situer un peu sur le marché, leur catégorie et leur prix les rapproche des Kali LP-8 que nous avions testées ici, des Krk Rokit 7, des Presonus Eris Studio 8, ou des Yamaha HS 8 qui se situent une cinquantaine d’euros plus chères.
On déballe les enceintes, on constate donc qu’elles prennent de la place et pèsent leur poids, mais aussi qu’elles ont leur petite allure. Un côté Krk en plus bling-bling : le jaune est ici doré, et colore le haut-parleur principal, et la marque en bas du panneau avant. Ce haut-parleur de 8 pouces en kevlar est donc surmonté par un tweeter 1.25 pouce, lui-même inséré dans un guide d’onde rectangulaire. En bas, de part et autres de la marque, on trouve deux poussoirs. Celui de gauche nous permet de choisir entre trois modes : Hype, Flat (sélectionné par défaut) et Custom. On en déduit qu’il y a dans ces moniteurs un DSP qui devrait nous permettre de modifier la réponse en fréquences. Le poussoir de droite permet d’utiliser le Bluetooth pour envoyer un flux audio aux enceintes ou bien pour contrôler le DSP. Sur le panneau arrière, on trouve deux connectiques d’entrée, XLR et Jack TRS, la prise de l’alimentation en Schuko, l’interrupteur et un évent circulaire, pour les fréquences très graves. On constate également un rotatif de volume, qui malheureusement n’est pas cranté, hormis à 0 dB au milieu de sa course : difficile d’être certain de la cohérence stéréo avec ce type de potentiomètre. Chaque enceinte est livrée avec un câble d’alimentation, en petit tapis isolant, et un livret « guide d’utilisation rapide ».
Musique, maestro !
Une fois les moniteurs installés et connectés dans notre régie, on fait défiler quelques morceaux pour faire connaissance avec les Forty Eighty. La première impression est assez plaisante, et en gardant en tête qu’on écoute une paire à 440€, on trouve l’écoute plutôt précise et franchement agréable. On aurait aimé ajuster le niveau pour rejoindre celui de nos écoutes de référence, et on regrette donc le manque de fiabilité de la course continue des rotatifs de volume. On distingue un petit excès dans les bas médiums, et un léger manque dans les transitoires, dans une zone qui donne la définition, quelque part entre les haut-médiums et le bas des aigus. Mais compte tenu de la gamme de prix, c’est cohérent, on est loin des déséquilibres qu’on a parfois trouvés sur des paires plus chères. On teste le mode Hype, en appuyant deux fois sur le poussoir « Speaker Mode », pour y trouver un profil très chargé en graves. On perçoit là un niveau excessif de fréquences basses, mais aussi de sub. D’ailleurs, en revenant au mode Flat, les infra-basses sont toujours là, moins envahissantes, mais bien présentes.
Tant qu’on est sur les réglages disponibles sur le panneau avant, on en profite pour explorer le Bluetooth et ce qui s’ensuit. On commence par appairer les deux moniteurs à l’aide du bouton Bluetooth de l’un puis de l’autre, c’est très vite fait et ça marche. Ensuite, il faut télécharger l’application M-Audio Forty Series, et connecter le téléphone à l’enceinte de gauche, toujours en Blutooth, pour changer de Mode depuis l’app, mais aussi accéder au Custom et à ses multiples réglages.
On notera donc que si les Forty Eighty ne sont pas particulièrement tendances par leur format, elles le sont clairement par l’intégration du DSP, et sa commande par une application smartphone. On y reviendra plus tard.
Écoutes comparatives
On va donc écouter quelques exemples musicaux (bien) choisis, et comparer la réaction des Forty Eighty avec celles de nos écoutes références, les Genelec 1030A et les Adam A7X.
Radiohead – 15 step
Notre première impression se confirme, l’écoute est agréable et inspire confiance, l’image stéréo est belle et large. On perçoit un petit déséquilibre dans le bas du spectre : un sub surprenant, vraiment présent, un peu moins de graves autour de 100 Hz, puis à nouveau une densité un peu excessive en haut des graves ou dans les bas médiums. En haut du spectre, on constate à nouveau un manque de définition, peut-être davantage dû à un manque de netteté des transitoires, à des dynamiques un peu gommées. Les charleys, la caisse-claire et la production rythmique ciselée de ce morceau ne sont pas restitués de manière aussi dynamique que sur d’autres systèmes.
