Les sections cordes à la John Williams ou à la Hans Zimmer, c’est sans doute très joli mais ça n’a rien de très rock’n’roll. On n’est donc pas mécontent de voir débarquer Session Strings de Native Instruments, une section de cordes pour Kontakt qui joue, à plusieurs niveaux, la carte de la différence…
Avec leurs montagnes de samples et leurs myriades d’articulations, les cordes de la Vienna, le Los Angeles String Orchestra d’AudioBro ou les Hollywood Strings d’East West sont sans doute indispensables à ceux qui font de la musique symphonique, mais peuvent sembler surdimensionnés pour ceux qui ont des besoins plus modestes et plus orientés vers les musiques populaires. Quand on veut juste un arpège pizzicato sur un titre hip-hop, ou un tapis de cordes à la fin d’une folksong, on ne va pas forcément investir un millier d’euros dans une banque de plusieurs centaines de Go qu’il faudra apprivoiser durant 6 mois, le manuel sur les genoux, avant d’en tirer quoi que ce soit qui tienne la route… Vous me direz que chez Garritan ou IK Multimedia, on trouve des choses tout à fait abordables, tant en terme de prix que de simplicité d’utilisation. Et vous avez raison, mais on sent bien, à écouter les performances d’un Miroslav Philharmonik ou celle d’un Personal Orchestra qu’il y a de la place pour un challenger. Un challenger encore plus simple à utiliser, plus réaliste si possible et peut-être plus polyvalent aussi car entre le son de cordes d’un opéra de Verdi et celui d’une chanson de Marvin Gaye, il y a un monde sonore qu’on aimerait bien pouvoir aborder.
C’est ce challenger que nous présente aujourd’hui Native Instruments en commercialisant Session Strings : une banque pour Kontakt réalisée par e-instruments, petite société allemande fondée en 2009 par Thomas Koritke. Le nom ne vous dit peut-être rien mais son CV impose le respect puisque le bonhomme a officié une quinzaine d’années en tant que 'Main Sound Designer’ chez Yamaha, participant aux banques de sons de plus d’une centaine d’instruments. Or, quand on arrive à faire sonner une collection GM avec moins de 200 Mo de samples comme c’est le cas de la plupart des claviers hardware des 15 dernières années, c’est qu’on est passé maître dans l’art de l’échantillonnage et du script…
Bref, le casting semble le bon pour répondre à une demande réelle et l’écoute des exemples audio sur le site de Native Instruments met l’eau à la bouche des oreilles : tout cela semble relativement bien sonner, dans des registres variés, cependant que la vidéo de démonstration laisse entrevoir une grande facilité de programmation, façon Virtual Guitarist des cordes.
Voyons ce qu’il en est sur le terrain…
Il pleut des cordes
Pesant moins de 1,7 Go, ce qui peut sembler énorme dans le monde des Workstations hardware mais relativement léger dans celui des instruments virtuels, la banque n’est pas des plus longues à installer et au terme d’une procédure d’autorisation que les utilisateurs de softs Native Instruments connaissent bien (enregistrement en ligne via un numéro de série), un nouveau bandeau nous attend au sein des instruments de Kontakt. Côté manuel, un PDF qui préserve la santé des arbres nous propose de travailler notre anglais en 25 pages : il détaille l’interface et la banque mais ne s’attarde pas hélas, sur les subtilités de programmation de cette dernière. Ou de ces dernières, devrais-je dire.
Sessions Strings abrite en effet deux grandes banques d’instruments, elle-même divisées en différents programmes. On dispose ainsi d’une banque Moderne, au son relativement neutre, en vis-à-vis d’une banque Motown, qui fait la part belle au son de la soul des 70's. On s’écoute vite fait la différence, histoire que vous voyiez de quoi il retourne. Dans cet exemple Legato, on entend alternativement une montée d’octave sur la banque moderne, puis la même montée sur la banque Motown, le tout s’étalant sur toute la largeur du clavier.
On note de suite que les notes les plus aiguës ne sont pas dénuées d’un désagréable souffle, plus présent sur la Motown que sur la Modern. On note aussi que si la différence n’est pas flagrante dans les octaves les plus basses, elle est sensible dès qu’on attaque le registre médium et aigu, ce qu’une série d’accords met encore plus en évidence. Écoutez sur l’exemple suivant comme le son de la Motown est plus ramassé spectralement, plus terne que celui, plus aéré et plus neutre de la banque Modern. Le grain est indéniable, de sorte que la banque Motown se situe quelque part entre le son propre sur lui des cordes Hollywoodiennes et celui, beaucoup plus trash mais aussi beaucoup plus charmant, qu’on peut trouver sur un Mellotron…
Ces petites présentations faites, revenons donc à nos banques et à leur organisation : chacune d’elle est divisée en deux groupes de programmes, rigoureusement identiques d’une banque à l’autre : les Individuals qui ne sont autre que les différentes articulations disponibles, et les Performances qui sont des patches combinant plusieurs articulations pour une utilisation live de l’instrument.
