L’offre en termes d’orchestres virtuels est de plus en plus abondante. Augmentation sans limites apparentes du nombre d’échantillons, d’instruments, bref, du contenu. Mais qu’en est-il de la façon de les utiliser ? Sonokinetic propose une réponse qui lui est propre, à l’œuvre notamment dans Capriccio.
Si l’on regarde l’histoire de l’orchestre virtuel à base d’enregistrements (et non de synthèse), les premières tentatives ont été effectuées selon deux angles particuliers : l’échantillonnage extensif des pupitres, à la façon des pionniers Miroslav Vitous (le premier à offrir une bibliothèque complète, dès 1992) ou Peter Siedlaczek (avec Orchestra Library la même année) ou la mise à disposition de « building blocks », des kits de phrases à superposer, avec par exemple ce même Siedlaczek (Orchestral Colours, en 1995), pour une pratique qui sera rapidement présente chez tous les éditeurs (d’EastWest à Best Service, Zero-G et compagnie).
Si l’utilisation des instruments multisamplés devient de plus en plus confortable et réaliste, notamment grâce au nombre d’articulations proposées, aux scripts développés sur les plateformes compatibles (notamment Kontakt, majoritairement utilisé par les éditeurs de bibliothèques orchestrales), à certains instruments spécifiquement conçus (celui de la VSL est certainement le plus performant actuellement), et même si l’on peut trouver des solutions à des problèmes de phrasé avec le multi-échantillonnage (voir les Orchestral String Runs de Orchestral Tools, petite merveille pour les traits de cordes), une phrase réellement jouée par un pupitre ou une section complète sonnera la plupart du temps mieux que celle assemblée à partir de multi-échantillons, d’aussi bonne qualité soient-ils et aussi habile que soit le compositeur/musicien/programmeur.
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Certains éditeurs préfèrent donc proposer à leurs clients une solution à base de phrases à superposer, dans la ligne directe des premières bibliothèques audio sur CD. À la différence près que l’utilisateur n’a plus à importer dans son propre échantillonneur les phrases, puis les découper, transposer, recaler, ralentir/accélérer, le tout avec une quantité de mémoire vive ridicule en regard des standards actuels (beaucoup de RAM, à l’époque, voulait dire au moins 16… Mo !). Les performances des outils dédiés ont maintenant atteint une qualité assez incroyable, que ce soit au niveau de la transposition ou de l’expansion/compression temporelle. On peut en effet envisager des modifications crédibles suivant les logiciels et algorithmes de presque une quinte et de plus ou moins 33 % du tempo d’origine (on peut aller plus loin, bien sûr, mais les effets se font alors entendre, voir à ce sujet un comparatif certes datant, mais qui renseigne quand même sur les possibilités des principaux outils).
Évidemment, ces possibilités ne sont rien sans le matériau de base, c’est-à-dire l’orchestre lui-même. On a pu voir (sans recherche d’exhaustivité dans l’énumération ici proposée) chez Native des propositions comme Action Strings ou Action Strikes, chez 8DIO le Solo Violin, et nombre d’éditeurs, de Project Sam à Spitfire Audio incluent dans leurs bibliothèques des phrases prêtes à l’emploi. Mais depuis quelques années, le grand spécialiste de la question est Sonokinetic, qui offre en plus une approche très particulière autant musicale qu’ergonomique. Le dernier produit de la maison à en profiter est Capriccio. Revue de détails.
