3 ans : c’est le temps qu’il aura fallu attendre pour que Native Instruments sorte la déclinaison électrique de ses guitares virtuelles Strumming Acoustic. Reste à savoir si notre attente est récompensée.
Si les synthés, le piano, l’orgue, la batterie, la basse et même les instruments à cordes ou à vent disposent tous d’équivalents logiciels relativement convaincants depuis plusieurs années, force est de constater que la guitare jouée en strumming (soit en accords grattés. ) est, avec la voix, ce qui résiste le plus à la virtualisation. Je précise guitare jouée en strumming car en matière de jeu solo, de jeu pincé ou en arpèges, on trouve des choses qui font parfaitement la blague chez les ténors du genre (Efimov, AcousticSamples, Orange Tree Samples, Impact Soundworks, Ample Sound notamment). Pour le strumming, soit l’accord gratté, c’est toutefois une autre paire de manches, la relation complexe entre main droite et main gauche semblant toujours résister au sampling et au scripting, même si certains se débrouillent mieux que d’autres à ce niveau.
Il faut dire que les gestes d’un guitariste sont extrêmement complexes à comprendre comme à reproduire avec des samples au sein d’une interface qui ne tourne pas à l’usine à gaz. Du côté main droite, soit la main qui gratte, il faudrait être en mesure de gérer l’angle, le positionnement et la vitesse d’attaque qui changent à chaque coup de médiator et modifient le timbre et le volume de chaque note, en plus de la paume que le guitariste peut utiliser pour plus ou moins étouffer l’attaque ou le sustain des cordes. Côté main gauche, les choses ne sont pas plus simples vu qu’outre la positionnement sur le manche (le même mi ne rend pas le même son suivant la corde sur lequel on le joue), il faut gérer la position et la force variant pour chaque doigt par rapport à la frette, avec tout ce que cela peut impliquer sur le timbre ou l’étouffement des notes, mais aussi le temps pris pour passer d’une position à l’autre avec les sons que cela génère : il ne se produit pas la même chose lorsqu’on passe d’un accord de mi à un la ou d’un mi à un si barré.
Bref, le strumming a beau être une technique de base de la guitare, il n’en demeure pas moins extrêmement ardu à reproduire dans toute sa complexité, au point que la meilleure façon d’obtenir une rythmique grattée convaincante sans recourir à un guitariste, c’est encore de passer par des boucles. C’était le parti-pris par Wizoo pour réaliser le Virtual Guitarist de Steinberg, et bien des années plus tard, c’est le parti pris par les excellentes guitares acoustiques de Native Instruments : Strumming Acoustic : Guitar Companion 1 et 2 que nous avons adorées parce qu’elles conciliaient le réalisme des boucles avec une grande simplicité de mise en œuvre. Bien sûr, le côté figé des boucles imposait des limites mais Native avait le mérite de proposer un outil cohérent permettant de déployer simplement des parties de guitare rythmique, et surtout un outil différent et parfaitement complémentaire des nombreuses guitares multisamplées qu’on trouve sur le marché.
Inutile de dire, donc, qu’on attendait avec une grande impatience une déclinaison électrique du concept. Déclinaison qui est enfin là et qui ne se nomme pas Strumming Electric comme on pouvait s’y attendre, mais Session Guitarist Electric Sunburst, ce qui constitue une nuance d’importance sur laquelle nous reviendrons. Le Sunburst, c’est celui d’une Les Paul Standard qui s’exhibe fièrement sur la partie haute d’une interface dans laquelle nous allons à présent plonger.
Terrain connu
Les habitués des précédentes guitares Native Instruments ne seront pas dépaysés par l’interface qui est à peu de choses près strictement la même que sur les Strumming Acoustic. Vu la nature de l’instrument, un nouvel onglet Amps et FX fait cependant son apparition. Comme le suggère son nom, ce dernier propose une section d’effets relativement complète où nous attendent 5 modélisation d’amplis, 10 baffles et 14 pédales : un vrai petit Guitar Rig que vous pourrez toutefois désactiver pour utiliser n’importe quel autre plug-in de simulation d’ampli en sortie de l’instrument.
