Nouvelle bibliothèque de cordes proposée par Native Instruments, Emotive Strings se propose de couvrir un pan plus mélodique des banques de cordes, après avoir offert le versant épique via les Action Strings. Voyons si le produit correspond au cahier des charges.
On le sait maintenant, les deux grandes orientations prises par les développeurs et créateurs de banques orchestrales sont, d’un côté, les bibliothèques très fournies en termes d’échantillons, d’articulations, de scripts divers et variés afin de renforcer le réalisme (on y ajoutera les instruments virtuels élaborés à base de modélisation ou mélangeant les deux techniques, tels que ceux de Wallander, Synful, SampleModeling, etc.), de l’autre, des instruments ou bibliothèques proposant des phrases, des kits de construction de parties orchestrales, avec plus ou moins de possibilités de compression/expansion temporelle et de transposition.
On constate d’ailleurs que les développeurs se sont plutôt spécialisés selon une orientation ou une autre, mais rarement dans les deux. Chez Native Instruments, les choses sont un peu différentes. L’éditeur est en effet responsable de la création de l’un des sampleurs/lecteurs d’échantillons les plus utilisés au monde, si ce n’est le plus utilisé, et l’un des plus sophistiqués, notamment via ses scripts, possibilités d’édition et ajouts d’effets. Un seul reproche : il n’échantillonne pas directement… Il faut donc passer par un éditeur audio afin de produire le matériau nécessaire à l’alimenter.
Mais là n’est pas le sujet. En tant qu’éditeur de Kontakt, Native a aussi choisi de fournir des bibliothèques de sons. Deux méthodes là aussi, les élaborer en interne, ou collaborer avec d’autres éditeurs (voire racheter leurs produits). La plupart des créateurs d’échantillonneurs procèdent ainsi, tant la spécialisation dans un domaine de création de bibliothèques implique de temps et de moyens à mettre en œuvre. Il est toujours plus simple et moins coûteux d’aller échantillonner un synthé en une après-midi et de faire une édition correcte, que de mettre en place une session d’enregistrement avec orchestre, orchestrations, arrangements, copie, etc.
Native pratique les deux options, ce qui permet ainsi à ses clients de disposer à la fois de banques d’échantillons (Session Strings, Session Strings Pro, et les instruments de la Factory d’origine, provenant de la VSL) et de bibliothèques de phrases, initiées en ce qui concerne les cordes, par Action Strings et continuées aujourd’hui avec Emotive Strings. Cette nouvelle sortie, comme la précédente et la banque Action Strikes, est le résultat de la collaboration entre Native et Sonuscore.
Introducing Native Instruments Emotive Strings
La banque est disponible au téléchargement chez l’éditeur Native ou chez son associé (sur le produit) Sonuscore, pour la somme de 299 euros. 21 Go à télécharger, 28 une fois décompressés, échantillons en 24 bits/44,1 kHz. La banque est compatible avec Kontakt 5 et la version gratuite Kontakt 5 Player (merci à l’éditeur), à partir des versions 5.4.2. Les spécifications et compatibilités sont donc celles de Kontakt, consultez le site de l’éditeur à cet effet.
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Installation et autorisation sont assez simples, suivant la routine habituelle via le Service Center et l’ajout de la bibliothèque par l’onglet dédié. Une seule précaution, bien penser à pointer la destination de la banque si l’on souhaite l’installer ailleurs que sur l’emplacement par défaut : bouger la bibliothèque après coup reste possible, mais complexe, notamment en ce qui concerne l’interface graphique qui peut afficher n’importe quoi faute de retrouver ses petits.
À la base
Notons tout de suite que, si les moyens mis en œuvre sont semblables entre Action et Emotive Strings (compositeur, orchestrateur, type d’orchestre, créateur de scripts, éditeurs audio, prises de son Close et Far, etc.), il y a quand même des différences notables, puisque les orchestres et les studios d’enregistrement ne sont pas les mêmes. La cohésion sonore n’en pâtit pas, car la signature de pièce est assez peu présente, les effets provenant majoritairement de la réverbe à convolution de Kontakt (si l’éditeur n’a implémenté que quelques IR par défaut, n’oublions pas que l’on peut charger l’une des nombreuses de la banque d’usine, ou les siennes propres, ou celles que l’on peut récupérer d’autres bibliothèques afin d’assurer une certaine cohésion spatiale).