Introducing Sonokinetic Capriccio
La bibliothèque est disponible sur le site de l’éditeur (on peut aussi la commander sur support USB), au tarif de 362,88 euros (eh oui…), et offre plus de 38 000 échantillons par version (16 ou 24 bits) pour un poids de respectivement 18,4 et 34,8 Go une fois les fichiers audio décompressés (en effet, l’éditeur, comme quasiment tous les éditeurs utilisant Kontakt, a adopté le format compressé NCW créé par Native). On se doute que le téléchargement est fractionné, Sonokinetic offrant à cet effet un gestionnaire (le Sonokinetic Content Manager) permettant de choisir, stopper, mettre en pause ce que l’on souhaite charger (16 ou 24 bits par exemple). Mieux vaut prévoir quelques heures à faire autre chose, suivant la vitesse de sa connexion…
Une fois tous les fichiers .rar téléchargés, on lance un utilitaire de décompression compatible et tout est réuni dans un dossier unique, instruments, doc (copieuse, avec vidéos), échantillons, etc. À l’instar d’autres productions de l’éditeur, on peut acheter de façon séparée le conducteur orchestre de toutes les phrases sous forme d’un PDF protégé par mot de passe, pour la somme de 49,90 euros TTC (186 pages en format A3…).
L’autorisation est effectuée de façon habituelle, via l’ajout de la Library, puis le renseignement du numéro de série dans le Service Center. Les compatibilités sont bien entendu celles de Kontakt, sachant que l’éditeur permet l’utilisation de sa banque avec Kontakt et Kontakt Player (gratuit) à partir de la version 5.1.
Des principes du caprice
La bibliothèque est à ce jour la plus volumineuse de celles proposées par Sonokinetic. Le principe retenu est celui précédemment utilisé pour d’autres produits, à savoir une présentation (les Instruments) par section, Strings, Brass, Woodwinds, Percussion, Runs et Multisampled Percussion Ensemble, en version complète ou plus légère. L’orchestre utilisé est de taille respectable, 87 instrumentistes, et a été enregistré dans la même salle que toutes les autres bibliothèques symphoniques de l’éditeur, selon quatre points de vue microphoniques : en proximité, via un arbre Decca, en position Wide (large) et depuis le Balcony (position lointaine), et les Instruments en version légère (Lite) proposent un Mix (Tutti) des quatre prises de son.
Toutes les phrases ont été enregistrées à 130 BPM, sur une métrique uniquement en 4/4, en croches et double-croches, et ensuite réunies sous une des trois sections disponibles par instrument, Low, Medium et High (nommées Fields par l’éditeur). On ne cherchera pas de phrases spécifiquement jouées par les premiers violons ou les clarinettes (même si elles peuvent exister), mais bien des ensembles constitués de différents éléments de la section, classifiés selon leur place dans le spectre audio/musical. Le principe a ses avantages, a priori évidents comme une répartition cohérente des instruments, et ses inconvénients, parmi lesquels l’impossibilité d’avoir à coup sûr certains instruments : par exemple, le programme Strings n’offre pas systématiquement de phrases jouées par les violoncelles ou les altos, et peut superposer deux parties distinctes jouées simultanément par les premiers et seconds violons. Ce qui est en théorie possible, avec une écriture en divisi, mais n’est pas le cas dans Capriccio : on obtient donc une masse orchestrale doublée.
On déclenchera la plupart des actions principalement via le clavier, les phrases en jouant des triades majeures ou mineures (nul autre accord n’est reconnu), les quatre variations pré-chargées, les mutes, redéclenchement de la phrase, traits (runs), harmonic shift, activation des samples de relâchement via des touches dédiées.
Il faut reconnaître d’emblée, qu’en regard du projet, l’ergonomie est remarquable. Chaque partie d’un Instrument présente un bouton Mute (fonctionnement nickel depuis le clavier, mais non pris en compte en temps réel via l’interface), un bouton d’activation de l’action de la molette sur le volume (on peut ainsi faire monter une ou deux parties sur un ostinato, bien vu). Voici un exemple de cette dernière possibilité, les quatre mesures telles que chargées, puis avec montée de volume sur les voix supérieures.
On dispose ensuite d’un autre bouton pour la fonction ITM, qui applique des modifications de jeu intelligentes suivant le tempo : pas question de se retrouver avec des croches passant de 130 à 80 BPM, mais avec une transformation plus « musicale » en double-croches, par exemple. Une fois désactivé, on peut agir de façon indépendante sur le tempo, x1, x2, x1/2.