Tant qu’on en est à parler son, un détour par Guitar Settings s’impose, sachant qu’il n’est plus question de mélanger la prise de deux micros pour obtenir le son de votre guitare comme avec Strumming Acoustic, mais de gérer cette fois le mélange entre les micros électro-magnétiques de la guitare et… un micro ayant servi à capter le bruit du médiator ! La chose est assez étonnante de prime abord car si le bruit de l’attaque du mediator est capté par les micros électromagnétiques de la guitare, je ne crois avoir jamais vu de micro rajouté pour l’enregistrer. Et cette incongruité est d’autant plus pesante que ce micro superflu est activé par défaut : il faudra donc penser à le désactiver.
Concernant les vrais micros de la guitare, soit deux Humbuckers, les choses ont été a priori mieux réalisées. On dispose en effet pour tous les patterns inclus dans l’instrument des trois positions Manche, Chevalet et Intermédiaire, sachant que comme sur une Les Paul, on a droit à un potard Tone et un potard volume pour chaque micros, ce qui permet de régler finement le son de la guitare.
Évidemment, le doublage est toujours de la partie pour épaissir et élargir facilement n’importe quelle rythmique programmée avec Session Guitarist (il est d’ailleurs activé par défaut sur tous les presets), tout comme la possibilité de jouer sur le tempo de jeu qu’on pourra réduire de moitié ou doubler, sur la quantisation et le swing des patterns ou encore l’intensité de attaques, de piano à forte, via la molette de pitchbend.
Reste à présent à jouer : retour dans l’onglet principale Patterns, donc.
Les bons et mauvais côtés du patternalisme
Là encore, on reprend le même principe que dans Strumming Acoustic, à savoir une trentaine de ´Songs’ composées chacune de 8 patterns au maximum (à choisir parmi 154), tous affectés à un keyswitch. Sur le clavier, la main gauche s’occupe donc de sélectionner une des rythmiques tandis que la main droite plaque la progression d’accord à suivre. C’est simple et ça fonctionne bien, sachant qu’on peut aussi actionner le mode auto-chords et affecter à des touches des combos accords/rythmique. De la sorte, on n’a même plus à jouer d’accords.
Seul gros bémol de l’affaire à l’usage : le mode latch, permettant la tenue automatique d’un accord sur une mesure, un quart de mesure ou un huitième de mesure, et qui n’est pas débrayable. Il est ainsi impossible de couper brutalement un groove autrement qu’en jouant avec le volume de l’instrument et c’est bien dommage, car ça réduit sensiblement la souplesse de programmation. Impossible d’utiliser les powerchords disponibles dans le preset Toolbox pour faire un truc aussi basique que Seven Nation Army par exemple.
Voyez d’ailleurs cette reprise où Sunburst a été utilisé pour la guitare en son dry présente dès l’entrée du morceau et sur le refrain pour suppléer le synthé… à grand coup d’automations de volume pour parvenir à reproduire une rythmique pourtant relativement simple.
Into the grooves
Reste à parler à présent du matériau de base de ce Session Guitarist, à savoir les fameux patterns. Comme nous le précisions plus haut, ce n’est pas un hasard si cette nouvelle guitare virtuelle ne s’appelle pas Strumming Electric mais Session Guitarist. Si la guitare rythmique est bien à l’honneur, le strumming n’est pas l’unique préoccupation de l’instrument dont un bon tiers des patterns sont des arpèges. La chose a son importance lorsqu’on comprend que les patterns grattés sont réalisés à partir de boucles audio (le vrai jeu d’un guitariste donc), tandis que les patterns arpégés sont réalisés à partir de fichiers MIDI pilotant des samples de la guitare en note à note, ce qui procure des avantages comme des inconvénients.
