C'est avec une curiosité non dissimulée que j'ai mis mes grosses pattes sur la guitare qui passe sur le grill aujourd'hui. Principalement pour deux raisons: la première étant que la C-8 est une guitare à huit (oui, huit !) cordes, ce qui est un genre de guitare relativement nouveau. La deuxième étant qu'il s'agit d'une Schecter, marque qui nous avait fait plutôt bonne impression lors d'un précédent test, et qu'il s'agit donc d'une interprétation différente du concept de la 8 cordes tel qu'inventé par une autre célèbre marque asiatique en 2007. Allez, on se délie les doigts et on y va...
Lutherie & Électronique
La Blackjack ATX C-8 est l’un des cinq modèles de 8 cordes apparus cette année au catalogue Schecter. Cinq modèles, cela peut paraître beaucoup, mais rappelons que Schecter organise ses modèles en séries (Hellraiser, Blackjack ATX, Elite…) de caractéristiques identiques, et qu’au sein de celles-ci, on retrouve potentiellement chaque type de guitares (modèles C, V, Solo, etc.). Si vous n’êtes pas intéressés par une 8 cordes, sachez donc que vous aurez une bonne idée de ce que peut donner une guitare de la série Blackjack ATX en lisant ce test.
En ouvrant le carton (malheureusement, la C-8 n’est pas livrée en housse), on découvre une guitare de type « superstrat », dans une livrée blanc cassé (finition appelée « Aged White » par Schecter). Il s’agit d’une archtop, c’est-à-dire que le corps est sculpté, à la manière de guitares comme les Les Paul par exemple. Pour renforcer visuellement les contours, un binding court tout le long du corps, du manche et de la tête de la guitare. S’il s’agit d’un simple filet crème le long du manche, il s’agit d’un triple filet noir et crème autour du corps et de la tête de la guitare. Classieux !
Sous cette finition blanche, on retrouve d’après le fabricant un corps entièrement fait d’acajou. Le manche, collé (ce qui est sensé favoriser le sustain), est lui aussi en acajou. Il est surmonté d’une touche en palissandre, dépourvue de tout repère, excepté un éclair repérant la douzième case. Heureusement, les repères de touche sont quand même signalés sur le filet du manche, ce qui permet de ne pas se sentir trop perdu quand on joue la C-8. Les frettes sont de type Jumbo, donc larges, ce qui est courant sur une guitare destinée à priori au métal et au shred.
Pour en terminer avec le manche, les 8 mécaniques sont à blocages, quatre par coté, et quasi-symétriques pour permettre aux cordes d’aller du sillet au trou de la mécanique en ligne droite. Outre le fait d’apporter une certaine facilité à changer les cordes, l’utilisation de ce type de mécaniques favorise également la tenue d’accord, ce qui au vu de l’accordage de la guitare (la 8e corde étant un fa dièse grave…) s’avère indispensable.
Le chevalet, un hipshot, reflète également cette volonté de favoriser le sustain et la tenue d’accord. Les pontets y sont réglables individuellement en hauteur, mais leur mobilité latérale y est limitée par la forme du socle du chevalet, qui forme une sorte d’étrier autour des pontets. Enfin, les cordes sont introduites par l’arrière du corps et y sont retenues par des ferrures, choix réputé permettre une meilleure transmission des vibrations des cordes à travers le corps.
Au niveau de la partie électronique, on remarque d’entrée la présence de deux imposants pavés noirs, des micros actifs Seymour Duncan Blackouts. Ceux-ci sont pilotés par un sélecteur trois positions, un volume par micro, et une tonalité générale. Cette combinaison de deux volumes permet, en position intermédiaire, de mélanger finement le son des deux micros, et permet donc toutes les sonorités intermédiaires entre le micro chevalet et le micro manche.
Bon, assez reluqué l’engin, et si on s’y essayait en vrai à la 8 cordes maintenant ?
The power of 8
Poser les mains sur la C-8 est bien évidemment une expérience nouvelle. Le manche, large, rappelle forcément ceux des guitares classiques par son côté bien présent. Il n’en demeure pas moins facile à jouer, aidé en cela par un profil en D, bien plat au centre sans être trop épais. À noter: il s’élargit légèrement et progressivement au fur et à mesure que l’on s’approche de la jonction corps/manche. De ce fait, la 8e corde devient progressivement plus difficile à jouer au fur et à mesure que l’on monte dans les cases.
