Continuant son exploration de l’orchestre virtuel, Native Instruments s’associe à Audiobro pour proposer le troisième volume de sa Symphony Series, String Ensemble.
De la suite dans les idées. On se demande d’ailleurs comment Native fait, puisque les sorties sont multiples et quasi incessantes au fil des années, avec une production particulièrement abondante et de tous types, que ce soit du matériel ou des logiciels. On ne refera pas l’historique de ces derniers temps, il suffit de se rendre sur la page News dédiée aux produits de l’éditeur/fabricant pour se rendre compte de la somme de ressources, d’un point de vue développement tout aussi bien qu’humaines, que cela peut représenter.
Pendant des années, l’éditeur a laissé à d’autres concepteurs le soin de profiter de la plateforme Kontakt pour développer les banques orchestrales, résultant en ce qui est sûrement l’une des plus abondantes productions dans le genre, à côté des produits EastWest utilisant Play, qui n’est pas tout le temps une sinécure à utiliser et surtout de la Vienna Symphonic Library qui, elle, dispose de ce qui peut être considéré comme l’un des meilleurs logiciels/lecteurs d’échantillons dédiés à l’orchestre, Vienna Instruments Pro et d’un environnement de création d’espaces acoustiques tout aussi raffiné (MIR, dont le test de la version Pro24 est ici) ainsi qu’un hôte multicanal MIDI et audio, Vienna Ensemble Pro. Le nombre d’éditeurs utilisant Kontakt est en effet assez important, et les produits consacrés à l’orchestre utilisant les techniques et scripts disponibles dans le lecteur d’échantillons de Native sont pléthoriques : citons, sans volonté d’exhaustivité, les bibliothèques signées 8DIO (la série Adagio, par exemple), Soundiron (on y revient), Spitfire Audio (avec les Albion, ici ou là, ou la BML), Sonokinetic (avec Capriccio, Da Capo, ou Vivace), Impact Soundworks (avec Bravura), Project SAM (Orchestral Essential, ou la série des Symphobia), Cinesamples, Orchestral Tools (avec la superbe série Berlin, ou les String Runs, ou le tout récent Nocturne que l’on retrouvera bientôt sur votre site préféré), Sample Logic (avec Morphestra) ou encore Audiobro et ses excellents, même si parfois un peu touffus, LASS.
Ce qui est intéressant, c’est que, malgré l’utilisation d’une plateforme commune, aucune bibliothèque ne ressemble à une autre, non seulement au niveau des échantillons (c’est la moindre des choses), mais aussi au niveau de l’interface utilisateur, des scripts : pas grand-chose de commun en effet entre l’utilisation d’un Cappricio et d’une BML, par exemple. Native Instruments n’est d’ailleurs pas tombé dans la surenchère lors du développement des premiers produits mettant un pied dans l’orchestre (ça fait du bruit…) : le concept à base de phrases de Action Strings ou de Emotive Strings, permet de les mettre dans une catégorie à part, n’empiétant pas sur le terrain des mastodontes du genre. On peut aussi signaler Session Strings Pro, qui lui jouait plutôt dans la cour des bibliothèques concurrentes, et toujours suivant le principe d’association avec un éditeur tiers, ici e-instruments.
Pourtant, l’éditeur a, semble-t-il, décidé de franchir le cap de la bibliothèque plus généraliste (entendez par là un instrument dédié à une section, permettant de jouer directement de plusieurs articulations via le principe de KeySwitches et de divers scripts). À cet effet, Native a initié, fidèle à son habitude (ce qui permet de faire appel à des éditeurs ayant une habitude de la « niche » visée), une collaboration avec SoundIron pour la réalisation des deux premiers volumes de la Symphony Series, Brass Ensemble et Brass Solo. On imaginait que l’essai ne resterait pas sans suite, et que le reste de l’orchestre suivrait. C’est chose faite aujourd’hui, avec String Ensemble, réalisé cette fois en association avec Audiobro, déjà mentionné plus haut.