Le premier avantage du MIDI utilisé pour les arpèges, c’est qu’on peut décliner les patterns avec 6 différentes sonorités, le jeu aux doigts ou au médiator se divisant chacun en 3 techniques : standard, étouffé ou harmoniques. Voyez de ce que ça donne sur un arpège avec les trois techniques de jeux déclinées à chaque fois avec puis sans médiator.
Le second avantage, c’est la souplesse que la chose offre pour décliner les accords dans différents voicings. Voyez ces quelques variations à partir d’un pattern arpégé puis d’un autre gratté.
- SUNBURSTarpvoicingoff 00:08
- SUNBURSTarpvoicing1 00:08
- SUNBURSTarpvoicing2 00:08
- SUNBURSTvoicingoff 00:11
- SUNBURSTvoicing5oct 00:11
- SUNBURSTvoicing10 00:11
Car c’est en effet la petite surprise : les voicings marchent aussi sur la plupart des patterns grattés. Petit regret toutefois : si on nous propose la quinte, l’octave et la dixième la plupart du temps, la sixième et la septième sont aux abonnées absent. Il faudra donc se bricoler ça soit même en plaquant l’accord qui convient. Histoire que vous voyez ce que cela peut donner, voici deux arpèges qui sont enrichis d’une note à chaque mesure, sachant que j’ai désactivé la fonction 'doublage’ pour que vous ayez un aperçu du son un peu plus normal de la guitare :
- SUNBURSTarp1 00:34
- SUNBURSTarp2 00:34
Pas si mal, non ? Quel est donc l’inconvénient alors ? Disons que contrairement aux Strumming Acoustic qui se différenciaient nettement des guitares multisamplées par leur approche, on est finalement ici sur quelque chose de plus proche de ce qui se fait ailleurs en termes de technologie, et donc de résultats. Or, un arpège MIDI pilotant une guitare multisamplées, ce n’est pas la même chose en terme de réalisme qu’un guitariste jouant l’arpège vraiment, d’autant que le sampling réalisé par Native Instruments n’atteint pas forcément le détail de certains concurrents en matière d’articulations comme de nuances. D’autant qu’en marge des quelques voicings et paramètres, il n’y a pas de quoi réellement éditer les patterns en question : Ample Sound, Orange Tree Samples et AcousticSamples peuvent donc dormir tranquille sur ce point.
Je vous rassure tout de même : avec la section d’effet du logiciel et le doublage activés, la plupart des patterns font la blague, si MIDI soient ils à la base. Ce n’est cependant pas le seul grief que nous retiendrons à l’encontre du logiciel.
On ne peut pas plaire à tout le monde
L’autres chose frappante avec les patterns proposés, c’est le côté très éclectique de Sunburst : si le gros métal (Doom, Thrash, Death) comme le jazz (éternel absent) ne sont pas là comme la funk qui demeure la chasse gardée du Funky Guitarist chez l’éditeur, on trouve de quoi faire du rock plus ou moins heavy comme du reggae, de la pop à l’ancienne comme de la pop moderne, et même des choses pensées pour le hip hop ou l’électro. Voyez un petit florilège de ce que le logiciel peut offrir :
- SUNBURSTt1v3 01:43
- SUNBURSTheavy 01:12
- SUNBUSRTrock 01:16
- SUNBURSTelectro 00:48
- SUNBURSThiphop 01:01
- SUNBURSTstand 00:35
Dans l’ensemble, ça marche, d’autant que la section d’effet permet d’obtenir quantité de déclinaisons en termes de son et que vous pouvez même la shunter pour attaquer votre Bias Amp, TH3 ou Amplitube préféré.
A n’en pas douter, certains apprécieront qu’Electric Sunburst propose une approche plus globale de l’instrument que ne le faisaient les austères Strumming Acoustic, avec un peu de tout pour tous les genres même si les rythmes ternaires sont toujours les parents pauvres du lot (et ça commence à devenir lassant de le souligner à chaque fois). Le problème, c’est qu’à vouloir embrasser de si vastes horizons, Sunburst a vite fait de se révéler frustrant, qu’à vouloir plaire à tout le monde, il court le risque de ne contenter pleinement personne.