Le diapason (qui détermine la longueur des cases) n’est pas en reste: avec 26,5 pouces, donc plus grand que les standards habituels (671mm, contre 623 à 647mm selon le diapason Gibson ou Fender). Le manche étant plus grand, la tension des cordes est plus forte à tirant égal, mais la justesse en est également favorisée, particulièrement sur les cordes graves.
Alors, évidemment, avec un manche à la fois plus long et plus large, inutile de préciser qu’il vaut mieux posséder de grandes mains pour jouer confortablement sur cette C-8. Il faudra également penser à se muscler les mains si l’on désire utiliser ses effets de jeux habituels quand on est fan de bends et autres tirés de cordes: le long diapason et son surcroit de tension donnent l’impression de jouer sur un tirant de cordes plus épais qu’il n’est en réalité. Ou alors, il faudra penser à monter la C-8 avec des cordes plus lights qu’habituellement.
Et quid de ces cordes de Si et Fa dièse supplémentaires ?
Pour ma part, 7 cordistes depuis une bonne dizaine d’années, j’ai retrouvé les sensations que j’ai ressenti en débutant la 7 cordes. Au début, on a tendance à s’amuser avec de gros riffs ou des arpèges utilisant les premières cases, histoire d’utiliser le registre supplémentaire apporté par cette corde extragrave.
Puis, la pratique aidant, on finit par découvrir l’autre potentiel de la 8 cordes: 2 cordes graves supplémentaires, cela veut aussi dire autant de démanchés économisés lorsqu’on déboule sur le manche. Cela veut aussi dire des sauts de cordes inédits (et cela demande un peu d’habitude, avec autant de cordes à disposition, on peut s’y perdre…), des accords à réinventer… Bref, le potentiel est important et offre des heures de pratiques pour être à mon avis pleinement exploré.
Mais fi de considérations sur le jeu en 8 cordes, revenons à notre guitare. Testée « à vide », elle tient les promesses que laissaient entrevoir sa lutherie. On retrouve une belle vibration dans tout le corps, un sustain long, elle donne un réel plaisir à être jouée sans même être branchée.
Évidemment, c’est une fois branchée dans un ampli qu’elle donne tout son potentiel. On note notamment le choix judicieux des micros Seymour Duncan Blackout, qui allient le coté précis associé aux micros actifs avec une chaleur certaine, ce qui est relativement inhabituel comparé aux « clichés » du genre. La lutherie est probablement responsable également de ce rendu sonore, l’acajou participant très certainement à la rondeur relative (soyons réalistes… on est quand même loin d’une guitare de jazz) de la C-8.
À noter cependant que, pour bien gérer la corde de Fa dièse grave, il faudra prendre soin que le matériel dans lequel on branche la C-8 tienne le coup dans les fréquences graves. Les Seymour Duncan ont beau apporter de la précision, on aura quand même tendance à faire « plier » l’ampli relativement tôt dans le registre grave si l’on pousse un peu de ce côté-là.
Voici les exemples audio, réalisés avec un ampli Laboga Mr Hector et un Torpedo VB101 utilisant un baffle Marshall 1960 en V30 et un micro BeyerDynamic M160 :
- 01 accordage00:11
- 02 Clean (accords et arpeges)00:39
- 03 disto chunka chunka en Fa diese01:00
- 04 solo metal00:15
Black Jack gagnant
Au final, que penser de cette BlackJack ATX C-8 ?
Au niveau de la lutherie, la guitare dispose d’une construction irréprochable. On notera le soin particulier apporté aux finitions, à l’accastillage soigneusement choisi pour en faire une guitare à la fois réussie visuellement, qui tienne l’accord, et allie chaleur de l’acajou avec un long sustain.
Au niveau de l’électronique, les Seymour Duncan sont un choix original et apportent une vraie alternative par rapport aux sonorités habituelles des EMGs (que l’on retrouve sur le reste de la gamme), apportant une coloration légèrement plus « vintage ».
Il n’en reste pas moins que le diapason long et la largeur du manche ne la mettent pas forcément à la portée de tous les gabarits, de grandes mains étant plus que conseillées pour profiter au maximum du potentiel de cette BlackJack ATX C-8.
Au final, je retiendrai pour ma part une guitare attrayante, attachante, de bon rapport qualité/prix (1200€), sérieuse et ouvrant sur un nouvel univers sonore qui reste encore largement à défricher.