Introducing Native Instruments Symphony Series – String Ensemble
Rien de changé dans la procédure d’acquisition et d’autorisation des bibliothèques (et logiciels pesant un certain poids) chez Native : après achat sur le site (499 euros, ou 299 euros grâce à l’option Transition, pour les possesseurs de Komplete 9 Ultimate par exemple), on télécharge l’installeur de la bibliothèque, permettant de rapatrier sur l’ordinateur les 34 Go de contenus (équivalent à 44 Go une fois décompressés depuis le format native de Native…), en plusieurs fois si nécessaire.
Il faudra disposer de Kontakt version complète ou de Kontakt Player (gratuit) depuis la version 5.5, les spécifications sont donc celles de ces logiciels. On autorisera la bibliothèque directement via le Service Center ou via l’onglet Libraries dans Kontakt, et le bouton Activate. On est ensuite prêt à travailler.
Constitution athlétique
Visiblement, Native a choisi de revoir les choses à la baisse dans la constitution des pupitres, alors que Brass proposait un regroupement par huit instrumentistes par section (37 instrumentistes répartis en quatre pupitres de huit joueurs plus cinq solistes). La présente bibliothèque compte une formation comprenant 60 instrumentistes, 30 violonistes (16+14), 12 altistes, 10 violoncellistes et huit contrebassistes (soit deux altos et une contrebasse de plus que Hollywood Strings, pour ordre d’idée), ce qui correspond à une formation assez traditionnelle de l’orchestre symphonique. Tiens, première chose à remarquer, là où Brass proposait d’entrée Brass Solo, une version avec solistes, String Ensemble vient seul… La suite au prochain épisode ?
On peut dès le départ se poser la question de la cohérence sonore entre les deux parties de l’orchestre, puisque les Brass ont été enregistrés dans une église américaine (Saint Paul), alors que String Ensemble l’a été dans une salle (non précisée) de Budapest, fréquemment utilisée par l’orchestre symphonique de Budapest (sans que l’on soit sûr non plus que les musiciens soient ceux de l’orchestre. On peut cependant imaginer que le studio utilisé soit celui de Radio-Bartok, dont les dimensions pourraient correspondre à celle indiquée par l’éditeur (plafond à plus de neuf mètres). On reviendra sur la question de l’environnement sonore.
L’organisation des programmes est très simple : cinq présets, Violins, Violas, Cellos, Bass et String Ensemble, et c’est tout. Pourquoi pas, mais on peut se demander pourquoi la Symphony Series ne présente pas les mêmes hiérarchies sur son ensemble, puisque Brass offrait des dossiers comportant un programme global au nom de l’instrument, puis des articulations séparées incluant elles-mêmes des variations. Il peut être parfois préférable de charger une seule articulation (gestion du CPU, de la RAM, du streaming, etc.) plutôt qu’un programme les regroupant toutes.
On retrouve en revanche la même interface graphique, dont nous avions salué la réussite, graphique et ergonomique, ainsi que son organisation en onglets, au nombre de trois, Performance, Mixer et Setup A+B (ou Setup I+II pour Violins et String Ensemble). Performance reprend exactement les fonctions mises en place pour Brass, à savoir le gros rotatif permettant de jouer sur la dynamique via la molette de modulation (ou autre contrôleur continu), permettant de passer d’attaques douces à petit volume, à plus marquées dans les réglages supérieurs. Quatre tirettes permettent ensuite de modifier l’expression (volume global par rapport à un réglage de dynamique, c’est la combinaison des deux qui donnera le côté réaliste du jeu), l’enveloppe dynamique de volume (Attack, Release) et le timbre des instruments (Brightness). Choix différents de Brass, donc.