Dans le détail, l’architecture des banques comme le mapping des samples témoigne d’une volonté manifeste de simplifier les choses : on n’a pas les violons d’un côté, et les violoncelles ou les contrebasses de l’autre, mais simplement des cordes réparties sur les 88 touches du clavier, sans qu’on sache avec exactitude quand on passe d’un instrument à un autre (je n’ai pas trouvé d’info sur la façon dont s’opèrent les recouvrements). Un scandale pour les compositeurs classiques attachés à leurs pupitres, mais une bénédiction pour les benêts de la corde dont je fais partie, qui n’auront pas, du coup, à se soucier des problèmes de tessitures pour se concentrer sur l’essentiel.
Et puisqu’on parle d’essentiel, précisons qu’une bonne partie du vocabulaire des cordes est là comme en témoignent les articulations qu’on trouve dans le répertoire Individual de la Modern comme de la Motown : Sustain (2 layers de vélocité), Sustain Accent (1 layer de vélocité), Legato Sustain (3 layers de vélocité), Glissando Sustain (3 layers de vélocité), Tremolo (1 layer de vélocité), FortePianoCrescendo (1 layer de vélocité), Crescendo (1 layer de vélocité), Pizzicato avec Round Robin (2 layers de vélocité), Staccato avec Round Robin (2 layers de vélocité), Spiccato avec Round Robin (2 layers de vélocité), Glissando Down vers note tenue (2 layers de vélocité), Glissando Up vers note tenue (2 layers de vélocité), Falls soit un Glissando descendant rapide (1 layer de vélocité) et Scoop, le même mais en ascendant (1 layer de vélocité). À titre d’exemple, je vous présente les glissandi :
On s’en rend compte : là où d’autres nous auraient mis, pour chaque articulation, bien plus de niveaux de vélocités et du Round Robin à tous les étages, Thomas Koritke a préféré faire des choix pour gagner en légèreté. Pour cette même raison, on ne trouve pas non plus de marcati ou de trilles. Mais force est d’admettre qu’il y a déjà de quoi faire pas mal de choses, à plus forte raison si le logiciel s’en mêle.
Kontakt en string
L’interface du soft comprend deux panneaux : Main et FX. Sur ce dernier, on accède à un EQ 3 bandes sommaire, une réverbe avec 10 presets encore plus sommaire (seul le dosage de l’effet peut être paramétré) et une section dédiée à la gestion de vélocité qui permet de régler l’étendue de la plage de cette dernière et sa courbe (logarithmique, linéaire ou exponentielle). Chacune des trois sections dispose d’un bouton ON/OFF.
Le panneau Main est quant à lui plus intéressant car, outre un réglage sommaire de l’enveloppe (attaque et relâchement), il propose surtout deux sections qui font l’originalité du soft : Performance et Animator. Dans Performance, on détermine si le jeu se fait ou non en Legato, l’effet auquel est attribuée la molette de pitch bend (soit un pitch bend traditionnel, soit des envolées ou des chutes (scoops/falls)) et si le sustain des notes est géré ou non par l’Animator.
Derrière ce nom un peu rustre se cache en fait une sorte d’arpégiateur pensé pour les cordes, un arpégiateur simplissime, dont le paramétrage se résume à trois fonctions : Phrase, qui permet de choisir le motif rythmique, Dynamic, qui détermine la plage de variations des volumes au sein des motifs, et Groove, qui définit le tempo de l’arpégiateur par rapport au tempo du séquenceur hôte : 1/4, 1/4 Triplet, 1/8, 1/8 Triplet, 1/16, 1/16 Triplet.
La première petite déception à ce sujet vient du menu Phrase, qui ne contient en fait que 6 motifs d’accords et 6 motifs d’arpèges déclinés en Staccato, Pizzicato et Spiccato. On s’attendait à plus, d’autant qu’il ne semble pas possible d’en ajouter, ni même d’éditer les presets existants (impossible de récupérer la séquence MIDI générée dans son séquenceur, et impossible de l’éditer à même le soft). La deuxième déception vient du fait que les accentuations présentes dans ces motifs ne gèrent pas les signatures rythmiques un peu exotiques (même si, nous le verrons, une parade a été prévue). Qu’importe : voyons ce que ça donne à l’utilisation…
Ni seigle, ni froment : rien que du son
À n’en pas douter, Session Strings et son Animator font la blague en terme de réalisme : on n’est certes pas au niveau d’un ténor du genre, mais la facilité déconcertante avec laquelle on génère une partie de cordes est bluffante en vis-à-vis du résultat obtenu : il suffit de plaquer un accord pour obtenir ce genre de résultat. Évidemment, un arpégiateur reste un arpégiateur et sitôt qu’on passe aux 1/8 ou pire au 1/16 sur le potard Groove ou qu’on tente le grand écart entre les octaves, ça a vite fait de sonner très artificiel, d’autant qu’aucun paramètre ne permet de faire intervenir de l’aléatoire dans le placement des notes pour humaniser un peu tout ça.