Comme dans la précédente bibliothèque, on profite d’un certain nombre de Phrases (175 pour Emotive, 154 pour Action), et de Themes réunissant jusqu’à cinq Phrases fonctionnant ensemble (64 Themes pour Emotive, 62 pour Action). Leur utilisation, pour être assez simple, recouvre néanmoins un certain nombre d’options et de processus sophistiqués qui tranchent avec les souvenirs des premières banques utilisant ces principes.
Grâce aux algorithmes de time-stretch et à la synchronisation automatique au tempo de l’hôte, l’éditeur annonce d’entrée de jeu que l’on pourra utiliser les Phrases dans une fourchette de tempos inclus entre 80 et 200 BPM, sans artefacts audibles. Les tempos de base s’étalant entre 105 et 120 BPM, les ralentissements sont en effet correctement effectués jusqu’à 80 BPM (quelques bruits audibles quand même, on est loin d’un Amazing Slow Downer, d’un Ircam TS ou d’un Time Factory) avec une réserve sur les tempos élevés avec des motifs en doubles-croches ou triolets, les durées raccourcies sonnant parfois de façon artificielle. Autre chose, il peut être nécessaire de prendre en compte l’attaque de la note, et donc de jouer en avant du temps (ou recaler les notes MIDI dans le piano-roll), sous peine de créer des décalages rythmiques.
Constitution
La banque est divisée deux sections, High Ens et Low Ens. On pourra utiliser ces deux dernières simultanément en ouvrant deux fois l’instrument Emotive Strings et en leur attribuant le même canal MIDI, sachant que la partie Low Ens offre moins de choix que High Ens, ce qui se comprend quand on pense au rôle généralement attribué aux basses et violoncelles par rapport à celui des premiers et seconds violons et altos. Attention aussi au chevauchement des tessitures, afin de ne pas déclencher une partie non désirée sur les High et Low simultanément.
Ensuite, l’éditeur a réparti ses phrases dans quatre familles : Single Pitch, Melodic, Emotives et Arpeggios. On trouvera un filtre selon la métrique, 4/4 (les plus nombreux) et Odd (pour mesures composées, 3/4, 5/4, 7/4, 5/8, 6/8, 7/8, et uniquement pour les Single Pitch). Les Themes offrent les mêmes métriques, mais seulement trois familles, Single Pitch, Melodic et Arpeggios.
Le principe de sélection reste le même depuis l’arrivée des produits similaires chez Native (qui implique un clavier MIDI, si possible d’une tessiture minimum de 61 notes, sous peine de devoir bricoler avec un mélange clavier maître/souris). Les phrases peuvent être appelées par les notes s’étendant de C0 à A0, et l’utilisateur peut créer ces propres attributions puis les sauvegarder sous forme de Themes. On appelle les Phrases depuis la partition à la droite du bouton reproduisant la note de sélection, les Themes depuis le nom surplombant les partitions. L’éditeur a implémenté la lecture directe des phrases depuis l’outil de sélection, ce qui permet l’écoute de la boucle complète avant choix définitif, bien vu.
Un des gros problèmes des banques orchestrales, qu’elles soient à base de multiéchantillonnage ou de phrases, est le cumul des instruments, le grossissement artificiel des pupitres. En effet, dès que l’on joue deux notes d’un son censé regrouper 14 premiers violons, on se retrouve en fait avec un son produit par… 28 violons. Ici, l’éditeur a implémenté une fonction de Divisi automatique, notamment pour les Single Pitch : à chaque nouvelle note, l’ensemble de la section est séparé et les notes réparties de façon à ne pas créer cet effet de masse. Exemples :
Les Phrases Melodic fonctionnent suivant un principe différent : selon la vélocité, le motif sera joué mineur ou majeur. On prend rapidement le tour de main en jeu direct, en programmation, le problème ne se pose pas. Il sera en revanche plus prudent de prévoir plusieurs instances de Kontakt (on peut le faire autrement, notamment en empilant le même instrument sur des canaux MIDI différents, mais c’est le moyen le plus simple) pour réaliser le passage de mineur à majeur d’un même motif, car l’on rencontre parfois des différences de volume/timbre qui, sans être très marquées, peuvent quand même gêner la fluidité recherchée. On pourra aussi s’aider de l’expression commandée par la ModWheel, dont la course n’est cependant pas très étendue. À l’écoute, l’action semble assignée à la fois au volume et à une forme de filtrage assez douce, détimbrant tout juste les instruments sans donner un côté trop artificiel. Après vérification dans le Mapping Editor, il s’agit plutôt d’un crossfade entre version piano et forte d’un même échantillon.