À l’identique, on sélectionne les articulations via KeySwitches (ou via contrôleur MIDI). Celles-ci sont au nombre de 11, entre Legato, Legato Vibr. Cntr. (sauf pour les Basses), Sordino Sus. Vib, Tremolo, Trills (sauf pour les Cellos et Basses), Harmonics, Staccato, Spiccato, Pizzicato et Octave Run Up (sauf pour les Basses). Les Basses profitent, elles, de pizzicatos Bartok, et de Marcato. On peut donc programmer son propre Set grâce à l’Articulation Slot Setup, en définissant l’ordre des huit slots, ainsi que le pré-réglage des volumes via rotatif individuel, et la plage de réponse à la vélocité, puis sauvegarder le programme sous le nom désiré. Tout aussi réussi que dans Brass.
On paramètre ensuite le seuil de passage entre les articulations Portamento à Legato suivant la vélocité, ainsi que la vitesse d’exécution du Portamento (Speed). L’éditeur précise bien qu’il s’agit là d’articulations réellement enregistrées, donc non simulées comme cela peut parfois être le cas.
Voici quelques exemples de ces articulations qui utilisent l’Auto Divisi (une des grandes forces de cette bibliothèque, abordée plus avant).
Les articulations Vibr. Ctrl. disposent d’un taux de vibrato réglable, hélas situé par défaut dans la page deux des contrôleurs sur le clavier KKS ; mais comme on peut réassigner à loisir les contrôleurs dans le Komplete Kontrol, ceci pourra être aisément modifié.
On entendra ici les Cellos et les Violas.
Les articulations Harmonics disposent quant à elles d’un réglage de durée de relâchement supplémentaire.
Les articulations courtes sont pourvues de réglages différents, ce qui semble logique… Ainsi d’un Round Robin, pouvant être continu (l’un après l’autre dans l’ordre) ou pseudo-aléatoire (entre deux et quatre échantillons suivant l’instrument). Le bouton Slam applique une compression plus ou moins forte pour un effet de son plus massif. Autre changement, la section Repetition, dans laquelle on choisira une division rythmique (croche, triolet de croches, et double-croche) et une figure rythmique, hélas non programmable (pas d’accent, Accent sur le 1, sur 1 et 3 et sur Strong Accent 1 + 3).
Quelques exemples de cette section, sur les différentes articulations.
On dispose dans Mixer, et pour chaque programme, d’un master Stereo, et de prises Close, Mid et Far, dont on peut choisir les sorties (en fonction de celles réglées dans Kontakt ou Komplete Kontrol) et que l’on peut activer, désactiver et mixer comme désiré.
Voici plusieurs exemples des trois perspectives sonores, puis du pré-mix Stereo.
Dans cette même page, on trouvera l’EQ trois bandes (deux semi, un paramétrique), la réverbe à convolution dotée d’IR spécifiques (Cinematic, produite par Audiobro, offrant quatre présets, Modern Film, Lush Film, Classic Film et Lush Classic, et utilisant une IR nommée LA Verb, plus 100 IR signées Soundiron, et présentes dans Brass, ce qui permettra d’essayer de mêler les deux bibliothèques indépendamment de la signature de leurs « pièces » d’enregistrement différentes), deux filtres (HiPass, LoPass) et un compresseur (le Solid Bus), EQ, réverbe et Comp pouvant être activés/désactivés selon les besoins. On pourra aller sauvegarder les IR de la réverbe Cinematic dans les réglages User, en mode d’édition, afin de les récupérer pour Symphony Series – Brass, pour assurer une autre cohésion sonore à l’ensemble.
Le gros morceau
Une des grandes forces de LASS réalisé par Audiobro était l’intégration des divisi, indispensables si l’on ne veut pas se retrouver avec des orchestres de taille totalement irréaliste. Prenons l’exemple de la _5e_ de Mahler : les violons I jouent quatre notes (les trémolos, partie 18, _Klagend. Nicht Eilen._).