Moderat – A new error
On se concentre sur les fréquences graves avec ce morceau. Le sub, très présent ici, est excessif. On précise que derrière les moniteurs dans notre régie, il y a 50 cm de vide, puis un bass trap, donc attention si ces moniteurs doivent être placés proches des murs dans une pièce non traitée.
Le mode Hype augmentant tout le bas du spectre, il ne nous sera pas utile pour améliorer ce point, mais en revanche, il est temps de nous servir de l’application et du DSP pour utiliser le mode Custom. Celui-ci nous donne accès à cinq bandes d’égalisation, ainsi qu’à neuf préréglages. Chaque bande peut être sélectionnée en shelf ou en bell, et la fréquence, le gain ainsi que la largeur sont réglables. On va essayer dans un premier temps d’agir sur les fréquences les plus graves avec une bande en shelf. Avec un réglage à –3 dB en dessous de 45 Hz, on arrive à limiter les infra-basses, sans trop agir sur le grave, et c’est plutôt satisfaisant.
Kendrick Lamar – Alright
Ici encore, les infra basses sont un peu excessives et notre réglage précédent est bienvenu. Pour le reste, on retrouve la précision de l’image stéréo, et une belle richesse dans le milieu du spectre. Sur ce point, les Forty Eighty sont bien dans leur époque, la richesse dans le grave et les bas médiums étant assez répandue parmi les modèles sortis ces dernières années. Pour des productions hip-hop ou pop assez modernes, c’est souvent cohérent.
Lou Reed – Walk on the wild side
Pas de problème avec le sub ici, il n’y en a pas.
On retrouve un léger excès dans le bas-médium, qu’on percevait plus comme de la richesse sur le morceau précédent, mais qui ici encombre la voix. En revenant sur l’égalisation du Custom, on peut améliorer ce point en enlevant quelques dB autour de 300 Hz. C’est un peu laborieux de régler des points précis, les rotatifs tactiles qui servent à cela ne sont pas toujours évidents à maîtriser, mais on arrive tout de même à un résultat plutôt satisfaisant.
Mode Custom, la suite
On prend un peu de temps pour explorer les préréglages d’égalisation. Dans l’ensemble, ils ne nous semblent pas très intéressants : souvent excessifs, parfois exagérant des tendances qui nous paraissent déjà présentes dans le profil des moniteurs sans réglage. Mais au détour de cette exploration, on découvre une bande qui nous plaît bien : un ajout de quelques dB autour de 8 kHz, ce qui aide à palier au léger défaut de définition qu’on avait identifié dès la première écoute. On essaie plusieurs points, dans les haut-médiums et les aigus, et on parvient à améliorer cet aspect, jusqu’à un certain point. Au-delà d’un manque dans certaines bandes de fréquences, c’est bien en termes de dynamiques qu’il y a une petite lacune, et les transitoires ne sont pas aussi saillantes qu’on aurait aimé les entendre. Mais encore une fois, il nous faut replacer cette remarque dans le contexte d’une paire de moniteurs vraiment bon marché, dont il ne faut pas attendre des performances parfaites en tous points. Le fait de régler l’égalisation via une application sur téléphone a tout de même un énorme avantage par rapport aux réglages habituellement situés sur le panneau arrière des moniteurs : on peut agir dessus en étant au point d’écoute, et donc entendre bien mieux ce qui change.
Mesures Audio pour Identité Sonore
Pour préciser nos impressions, nous allons effectuer une mesure, à l’aide du logiciel SoundID Reference et du micro de mesure de la même marque, Sonarworks. Nous avons utilisé de nombreuses fois cet outil de mesure très performant, pour obtenir le profil tonal de diverses paires de moniteurs, dans la même pièce. Précisons tout de même que la représentation des fréquences n’est jamais totalement plate, évidemment, et que notre régie, bien qu’étant une pièce traitée acoustiquement, n’est pas absolument neutre et favorise régulièrement certaines bandes de fréquences. Cela dit, le visuel proposé par le SoundID Reference, après ses 38 mesures, vient confirmer nos impressions. Le niveau est important en dessous de 60 Hz, beaucoup moins entre 70 et 120 Hz. Puis la jonction du grave et des bas médiums entre 150 Hz et 400 Hz est effectivement excessive, avant un creux très net à 500 Hz, que nous n’avions pas identifié. Dans les aigus, en revanche, pas de lacune flagrante identifiée par cette mesure. Le manque que nous avions ressenti est bien dynamique, et non fréquentiel.