On aurait pu souhaiter que ces Phrases soient jouées suivant tous les modes (du moins les plus usités), mais cela aurait demandé un travail colossal et résulté en une banque d’un poids tout autre (et d’un tarif en correspondance). Maintenant, en se débrouillant, on peut aussi recréer des approximations de tels phrasés, notamment en superposant des motifs rythmiques et/ou mélodiques en d’autres tonalités/modes. Comme ici, où l’on entendra un ostinato en Sol puis Fa, une Phrase en Sib m puis en Do m :
Les Phrases Emotives répondent en partie à cette attente. En effet, un motif de cette famille pourra être joué selon les notes de toutes les tonalités, sur un peu plus de deux octaves en général, en majeur ou mineur, simplement en plaquant l’accord désiré dans la zone dédiée, puis en jouant une note sur la partie bleue du clavier virtuel (directement ou via le clavier de commande). L’éditeur a pris soin de laisser blanches les notes hors tonalité (donc non utilisées dans le phrasé), ce qui aidera les débutants. Petit bonus, la vélocité (dans la plupart des cas) déclenchera soit un motif ascendant, soit un motif descendant. Attention, pas de Divisi ici, pas plus que dans les Melodic.
Enfin, les Arpeggios font ce que leur nom indique, des arpèges. Le script est plutôt bien fait, puisqu’il reconnaît les renversements (position fondamentale, premier et deuxième) des triades (et triades seulement) majeures ou mineures (ne pas penser diminué, augmenté, etc.). Parfois, dans le phrasé lui-même vient se glisser une seconde/neuvième, mais c’est à peu près tout. L’intention et l’interprétation sont pourtant là.
Et là encore, on pourra ruser en employant différentes phrases et en jouant sur les tonalités/modes des unes et des autres, pour créer des phrasés plus complexes d’un point de vue mélodique et modal.
Bien entendu, et comme dans quasi tout produit musical à base d’échantillons, il y a quelques ratés ici et là, mais c’est très rare, et ce sera peut-être corrigé lors d’un update.
En voici un exemple, dans Arpeggios 16th Triads UpDown, lorsque l’on joue le deuxième renversement en Ré mineur au plus bas de la tessiture (on entend un La-Sol après les premier et troisième temps).
Bilan
On connaît à la fois les qualités et les défauts de ce type de produit : au rayon des qualités, le son global, la véracité de l’interprétation, les possibilités de mixage offertes dès l’enregistrement, la vision musicale d’un compositeur/orchestrateur aussi bien que la mise à disposition de ce qu’on pourrait appeler « clichés d’écriture », de nouvelles idées mélodiques, rythmiques, harmoniques, la qualité des scripts et des algorithmes de compression/expansion temporelle et de transposition, etc.
Les défauts sont à rechercher dans la réalisation (bouclages ratés, superposition de notes sautant à la figure pour cause de boucle, édition plus ou moins indigente) comme dans le matériau compositionnel, avec le risque que tous les acheteurs de la bibliothèque produisent des choses très semblables, que les phrases fournies ne permettent pas de grands changements et modifications (pas assez de modes), ou soient inutilisables avec d’autres bibliothèques, rétrécissant ainsi les possibilités créatives.
Dans le cas de Emotive Strings, en dehors de quelques bruits ou superpositions de notes, quelques imprécisions rythmiques et un regret quant au manque de modes et accords plus complets, aucun de ces défauts n’est à mentionner. Nous sommes en face d’un produit bien fait, remplissant le cahier des charges, qui fonctionnera avec d’autres bibliothèques de phrases ou de banques d’échantillons, le principal responsable de ce qui en sortira étant de toute façon et en dernier ressort, le musicien/acheteur, c’est-à-dire… vous.