Si on veut reproduire ce passage, ou écrire quelque chose dans le genre, il faut donc une bibliothèque proposant premiers et seconds violons, ce qui n’est pas le cas de toutes. Et enfin, la possibilité de séparer les sections pour attribuer les voix nécessaires. Sinon, on se retrouve avec des monstres invraisemblables, avec quarante instrumentistes, voire plus (une section complète de violons composée de 20 instrumentistes, sans répartition premiers/seconds ni divisi, avec un accord de quatre notes, se transforme en section de 80 instrumentistes !).
Avec String Ensemble, il suffit d’activer la partie Auto Divisi, pour que le logiciel divise et répartisse les voix automatiquement, grâce à l’enregistrement réel de petites sections. Pour les violons, par exemple, on dispose du pupitre complet (30 instrumentistes), mais aussi de Violons I (16), Violons II (14), et la division de ces sections en deux parties distinctes (Violons IA et IB, huit instrumentistes chacune et Violons IIA et IIB, sept chacune).
Prenons un accord de quatre notes, sur l’ensemble du pupitre (30 violons) sans activer l’Auto Divisi. On entendra donc… 120 instrumentistes !
Maintenant activons l’Auto Divisi, et jouons le même accord. Le résultat est bien plus naturel, se répartissant en 8+8+7+7. On entendra dans l’exemple l’accord complet, puis l’égrenage des notes permettant d’entendre au fur et à mesure la division se faire et la masse orchestrale chuter d’autant.
Bien sûr, on ne pourra pas reproduire tous les cas de figure, tel l’exemple de Mahler, qui résulterait ici en une section de premiers violons de 32 instrumentistes (8+8+8+8). Pas totalement réaliste, mais déjà plus crédible que les 120 du départ…
Bilan
Ce qui faisait, entre autres, le succès des LASS était bien entendu la possibilité d’utiliser des divisi. Leur intégration ici s’ajoute à l’excellente qualité sonore de la bibliothèque, et à celle de la programmation (montage, édition, bouclages, crossfades, keyswitches, etc.).
On rencontre peu d’artefacts sonores, le passage entre les layers de réponse à la vélocité s’effectue en douceur (jusqu’à quatre niveaux), seules les trop grandes modifications de tempo se feront entendre lors de l’utilisation des Runs, qui sont eux-mêmes un des bonus très intéressants de la bibliothèque (mineurs et majeurs ascendants). Mais comme on l’indiquait dans le test de Brass, il vaut mieux effectuer un bounce à la vitesse d’origine, puis utiliser un logiciel performant pour viser le tempo de destination. Autre chose à prendre en compte : en termes de jeu live, il faudra prendre l’habitude de légèrement jouer en avant, comme les instrumentistes le font, d’ailleurs. Et en cas de programmation dans le Piano Roll, ne surtout pas quantiser, et ne pas hésiter à avancer les notes par rapport à la grille, sous peine de perdre le bénéfice du réalisme de la bibliothèque.
On apprécie aussi la très belle qualité sonore des prises Close, qui le sont réellement (Close…). Ce sera d’ailleurs un problème avec Brass, puisque l’on est obligé pour ceux-ci de couper sévèrement le Release, les prises dites « Close » contenant beaucoup trop de pièce…
Bref, les deux éditeurs réunis ont réussi un très bon produit, qui pourrait parfaitement convenir en temps que premier achat, en offrant de plus les divisi, ce qui est maintenant indispensable à toute bibliothèque digne de ce nom (il faut par exemple acheter les Hollywood Diamond chez East West pour y avoir droit, et avec moins de souplesse et de facilité d’utilisation qu’ici. Sans compter qu’ils coûtent 840 euros, plus les 200 euros de disque dur et clé iLok…).
Bref, Symphony Series – String Ensemble est une belle réussite, méritant un Award Valeur Sûre, que je m’empresse de lui accorder. Et l’on attend de pied ferme les instruments solo.
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