Sur la droite, on trouvera une activation/désactivation de l’Harmonic Shift, qui permet de transposer sur chacun des Fields les phrases afin de modifier les harmonies produites. Un exemple : on commence par l’ensemble créé via la sélection de phrase pendant quatre mesures, puis on va modifier la voix supérieure grâce à l’Harmonic Shift (via l’octave dédiée).
Un réglage fourni dans les Options permet de définir via une matrice les intervalles désirés. Une fonction très bien implémentée et parfaitement opérationnelle, bravo.
Options et phrases
Ces Options fournissent tout un ensemble de réglages supplémentaires, notamment au niveau du Volume, Pan, Offset (ces trois premiers via un très beau système de traits lumineux), crossfades et accordage. Ainsi que le réglage de mix de prises de son, via un fader et une sélection entre deux prises.
L’éditeur a créé un système de sélection de phrases très simple, le Phrase Picker, qui permet de se faire une idée rapide du type de phrase grâce à une représentation graphique très parlante, que l’on complètera via l’écoute bien sûr, mais aussi via l’affichage de la partition. L’indication MI/MA permet aussi de charger une phrase qui pourra répondre au jeu des triades mineures ou majeures, puisqu’elles incluent une tierce. La plupart des autres phrases (en dehors des mélodies et des Runs) sont en effet basées sur des octaves et quintes, ne donnant pas de couleur particulière à la superposition.
Si l’on se retrouve par exemple avec ce type de phrases :
Il suffit de charger un des Fields avec une phrase approchante, mais contenant une tierce pour passer de mineur à majeur et inversement, ou de reprendre la fonction Harmonic Shift si l’on veut garder exactement les mêmes éléments rythmiques, sachant que l’on peut passer l’un à l’autre en cours de lecture/jeu.
Chaque Fields dispose d’à peu près 18 phrases suffisamment variées pour permettre de nombreux assemblages, sachant que l’on peut ouvrir autant de Kontakt que désiré, et ne prendre que des bouts des unes et des autres. On peut ainsi maquetter rapidement une idée de composition avec des phrasés assez proches de ceux composés (attention, il s’agit majoritairement d’éléments rythmiques, les mélodies seront à jouer/programmer avec d’autres instruments, d’autres bibliothèques).
L’éditeur offre aussi de belles percussions, sous forme de phrases ou multi-échantillonnées. Ainsi qu’un ensemble dédié aux Runs (traits), fonctionnant de la même façon que le reste de la bibliothèque : une triade, une sélection du motif, et le changement via Harmonic Shift. En voici quelques exemples, avec un clic sur demande de l’éditeur.
Enfin, pour se faire une idée globale du son, voici un assemblage simple de tous les instruments (sans les Runs, ni les percussions multiéchantillonnées).
Bilan
Si l’on prend la réponse au cahier des charges, à savoir disposer de véritables phrases (essentiellement rythmiques, rappelons-le) jouées par un orchestre, avec un accès complet au tempo, aux superpositions diverses et variées, à des possibilités de réharmonisation, eh bien, la mission est remplie. L’ergonomie de la bibliothèque est en plus l’une des plus agréables à l’heure actuelle. Il faudra prendre soin de jouer proprement, ou de programmer avec soin les changements d’accords, de rythme, etc.
Capriccio permettra des réalisations de très bonne qualité, si l’on en comprend bien les limites : il sera difficile de composer avec des mesures composées, pas question de créer de véritables mélodies (pensez plutôt à des ambiances, voire des supports pour instruments solo), on ne trouvera pas forcément les rythmes/figures désirés, de trop grandes transpositions ou compression/expansion temporelles provoqueront des bruits indésirables. D’un point de vue strictement orchestral, on ne pourra éviter de produire des effets de superposition de sections, grossissant ainsi artificiellement le nombre d’instrumentistes, pas plus que des « fautes » d’écriture.
Ceci pris en compte, l’instrument est un plaisir à pratiquer et programmer et l’une des plus belles réussites à ce jour de l’éditeur. Un Award Valeur Sûre, et les compliments de la maison.