De fait, plutôt que des arpèges qu’on peut parfaitement faire ailleurs et un certain nombre de riffs parfaitement anecdotiques que vous aurez bien du mal à caser (Les patterns Arcade notamment), on aurait voulu beaucoup plus de choses en guitare grattée, d’autant qu’il manque de quantté de grooves et de rythmiques iconiques de la 6 cordes : pas de pompe blues, pas de powerchords Tchakata à la Pete Townsend, pas de quoi jouer des rythmiques façon Lust for life, Another Brick in the Wall, Price Tag ou encore le Dive d’Ed Sheeran. Entendez-moi bien : il ne s’agit pas d’avoir exactement ces grooves pour faire des reprises, mais bien de disposer de quantités de briques rythmiques qui permetteraient d’aborder n’importe quel titre comme y parvient beaucoup mieux Strummed Acoustic car ce sont bien ces rythmiques qui sont extrêmement dures à programmer avec des guitares multisamplées… et non de bêtes arpèges. Quant au rayon des guitares hip hop / électro plus décalées qui à lui seul mériterait un instrument complet, on a vite fait le tour de ce qui est proposé. Là dessus, il n’est pas certain qu’un Ujam Virtual Guitarist Sparkle ne soit pas plus intéressant.
Bref, en dépit de bonnes choses, on attendait beaucoup plus que ce qui nous est fourni et là où les Strummed Acoustic avaient des gueules d’outils assez tout-terrains pour bâtir des pistes de guitare, ce Sunburst tient plus du pot-pourri qui en dit trop ou pas assez. Ca m’ennuie de devoir faire parler les chiffres mais ils sont assez révélateurs : Strummed Acoustic proposait 8,5 Go de samples, Strummed Acoustic 2, 9,6 Go, et on retombe ici à 5,8 Go… grâce ou à cause des arpèges. De fait, on sent bien qu’entre sa direction artistique qui brasse large, mais en surface, et les problèmes posés par la fonction Latch, ce n’est pas forcément Sunburst qui résoudra nos problèmes lorsqu’une guitare électrique vient à manquer sur un titre, quel qu’en soit le genre, et qu’on a une idée un tant soit peu précise de ce qu’on attend.
Conclusion
Vendu sous la barre des 100 euros, ce Session Guitarist Electric Sunburst réussit dans l’ensemble son pari et devrait séduire ceux qui cherchent un moyen simple de mettre de la guitare électrique dans leurs compos… pour peu qu’ils aient bien conscience de ses limites et défauts, car nous ne sommes certainement pas en présence d’un Strummed Electric faisant suite aux Strummed Acoustic, mais face à un produit à la fois plus ambitieux et moins pertinent.
En ne misant plus seulement sur des boucles de strumming comme ces dernières et en introduisant quantité de patterns basés sur des arpèges MIDI, Sunburst est assurément polyvalent et s’ouvre à bien plus de contextes d’utilisation qu’on ne l’aurait imaginé (notamment le hip hop et la musique électronique ou electro-pop). Le problème, c’est qu’à vouloir faire un peu de tout pour séduire tous les publics, la guitare virtuelle de Native tend à survoler son sujet par rapport aux Strummed Acoustic dont le concept était plus pertinent en regard de la concurrence (du strumming, rien que du strumming basé sur des boucles, rien que des boucles). Car c’est un fait : tout ce qu’on gagne ici du côté arpèges et dont on n’avait pas forcément besoin, on le perd côté strumming où il y avait une vraie carte à jouer, en espérant qu’un Sunbusrt 2 ou une Cherry Guitar viennent compléter tout cela prochainement.
Reste que le fun est malgré tout au rendez-vous. S’il y a donc de quoi mettre donc une demie étoile de moins qu’aux Strummed Acoustic, on gardera quatre étoiles tout de même en regard du prix et du rapport simplicité/efficacité du produit. On attend dans tous les cas une suite à cette mise en bouche qu’on espérait plus copieuse et aboutie après trois ans d’attente.