Histoire de mettre quand même un peu d’humain là-dedans, Native a toutefois eu la bonne idée de permettre à l’utilisateur de gérer lui-même le volume des motifs arpégés, ce qui permet entre autres choses de mieux gérer les accentuations sur certaines signatures rythmiques un peu olé olé. Autre bonne idée, pour le live cette fois, la possibilité de tenir un motif et de jouer autre chose par-dessus. Bref, même si la chose a ses limites, c’est vraiment pas mal du tout et ça rendra, à coup sûr, de fiers services. Sauf que…
Sauf qu’à un moment, on se dit qu’on va, pour s’amuser, faire une compo avec et qu’on se rend compte que le sympathique Animator, tout à fait utilisable en live, est complètement décalé par rapport au tempo du séquenceur quand on essaye de rejouer une séquence qu’on vient d’enregistrer. Comprenez qu’il ne perd pas le tempo, que la mise en place ne flotte pas, mais que l’Animator n’est juste pas dans les temps du projet : vos cordes sont en retard par rapport à tout le reste, ce qui est saisissant lorsqu’on le confronte à une piste de batterie par exemple. Après quelques recherches sur le site de NI, il s’avère que le problème est connu mais il ne semble pas pour l’heure prévu d’y remédier : on préconise de décaler vers l’avant la piste de Session String pour que ça marche (dans mon tempo à 120 BMP, j’ai dû avancer ma partie Activator d’une triple croche pour être synchro avec la batterie).
Certes, ça marche, mais c’est un peu hallucinant de se voir proposer un tel bricolage de la part du roi des samplers… Bref, entre cette malfaçon et le peu de motifs embarqués dans l’Animator, on se dit qu’on est encore loin de tenir le Virtual Guitarist des cordes que j’évoquais plus haut, et on se demande bien comment ont fait les gens de Native Instruments pour séquencer les excellents morceaux de démo qu’on entend sur le site. La réponse est simple : à l’ancienne…
À l’ancienne, c’est à dire en utilisant autant d’occurrences de Session Strings qu’on aura besoin d’articulations pour un rendu réaliste, vu qu’il n’existe aucun programme permettant de disposer de toutes les articulations et de jouer entre elles via un système de Keyswitches. De fait, une partie de cordes s’étalera souvent sur une dizaine de pistes MIDI routées chacune vers un patch de Session Strings, ce qui n’a rien d’extraordinaire puisque c’est en général comme ça que ça se passe avec n’importe quelle banque de cordes, grosse ou petite.
Sur ce terrain, Session Strings se révèle être un outil agréable à utiliser, même si on se rend vite compte de la limite de certaines de ses articulations. En effet, les scoops, falls, glissandi et crescendi prêts à l’emploi ont une vitesse fixe. Si cette dernière s’accorde à peu près à votre projet, c’est tant mieux, mais si ce n’est pas le cas, autant revenir aux sons les plus basiques et fondamentaux (Legato, Spicato et Staccato, de très bonne qualité), en jouant sur le volume et la hauteur de tout ce petit monde via les molettes de pitch bend et de modulation (cette dernière permettant sur tous les patchs de gérer le volume de l’instrument). Si vous possédez Kontakt, je vous invite vivement d’ailleurs à télécharger les deux projets de démonstration de Session Strings sur le site d’e-instruments, histoire de voir comment les créateurs de la banque l’utilisent.
Vous vous rendrez compte qu’il n’y a rien de très sorcier dans leurs séquences, pour un rendu qui s’avère des plus sympathiques.
Conclusion
Session Strings n’est pas sans défaut, mais il a le mérite de proposer du neuf dans son approche comme dans sa réalisation, le tout pour un prix très agressif. Même avec les problèmes de synchro de l’Animator (et qui sont très facilement solubles), il offre un moyen de travailler vite et d’obtenir des résultats très satisfaisants, tout en demeurant très léger en terme de consommation comme d’occupation disque.
Il serait ridicule de le penser comme un concurrent des LASS, Vienna et autres Hollywood Strings autrement plus évolués et complets dans leur banque comme dans leurs scripts, mais plutôt comme un complément de ces derniers pour qui souhaite jeter les bases d’un arrangement sans recourir à la grosse artillerie, et surtout sortir du cadre Hollywoodo/classique omniprésent sur le marché. Si l’on ajoute à cela les possibilités d’arrangement offertes par l’Animator, force est d’admettre que Session Strings n’a pas vraiment d’équivalent à l’heure actuelle…
Dans le sillage ‘des cordes pour les nuls’, on aurait bien sûr aimé disposer de plus de motifs dans la section Animator, de la possibilité de les éditer, ou encore d’une banque de fichiers MIDI prêts à l’emploi, comme cela se fait dans le monde des batteries virtuelles pour s’éviter de tout programmer de zéro. Mais même sans cela, en regard des 99 petits euros qu’il coûte, le soft ne devrait pas avoir de mal à trouver son public : du songwriter à la recherche d’une petite section de cordes pratique, aux producteurs de Hip-Hop ou de musique au mètre qui verront là un moyen de gagner en souplesse par rapport à des boucles sans sacrifier au réalisme.
Bref, Session Strings tient globalement la route et l’on espère sincèrement que Native aura la bonne idée de décliner le concept d’instrument/arrangeur dans d’autres produits…